BGE 82 II 169
 
25. Arrêt de la IIe Cour civile du 14 juin 1956 dans la cause Lauper contre Togna.
 
Regeste
1. Voraussetzungen der Berufung gegen einen Vor- oder Zwischenentscheid gemäss Art. 50 OG (Erw. 1).
 
Sachverhalt
A.- Hélène Togna, qui est de nationalité italienne, est née le 3 mai 1933. Le 18 janvier 1953, elle a mis au monde un enfant nommé Robert-Roger. Elle a intenté personnellement, le 15 janvier 1954, une action en paternité contre Jules Lauper en vue d'obtenir une contribution alimentaire pour son fils et différentes prestations pour elle-même. Le défendeur a conclu à l'irrecevabilité de la demande, faisant valoir que la majorité n'est acquise en droit italien qu'à l'âge de 21 ans et que dès lors la demanderesse n'avait pas, au moment de l'ouverture de l'action, la capacité d'agir en justice sans le concours d'un représentant légal. D11e Togna a contesté ce moyen et prétendu qu'ayant reconnu son enfant elle possédaìt la puissance paternelle, en vertu de l'art. 260 CC italien, et avait partant le droit de réclamer par la voie judiciaire les prestations alimentaires prévues par la loi; elle a invoqué en outre la jurisprudence des tribunaux italiens selon laquelle le moyen tiré de son incapacité ne pourrait plus lui être opposé du fait qu'au moment où il a été soulevé elle était devenue majeure.
Par jugement du 19 avril 1955, le Tribunal de première instance de Genève a déclaré la demande irrecevable.
B.- Saisie d'un appel interjeté par D11e Togna, la Cour de justice du canton de Genève, par arrêt du 20 mars 1956, a réformé cette décision, déclaré la demande recevable et renvoyé la cause au premier juge pour instruction et jugement sur le fond. Sa décision est en bref motivée de la façon suivante:
La demanderesse était mineure au moment du dépôt de l'acte introductif d'instance, de sorte que son action était irrégulière. Toutefois, cette irrégularité s'est trouvée corrigée du fait que D11e Togna est devenue majeure en cours de procès, soit le 3 mai 1954. Dans ces conditions, il serait abusif d'invalider l'instance qui était liée et avait été introduite en temps utile.
C.- Contre cet arrêt, Lauper a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral pour interprétation arbitraire des art. 2 CC italien et 2 de la loi genevoise de procédure civile. Ce recours a été rejeté en tant qu'il était recevable, par arrêt du 30 mai 1956.
Lauper a également interjeté un recours en réforme au Tribunal fédéral, concluant à l'irrecevabilité de la demande et, en conséquence, au rejet des conclusions prises par Dlle Togna. Il se prévaut d'une violation de l'art. 308 CC.
 
Considérant en droit:
1. L'arrêt attaqué est une décision préjudicielle prise séparément du fond par la juridiction cantonale de dernière instance au sens où l'entend l'art. 50 OJ. Pour que le recours séparé soit recevable, il faut, d'une part, que la décision ait pour objet une question de droit matériel dont la solution soit susceptible de mettre fin au procès (RO 81 II 398, 78 II 398) et, d'autre part, que la durée et les frais de la procédure probatoire soient considérables, de sorte qu'il convienne de les éviter en autorisant le recours immédiat au Tribunal fédéral. Ces conditions sont réunies en l'espèce. L'arrêt attaqué concerne une question de droit matériel au sujet de laquelle une décision finale peut être immédiatement provoquée. En outre, selon ses allégués, Lauper devrait requérir des commissions rogatoires en Belgique et en France en vue de l'audition de témoins qui ont quitté la Suisse depuis l'introduction de l'action, ainsi qu'une expertise du sang, pour établir qu'il existe des doutes sérieux sur sa paternité, que la demanderesse vivait dans l'inconduite à l'époque de la conception et qu'elle a eu des relations sexuelles avec d'autres hommes durant la période critique. Il suit de là que, suivant le jugement rendu sur la question préjudicielle, une économie importante de temps et de frais pourrait être réalisée. Le recours est dès lors recevable.
Aux termes de cette disposition, l'action en recherche de paternité doit être intentée un an au plus tard après la naissance. Il est constant en l'espèce que l'acte introductif d'instance, soit le dépôt de l'exploit de citation en conciliation au greffe du Tribunal de première instance, a été accompli avant l'expiration du délai d'un an dès la naissance de l'enfant. Toutefois, le recourant prétend que cet acte ne saurait constituer une ouverture d'action régulière, car la demanderesse n'était pas majeure au moment où il a eu lieu et n'était dès lors pas capable d'agir personnellement en justice, mais ne pouvait le faire qu'avec le concours d'un représentant légal. A ce sujet, c'est à juste titre que la Cour cantonale a jugé que la question de la capacité de Dlle Togna était soumise à sa loi nationale, savoir au code civil italien: selon la jurisprudence (RO 61 II 17/18, 38 II 4, 34 II 741), la capacité civile des étrangers domiciliés en Suisse est régie par la loi de leur pays d'origine. C'est également au droit italien que sont soumis les effets des actes accomplis par Dlle Togna alors qu'elle était encore mineure et leur ratification après qu'elle eut atteint sa majorité, car d'après la jurisprudence (RO 61 II 18) les effets de la capacité civile ou de l'incapacité sur la validité des actes juridiques sont régis par la même loi que la capacité civile elle-même. Les conséquences découlant de la circonstance que la demanderesse était mineure au moment de l'ouverture de l'action et qu'elle est devenue majeure pendant l'instance étant soumises au droit italien, la Cour cantonale n'a violé aucune règle de droit fédéral en admettant que l'irrégularité dont était entaché l'acte introductif d'instance s'est trouvée corrigée du fait que Dlle Togna a acquis la capacité civile en cours de procès.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme ne peut pas revoir la façon dont le droit étranger compétent a été appliqué par la juridiction cantonale; il lui incombe seulement de contrôler si celle-ci s'est conformée aux règles de droit international privé suisse destinées à déterminer le droit applicable (art. 43 OJ; RO 79 II 297, 78 II 77 et les arrêts cités). En l'espèce, la Cour de justice genevoise a observé ces règles et a considéré, en vertu de son pouvoir souverain d'interprétation du droit étranger, que la survenance de la majorité de la demanderesse avait régularisé la procédure. Il suit de là que le recours n'est pas fondé.
Au demeurant, la solution adoptée par l'arrêt attaqué correspond à celle qui est admise en droit suisse: les actes accomplis par un mineur ou un interdit capable de discernement sans le concours de son représentant légal ne sont pas d'emblée nuls: ils sont valables si ce dernier y consent expressément ou tacitement ou les ratifie; de même, une personne peut ratifier et valider, lorsqu'elle a atteint sa majorité, un acte auquel elle avait procédé quand elle était encore mineure (art. 19 et 410 CC; RO 75 II 340, 54 II 83; EGGER, Das Personenrecht, note 18 à l'art. 19, p. 185; Das Familienrecht, note 16 à l'art. 410, p. 479). Ces principes sont applicables aux actes de procédure: la partie qui était mineure au moment où ils ont été accomplis peut les valider et les régulariser une fois devenue majeure (LEUCH, Die Zivilprozessordnung für den Kanton Bern, note 5 à l'art. 35, p. 68, note 1 à l'art. 191, p. 205; GULDENER, Das schweiz. Zivilprozessrecht, I, p. 97, 193).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
Le recours est rejeté et l'arrêt attaqué est confirmé.