BGE 100 II 34 |
8. Arrêt de la Ire Cour civile du 5 mars 1974 dans la cause Bernard contre Isico SA |
Regeste |
Internationales Privatrecht. |
Hat die kantonale Behörde zu Unrecht schweizerisches statt ausländisches Recht angewendet, weil ihrer Ansicht nach der Ausgang des Prozesses nach dem ausländischen Gesetz identisch wäre, so muss das Bundesgeric.ht die Sache nach Art. 60 Abs. 1 lit. c OG an sie zurückweisen (Anderung der Rechtsprechung; Erw. 5). |
Sachverhalt |
A.- Isico SA, société qui a pour but la fabrication de pierres synthétiques et dont le siège était à Genève, a confié par contrat du 1er avril 1956 à Leo Bernard, à Munich, la représentation exclusive (Alleinvertretung) de ses produits pour l'Allemagne fédérale. Le contrat a été renouvelé le 1er juillet 1961 pour une durée de cinq ans. Libellé en allemand, il est intitulé "Handelsvertretervertrag". Bernard a droit à une provision. S'agissant des marchandises qu'il importe directement pour le compte de clients allemands, il est débiteur du montant des factures d'Isico SA, sous déduction de la provision. Les contrats des 1er avril 1956 et 1er juillet 1961 prévoient, en cas de litige, la compétence des tribunaux genevois.
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B.- Le 25 avril 1967, Isico SA, qui avait transféré entretemps son siège à Monthey, a ouvert action contre Bernard en paiement d'un solde de 28 529 fr. 25 avec intérêt, contrevaleur de DM 26 180.--.
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Le défendeur a opposé une exception de compensation, affirmant avoir versé différentes sommes pour le compte de la demanderesse. Il a en outre pris des conclusions reconventionnelles en paiement de DM 131 525 avec intérêt, représentant des pertes de provisions du fait qu'Isico avait cessé toute production dès 1964, ainsi que la rémunération de différents mandats qui lui auraient été confiés par la demanderesse.
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Par jugement du 13 avril 1972, le Tribunal de première instance de Genève, admettant partiellement l'exception de compensation du défendeur, a condamné celui-ci à payer à la demanderesse DM 13 390.--, soit 14 588 fr. 40 avec intérêt. Il a rejeté la demande reconventionnelle.
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Le Tribunal considère ce qui suit quant au droit applicable: rien ne permet de penser que les parties se sont posé la question du droit applicable et qu'elle l'ont résolue par un accord conscient. La règle selon laquelle le droit du pays où l'agent exerce son activité est applicable au contrat d'agence avec droit de représentation générale n'est pas absolue. En l'espèce, les contrats ont été signés à Genève et prévoient la compétence des tribunaux genevois. D'autre part, si la fonction principale du défendeur était celle d'agent négociateur, il n'a pas été prouvé que son statut d'acheteur était exceptionnel. Sur la commission de 5%, 2% étaient versés sur un compte privé du défendeur en Suisse. Le Tribunal retient en conclusion que les parties ont également prévu l'application du droit suisse, avec lequel le contrat est dans le rapport le plus étroit.
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C.- Le défendeur a formé appel en concluant au rejet de la demande, mais sans reprendre ses conclusions reconventionnelles. Il a reproché aux premiers juges d'avoir appliqué à tort le droit suisse et soutenu que les prétentions de la demanderesse étaient prescrites au regard du droit allemand, persistant en outre dans son exception de compensation.
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La demanderesse a formé appel incident, reprenant intégralement ses conclusions de première instance.
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Par arrêt du 21 septembre 1973, la Cour de justice du canton de Genève a réformé le jugement attaqué et condamné le défendeur à payer à la demanderesse DM 25 180.-- avec intérêt à 5% dès le 10 mars 1965. Elle a écarté dans sa totalité l'exception de compensation soulevée par le défendeur.
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La Cour de justice a tranché de la même manière que le Tribunal de première instance la question du droit applicable. Elle a considéré que les contrats liant les parties dès le 1er avril 1956 se caractérisaient comme des contrats de représentation avec droit de vente exclusif. Le défendeur n'ayant pas prouvé que l'élément "vente" était exceptionnel, il y a lieu de soumettre le litige au droit suisse. Au surplus, même si l'on appliquait le droit allemand, et partant les délais de prescription - plus courts - de ce droit, la créance de la demanderesse ne serait pas prescrite, le défendeur ayant reconnu devoir le montant en litige et interrompu, de ce fait, le cours du délai.
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D.- Le défendeur recourt en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt du 21 septembre 1973; à ce qu'il soit prononcé que le droit allemand est applicable aux contrats des 1er avril 1956 et 1er juillet 1961 et qu'en conséquence, le recourant ne doit pas à l'intimée la somme de DM 26 180.-- avec intérêt, cette prétention étant prescrite depuis le 23 janvier 1966; subsidiairement, au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau en appliquant le droit allemand.
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L'intimée conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué.
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Considérant en droit: |
Le recourant critique en outre l'application, subsidiaire, du droit allemand par l'autorité cantonale. Le recours est toutefois irrecevable sur ce point, l'application du droit étranger échappant à la cognition du Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 55 al. 1 litt. c OJ).
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2. Il est constant que les parties n'ont pas déterminé, par une convention expresse ou résultant d'actes concluants, le droit applicable aux contrats qui les liaient. Ces contrats contiennent certes une clause d'élection de for, reconnaissant en cas de litige la compétence des tribunaux genevois. C'est un indice dont la jurisprudence déduit la présomption que les contractants ont voulu soumettre leurs différends éventuels au droit en vigueur dans le pays où siège la juridiction choisie (RO 88 II 192 consid. 2, 94 II 363 consid. 5, 96. II 92 consid. 7e). Mais ce n'est précisément qu'un indice et c'est, en l'espèce, le seul, alors que d'autres militent et peuvent être invoqués en sens contraire: ainsi le fait que les parties utilisent la notion, de droit allemand, de "Handelsvertretervertrag", qu'elles désignent le texte allemand du contrat comme déterminant et qu'elles mentionnent comme lieu de conclusion du contrat aussi bien München-Pullach que Genève.
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Le droit applicable doit dès lors être déterminé selon des critères de rattachement objectifs. Doctrine et jurisprudence admettent que le contrat est régi par la loi du pays avec lequel le rapport juridique considéré a les liens territoriaux les plus étroits (RO 96 II 89 consid. 7c et les citations). Pour le contrat d'agence, c'est la loi du pays sur le territoire duquel l'agent exerce son activité (RO 76 II 48, 78 II Bl).
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Les contrats accordent cependant au recourant la faculté d'importer directement la marchandise destinée aux clients allemands. Il devient alors débiteur du prix, sous déduction de la provision à laquelle il a droit. A cet égard, les deux conventions contiennent aussi des éléments d'un contrat de vente. Elles prennent un caractère combiné ou complexe. La convention principale reste toutefois celle qui a trait à l'activité de représentation exclusive, la durée du contrat militant d'ailleurs en faveur d'un rapport de représentation permanente et le représentant n'étant pas tenu de négocier des affaires à concurrence d'un montant minimum déterminé. Selon les constatations du Tribunal de première instance, que la Cour de justice déclare adopter et qui partant lient le Tribunal fédéral, la fonction principale du défendeur était celle d'agent négociateur. D'autre part, la qualité d'acheteur du recourant dépendait de celle, primaire, d'agent avec droit de représentation exclusif. Les parties n'ont pas passé un contrat de vente. Le recourant a été désigné par l'intimée comme son agent au bénéfice de l'exclusivité pour l'Allemagne fédérale, la possibilité lui étant réservée d'intervenir directement comme acheteur des marchandises destinées aux clients de son rayon. Les premiers juges n'ont pas établi que son activité d'acheteur aurait primé celle de négociateur: c'est le contraire qui ressort de leurs constatations. Peu importe dès lors que l'intimée ait adressé au recourant des factures pour des milliers de marks et que les pièces produites dans le présent litige ne concernent que des marchandises importées par le recourant. L'élément prépondérant du contrat étant le droit de représentation exclusive, les relations juridiques des parties sont soumises uniformément à la loi du pays dans lequel l'agent exerçait son activité. C'est, en l'espèce, le droit allemand. On ne saurait envisager de procéder à une coupure du contrat, celui-ci constituant manifestement une unité, et de le soumettre à des lois différentes selon que le recourant a agi comme intermédiaire pour la vente ou qu'il est intervenu comme acheteur des marchandises destinées aux clients de l'intimée (cf. RO 78 II 81 en bas).
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Dans le premier de ces arrêts, le Tribunal fédéral déroge à la règle qui considère comme déterminante la loi du pays où l'agent exerce son activité, parce que l'exclusivité avait été accordée pour tous les pays de l'Amérique du Sud et qu'il était à présumer que les parties entendaient soumettre leurs relations à une loi unique; or celle-ci ne pouvait être raisonnablement que la loi suisse, qui était la loi nationale des parties, celle de leurs domiciles au moment de la conclusion du contrat et celle du lieu de conclusion du contrat (RO 76 II 48).
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L'arrêt RO 78 II 74 ss. concernait un contrat de représentation avec droit de vente exclusif, selon lequel le "concessionnaire" se bornait à acheter ferme la marchandise à son fournisseur et à la revendre en son nom propre et pour son compte. La concession n'avait été accordée que pour une année et son renouvellement dépendait d'un volume de vente minimal. L'élément "vente" apparaissait comme prépondérant et les obligations dérivant de la concession comme accessoires. Le Tribunal fédéral a déduit de ces circonstances que le contrat provisoire de concession devait être tenu, du point de vue du conflit des lois, pour un contrat de vente, et partant soumis au droit du vendeur.
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La situation à la base de l'arrêt RO 88 II 325 ss. était analogue: une maison d'Arabie séoudite achetait ferme à la Compagnie des montres Longines, Francillon SA à Saint-Imier, en son nom et pour elle-même, les montres qu'elle revendait, point que le Tribunal fédéral considère expressément comme essentiel (p. 328 en haut).
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Enfin, l'arrêt RO 94 II 355 a trait à une convention génératrice d'obligations complexes, dans laquelle la concession d'une licence était l'élément prépondérant.
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Contrairement à tous les cas précités, on ne trouve en l'espèce aucune circonstance particulière de nature à justifier une dérogation à la règle de conflit dégagée par la jurisprudence en matière de contrat d'agence. C'est donc à tort que la Cour de justice fait état de ces arrêts.
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a) Dans l'arrêt RO 49 II 236 consid. 2, le Tribunal fédéral, après avoir établi que l'autorité cantonale avait appliqué à tort le droit suisse en lieu et place du droit étranger, s'est dispensé de lui renvoyer la cause pour qu'elle statue à nouveau et a déclaré le recours irrecevable, en considérant notamment que les recourants n'avaient pas pris de conclusions tendant au renvoi de l'affaire et que la solution ne serait pas différente selon la loi étrangère, dont les parties n'avaient d'ailleurs pas établi le contenu. L'arrêt RO 60 II 324 consacre la même solution; un renvoi de la cause serait inutile, relève la cour de céans, du moment que les parties n'ont pas prouvé ni même allégué de divergences entre le droit étranger et la loi suisse et qu'il faut dès lors s'attendre à ce que l'autorité cantonale admette l'identité des deux droits; il convient de juger comme si l'autorité cantonale avait appliqué le droit étranger, dont l'examen échappe à la juridiction fédérale de réforme. Le même considérant est repris par l'arrêt RO 63 II 45, où le Tribunal fédéral motive l'irrecevabilité par des considérations d'ordre pratique, l'autorité cantonale ayant déclaré qu'elle parviendrait au même résultat en se fondant sur la loi étrangère. La même solution se trouve consacrée sous l'empire de l'art. 60 al. 1 litt. c OJ, dans une espèce où l'application du droit étranger à la place du droit suisse ne jouait pratiquement aucun rôle (RO 87 II 274).
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b) Le bien-fondé de cette jurisprudence a été mis en doute dans l'arrêt Stipa contre Dixi SA du 1er octobre 1968 (RO 94 II 359 s. consid. 2). Après avoir relevé que les considérations d'ordre pratique sur lesquelles repose la solution jurisprudentielle recouvraient en réalité le défaut d'intérêt à l'admission du recours, le Tribunal fédéral s'est demandé si, en substituant à une argumentation fondée sur le droit suisse des motifs tirés du droit étranger et en s'abstenant de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle statue à nouveau en vertu de la loi étrangère, il ne privait pas le recourant de la faculté de recourir contre un jugement rendu en application du droit étranger, soit par un recours de droit cantonal, soit par un recours de droit public pour application arbitraire des règles de procédure cantonale ou du droit étranger.
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c) Il faut résoudre cette question par l'affirmative et reviser la jurisprudence citée, qui n'est guère conciliable avec la loi fédérale d'organisation judiciaire. Le recourant qui, comme en l'espèce, s'est réclamé du droit étranger en instance cantonale et en a allégué le contenu, ne saurait être privé de la faculté de recourir lorsque l'autorité cantonale applique à tort le droit suisse. On ne peut exiger qu'il forme en même temps un recours en réforme et un recours de droit public. Moyen subsidiaire, ce dernier recours est en effet irrecevable tant que la juridiction de réforme n'a pas déclaré le droit étranger applicable. Or elle ne peut le faire qu'en admettant le recours en réforme, pour violation des règles de conflit du droit fédéral, et en renvoyant la cause à l'autorité cantonale pour nouveau jugement, puisqu'elle ne revoit pas l'application du droit étranger ni n'applique elle-même ce droit, sous réserve de l'art. 65 OJ.
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d) En l'espèce, la cause doit être renvoyée à la Cour de justice pour qu'elle statue à nouveau (art. 60 al. 1 litt. c OJ). Elle sera notamment appelée à dire si les livraisons faites par l'intimée rentrent dans la notion de prestation (Leistung) fournie "für den Gewerbebetrieb des Schuldners" selon l'art. 196 al. 1 ch. 1 BGB ou si elles sont régies par l'art. 84 HGB, ce qui impliquerait l'application d'un délai de prescription de quatre ans (art. 196 al. 2 BGB et 88 HGB), et non pas de deux ans comme le prétend le recourant, et partant le rejet de l'exception de prescription.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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