BGE 133 I 110 - Genfer Volksinitiative |
13. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause Slatkine et Pétroz contre Grand Conseil du canton de Genève (recours de droit public) |
1P.541/2006 du 28 mars 2007 |
Regeste |
Art. 85 lit. a OG; Gültigkeit der kantonalen Volksinitiative "Fumée passive et santé", welche das Rauchen in öffentlichen Räumen und Anlagen verbieten lassen möchte; Art. 10 Abs. 2, 34 Abs. 2, 36 und 49 Abs. 1 BV. Die redaktionelle Änderung des Initiativtextes durch den Genfer Grossen Rat steht im Einklang mit der Kantonsverfassung und entspricht dem Willen der Initianten (E. 3). Die Initiative verletzt die Bundesgesetzgebung über den Arbeitnehmerschutz nicht (E. 4). Es ist fraglich, ob das verfassungsmässige Individualrecht der persönlichen Freiheit einen Anspruch gewährleistet, in öffentlichen Räumen und Anlagen zu rauchen. Die Frage kann hier aber offenbleiben (E. 5). Die mit der Initiative vorgeschlagene Verfassungsbestimmung erscheint ausreichend präzise (E. 6); sie verfolgt ein offensichtlich im öffentlichen Interesse liegendes Ziel (E. 7.1) und trägt auch dem Verhältnismässigkeitsgebot ausreichend Rechnung, zumal Ausnahmen vom Rauchverbot in der Ausführungsgesetzgebung vorgesehen werden können (E. 7.2-7.5). Der zugelassene Initiativtext ist nicht irreführend (E. 8). |
Sachverhalt |
Titre XIV Dispositions diverses
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Art. 178B Protection de l'hygiène publique et de la santé
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Fumée passive
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1 Vu l'intérêt public que constitue le respect de l'hygiène publique et la protection de la santé, le Conseil d'Etat est chargé de prendre des mesures contre les atteintes à l'hygiène et à la santé de la population résultant de l'exposition à la fumée du tabac, dont il est démontré scientifiquement qu'elle entraîne la maladie, l'invalidité et la mort.
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2 Afin de protéger l'ensemble de la population, il est interdit de fumer dans les lieux publics intérieurs ou fermés, tout particulièrement dans ceux qui sont soumis à une autorisation d'exploitation.
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3 Par lieux publics dont les locaux intérieurs ou fermés sont concernés, il faut entendre:
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a) tous les bâtiments ou locaux publics dépendant de l'Etat et des communes ainsi que toutes autres institutions de caractère public;
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b) tous les bâtiments ou locaux ouverts au public, notamment ceux affectés à des activités médicales, hospitalières, para-hospitalières, culturelles, récréatives, sportives ainsi qu'à des activités de formation, de loisirs, de rencontres, d'exposition;
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d) les transports publics et les autres transports professionnels de personnes;
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e) les autres lieux ouverts au public tels que définis par la loi.
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L'exposé à l'appui de cette initiative rappelait les risques liés à la fumée passive et la nécessité de protéger le personnel et les personnes qui fréquentent les établissements publics. Les initiants relevaient que plusieurs pays (Italie, Irlande, Malte, Norvège, Suède) ont pris des mesures identiques.
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Le Conseil d'Etat a déposé son rapport sur l'initiative le 11 janvier 2006. La Confédération n'avait pas encore fait usage des compétences découlant de l'art. 118 al. 2 let. b Cst., de sorte que les cantons demeuraient compétents dans le domaine de la protection de la santé. La LTr (art. 6) et l'OLT 3 (art. 19) ne réglementaient pas exhaustivement la protection des travailleurs, et l'initiative allait dans le sens de la législation fédérale. L'initiative était propre à atteindre les buts de sécurité, de respect d'autrui et de santé publique recherchés, et les autres mesures envisageables (horaires, espaces fumeurs, ventilation) ne paraissaient pas aussi efficaces. Un problème de proportionnalité se posait car l'initiative visait une interdiction absolue: aucune exception n'était prévue en faveur des personnes hospitalisées, à mobilité réduite ou en fin de vie, des détenus, des personnes travaillant seules et des établissements consacrés à la vente de tabac. Une interprétation conforme était certes envisageable, dans la perspective de la législation d'application. Le Conseil d'Etat estimait toutefois qu'il y avait lieu de proposer un contre-projet direct permettant de circonscrire plus précisément, par un nouvel alinéa 3 ou dans la loi d'application, la portée de l'interdiction de fumer.
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La Commission législative du Grand Conseil a déposé son rapport le 6 juin 2006. Elle avait demandé un avis de droit auprès du Professeur Vincent Martenet. Ce dernier considérait que l'interdiction de fumer pouvait être disproportionnée lorsqu'elle visait les lieux de séjour à caractère privatif très marqué, soit les cellules de détention, les chambres d'hôpitaux psychiatriques, les chambres des lieux de soins et de séjour dépendant de l'Etat, ainsi que les chambres d'hôtels. Cette inconstitutionnalité pouvait être levée en modifiant la formule de l'art. 178B al. 3, en remplaçant la phrase introductive par l'expression " Sont concernés: ", ce qui permettait de respecter la volonté des initiants tout en préservant la plus grande partie du texte de l'initiative. La majorité de la commission a suivi cet avis: elle a considéré que l'initiative ne respectait pas le droit supérieur. La suppression de l'al. 3 a été refusée, et "l'invalidation partielle" de cette disposition a été décidée dans le sens préconisé par le Professeur Martenet.
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Le 22 juin 2006, le Grand Conseil genevois a suivi la proposition de la Commission législative et déclaré partiellement valide l'IN 129. Il a amendé la première phrase de l'art. 178B al. 3 Cst./GE en la remplaçant par l'expression " Sont concernés: ".
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Deux citoyens et députés genevois ont saisi le Tribunal fédéral d'un recours de droit public pour violation du droit de vote (art. 85 let. a OJ). Ils demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision du Grand Conseil et de déclarer invalide l'initiative IN 129. Ils reprochent en substance au Grand Conseil d'avoir d'une part modifié le texte de l'initiative dans un sens ne correspondant pas à la volonté des initiants et, d'autre part, adopté un texte qui violerait le droit supérieur et qui manquerait de clarté.
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Le Grand Conseil conclut au rejet du recours en relevant notamment la nécessité de concrétiser l'initiative dans une loi d'exécution.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
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Extrait des considérants: |
3.1 La Constitution genevoise n'interdit pas au Grand Conseil de modifier le texte d'une initiative populaire. L'art. 66 al. 3 de la Constitution genevoise du 24 mai 1847 (Cst./GE; RS 131.234) prévoit au contraire expressément l'invalidation partielle d'une initiative dont une partie est manifestement non conforme au droit, si la ou les parties qui subsistent sont en elles-mêmes valides. Cela autorise le Grand Conseil à supprimer une partie du texte de l'initiative, afin notamment de rendre le reste conforme au droit supérieur. Pour autant que la partie restante respecte les conditions de validité, qu'elle conserve un sens et corresponde à la volonté des initiants et des signataires, l'invalidation peut, au besoin, porter sur une partie importante du texte de l'initiative (cf. ATF 130 I 185 consid. 5 p. 202, concernant l'invalidation de cinq des huit articles constitutionnels proposés par l'initiative; arrêt 1P.238/2000 du 26 janvier 2001, publié in SJ 2001 I p. 237 et ATF 125 I 227 concernant tous deux l'invalidation de plusieurs lettres d'un alinéa). Contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'art. 66 al. 2 et 3 Cst./GE ne fait aucune distinction sur ce point entre l'initiative conçue en termes généraux et l'initiative rédigée de toutes pièces (les arrêts précités portent d'ailleurs tous sur des initiatives rédigées). Il est enfin indifférent que la partie retranchée de l'initiative puisse, en soi et détachée de son contexte, être considérée comme conforme au droit fédéral: ce qui est déterminant, c'est que le résultat auquel aboutit l'opération, et l'amélioration qui en découle pour l'ensemble du texte de l'initiative, conserve un sens qui puisse raisonnablement être imputé à ses auteurs.
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3.3 S'agissant de la question du respect de la volonté des initiants, on peut s'interroger sur la qualité des recourants pour soulever un tel grief, puisqu'ils entendent ainsi obtenir l'invalidation totale de l'initiative, alors que les initiants eux-mêmes n'ont pas contesté la décision du Grand Conseil. La question peut demeurer indécise, car le grief apparaît manifestement mal fondé.
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Il apparaît en outre que, dans un communiqué de presse du 6 juillet 2006, les auteurs de l'initiative ont déclaré adhérer aux conclusions du Professeur Martenet en acceptant "sans réserve la modification de forme apportée au texte (...) qui permet une interprétation plus précise de la proposition de loi sans aucune altération de sa substance". Le 12 septembre 2006, le comité d'initiative a déclaré approuver complètement la décision du Grand Conseil, ce qui permet de lever le doute qui pourrait encore subsister quant au respect de la volonté des initiants. Ce premier grief doit être écarté.
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4.1 De manière générale, une initiative populaire cantonale ne doit rien contenir qui viole le droit supérieur, qu'il soit cantonal, intercantonal, fédéral ou international (cf. ATF 124 I 107 consid. 5b p. 118 s.). L'art. 49 al. 1 Cst. fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 130 I 82 consid. 2.2 p. 86/87; ATF 128 I 295 consid. 3b p. 299; ATF 127 I 60 consid. 4a p. 68 et les arrêts cités). L'existence ou l'absence d'une législation fédérale exhaustive constitue donc le premier critère pour déterminer s'il y a conflit avec une règle cantonale. Toutefois, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine si elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral (AUER/MALINVERNI/HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, Berne 2000, n. 1031 p. 364). Le principe de la force dérogatoire n'est pas non plus violé dans la mesure où la loi cantonale vient renforcer l'efficacité de la réglementation fédérale (ATF 91 I 17 consid. 5 p. 21 ss). Ce n'est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd la compétence d'adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci (cf. ATF 130 I 82 consid. 2.2 p. 86/87; ATF 128 I 295 consid. 3b p. 299).
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4.2 L'art. 118 Cst. règle les compétences de la Confédération en matière de protection de la santé. La doctrine parle à ce propos d'une "fragmentarische Rechtssetzungskompetenz des Bundes" en matière de santé publique: la Confédération n'aurait la compétence d'édicter des dispositions pour protéger la santé que dans les domaines exhaustivement cités à l'alinéa 2 de cette disposition constitutionnelle (HÄFELIN/HALLER, Schweizerisches Bundesstaatsrecht - Die neue Bundesverfassung -, 6e éd., Zurich 2005, n1185-1187). A l'intérieur de ces domaines, elle dispose d'une "compétence globale dotée d'un effet dérogatoire subséquent" (FF 1997 I 338). Elle peut notamment légiférer sur l'utilisation des denrées alimentaires, des agents thérapeutiques, des stupéfiants, des organismes, des produits chimiques et des objets qui peuvent présenter un danger pour la santé (art. 118 al. 2 let. a Cst.), ainsi que sur la lutte contre les maladies très répandues et particulièrement dangereuses (art. 118 al. 2 let. b Cst.). Ces dispositions pourraient servir de fondement à une législation fédérale destinée à protéger contre les effets du tabagisme passif (JAAG/RÜSSLI, Schutz vor Passivrauchen: verfassungsrechtliche Aspekte, PJA 2006 p. 21 ss). Le législateur fédéral a fait partiellement usage de cette compétence pour réglementer notamment - mais de manière non exhaustive - la publicité en matière d'alcool et de tabac (ATF 128 I 295). Les cantons conservent, en tout cas tant que la Confédération n'aura pas légiféré dans ce domaine, la faculté d'édicter des règles générales pour la protection de la population contre les effets du tabagisme passif.
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Conformément à l'art. 6 al. 4 LTr, l'ordonnance 3 du 18 aoút 1993 relative à la loi sur le travail (OLT 3; RS 822.113) détermine les mesures d'hygiène qui doivent être prises dans toutes les entreprises soumises à la loi. Elle prévoit notamment que l'employeur doit veiller, dans le cadre des possibilités de l'exploitation, à ce que les travailleurs non-fumeurs ne soient pas incommodés par la fumée d'autres personnes (art. 19 OLT 3). Cette disposition tend à la protection non seulement de la santé mais aussi du bien-être des travailleurs (ATF 132 III 257 consid. 5.4.1, aussi publié in SJ 2007 I p. 173). Les mesures de protection ne sont toutefois pas spécifiées; elles doivent être économiquement supportables pour l'entreprise et proportionnées au besoin de protection (même arrêt, consid. 5.4.4).
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4.5 Au contraire de la législation de droit public et privé sur le travail, l'initiative IN 129 tend à la protection du public dans son ensemble. Elle poursuit un but de santé et d'hygiène publiques pour lequel, les recourants n'en disconviennent pas, le canton dispose de compétences propres (ATF 128 I 295 consid. 3d p. 301 et les références), en tout cas tant que la Confédération n'a pas légiféré de manière générale en se fondant sur l'art. 118 al. 2 let. b Cst. (cf. le rapport du Conseil fédéral sur la protection contre le tabagisme passif, FF 2006 p. 3547, 3565). L'interdiction de fumer dans les lieux publics a certes des incidences sur la protection des travailleurs, mais il s'agit d'effets indirects, le but des deux réglementations étant clairement distinct. En outre, si l'interdiction de fumer peut incidemment, suivant les lieux où elle s'applique, recouper la protection des travailleurs prévue par le droit fédéral, cela n'a pas pour effet d'entraver la réalisation des objectifs poursuivis par la LTr, mais bien plutôt de la renforcer (même arrêt, consid. 3f p. 303). Le grief doit par conséquent être écarté.
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5.2 Droit constitutionnel codifié aux art. 10 al. 2 et 7 Cst., la liberté personnelle ne tend pas seulement à assurer le droit d'aller et venir, voire à protéger l'intégrité corporelle et psychique, mais elle garantit, de manière générale, toutes les libertés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et que devrait posséder tout être humain, afin que la dignité humaine ne soit pas atteinte par le biais de mesures étatiques (ATF 130 I 369 consid. 2 p. 373; ATF 124 I 170 consid. 2a p. 171/172 et les arrêts cités). Elle se conçoit comme une garantie générale et subsidiaire à laquelle le citoyen peut se référer pour la protection de sa personnalité ou de sa dignité, en l'absence d'un droit fondamental plus spécifique (ATF 123 I 112 consid. 4 p. 118).
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Selon la définition jurisprudentielle, la liberté personnelle, alors droit constitutionnel non écrit, protégeait le citoyen de manière très large dans sa liberté de décision quant à son mode de vie, spécialement sa liberté d'organiser ses loisirs, de nouer des relations avec d'autres personnes et de se procurer des informations sur ce qui se passe autour de lui et loin de lui (ATF 97 I 839 consid. 3 p. 842). La jurisprudence a ensuite précisé que la liberté personnelle ne garantit pas une liberté générale de choix et d'action (ATF 101 Ia 306 consid. 7 p. 345; ATF 132 I 49 consid. 5.2 p. 56; ATF 124 I 85 consid. 2a p. 86/87) et ne saurait s'analyser comme une protection contre n'importe quel type d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique (ATF 127 I 6 consid. 5a p. 11 et les arrêts cités).
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Le Tribunal fédéral a en revanche nié que les prérogatives suivantes constituent une manifestation élémentaire de la personnalité humaine: le droit de jouer avec des appareils automatiques (ATF 101 Ia 336; cf. toutefois l'arrêt 1P.780/2006 du 22 janvier 2007, concernant l'utilisation d'une console de jeux en détention), le droit pour un détenu de choisir son médecin (ATF 102 Ia 302), le droit de détenir des animaux (laissée indécise in ATF 132 I 7 consid. 3.2 p. 9-10; arrêt 5C.198/2000 du 18 janvier 2001, publié in RDAT 2001 II n73 p. 289; arrêt P.23/1977 du 5 octobre 1977, publié in ZBl 79/1978 p. 34, consid. 4), et le droit de naviguer sur un plan d'eau déterminé (ATF 108 Ia 59). Le Tribunal fédéral a aussi considéré que le droit au travail et à la formation ne se déduisait pas de la liberté personnelle (ATF 100 Ia 189), et que la clause du besoin, qui pouvait empêcher des médecins d'exercer leur profession de manière indépendante, ne portait pas non plus atteinte à cette liberté (ATF 130 I 26 consid. 9 p. 62). Récemment, le Tribunal fédéral a considéré que l'on pouvait difficilement voir dans la consommation de drogues - notamment de cannabis - une condition élémentaire d'épanouissement de la personnalité (arrêt 6P.25/2006 du 27 avril 2006, publié in EuGRZ 2006 p. 682).
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5.2.3 Le fait de fumer - plus spécifiquement dans un lieu public - met en jeu différents aspects contradictoires de la liberté personnelle: du point de vue du fumeur, il en va certes de l'exercice d'un choix personnel, éventuellement même d'un mode de vie, mais celui-ci se trouve immédiatement en contradiction avec, d'une part, l'atteinte à sa propre santé et à sa vie qui résulte de l'activité de fumer et, d'autre part, la restriction à la liberté que s'inflige le fumeur lui-même par son accoutumance à la fumée. Du point de vue des personnes confrontées à la fumée passive, il en va naturellement du respect du droit à la santé et à la vie (art. 10 al. 1 Cst.). Or, plus les différents aspects de la liberté personnelle entrent en conflit, plus il appartient au droit ordinaire de les concrétiser par une pesée et une coordination appropriées: la question ne peut être résolue par la simple définition du champ d'application de la liberté fondamentale (cf. AUER/ MALINVERNI/HOTTELIER, op. cit., vol. II, p. 142).
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La question peut toutefois demeurer indécise, de même que celle de la protection de la sphère privée (art. 13 al. 1 Cst. et art. 8 CEDH). En effet, à supposer que l'un de ces droits fondamentaux puisse être invoqué, les conditions de restrictions posées à l'art. 36 Cst. seraient de toute façon respectées par l'initiative, dans l'interprétation que se propose d'en faire le Grand Conseil.
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6.2 En l'occurrence, la disposition contestée est de rang constitutionnel. Elle ne pose donc pas de problème de légitimité démocratique puisqu'elle ne peut être adoptée qu'avec l'accord explicite du peuple. Par ailleurs, on ne saurait se montrer aussi exigeant en matière de précision que pour une norme de niveau législatif: en tant que norme fondamentale, la constitution a pour fonction notamment de définir l'organisation et la structure de l'Etat, de répartir des compétences et de poser des principes; elle n'a pas à réglementer toute matière de manière exhaustive (AUBERT, Notion et fonction de la Constitution, in Thürer/Aubert/Müller, Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, p. 4), y compris dans les domaines où les droits fondamentaux sont susceptibles d'être touchés.
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Au demeurant, l'IN 129 est claire dans son principe: l'interdiction de fumer s'étend, selon l'art. 178B al. 2 Cst./GE, à tous les "lieux publics intérieurs ou fermés". Même si elle n'est pas très explicite sur ce point, l'initiative évoque à l'art. 178B al. 3 let. e Cst./GE l'adoption d'une législation d'exécution. Celle-ci est d'ailleurs inhérente à ce genre de réglementation, qui ne comporte aucun détail sur sa mise en oeuvre. Or, il paraît évident qu'une mesure aussi générale que l'interdiction de fumer dans les lieux publics fermés n'est pas directement applicable: elle devra être assortie par exemple d'un éventuel délai d'introduction, de mesures de contrôle et de sanctions; en outre, conformément à la volonté manifestée par le Grand Conseil, un certain nombre de dérogations et d'exceptions devront accompagner l'interdiction. Il y a lieu toutefois de relever que, contrairement à ce qui semble ressortir de l'al. 1 de l'art. 178B Cst./GE, ces différents aménagements ne pourront être adoptés directement par le Conseil d'Etat. Le principe de la base légale autorise en effet une délégation à l'exécutif, pour autant toutefois que le contenu essentiel de la réglementation figure déjà dans une loi formelle, notamment lorsque les particuliers sont gravement touchés dans leur situation juridique (ATF 118 Ia 245 consid. 3 p. 246). En l'occurrence, les points essentiels tels que les exceptions à l'interdiction de fumer ne figurent pas dans la norme constitutionnelle; ils devront donc faire l'objet d'une loi au sens formel.
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Il n'en demeure pas moins que le simple fait que la norme constitutionnelle doive faire l'objet d'une législation d'exécution ne saurait justifier une invalidation totale en raison de sa prétendue imprécision (ATF 128 I 295 consid. 5b/aa p. 309).
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7. Selon les recourants, le principal problème posé par l'initiative tiendrait au respect du principe de la proportionnalité. Faute de prévoir clairement les exceptions à l'interdiction de fumer, l'initiative serait disproportionnée. Couverte par une telle norme constitutionnelle, une loi d'application renonçant à prévoir des exceptions suffisantes ne pourrait plus être attaquée. Même interprétée dans le sens voulu par le Grand Conseil, l'initiative condamnerait des lieux publics tels les bars à cigares, à pipes ou à narguilés. Les recourants contestent également la nécessité d'une interdiction générale de fumer dans les lieux publics; ils estiment que la fumée est aujourd'hui proscrite en suffisamment d'endroits (écoles, hôpitaux, universités, transports publics, administrations, entreprises et de nombreux restaurants), et que la réprobation sociale à l'égard des fumeurs constituerait une limitation suffisante; l'initiative n'apporterait pas de changement significatif dans les faits, alors qu'en droit elle porterait une grave atteinte à la liberté.
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Protection contre l'exposition à la fumée du tabac
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1. Les parties reconnaissent qu'il est clairement établi, sur des bases scientifiques, que l'exposition à la fumée du tabac entraîne la maladie, l'incapacité et la mort.
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2. Chaque partie adopte et applique, dans le domaine relevant de la compétence de l'Etat en vertu de la législation nationale, et encourage activement, dans les domaines où une autre compétence s'exerce, l'adoption et l'application des mesures législatives, exécutives, administratives et/ou autres mesures efficaces prévoyant une protection contre l'exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et, le cas échéant, d'autres lieux publics.
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Cette convention a été signée le 25 juin 2004 par la Suisse; le Conseil fédéral entendait par là manifester sa volonté de mettre en oeuvre le projet de l'OMS, dans l'optique de l'élaboration d'un message de ratification avant la fin de la législature 2007. Dès la ratification de ce traité multilatéral - le premier de l'OMS qui soit doté d'effets obligatoires - la reconnaissance des effets nocifs de la fumée du tabac constituera une obligation internationale de la Suisse. Celle-ci est au demeurant indéniable; il est en effet largement reconnu que la fumée passive peut provoquer cancer du poumon, maladies cardio-vasculaires, asthme et infections des voies respiratoires. Selon une estimation prudente, plusieurs centaines de non-fumeurs mourraient en Suisse chaque année à cause du tabagisme passif; les enfants à naître et en bas-âge sont particulièrement exposés (Office fédéral de la santé publique [OFSP], Informations de base sur le tabagisme passif, mai 2006, et les nombreuses références; cf. aussi le rapport du Conseil fédéral sur la protection contre le tabagisme passif, FF 2006 p. 3547, et les références citées). La nocivité de la fumée passive est attestée par suffisamment d'études scientifiques pour pouvoir être considérée comme correspondant à l'état actuel de la science, et non seulement, comme semblent le prétendre les recourants, comme une mode passagère ou la simple expression du "politiquement correct". En Suisse, un quart des non-fumeurs serait exposé au moins une heure par jour à la fumée ambiante. Parmi les non-fumeurs entre 14 et 65 ans, 86 % seraient exposés à la fumée d'autrui dans les lieux publics et leur majorité s'en trouverait fortement incommodée. C'est la raison pour laquelle 26 % de la population éviterait de fréquenter ces lieux (idem). L'initiative poursuit donc un but incontestable de santé publique.
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On ne saurait toutefois en déduire qu'une réglementation contraignante serait inutile: il apparaît en effet que l'exposition dans les restaurants, cafés et bars notamment a peu varié depuis 2001/2002, la proportion de personnes incommodées par la fumée ayant quant à elle augmenté (OFSP, op. cit., p. 4). La réprobation sociale que les recourants invoquent ne paraît donc pas constituer un facteur de diminution significatif; elle n'a en tout cas pas le même effet, général et immédiat, qu'une interdiction formelle de fumer dans les lieux publics. Pour le surplus, les recourants ne prétendent pas que d'autres solutions, tels la création d'espaces ou de coins fumeurs, l'aménagement d'horaires, ou la ventilation des locaux, permettraient d'aboutir à un résultat identique; outre les difficultés liées au coút, à la mise en oeuvre et au contrôle de ces mesures, l'interdiction de fumer présente des avantages déterminants du point de vue du résultat recherché: seule une règle claire et sans ambiguest à même d'engendrer un réel changement dans les habitudes, tout en évitant de nombreuses difficultés d'interprétation et d'application.
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Les recourants perdent de vue que les modifications apportées au texte de l'initiative ont précisément pour but de tenir compte de ces situations particulières et de permettre de tels assouplissements, dictés par le principe de proportionnalité. Il est vrai que le changement rédactionnel adopté par le Parlement genevois n'apporte, à première vue, pas d'amélioration sensible au texte des initiants: tout comme le texte original, l'art. 178B al. 3 indique que les lieux mentionnés sont "concernés" par l'interdiction de fumer proclamée à l'alinéa précédent. Toutefois, selon l'idée exprimée par l'auteur de l'avis de droit, suivi par la majorité de la Commission législative puis du Parlement genevois, il s'agissait, par cette modification, d'affirmer que les lieux mentionnés à l'alinéa 3 de l'art. 178B sont concernés, mais seulement dans la mesure où ceux-ci doivent être considérés comme publics. Cela permettrait d'exclure les parties des bâtiments à caractère exclusivement ou essentiellement privatif. Bien qu'un tel assouplissement ne ressorte pas clairement de la seule lecture du texte adopté, le Parlement a ainsi d'ores et déjà manifesté son intention dans la perspective de l'interprétation du texte constitutionnel et de l'élaboration de sa législation d'exécution. En effet, l'interprétation de la disposition constitutionnelle devra se fonder sur les travaux préparatoires et les intentions qui ont été clairement exprimées à cette occasion (ATF 121 I 334 consid. 2c p. 338). La modification apportée par le Grand Conseil introduit donc la possibilité d'une interprétation et d'une application conformes, le cas échéant, au droit supérieur.
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L'interdiction de fumer dans les établissements publics tels que les restaurants, les bars et les hôtels n'affecte pas directement les exploitants dans le libre exercice de leur profession. Il n'est au demeurant pas démontré que l'interdiction de fumer entraînera une diminution du chiffre d'affaires (cf. FF 2006 p. 3553, note 9). Il est vrai qu'elle rendra a priori impossible l'exploitation d'établissements qui seraient exclusivement consacrés à la consommation de tabac (bars à cigares ou à narguilés). Dans ces endroits, fréquentés exclusivement par des fumeurs (sous réserve des employés dont la protection relève, on l'a vu, de la LTr), le problème de la fumée passive ne se pose pas dans les mêmes termes, ce qui pourrait également justifier une dérogation dans la loi; la possibilité existe en outre de faire de ces établissements des clubs privés. Ces aménagements pourront, eux aussi, être prévus dans la législation d'application.
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8.1 Selon l'art. 34 al. 2 Cst., la garantie des droits politiques protège la libre formation de l'opinion des citoyens et des citoyennes et l'expression fidèle et súre de leur volonté. Les votations et élections doivent être organisées de telle manière que la volonté des électeurs puisse s'exercer librement, notamment sans pression ni influence extérieure (ATF 129 I 185 consid. 5 p. 192; ATF 121 I 138 consid. 3 p. 141 avec les références). Cela implique en particulier une formulation adéquate des questions soumises au vote. Celles-ci ne doivent pas induire en erreur, ni être rédigées dans des termes propres à influer sur la décision du citoyen (ATF 106 Ia 20; ATF 131 I 126 consid. 5.1 p. 132).
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8.2 En l'occurrence, l'objet soumis aux citoyens genevois n'a rien de trompeur: le texte de l'initiative est clair quant au principe; il l'est certes moins quant à la possibilité de prévoir des exceptions par voie législative, mais cela pourra être, le cas échéant, rappelé aux électeurs dans le message explicatif. Les recourants craignent que l'initiative soit approuvée tant par les citoyens favorables à une interdiction totale que par ceux qui pourraient désirer des assouplissements. Il est évident que le texte de l'initiative, tel que modifié et interprété par le Grand Conseil, est susceptible de recueillir une plus grande approbation dans la population. Cela n'est toutefois pas la conséquence d'une manipulation ou d'une atteinte à la liberté de choix des citoyens: le Grand Conseil est intervenu par souci de respecter le droit supérieur et dans le but d'éviter une invalidation totale, ce qui correspond à la mission qui lui revient en vertu de l'art. 66 Cst./GE. Ce dernier grief doit par conséquent lui aussi être rejeté.
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