BGE 100 II 98 |
18. Arrêt de la IIe Cour civile du 16 mai 1974 dans la cause Bersier et consorts contre la succession de Marie Oberson. |
Regeste |
Art. 539 Abs. 2 ZGB |
2. Der Erblasser, welcher als Erben "die Aussätzigen" bezeichnet, umschreibt den Kreis der Erben in genügender Weise. |
Sachverhalt |
Sa succession comprenait du mobilier, 240 000 fr. en chiffre rond de papiers-valeurs et une maison à Riaz.
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Selon testament olographe du 1er août 1968 accompagné de trois codicilles, Marie Oberson a fait une série de legs et prévu notamment ce qui suit pour le solde de ses biens:
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"Ma maison sera vendue, non à mes neveux et nièces, non à des personnes de Riaz, à un étranger.
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Je donne: le restant de mon argent pour les lépreux."
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B.- L'ouverture du testament a eu lieu le 8 février 1969 devant le juge de paix du cercle de la Gruyère, à Bulle.
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Le 23 avril 1970, après l'échec d'une tentative de conciliation, Louis Bersier, frère de la testatrice, et trois de ses neveux, soit Jean Bersier, Paul Bersier et Suzanne Jungo ont ouvert action contre la succession devant le Tribunal civil de l'arrondissement de la Gruyère. Ils ont demandé au Tribunal de déclarer sans effets juridiques les deux clauses par lesquelles Marie Oberson avait disposé que sa maison devait être vendue à un étranger et que le reste de ses biens devait être donné aux lépreux. En raison du décès de Louis Bersier, ce sont ses sept enfants qui ont pris sa place au procès.
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Le Tribunal de la Gruyère a admis l'action le 1er octobre 1971. Mais sur recours, le Tribunal cantonal de Fribourg l'a rejetée, par jugement du 17 avril 1972.
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C.- Jean Bersier, Paul Bersier et Suzanne Jungo recourent en réforme au Tribunal fédéral. Ils reprennent les conclusions formulées devant l'instance cantonale.
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La succession de Marie Oberson, représentée par son exécuteur testamentaire, propose le rejet du recours et subsidiairement conclut, pour le cas où l'arrêt cantonal serait réformé, à ce que les recourants soient condamnés, en tant qu'héritiers légaux, à exécuter eux-mêmes la charge dont la succession est grevée, soit à utiliser le solde de la fortune successorale, après délivrance des legs, en faveur des lépreux.
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Considérant en droit: |
Dans son testament, feue Marie Oberson a disposé de tous ses biens en faveur des lépreux, après paiement de divers legs. Elle a ainsi écarté ses héritiers légaux. L'attribution de l'universalité ou d'une quote-part d'une succession constitue une institution d'héritier (TUOR/SCHNYDER/JÄGGI p. 355; TUOR n. 5, ESCHER n. 3 ad art. 483 CC; RO 56 II 14). "Les lépreux" ont ainsi été institués héritiers de la testatrice - ce que les deux parties admettent d'ailleurs.
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En l'espèce, les bénéficiaires du testament constituent un groupe d'individus. sans personnalité juridique. Ils ne peuvent ainsi recevoir la succession que dans la mesure où les conditions de l'art. 539 al. 2 CC sont réalisées.
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a) Selon les recourants, l'art. 539 al. 2 CC ne peut s'appliquer aux institutions d'héritiers.
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Lors de son élaboration, cet article n'a pas fait l'objet de discussions parlementaires et il n'a subi aucune modification depuis son adoption (premier avant-projet: art. 503; avantprojet: art. 556; projet définitif: art. 540); mais rien ne permet de penser que le législateur ait entendu dénier à un groupe de personnes la possibilité de recevoir une libéralité pour cause de mort aussi bien sous la forme d'un legs que d'une institution d'héritiers.
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b) Tant EUGENE HUBER dans son exposé des motifs (2e éd. I p. 421) que les trois rapporteurs devant les Chambres fédérales, ont envisagé la possibilité d'instituer héritiers un groupe de personnes dénué de la personnalité juridique (Bull. stén. 1906 p. 250/251, 270 et 433). La doctrine a soutenu la même opinion (ESCHER n. 10, TUOR/PICENONI n. 5 ad art. 539 CC; BECK, Grundriss des schweizerischen Erbrechts p. 126; BECK, FJS 773 p. 4; TUOR/SCHNYDER/JÄGGI p. 366; ROSSEL/MENTHA, 2e éd. II p. 128 no 1025; LAMPERT, Die kirchlichen Stiftungen, Anstalten und Körperschaften, p. 147/48 et 185/86; KRAYENBÜHL, Etudes sur le legs, p. 193/94). La plupart des exemples cités par la doctrine se réfèrent à des legs. Mais ce n'est que l'expression du fait que le plus souvent une libéralité à un groupe de personnes plus ou moins déterminé se fait sous la forme d'un legs et non d'une institution d'héritiers. Cela ne signifie pas que cette dernière possibilité soit exclue.
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c) Il ressort du libellé de l'art. 539 al. 1 ("Peuvent être héritiers..."), de la note marginale de cet article dans sa version allemande ("Voraussetzungen auf Seite des Erben"), ainsi que de la place qu'occupe l'art. 539 CC dans le système de la loi, que le législateur n'a pas entendu restreindre au seul legs la disposition de l'art. 539 al. 2 CC. Cet alinéa par le de "libéralité" (Zuwendung, liberalità). Mais cela importe peu. La loi emploie le terme de libéralité à diverses reprises pour désigner des actes qui constituent sans doute possible des institutions d'héritiers (art. 484 al. 1; 503 al. 2; 520 al. 2, 522, 523 et 525 al. 2 CC); elle l'emploie même parfois au sens de donation entre vifs (art. 527 al. 1 et 532 CC).
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d) L'application de l'art. 539 al. 2 CC à l'institution d'héritiers constitue une exception au principe de la succession universelle et une brèche dans le système de la saisine, en particulier lorsque les bénéficiaires ne peuvent être considérés d'emblée comme héritiers, notamment parce que le cercle des intéressés est indéterminé. Dans un tel cas, il n'y a pas, au moment de l'ouverture de la succession, d'héritier susceptible d'être considéré comme un sujet de droit capable de se saisir des créances et d'être personnellement tenu des dettes du défunt. Cette dérogation au système de la saisine, introduite intentionnellement dans la loi, n'est cependant pas unique. Les art. 493, 544 et 545 CC y font également exception. Dans tous ces cas, avant de savoir qui sont les héritiers, il faut les déterminer. Mais cela ne signifie pas qu'entre-temps la succession reste une chose sans maître. L'effet de l'acquisition par les héritiers institués remonte au jour du décès du disposant (art. 560 al. 3 CC), le cas échéant par l'intermédiaire de l'exécuteur testamentaire désigné par le disposant.
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On doit ainsi admettre que Marie Oberson avait la faculté d'instituer héritier un groupe de personnes ne disposant pas de la capacité juridique au moment de l'ouverture de la succession.
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3. a) L'art. 539 al. 2 CC confirme le principe général selon lequel toute disposition pour cause de mort doit être interprétée et appliquée d'une manière aussi conforme que possible à la volonté présumable du testateur. Toutefois, en raison du caractère éminemment personnel des dispositions à cause de mort, la jurisprudence a dégagé un certain nombre de conditions qui restreignent la portée de l'art. 539 al. 2 CC: le cercle des bénéficiaires doit tout d'abord être déterminé de manière suffisamment précise par le testateur lui-même (RO 81 II 31/32 consid. 8), sans que celui-ci ait la possibilité de laisser à une tierce personne un pouvoir de choix ou de décision en cette matière (RO 68 II 165/166).
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Ainsi, la clause enjoignant à l'exécuteur testamentaire d'utiliser une libéralité successorale en faveur de "la formation de candidats à la prêtrise catholique" a été considérée comme trop imprécise (RO 81 II 31/32). En effet, l'exécuteur testamentaire aurait dû dans ce cas opérer un choix; il lui aurait appartenu de décider quels candidats il allait favoriser ou à quelles organisations chargées de la formation des prêtres catholiques il allait verser les biens successoraux.
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De même, le Tribunal fédéral n'a pas admis la validité de dispositions pour cause de mort selon lesquelles un testateur avait attribué tous ses biens à deux usufruitières, à charge pour elles de les transmettre, à leur décès, soit à l'Ordre catholique du Sacré-Coeur en Alsace, soit en Suisse à une institution destinée à héberger les prêtres catholiques-romains malades ou âgés. Le choix entre ces deux solutions incombait aux usufruitières (RO 68 II 161 et ss.). Bien que dans ce cas les bénéficiaires aient été déterminés, l'existence de la latitude et du pouvoir de décision laissé à des tiers par le testateur a également été considérée comme inconciliable avec le caractère éminemment personnel du droit de disposer de ses biens pour cause de mort.
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b) En l'espèce, Marie Oberson a testé en faveur des lépreux. Le caractère général de cette clause permet d'admettre qu'elle n'a pas entendu faire de distinctions en fonction du temps ou du lieu. Elle a disposé de ses biens en faveur de toutes les personnes qui présentent la caractéristique commune d'être atteintes par la maladie de la lèpre.
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L'art. 539 al. 2 CC prévoit que les libéralités faites dans un but déterminé à un groupe de personnes sont soit acquises à ces personnes individuellement, à charge de les utiliser au but prescrit, soit constituées en fondation. La doctrine et la jurisprudence admettent, sur ce dernier point, que les biens peuvent être constitués en fondation, ou attribués à une fondation, organisation ou corporation de droit public déjà existante, pourvu qu'elle poursuive le but visé par le testateur (ESCHER n. 6, TUOR/PICENONI n. 8 et 9 ad art. 539; TUOR/SCHNYDER/JÄGGI p. 366; KRAYENBÜHL p. 150/51 et 194; BECK p. 126 et FJS 773 p. 4; LAMPERT p. 185/86; arrêt non publié du 23 août 1973 dans la cause Hoirs Schmon/Thürlimann et cons., consid. 9).
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Il n'est pas concevable de partager la fortune de Marie Oberson entre les lépreux pris individuellement. En revanche, le but visé peut être atteint par la constitution d'une fondation nouvelle composée du capital net de l'héritage: les revenus de ce capital pourront alors être attribués à une institution qui s'occupe de l'aide aux lépreux. Le but recherché par Marie Oberson peut aussi être atteint par l'attribution de tout le capital à l'une de ces institutions. L'autorité cantonale a constaté que deux organisations peuvent entrer en ligne de compte: Emmaüs-Suisse et l'Ordre souverain de Malte. Quelle que soit la solution adoptée, le but visé par la testatrice sera ainsi atteint.
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Dans la plupart des cas de libéralités faites dans un but déterminé à un groupe de personnes dénuées de personnalité juridique, il appartient à un tiers, soit aux instances chargées d'assurer l'application des dispositions de dernières volontés du testateur, d'opérer un choix entre différentes modalités d'attribution possible. Ce pouvoir de choix est inhérent au système de l'art. 539 al. 2 CC. Il est légitime dans la mesure où le testateur a déterminé les bénéficiaires d'une manière suffisamment précise pour que l'autorité n'ait pas de doute sur la personne des bénéficiaires, mais doive uniquement décider quelle est la solution la plus pratique et qui permet le mieux de réaliser le but poursuivi. L'intervention des tiers doit ainsi se limiter à des mesures d'exécution. En l'espèce, il s'agit d'un cas limite, mais il semble possible de trouver une solution qui permette de faire bénéficier les lépreux en général de la succession qui leur est échue. Le cercle des personnes intéressées est ainsi suffisamment déterminé pour que l'autorité compétente n'ait plus qu'à fixer la manière dont ce but sera atteint. On ne peut ainsi faire le reproche à l'autorité cantonale d'avoir violé le droit fédéral.
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Dans le canton de Fribourg, les libéralités faites dans un but déterminé à un groupe de personnes sans personnalité juridique doivent être annoncées au Conseil d'Etat par le notaire qui a établi l'acte de dernières volontés ou a collaboré à l'ouverture du testament (art. 156 de la loi fribourgeoise d'introduction au Code civil). Il appartiendra à cette autorité de décider quelle est la solution permettant de réaliser le mieux possible les voeux de Marie Oberson.
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Quoi qu'il en soit, il ne fait pas de doute que la testatrice était légitimée à décider que sa maison ne pourrait être vendue à certaines personnes déterminées. Il s'agit d'une règle de partage au sens de l'art. 608 CC, qui ne pourrait être attaquée que si elle est dépourvue de sens, vexatoire, irréalisable, contraire à la loi ou aux bonnes moeurs (TUOR n. 16 ad art. 518 CC; TUOR/PICENONI n. 9 ad art. 608 CC; ESCHER n. 10 et 17 ad art. 518, n. 3 ad. art. 608 CC). Tel n'est pas le cas.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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