BGE 95 I 504
 
73. Arrêt du 19 novembre 1969 dans la cause Caisse valaisanne d'allocations familiales de l'industrie du bâtiment contre Commission valaisanne de recours en matière fiscale.
 
Regeste
Liegenschaftensteuer einer Gemeinde. Auslegung des Gesetzes.
2. Die dem klaren Wortlaut widersprechende Auslegung einer gesetzlichen Bestimmung hält dem Vorwurfe der Willkür nur stand, wenn triftige Gründe für die Annahme bestehen, dass die dem Wortlaut entsprechende Auslegung nicht den wahren Sinn des Gesetzes wiedergibt (Erw. 2).
3. Steuern dürfen nur beim Vorliegen der gesetzlichen Voraussetzungen und lediglich in dem vom Gesetz festgelegten Umfange erhoben werden ((Erw. 2 a).
 
Sachverhalt
A.- La loi des finances du canton du Valais, du 6 février 1960 (en abrégé: LF), énumère en son art. 132 les impôts directs que peuvent percevoir les communes; parmi ceux-ci figurent notamment: un impôt sur le bénéfice et un impôt sur le capital des sociétés anonymes (ch. 3) et un impôt foncier (ch. 4). L'art. 144 précise, à propos de l'impôt foncier, qu'il est perçu sur tous les immeubles situés sur le territoire communal et calculé sur la taxe cadastrale sans défalcation de dettes, au taux de 2‰ pour les immeubles bâtis et de 1‰ pour les immeubles non bâtis. L'art. 133 énumère les articles relatifs aux impôts cantonaux qui s'appliquent par analogie aux impôts communaux; y figure notamment l'art. 17, qui exonère de l'impôt, entre autres, "les caisses de chômage et d'allocations familiales, les caisses d'assurances-maladies subventionnées par la Confédération ou le canton, les caisses de congés payés" (ch. 8). L'alinéa 2 de ce même article dispose:
"L'exonération ne s'étend pas aux entreprises cantonales, communales ou bourgeoisiales exploitées en la forme commerciale, ni aux taxes et redevances pour concessions de forces hydrauliques."
B.- La Caisse valaisanne d'allocations familiales de l'industrie du bâtiment (CAFIB), dont le but est de collaborer au soutien de la famille en servant aux employés et ouvriers de ses membres des allocations pour enfants et qui ne poursuit aucun but lucratif (art. 1er al. 3 et 4 des statuts), est propriétaire d'un immeuble sur le territoire de la commune de Martigny; le coût de cet immeuble, qui comprend des logements et des locaux commerciaux, s'est élevé à 4 000 000 fr.; le financement en a été assuré de la manière suivante:
fonds propres 1 800 000 fr.
prêt de la caisse-maladie 100 000 fr.
prêt de la caisse paritaire 100 000 fr.
prêt de l'Helvetia-Incendie 2 000 000 fr.
C.- Le 16 janvier 1968, la commune de Martigny a notifié à la CAFIB un bordereau d'impôt foncier pour l'immeuble précité; le montant s'élevait, pour chacune des années 1966 et 1967, à 4816 fr. 30 pour le bâtiment et à 22 fr. 80 pour le fonds. La CAFIB a fait opposition dans le délai, en se mettant au bénéfice de l'exonération prévue à l'art. 17 ch. 8 LF. L'administration communale ayant maintenu la taxation, la CAFIB a recouru à la Commission cantonale de recours (CCR), qui a rejeté le recours par décision du 20 septembre 1968.
D.- Agissant par la voie du recours de droit public, la CAFIB requiert le Tribunal fédéral d'annuler la décision de la CCR du 20 septembre 1968. Ses arguments seront repris ci-dessous, dans la mesure utile.
La CCR et la commune de Martigny concluent au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
La doctrine et la jurisprudence définissent l'impôt comme la contribution qu'un particulier verse à une collectivité publique (Etat ou commune) pour participer aux dépenses résultant des tâches générales dévolues à cette dernière en vue de la réalisation du bien commun (RO 86 I 99 consid. 2). Il est perçu sans conditions, c'est-à-dire non pas comme contrepartie d'une prestation fournie par l'Etat ou d'un avantage particulier, mais en fonction d'une certaine situation économique réalisée en la personne de l'assujetti. Il constitue donc une contribution unilatérale non liée spécialement à une contrepartie, représentant une contribution aux tâches générales incombant à l'Etat dans l'intérêt de la collectivité (RO 63 I 153; 90 I 82 consid. 3).
En revanche, la taxe se présente comme le prix de droit public imposé unilatéralement au citoyen pour un certain recours à l'administration publique ou à un service public. Il s'agit de l'équivalent soit d'un service ou d'un avantage procuré à l'intéressé (taxes d'utilisation), soit d'une dépense publique à la suite d'une prestation sollicitée par ce dernier et fournie par l'administration (taxes administratives ou émoluments administratifs) (RO 93 I 634 consid. 3, 82 I 301 consid. 3 a; FLEINER, Principes généraux du droit administratif allemand, traduction Eisenmann, p. 259). La quotité d'une taxe doit être directement en rapport avec l'avantage retiré par le redevable. Dès lors, les taxes ne peuvent être imposées qu'aux administrés qui bénéficient des avantages ou prestations ou qui ont suscité les dépenses dont les taxes représentent la contrepartie; d'autre part, leur importance doit être fixée proportionnellement à ces avantages, prestations ou dépenses. Si le montant de la taxe excède le coût de la prestation étatique, elle devient un impôt.
Une troisième forme de contribution publique est constituée par la charge de préférence, qui est une participation aux frais d'installations déterminées faites par la corporation publique dans l'intérêt général et qui est mise à la charge des personnes ou groupes de personnes auxquels ces installations procurent des avantages économiques particuliers. Elle doit être calculée d'après la dépense à couvrir et mise à la charge de celui qui profite des installations réalisées, dans une proportion correspondant à l'importance des avantages économiques particuliers qu'il en retire (RO 86 I 99, 90 I 81 et 93). La charge de préférence se distingue d'ailleurs de l'impôt d'affectation ou de dotation (Zwecksteuer) qui, lui aussi, est destiné à couvrir des dépenses déterminées, mais est perçu auprès de tous les contribuables et non pas seulement auprès de ceux auxquels les dépenses à payer procurent des avantages (RO 73 I 58; 86 I 99; 90 I 94/5).
En l'espèce, on doit sans aucun doute considérer comme un impôt proprement dit l'impôt foncier que les communes valaisannes sont en droit de percevoir, sur la base des art. 132 et 144 de la LF de 1960. L'art. 132 énumère les impôts directs que les communes prélèvent, dont en particulier, en plus d'un impôt sur la fortune, un impôt foncier. Ce dernier, selon l'art. 144, est perçu sur tous les immeubles situés sur le territoire de la commune intéressée. Il est calculé en fonction de la valeur cadastrale de l'immeuble, mais à un taux fixe: 2‰ pour les immeubles bâtis et 1‰ pour les immeubles non bâtis, sans défalcation de dettes. Il s'agit donc d'un impôt proportionnel, soit d'un impôt complémentaire sur la fortune immobilière qui est directement proportionnel à la valeur cadastrale des immeubles et qui frappe tous les propriétaires des immeubles situés sur le territoire communal, que les propriétaires y soient domiciliés ou non, qu'ils soient une personne physique ou une personne morale, que les immeubles soient bâtis ou non bâtis et quelle que soit leur destination: industrielle, commerciale ou agricole. L'impôt en question n'est pas une redevance due pour une activité administrative déterminée provoquée par l'assujetti ou pour l'utilisation d'un service public: il n'est en relation particulière ni avec un service communal institué en raison de l'activité des personnes qui y sont astreintes, ni avec l'utilisation par celles-ci d'un établissement public, dont il représenterait une contre-prestation proportionnée aux frais que ces institutions entraîneraient pour la collectivité communale. Il n'y a pas davantage de relation particulière entre cette contribution et une institution communale déterminée présentant des avantages particuliers pour les personnes tenues de la payer. S'il en était ainsi, le montant devrait en être calculé selon le bénéfice plus ou moins grand que les contribuables retireraient de cette institution. Mais ce sont autant d'éléments qui font défaut en l'occurence.
Il est vrai que lors de la discussion de la loi au Grand Conseil, notamment en deuxième lecture en février 1960, l'accent a été mis, pour justifier la création de cet impôt foncier, sur le fait que les immeubles provoquent des dépenses pour la commune où ils sont situés (entretien des chemins de dévestiture pour les immeubles agricoles; édilité, égouts, police etc. pour les immeubles bâtis). Mais précisément ces tâches ne constituent pas des obligations exceptionnelles d'une commune. Elles rentrent bien plutôt dans les devoirs généraux d'une administration communale qui, pour subvenir à ses besoins et couvrir les dépenses d'utilité publique, doit avant tout et principalement faire appel à l'impôt, indépendamment du fait et de la mesure dans laquelle l'administration publique a profité aux contribuables.
Etant ainsi une contribution de droit public, perçue sans être liée d'une manière essentielle à la condition d'une contreprestation ou d'un avantage particulier, l'impôt foncier créé par les art. 132 et 144 LF constitue bien un véritable impôt et non une simple taxe ou charge de préférence. De toute manière, même si les ressources provenant de cet impôt foncier devaient servir exclusivement à couvrir les dépenses provoquées par les immeubles bâtis et non bâtis, cela ne conférerait pas encore à cette imposition le caractère d'une charge de préférence. Elle rentrerait alors dans la catégorie des impôts de dotation et garderait pour le surplus les autres caractéristiques de l'impôt ordinaire (RO 63 I 154; 90 I 82).
Or l'administration, comme d'ailleurs le juge et le législateur lui-même, est liée par le texte de la loi tant que celle-ci n'a pas été modifiée ou abrogée (cf. RO 94 I 36 consid. 3 a et les arrêts cités). D'autre part, l'application d'une disposition contrairement à son texte clair n'échappe au grief d'arbitraire que s'il existe des raisons sérieuses d'admettre que l'interprétation conforme au texte ne correspond pas au sens véritable de la loi; de telles raisons peuvent résulter de la genèse du texte, de son fondement, de son but ou de ses rapports avec d'autres règles légales (RO 95 I 326 consid. 3 et les arrêts cités).
a) La CCR reconnaît que le législateur, sous ch. 8 de l'art. 17 LF relatif aux caisses d'allocations familiales, n'a pas apporté expressément une limite à l'exonération dont se prévaut la recourante, mais elle soutient que son intention de le faire ressort du contexte et de la portée de l'ensemble de cet art. 17. Cette interprétation n'est toutefois pas soutenable, car chaque cas de l'énumération contenue dans l'article en question est réglé pour lui-même et concerne soit une corporation de droit public ou de droit ecclésiastique, soit une institution, une association ou une fondation de droit public ou de droit privé, soit, comme en l'espèce, une caisse d'allocations familiales ou de chômage. Les chiffres 3, 4, 5 et 6 exonèrent de l'impôt les corporations de droit public et de droit ecclésiastique, pour autant qu'il s'agit de leur fortune, leurs revenus, leurs bâtiments ou leurs biens affectés directement à des services publics ou à d'autres buts légalement définis. Il en est de même du chiffre 7 qui, pour les associations, fondations, institutions, établissements civils ou religieux de droit public et de droit privé, limite l'exonération fiscale à leur fortune et leur revenus affectés directement et irrévocablement à des oeuvres déterminées, instituées dans un but d'utilité publique ou d'assistance. Le chiffre 8, en revanche, ne fixe pas de condition. Il exonère de manière inconditionnelle ces institutions à caractère social que sont les caisses de chômage, d'allocations familiales, d'assurances-maladie et de congés payés; cette exonération vise tant les impôts cantonaux que les impôts communaux, donc aussi l'impôt foncier communal. Si le législateur avait voulu soumettre ces institutions aux conditions fixées sous chiffre 7, par exemple, il aurait pu s'abstenir d'en faire une catégorie à part sous chiffre 8, ou lors il aurait dû le dire expressément dans cette dernière disposition. Les ayant traitées séparément sans les soumettre à aucune condition, il a manifesté son intention de leur conférer un statut fiscal propre. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la légalité de l'impôt, le fisc ne peut percevoir des impôts que lorsque les conditions légales sont réunies et uniquement dans la mesure prévue par la loi (RO 92 I 47, 91 I 176 et 254). Si la loi, dûment interprétée, ne fournit pas au fisc une base suffisante, le contribuable échappe à l'impôt, quand bien même il profiterait d'un pur oubli (AUBERT, Droit constitutionnel suisse, no 317; cf. RO 84 I 94). En l'espèce d'ailleurs, le législateur avait vraisemblablement en vue, en donnant au chiffre 8 de l'art. 17 la teneur que l'on sait, de donner satisfaction aux revendications des milieux syndicaux et d'éviter par là de compromettre le succès du projet lors du vote populaire. Ainsi l'interprétation conforme au texte correspond bien au sens véritable de la loi et au but réel qu'elle poursuit, de sorte que l'interprétation contraire retenue par les autorités communale et cantonale n'est pas soutenable.
b) L'absence de conditions au chiffre 8 de l'art. 17 ne peut constituer non plus une lacune de la loi, que le juge devrait combler, comme le dit en passant la CCR dans sa réponse, sans d'ailleurs motiver plus avant cette allégation. De toute façon, il ne s'agirait pas d'une véritable lacune (echte Lücke), qui seule peut être comblée par le juge (RO 84 I 94, 90 I 141, 95 I 326 consid. 2; arrêt X. c. Thurgovie, du 15 mai 1968, consid. 2, publié dans les "Archives de droit fiscal suisse", vol. 37 p. 420 ss.; JAAC 1959/60 p. 55/6; IMBODEN, Verwaltungsrechtsprechung, 3e éd., no 241 II et III b).
c) Quant à l'interprétation que la CCR entend tirer de la genèse de la loi, il faut rappeler que la méthode consistant à interpréter une disposition contre son texte, en se servant de matériauxlégislatifs, soulève des objections de principe: ce qu'ont voulu certaines autorités chargées de préparer la loi ou ce qu'ont dit et pensé certaines personnes qui ont travaillé à cette préparation n'est pas décisif pour l'interprétation, si ces opinions n'ont pas trouvé leur expression dans le texte même de la loi (RO 81 I 282; 82 I 153; 84 II 103; 87 II 329; 92 I 308/309).
d) La CCR prétend en outre que l'obligation pour la recourante de payer l'impôt foncier communal se fonde encore sur le fait que celle-ci a utilisé des fonds étrangers pour l'achat de son bâtiment de Martigny, ce qui serait incompatible avec le but statutaire qu'elle doit poursuivre, ce but ne devant avoir aucun caractère lucratif. Mais pour autant que la recherche d'une meilleure rentabilité des fonds de la CAFIB tend uniquement à obtenir une amélioration des allocations familiales, ce qui n'est pas contesté, elle ne va certainement pas à l'encontre du but prévu par les statuts, qui est précisément de servir aux employés et ouvriers des membres de la CAFIB des allocations pour enfants. Ce grief, qui devrait d'ailleurs concerner aussi bien les impôts ordinaires sur le revenu et la fortune que l'impôt foncier communal, n'est dès lors pas fondé.
e) Dans la décision attaquée, la CCR relève encore que le texte de l'art. 144 LF précise que l'impôt foncier est perçu sur tous les immeubles, ce qui n'autoriserait aucune exception. Un tel argument n'est pas convaincant. Ce que le législateur a sans doute voulu spécifier par là, c'est que la commune de situation peut prélever l'impôt foncier également auprès des propriétaires non domiciliés dans cette commune, alors même qu'en vertu de l'art. 156 al. 1 LF, l'impôt ordinaire sur la fortune immobilière et son revenu est perçu par la commune de domicile de ces propriétaires. Rien ne permet de prétendre que le texte de l'art. 144 constitue une dérogation aux dispositions de l'art. 17 LF.
f) On doit admettre en conclusion que l'interprétation de l'art. 17 ch. 8 LF contraire à son texte clair ne peut pas se justifier par des raisons sérieuses et, partant, échapper au grief d'arbitraire.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule la décision attaquée.