BGE 97 I 632 |
90. Extrait de l'arrêt du 16 juin 1971 dans la cause Mühlematter et Knöpfel contre commune de Lausanne et Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois. |
Regeste |
Eigentumsgarantie. Art. 22 ter BV. |
Sachverhalt |
A.- Régina Mühlematter a acquis en décembre 1951 un bien-fonds de 2283 m2, situé à Lausanne, entre la route de Berne et le chemin de Boissonnet. Ce terrain portait une villa, construite en 1931/1932, que dame Mühlematter a fait rénover et agrandir en 1962/1963. La partie inférieure du bien-fonds, constituant une parcelle distincte du cadastre, est grevée de servitudes d'interdiction de bâtir sur certaines parties et de restrictions au droit de bâtir sur d'autres.
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Johann Knöpfel a acheté en 1948 un bien-fonds de 1369 m2, jouxtant au nord-ouest celui dont il est question ci-dessus et comprenant une maison d'habitation de deux appartements, sur trois niveaux, construite en 1929.
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Selon le plan d'extension établi en 1942 par la commune de Lausanne, le quartier délimité par la route de Berne, le chemin de Boissonnet, l'Asile Boissonnet et le Flon suivait le régime de la zone périphérique, autorisant des constructions de trois étages sur rez-de-chaussée, d'une hauteur maximum de 13 m à la corniche et d'une longueur de 25 m au maximum pour la plus grande façade, la distance aux fonds voisins étant de 6 m au minimum. En fait, le quartier comprenait en 1963 et comprend aujourd'hui encore presque uniquement de petites maisons familiales.
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A la demande de 19 propriétaires sur 32, réunissant 60% de la surface, la Municipalité de Lausanne proposa au Conseil communal de soumettre le quartier au régime de la zone de villas, en maintenant à 6 m la distance entre les constructions et les fonds voisins. A l'appui de sa proposition, elle invoquait le caractère résidentiel et tranquille du quartier, situé en dessous du plateau de Vennes, lui-même occupé par des maisons familiales modestes et déjà classé en zone de villas; elle ajoutait qu'il fallait conserver en droit un état de fait favorable. Malgré l'opposition de dix propriétaires, dont Régina Mühlematter et Johann Knöpfel, le projet fut adopté par le Conseil communal et approuvé par le Conseil d'Etat en juillet 1963. Le nouveau régime permet la construction de maisons n'occupant pas plus de 1/6 de la surface de la parcelle et comportant au plus un rez-de-chaussée, un premier étage et un étage de combles d'une surface ne dépassant pas les 3/5 de celle du premier étage.
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Ces mêmes propriétaires ont ensuite requis la constitution du tribunal arbitral prévu par la loi vaudoise sur l'expropriation, se fondant sur l'art. 30 de la loi vaudoise du 5 février 1941 sur les constructions et l'aménagement du territoire (LCAT) dans sa version du 26 février 1964. Ils ont pris devant ce tribunal des conclusions tendant au paiement par la commune de Lausanne de 400 000 fr. à Régina Mühlematter et de 250 000 fr. à Johann Knöpfel, en réparation du préjudice causé par l'expropriation matérielle dont ils se disaient victimes. Ils ont été déboutés par le tribunal arbitral et, en seconde instance cantonale, par la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois. Les deux juridictions ont nié qu'il y eût en l'espèce expropriation matérielle.
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B.- Régina Mühlematter et Johann Knöpfel forment un recours de droit public au Tribunal fédéral et soutiennent que l'arrêt viole l'art. 4 Cst. et la garantie de la propriété, telle qu'elle découle de l'art. 6 Cst. vaud. et du droit fédéral. Ils relèvent que le volume des constructions autorisées sur leur fonds est réduit au tiers de ce qu'il était avant le déclassement, et prétendent que la valeur de leur bien est diminuée dans une proportion de 30 à 50%. Ces deux éléments suffiraient, selon eux, à démontrer qu'ils sont victimes d'une expropriation matérielle.
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C.- La commune de Lausanne conclut au rejet du recours de droit public. La Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois se réfère aux considérants de son arrêt.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
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Considérant en droit: |
5. Selon la jurisprudence, il y a expropriation matérielle lorsqu'un usage actuel ou un usage futur prévisible de la chose sont interdits ou restreints d'une manière particulièrement grave; il y a également expropriation matérielle lorsqu'un seul propriétaire foncier, ou quelques propriétaires seulement, sont touchés de telle sorte qu'ils devraient supporter un sacrifice par trop considérable en faveur de la collectivité s'ils n'étaient indemnisés. La jurisprudence distingue ainsi deux cas: dans le premier, le propriétaire est frappé d'une manière extraordinairement grave, de sorte qu'il est privé d'une des facultés essentielles découlant du droit de propriété; il doit alors être toujours indemnisé. Dans le second cas, la restriction du droit de propriété n'atteint pas le même degré de gravité; le propriétaire a néanmoins droit à une indemnité lorsqu'il est entravé dans l'exercice de ses droits dans une mesure importante et que le refus d'une indemnité lui imposerait un sacrifice incompatible avec le principe d'égalité, eu égard à la situation des autres propriétaires. Dans l'un et l'autre cas, la protection s'étend non seulement à l'usage actuel du fonds, mais encore aux usages futurs possibles, à condition qu'ils apparaissent comme très probables dans un proche avenir (RO 96 I 126 et les citations; 96 I 357). Il n'y a pas cependant de limite précise entre les deux situations: l'autorité doit examiner chaque cas particulier en partant du principe que plus le propriétaire fait un sacrifice élevé, moins il importe de savoir comment il est traité par rapport aux autres (RO 91 I 339). A contrario, les autres limitations apportées aux facultés du propriétaire n'appellent pas une indemnité du point de vue de la garantie constitutionnelle de la propriété.
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Bien qu'ils aient été posés généralement à propos de cas d'interdiction totale de bâtir sur tout ou partie du fonds, les principes ainsi rappelés peuvent s'appliquer aussi en cas de changement de zone entraînant une diminution du volume utile des constructions autorisées (Herabzonung; cf. RO 94 I 349 consid. 4).
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Les recourants ne prétendent pas cependant avoir envisagé sérieusement de modifier l'affectation de leur fonds dans un délai relativement court. Bien plus, en 1963, dame Mühlematter venait de transformer et de rénover sa villa. Elle aurait donc vraisemblablement continué à l'habiter, ou l'aurait louée, ne pouvant la démolir ou vendre son terrain pour la construction sans perdre la contre-valeur de tout ou partie de ses impenses. S'il n'a pas agi de la même manière, Knöpfel n'a pas non plus soutenu avoir eu l'intention de construire lui-même ou avoir eu l'occasion de vendre son terrain pour la construction de bâtiments importants. Objectivement, les parcelles des recourants, enclavées et relativement exiguës, se prêtaient assez mal à cet usage. On peut cependant se dispenser de rechercher si l'affectation des fonds des recourants à la construction de bâtiments de rapport apparaissait en 1963 comme une utilisation très probable dans un proche avenir. En effet, d'autres motifs sont décisifs.
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b) Bien que les règles de la zone de villas ne soient pas très restrictives à Lausanne, puisque le coefficient théorique d'utilisation du sol est de 0,43 (soit 43 m2 de plancher pour 100 m2 de terrain), le déclassement réduit les possibilités de construire au tiers environ de ce qu'elles étaient en zone périphérique. Cependant, les facultés qui restent aux propriétaires sont loin d'être négligeables. Les recourants peuvent entretenir, transformer et agrandir leur maison. Ils peuvent aussi, dans les nouvelles limites, édifier une seconde construction sur leur fonds: en cours de procédure, dame Mühlematter a vendu la partie inférieure de sa parcelle pour la construction d'une villa et le fils de Knöpfel a obtenu en 1965 l'autorisation de construire une maison de deux appartements sur la surface libre de la parcelle de son père, des motifs personnels l'empêchant seuls de réaliser ce projet. Les recourants peuvent dès lors tirer de leur fonds un profit économique appréciable. Leur situation n'est pas plus grave que celle du propriétaire d'un fonds dont une partie est devenue totalement inconstructible (cf. RO 82 I 166; 93 I 343 s.). Ils ne sont donc pas privés d'une faculté essentielle découlant du droit de propriété. De plus, le déclassement comporte des avantages importants. Les propriétaires sont désormais assurés que le caractère du quartier sera maintenu. Or il aurait suffi de quelques bâtiments plus volumineux pour altérer profondément ce caractère. La disparition de ce risque est un élément de plus-value.
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Au demeurant, on constate que la quasi-totalité des propriétaires du quartier n'ont pas fait usage pendant vingt ans, dont dix ans au moins d'intense développement urbain, des possibilités de construire de la zone périphérique; la plupart des villas n'atteignent pas même la surface utile maximum de la zone de villas et les deux bâtiments plus importants sont plus petits que ne l'auraient permis les règles de la zone périphérique. Il faut en déduire que ces propriétaires ont volontairement renoncé à modifier la destination de leur fonds en considération, selon toute vraisemblance, de l'avantage qu'ils trouvaient à habiter dans des conditions agréables à proximité de la ville. Cela étant, le déclassement, soit la sanction juridique d'une situation de fait qui s'était développée en dérogation au régime antérieur, ne prive pas les propriétaires d'une faculté essentielle découlant de la propriété de leur fonds. Le contenu de cette notion varie en effet en fonction des circonstances concrètes de chaque cas. Or on ne saurait raisonnablement qualifier d'essentielle une faculté dont il n'a pratiquement pas été fait usage pendant une aussi longue période. Le nouveau régime apparaît alors bien davantage comme une définition du contenu de la propriété, en fonction des conditions de temps et de lieu, que comme une restriction par rapport à une totale liberté, aujourd'hui inconcevable, ou même par rapport à un régime antérieur qui s'est révélé inadéquat. Il est vrai que les villes se développent à une cadence toujours plus rapide et que des quartiers voués récemment encore à l'habitation individuelle s'ouvrent à la construction de maisons de rapport. Mais les recourants ne démontrent nullement qu'à l'entrée en vigueur du nouveau régime, on se soit trouvé à la veille d'une telle évolution pour le quartier de Boissonnet: bien au contraire, vu le morcellement intense, vu la forme souvent défavorable des parcelles, occupées en grande partie déjà par des constructions certes relativement anciennes, mais en bon état d'entretien, l'affectation antérieure devait se maintenir d'une façon générale.
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7. a) Bien qu'ils ne soient pas privés d'une faculté essentielle découlant du droit de propriété, les recourants pourraient être victimes d'une expropriation matérielle et prétendre une indemnité s'ils étaient limités dans l'exercice de leur droit de propriété dans une mesure importante et qu'ils fussent touchés seuls, ou avec un petit nombre de propriétaires seulement. Or, cette seconde condition n'est manifestement pas remplie. Les propriétaires touchés sont au nombre de trente-deux dans le seul quartier de Boissonnet, qui constitue du reste le prolongement du quartier de Vennes soumis au même régime. Certes, il se peut qu'une mesure identique imposée à de nombreux propriétaires entraîne une limitation importante des droits de certains d'entre eux seulement. Il n'y a pas lieu toutefois de décider si une indemnité est due dans un tel cas. Les recourants ne démontrent pas, en effet, que leur propre situation diffère de celle des autres propriétaires, au point qu'ils fassent seuls un sacrifice considérable en faveur de la collectivité.
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Les recourants, il est vrai, mettent en doute cette seconde condition, faisant valoir qu'une indemnisation ne rend pas constitutionnelle une mesure inégalitaire. En réalité, le principe d'égalité, qui prohibe le traitement discriminatoire de situations semblables, n'interdit pas, et le principe de proportionnalité peut exiger, qu'une restriction de droit public à la propriété soit imposée à un propriétaire ou à quelques propriétaires seulement. L'argument des recourants est donc sans pertinence.
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b) Les recourants n'étant pas touchés seuls ou avec quelques propriétaires seulement, il n'est pas nécessaire de se demander si le nouveau régime applicable à leur fonds, qui ne les prive pas d'une faculté essentielle découlant du droit de propriété, les limite cependant dans une mesure importante dans l'exercice de leurs droits. Il paraît toutefois opportun d'examiner brièvement leur argumentation sur ce point.
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(Le Tribunal fédéral constate que la dépréciation des immeubles des recourants n'est pas décisive et ne dépasse pas 20%.)
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c) Enfin, la diminution de valeur dont font état les recourants n'entraîne pour eux qu'un manque à gagner, et non une perte. Manifestement, en effet, les prix payés en 1948 et 1951 ne tenaient pas compte des possibilités de construire de la zone périphérique. S'il y avait lieu à indemnisation, en vertu des principes rappelés plus haut, on devrait se demander si la garantie de la propriété exige encore une réparation complète d'un tel préjudice, ce qui aurait dans de nombreux cas pour effet de transférer à la collectivité les risques de perte pour ne laisser au propriétaire que les chances de gain. Cette question peut cependant rester indécise.
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