BGE 93 II 498 |
61. Arrêt de la Ire Cour civile du 5 décembre 1967 dans la cause Bidenger contre "Bâloise-Accidents", Compagnie générale d'assurances. |
Regeste |
Art. 83 Abs. 1 SVG; Art. 60 Abs. 2 OR. |
2. Kenntnis vom Schaden (Erw. 2). |
3. Das Gesuch um vorsorgliche Beweisaufnahme unterbricht die Verjährung nicht (Erw. 2). |
Sachverhalt |
A.- Le 9 août 1961, vers 16 h. 30, Roland Jecker, titulaire d'un permis de conduire depuis vingt jours, pilotait sa voiture à une vitesse de 50 à 60 km/h sur la route cantonale Brigue-Sierre. Il pleuvait légèrement; la route, en bon état, était mouillée. A un moment donné, Jecker sentit son automobile déraper et freina. Son véhicule continua à se déplacer sur la gauche et entra en collision avec une voiture qui roulait en sens inverse et était conduite par Maurice Bidenger. Celui-ci fut blessé à un bras et au genou droit. Son épouse subit des contusions à la poitrine et des blessures au visage. Ils ont été soignés à l'hôpital de Sierre jusqu'au 29 août 1961. Ils ont ensuite rejoint leur domicile à Paris.
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Le 10 octobre 1961, le Département de justice et police du canton du Valais a condamné Jecker à une amende de 75 fr. pour contravention à la loi fédérale sur la circulation des véhicules automobiles et des cycles.
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En France, les époux Bidenger ont été examinés notamment par le Dr Meillaud. Dans son rapport du 15 mars 1962, ce médecin a constaté que l'évolution des diverses lésions qu'ils avaient subies était achevée. Il a estimé que leur invalidité avait été totale jusqu'au 20 octobre 1961, de 40% jusqu'au 15 mai 1962 et que, depuis cette date, l'invalidité partielle permanente de Maurice Bidenger était de 16% et celle de sa femme de 25%. Il s'est aussi prononcé sur le préjudice esthétique et le "pretium doloris".
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Agissant au nom des époux Bidenger, la Société suisse d'assurances "Helvetia-Accidents" (ci-après: l'Helvetia) a réclamé, en mai 1963, à l'assureur de la responsabilité civile de Jecker, la Compagnie générale d'assurances "Bâloise-Accidents" (ci-après: la Bâloise), le versement de divers montants en réparation du dommage causé par l'accident. A la demande de la Bâloise, les époux Bidenger ont alors été examinés par le professeur Patry. Ce dernier a admis en résumé que les troubles dont ils se plaignaient étaient d'ordre subjectif et sans incidence sur leur capacité de travail. Par lettre du 22 avril 1964, l'Helvetia a informé la Bâloise que les époux Bidenger contestaient les conclusions du professeur Patry et engageraient une action en justice. Le 19 mai 1964, la Bâloise répondit qu'elle reprenait sa liberté d'action et se réservait d'invoquer la prescription en cas de procès.
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Par requête de preuve à futur du 29 mai 1964, les époux Bidenger ont demandé au Juge-Instructeur II des districts de Sierre et de Sion d'ordonner une expertise médicale. La Bâloise s'est opposée à la requête. Le juge-instructeur l'a admise le 6 juillet 1964 et a chargé le Dr Perret de procéder à l'expertise. Dans son rapport du 26 novembre 1964, communiqué aux parties le 2 décembre, ce dernier a évalué l'invalidité permanente de Maurice Bidenger à 15% et celle de sa femme à 20%.
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Le 3 juin 1966, les époux Bidenger ont ouvert action contre la Bâloise en paiement de diverses indemnités. La défenderesse a conclu au rejet de la demande. Elle a invoqué la prescription.
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B.- Le 20 avril 1967, le Tribunal cantonal valaisan a accueilli l'exception de prescription et rejeté l'action.
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C.- Agissant par la voie du recours en réforme, les demandeurs prient le Tribunal fédéral d'écarter l'exception de prescription et de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle statue sur le montant des dommages-intérêts. L'intimée conclut au rejet du recours.
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Considérant en droit: |
L'application de l'art. 60 al. 2 CO ne suppose pas qu'une poursuite pénale ait été engagée (RO 44 II 178, 45 II 329, 60 II 35, 62 II 283/284). Il suffit que les dommages-intérêts dérivent d'un acte punissable et que le délai de prescription de l'action pénale soit plus long que celui de l'action civile. Lorsqu'un délit ne se poursuit que sur plainte, on est en présence d'un acte punissable - et la durée de la prescription pénale entre en ligne de compte - même si la plainte n'a pas été déposée (JdT 1932 I 579, RO 77 II 317). La plainte, en effet, est une condition de l'exercice de l'action publique et non de punissabilité (RO 81 IV 92 ss. consid. 3). A moins que le juge pénal ait prononcé une condamnation ou un acquittement, le juge civil décide librement si l'acte de l'auteur constitue une infraction à la loi pénale (RO 44 II 178, 66 II 160). Possède-t-il également cette compétence lorsque la poursuite pénale est arrêtée par une ordonnance de non-lieu? Dans l'arrêt Perrin (RO 77 II 319), le Tribunal fédéral a relevé que la condition même de l'application de l'art. 60 al. 2 CO, soit l'existence d'un acte punissable, faisait défaut quand le juge pénal avait rendu un non-lieu. Il se référait à l'arrêt Jobas (RO 62 II 283) qui envisage le cas d'un non-lieu prononcé en raison de l'extinction de l'action pénale dont la prescription est acquise. Selon la jurisprudence récente (RO 91 II 431), le lésé a la faculté de reporter le terme du délai de prescription de l'action civile au-delà du moment où survient la prescription pénale, s'il interrompt cette dernière par l'un des actes prévus par l'art. 135 CO. Dès lors, un non-lieu fondé sur l'extinction de l'action pénale pour cause de prescription n'empêche plus le juge civil de rechercher si "les dommages-intérêts dérivent d'un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée". Dans d'autres arrêts, le Tribunal fédéral a considéré que la décision de non-lieu, qui n'acquiert pas force de chose jugée, ne liait pas le juge civil; cet effet se produirait uniquement si le non-lieu émane du juge pénal statuant sur l'existence même de l'action publique (RO 55 II 26, JdT 1944 I 466). Il s'est prononcé dans le même sens à propos de l'interprétation de l'art. 6 al. 3 de la loi fédérale sur la responsabilité des fabricants, du 25 juin 1881, qui étend l'obligation du fabricant de réparer le dommage subi par l'employé "dans le cas où la lésion corporelle ou la mort de la victime a été causée par un acte du fabricant, susceptible de faire l'objet d'une action au pénal" (RO 16 p. 155/156, 26 II 174, 28 II 227/228).
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La décision du Département de justice et police du canton du Valais, du 10 octobre 1961, a été rendue sur la base des art. 23 ss. de l'ordonnance valaisanne d'exécution, du 23 mai 1933, concernant la loi fédérale sur la circulation des véhicules automobiles et des cycles. Selon l'art. 25 de cette ordonnance, le département statue, sous réserve des exceptions énumérées au premier alinéa de cette disposition, sur toutes les infractions prévues aux art. 58 à 64 LA. En vertu de l'art. 27 litt. b, il décide si le cas est de son ressort ou s'il doit être dénoncé au juge-instructeur. En l'espèce, le département connaissait l'existence de lésions corporelles par le rapport de police qui lui a été adressé. Il a condamné Jecker à une amende pour contravention aux règles sur la circulation routière et ne l'a pas dénoncé au juge-instructeur pour lésions corporelles par négligence. Il est possible qu'il ait considéré que les lésions n'étaient pas graves au sens de l'art. 125 al. 2 CP. Dans ce cas, la poursuite n'ayant lieu que sur plainte (art. 125 al. 1 CP), il n'avait pas qualité, ni partant l'obligation de saisir le jugeinstructeur. L'absence d'une telle dénonciation ne saurait donc être assimilée à un non-lieu qui lierait le juge civil. Aussi conviendrait-il d'examiner si Jecker s'est rendu coupable du délit visé par l'art. 125 CP. L'action pénale en effet se prescrit par cinq ans en cas de délit (art. 70 CP) et par une année en cas de contravention (art. 109 CP). Cependant, la décision du 10 octobre 1961 n'a pas fait l'objet d'un recours au Conseil d'Etat dans les dix jours dès sa notification. Elle a acquis force de chose jugée. Or dès l'entrée en force de sa condamnation, Jecker n'avait plus à répondre, une seconde fois, d'un même état de fait devant une juridiction de répression. Cela aurait été contraire au principe "ne bis in idem" qui ressortit au droit matériel (RO 86 IV 52). Du moment que l'autorité pénale n'a retenu qu'une contravention à sa charge, il s'est donc trouvé libéré d'une poursuite éventuelle pour délit de lésions corporelles par négligence. S'il s'en était rendu coupable, la situation ainsi acquise aurait correspondu à celle d'un acquittement, prononcé sans doute à tort, mais qui n'en lierait pas moins le juge civil.
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Il s'ensuit que les recourants ne sauraient bénéficier de la durée plus longue de la prescription de l'action pénale. En outre, la question de savoir si la prescription civile ainsi prolongée s'applique uniquement à l'action dirigée contre l'auteur du délit, à l'exclusion de celle que le lésé a le droit d'intenter directement à l'assureur en vertu de l'art. 65 LCR, peut demeurer ouverte (en faveur de cette thèse: OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, II/2 p. 683/4; plus réservé: BUSSY, Fiche juridique suisse, no 920 ch. 5 et 20).
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2. Selon la jurisprudence, le lésé connaît le dommage lorsqu'il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice. Si l'ampleur du préjudice résulte d'une situation qui évolue, la prescription ne court pas avant le terme de l'évolution (RO 89 II 404, 417 et les arrêts cités, 92 II 4 consid. 3).
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D'après les constatations de la cour cantonale, l'évolution de l'incapacité de travail des époux Bidenger était achevée en mars 1962. Grâce aux rapports de leur médecin, le Dr Meillaud, ceux-ci étaient également au courant, à cette époque, du degré de leur invalidité. En mai 1963, l'Helvetia, qui les représentait, a adressé à la Bâloise une demande d'indemnité détaillée qui indiquait des taux précis d'invalidité permanente. De ces faits, la cour cantonale déduit, avec raison, que les recourants ont eu connaissance du dommage dès le mois de mars 1962. Certes, les conclusions du Dr Meillaud ont été contestées par l'intimée et le professeur Patry a estimé qu'il n'y avait pas de facteurs objectifs créant une invalidité permanente. Les recourants soutiennent que dans ces conditions ils ne pouvaient agir contre la Bâloise. Seule l'expertise judiciaire confiée au Dr Perret, et qui leur a été communiquée le 2 décembre 1964, leur aurait donné une connaissance suffisante des conséquences du fait dommageable. Cela est inexact. Amplement renseignés sur ce point par leur médecin, en mars 1962, ils disposaient alors des éléments nécessaires leur permettant de fonder sérieusement et objectivement une action en justice. Ils ont d'ailleurs formellement contesté les conclusions du professeur Patry. A suivre leur argumentation, la prescription ne courrait pas si le défendeur conteste le dommage, en invoquant l'avis d'un expert et aussi longtemps que ce dernier ne serait pas contredit par l'administration d'une preuve judiciaire.
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C'est à la demande de la Bâloise, il est vrai, que les recourants ont été examinés par le professeur Patry. Mais, supposé que l'on puisse inférer de cette attitude que l'intimée eût reconnu en principe l'obligation de réparer le dommage prétendu, un nouveau délai de prescription aurait commencé à courir dès le 19 mai 1964 lorsqu'elle les a avisés qu'elle "reprenait sa liberté d'action et se réservait d'invoquer la prescription en cas de procès". Or jusqu'à l'ouverture de la présente action, le 3 juin 1966, soit pendant plus de deux ans, il n'y a pas eu d'acte interruptif de la prescription. Une requête de preuve à futur ne produit pas un tel effet (OSER/SCHÖNENBERGER, n. 8 ad art. 135 CO; BECKER, n. 20 ad art. 135 CO; RATHGEB, Mélanges François Guisan, p. 243 ch. 8). Celle que les recourants ont adressée au juge-instructeur a d'ailleurs été déposée le 29 mai 1964, plus de deux ans avant l'ouverture de l'action. Eu égard au contenu de la lettre de l'intimée, du 19 mai 1964, celle-ci n'a pas non plus abusé de son droit en excipant de la prescription.
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Enfin, les recourants font état d'un paiement de la Bâloise, du 5 juillet 1966, relatif à leurs frais de déplacement et de séjour à Genève pour l'expertise du professeur Patry. Ils prétendent que l'intimée a ainsi interrompu le délai de prescription. Mais ce paiement est intervenu après l'ouverture de l'action. De plus, il ne se rapporte pas à un élément du dommage directement causé par l'accident du 9 août 1961. Les recourants l'admettent expressément dans leur mémoire de demande (chiffre 40), où ils allèguent que la Bâloise avait promis de leur rembourser ces frais. L'engagement pris à ce sujet ne constitue donc pas une reconnaissance des prétentions qu'ils ont fondées sur la responsabilité civile du détenteur du véhicule automobile.
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Il suit de là que l'action des recourants était prescrite au moment où ils l'ont introduite.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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