BGE 139 I 189
 
18. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X. contre Office fédéral de l'aviation civile (recours en matière de droit public)
 
2C_293/2013 du 21 juin 2013
 
Regeste
Art. 29 Abs. 2 BV, Art. 6 Ziff. 1 EMRK; Art. 55 Abs. 3 VwVG; Tragweite des Anspruchs auf rechtliches Gehör; Entscheid über die aufschiebende Wirkung.
Zusammenfassung der Praxis zum Replikrecht im Sinne der Art. 29 Abs. 2 BV und 6 Ziff. 1 EMRK (E. 3.2). Tragweite dieses Rechts im Falle von vorsorglichen Massnahmen mit dringlichem Charakter, wie dies Art. 55 Abs. 3 VwVG für die aufschiebende Wirkung vorsieht (E. 3.3-3.5).
 
Sachverhalt
X. est titulaire, depuis 1981, d'une licence de pilote professionnel d'avion et, depuis 1991, d'une licence de pilote de ligne. Depuis de nombreuses années, il possède également une licence de pilote privé d'avion avec extensions d'instructeur FI (Flight Instructor), IRI (Instrument Rating Instructor) et TRI (Type Rating Instructor).
Par décision du 28 décembre 2012, l'Office fédéral de l'aviation civile (ci-après: l'Office fédéral) a retiré avec effet immédiat et pour une durée indéterminée les extensions d'instructeur FI, IRI et TRI détenues par X. Compte tenu de l'intérêt de sécurité publique en jeu, cette décision prévoyait que tout recours serait privé de l'effet suspensif. Il était en substance reproché à X., alors qu'il agissait comme commandant de bord et instructeur, d'avoir procédé à l'atterrissage d'un avion alors que la visibilité en vol et sur la piste était inférieure à 500 mètres.
A l'encontre de la décision du 28 décembre 2012, X. a déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral, concluant à la restitution immédiate de l'effet suspensif au recours. A la demande du Tribunal, l'Office fédéral s'est déterminé le 15 février 2013 au sujet de l'effet suspensif. Le 27 février 2013, X. a demandé si des déterminations avaient été fournies et, le cas échéant, à pouvoir se prononcer à leur sujet.
Par décision incidente du 4 mars 2013, le Tribunal administratif fédéral a rejeté la requête en restitution de l'effet suspensif formée par X., sans donner suite à sa requête du 27 février.
A l'encontre de cette décision, X. dépose un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral en concluant à l'admission du recours et à la réforme de la décision attaquée en ce sens que l'effet suspensif est restitué à son recours dirigé contre la décision du 28 décembre 2012. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)
 
Extrait des considérants:
3.1 Selon la jurisprudence constante, l'art. 29 al. 2 Cst. trouve application dans le cadre d'une procédure concernant des mesures provisoires (cf. arrêts 2C_598/2012 du 21 novembre 2012 consid. 2.3; 2C_631/2010 du 8 septembre 2010 consid. 3.2; 2P.103/2006 du 29 mai 2006 consid. 3.1). Depuis l'arrêt de la Grande Chambre de la CourEDH Micallef contre Malte du 15 octobre 2009, il en va de même pour l'art. 6 CEDH, à condition, d'une part, que le droit en jeu tant dans la procédure principale que dans la procédure d'injonction soit de "caractère civil" au sens de l'art. 6 CEDH et, d'autre part, que la mesure provisoire soit déterminante pour le droit ou l'obligation de caractère civil (arrêt Micallef, § 83 ss; cf. FRÉDÉRIC KRENC, L'assujettissement du référé aux garanties du procès équitable, Revue trimestrielle des droits de l'homme [RTDH] 2011 p. 295 ss). En l'occurrence, il n'est pas nécessaire d'examiner si ces conditions sont réunies puisque l'art. 29 al. 2 Cst. a la même portée que l'art. 6 par. 1 CEDH s'agissant du droit à la réplique (cf. ATF 133 I 100 consid. 4.3-4.6 p. 102-104).
3.2 Conformément aux art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH, les parties ont le droit d'être entendues. Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable, le droit d'être entendu comprend en particulier le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 138 I 484 consid. 2.1 p. 485; ATF 137 I 195 consid. 2 p. 197; ATF 133 I 100 consid. 4.3 p. 102; ATF 132 I 42 consid. 3.3.2 p. 46; arrêt 1C_458/2011 du 29 février 2012 consid. 3.1 et les arrêts cités).
3.3 L'art. 29 al. 2 Cst. n'a, dans le cadre d'une procédure concernant des mesures provisoires, pas la même portée que s'agissant de la procédure au fond (arrêts 2C_598/2012 du 21 novembre 2012 consid. 2.3; 2C_215/2011 du 26 juillet 2011 consid. 3.4; 2C_631/2010 du 8 septembre 2010 consid. 3.2; 2P.103/2006 du 29 mai 2006 consid. 3.1). Ainsi, les décisions judiciaires concernant l'effet suspensif doivent par nature être rendues rapidement et sans de longues investigations complémentaires (ce que prévoit du reste expressément l'art. 55 al. 3 PA [RS 172.021]). La Cour européenne des droits de l'homme admet d'ailleurs que "dans des cas exceptionnels - par exemple lorsque l'effectivité de la mesure sollicitée dépend de la rapidité du processus décisionnel - il peut se révéler impossible de respecter dans l'immédiat toutes les exigences prévues à l'article 6. Ainsi, dans certaines hypothèses précises, tandis que l'indépendance et l'impartialité du tribunal ou du juge concerné constituent des garanties indéniables qu'il est indispensable de respecter dans pareille procédure, d'autres garanties procédurales peuvent ne s'appliquer que dans la mesure où le permettent la nature et le but de la procédure provisoire considérée" (arrêt Micallef, § 86). L'autorité qui statue peut donc, sauf circonstances spécifiques, se dispenser d'entendre de manière détaillée les intéressés ou de procéder à un second échange d'écritures. Le droit d'être entendu du requérant est en principe déjà garanti par le dépôt de sa demande en matière d'effet suspensif (cf. arrêts 2C_215/2011 du 26 juillet 2011 consid. 3.4; 2C_631/2010 du 8 septembre 2010 consid.3.2; 2D_40/2008 du 19 mai 2008 consid. 2.3; 2A.619/2002 du 10 mars 2003 consid. 3, non publié in ATF 129 II 232).
3.4 En l'espèce, le recourant, à l'appui de sa demande de restitution de l'effet suspensif adressée au Tribunal administratif fédéral, a pu expliquer en quoi il contestait les actes qui lui étaient reprochés par l'Office fédéral. Invité à se déterminer, l'Office fédéral a présenté sa position le 15 février 2013. Par lettre du 27 février 2013, le mandataire du recourant, à qui ces déterminations n'avaient pas été transmises, a demandé au Tribunal si l'Office fédéral s'était déterminé et, le cas échéant, a sollicité de pouvoir faire valoir son droit à la réplique. Le Tribunal administratif fédéral n'a pas donné suite à cette requête et a statué le 4 mars 2013. Au consid. 3 de sa décision, il a indiqué qu'il convenait de statuer rapidement en matière d'effet suspensif (cf. art. 55 al. 3 PA), sur la base d'un examen sommaire et après avoir entendu les parties; or, le recourant s'était exprimé dans sa requête et il n'y avait pas lieu d'ordonner un second échange d'écritures sur cette question.
3.5 Contrairement à ce que prétend le recourant, un tel procédé ne constitue pas une violation du droit d'être entendu déduit de l'art. 29 Cst. Il ne faut pas perdre de vue que la procédure porte sur une mesure provisoire, et non sur une décision au fond. Or, tant la jurisprudence du Tribunal fédéral que celle de la Cour européenne des droits de l'homme reconnaissent que, si elles ont une portée étendue s'agissant des procédures au fond, les garanties découlant du droit d'être entendu peuvent connaître quelques aménagements dans le cas d'une procédure concernant des mesures provisoires. Le caractère d'urgence des mesures provisoires implique que le juge statue sans délai. Inhérent à la nature même de "mesure provisionnelle" et exprimé à l'art. 55 al. 3 PA in fine, ce devoir de célérité exige que, dans certaines circonstances, l'autorité se dispense de procéder à un second échange d'écritures, sous peine de compromettre l'efficacité de la mesure provisoire. En d'autres termes, il ne peut être question, s'agissant de mesures provisoires, d'un droit absolu à une réplique découlant du droit d'être entendu. Le cas échéant, si la réponse de l'autorité précédente contient des éléments nouveaux décisifs sur lesquels le juge entend se fonder, un droit de réplique peut alors se justifier. Cette solution constitue une mise en oeuvre pragmatique de l'art. 6 CEDH (cf. ATF 132 I 42 consid. 3.3.2 p. 47). Elle se justifie à plus forte raison que la décision sur mesures provisoires, par ses effets, se distingue nettement de la décision au fond. Contrairement à la décision au fond, la décision sur effet suspensif n'est revêtue que d'une autorité de la chose jugée limitée et peut être facilement modifiée. La partie concernée par l'effet suspensif peut en effet demander en tout temps, en cas de changement de circonstances, que l'ordonnance d'effet suspensif soit modifiée par l'autorité dont elle émane ou par l'instance de recours (cf. HANSJÖRG SEILER, in VwVG, Praxiskommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2009, n° 139 ad art. 55 PA; THOMAS MERKLI, Vorsorgliche Massnahmen und die aufschiebende Wirkung bei Beschwerden in öffentlich-rechtlichen Angelengenheiten und subsidiären Verfassungsbeschwerden, ZBl 109/2008 p. 421; ANDRÉ GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, p. 923). Il est vrai que dans un arrêt non publié du 13 février 2012 (1C_568/2011), le Tribunal fédéral a jugé qu'une décision en matière d'effet suspensif prise par l'instance cantonale contrevenait aux exigences du droit d'être entendu. Les faits de cet arrêt se distinguent toutefois de ceux de la présente affaire: contrairement au cas d'espèce, l'autorité cantonale avait donné aux recourants l'occasion de répliquer, ce qu'ils avaient fait. Or, pour des raisons inconnues, l'autorité cantonale n'avait pas tenu compte de la réplique produite par les recourants. Ainsi, au vu des circonstances particulières de cet arrêt, le raisonnement qui soutient sa solution n'est pas transposable au cas d'espèce.
3.6 Il suit des considérations qui précèdent que le Tribunal administratif fédéral n'était pas tenu de communiquer les observations de l'Office fédéral au recourant. Certes, la décision attaquée fait référence à "un rapport critique sur le mauvais niveau d'un de ses élèves" qui ne figurait pas dans la décision de l'Office fédéral du 28 décembre 2012. Ce fait n'a toutefois pas été à lui seul déterminant; il n'a été utilisé que pour confirmer la vraisemblance des actes reprochés au recourant. Pour justifier le retrait de l'effet suspensif, l'instance précédente s'est surtout fondée sur l'appréciation par l'Office fédéral de l'incident du 26 novembre 2012. Le Tribunal administratif fédéral a considéré à cet égard que l'argumentation de l'autorité inférieure était convaincante et que celle-ci avait procédé à une juste mise en balance des intérêts en présence. Le Tribunal de céans constate du reste que le recourant n'a demandé ni à l'Office fédéral ni à l'instance précédente de modifier l'ordonnance d'effet suspensif en raison notamment de circonstances nouvelles. Partant, le grief de violation du droit d'être entendu n'est pas fondé et doit être rejeté.