BGE 103 II 190
 
33. Arrêt de la Ire Cour civile (comme chambre de droit public) du 7 juin 1977 dans la cause Banque Centrale Coopérative S.A. contre Volodia S.A.
 
Regeste
Art. 2 Abs. 1 OR ist auch dann anwendbar, wenn sich die Parteien über alle objektiv und subjektiv wesentlichen Punkte geeinigt, aber die Regelung von Nebenpunkten nicht vorbehalten haben.
 
Sachverhalt
Le 28 novembre 1974, Volodia S.A., agissant par son directeur Lin, et la succursale de Lausanne de la Banque Centrale Coopérative S.A. (ci-après: la Banque) sont convenues par téléphone que la première achetait à la seconde 50 millions de lires italiennes, à trois mois de terme. Lors de cet entretien téléphonique, Bötschi, mandataire commercial de la Banque, a demandé la couverture de 20% environ du prix de vente.
Le même jour, Lin a déclaré à l'un de ses collaborateurs qu'il avait acheté des lires à la Banque.
Le 28 novembre 1974 également, la Banque s'est procuré les 50 millions de lires et a confirmé par écrit à Volodia S.A. l'accord intervenu, dans les termes suivants:
"Nous référant à notre entretien téléphonique de ce jour avec M. V. LIN, Directeur, nous vous confirmons que nous vous avons VENDU à 3 mois de terme la somme de
Lit. 50'000'000.--
aux conditions suivantes:
Cours: -.3956
Echéance: 3 mars 1975
Contre-valeur: Fr.s. 197'800.--
Pour le bon ordre, vous voudrez bien nous retourner le double de la présente, dûment signé.
Nous demeurons toujours avec plaisir à votre disposition et vous prions d'agréer, Messieurs, nos salutations distinguées.
BANQUE CENTRALE COOPERATIVE
SOCIETE ANONYME
P.S. En relation avec cette opération, nous vous prions de bien vouloir signer et nous retourner la carte de signatures ainsi que la feuille 2 de nos Conditions Générales. Par avance merci."
Sans réponse de Volodia S.A., la Banque lui a récrit le 10 décembre 1974:
"Nous nous référons à notre cession du 28.11.74 de Lit. 50'000'000.-- au cours de -.3956, échéance 3.3.1975, ainsi qu'à notre entretien téléphonique du 6 courant avec Mme LACROIX.
Afin de compléter nos dossiers, nous vous prions de bien vouloir nous retourner, par retour du courrier, le double de notre lettre de confirmation du 28.11.74, dûment signé.
Par ailleurs, comme convenu avec nous par téléphone, une couverture de 10-15% de la contre-valeur de cette opération, soit env. Fr. 20/30'000.--, devra nous être fournie..."
Dans une nouvelle lettre à Volodia S.A., le 23 janvier 1975, la Banque déplorait que celle-ci ne lui eût pas encore retourné "le double du contrat de change"; pour le cas où cette pièce aurait été égarée, elle invitait Volodia S.A. à lui retourner le double de sa lettre, dûment signé.
Ces lettres sont également demeurées sans réponse, et Bötschi a vainement essayé d'atteindre Lin par téléphone.
Le 28 février 1975, la Banque a invité Volodia S.A. à lui bonifier le 3 mars 1975 au plus tard la somme de 197'800 fr. représentant la contre-valeur des 50 millions de lires, qu'elle offrait de lui faire parvenir à réception de ce versement.
Volodia S.A. a retourné cette lettre à la Banque le 3 mars 1975 en se déclarant fort surprise de son contenu et en ajoutant: "... nous ne trouvons pas trace chez nous d'un achat de Lit. 50'000'000.--. Le cas échéant veuillez nous faire parvenir une photocopie d'un ordre d'achat de ce montant." En réponse à une lettre du 5 mars de la Banque, Lin a écrit le 6 mars 1975 en affirmant qu'"aucun achat ferme n'a été effectué par le soussigné".
La Banque a vendu les 50 millions de lires le 10 mars 1975. Elle a ouvert action contre Volodia S.A. en paiement de 7'245 fr. 05 avec intérêts, soit 6'800 fr. représentant la différence entre le prix d'achat et le prix de vente des lires, et 445 fr. 05 correspondant à l'intérêt pour la période du 3 au 12 mars 1975.
Le Tribunal civil du district de Lausanne puis, le 27 octobre 1976, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois ont rejeté l'action. Le Tribunal cantonal considère en substance ce qui suit:
Les parties se sont entendues sur les clauses indispensables à l'existence du contrat (objet de la vente et prix). La fourniture d'une couverture et la souscription aux conditions générales n'étaient pas des points subjectivement essentiels, même pour la demanderesse; celle-ci a en effet exécuté ses obligations sans que la défenderesse eût donné suite à ses lettres sur ces points. L'art. 2 al. 1 CO ne s'applique toutefois que si les parties, d'accord sur les points essentiels, se sont engagées, mais ont renvoyé à une entente ultérieure le règlement des points accessoires; si, après avoir discuté un point secondaire sans qu'un accord aboutisse, elles n'ont pas réservé ce point pour qu'il fût débattu ultérieurement, le contrat n'est pas conclu. Tel est le cas en l'espèce: la couverture de l'ordre de 20% de la contre-valeur du marché, demandée par la Banque, n'a pas fait l'objet d'un accord entre les parties, et il n'apparaît pas non plus que celles-ci aient réservé cette question en vue d'un accord ultérieur.
Agissant par la voie du recours de droit public pour violation de l'art. 4 Cst. (arbitraire), la demanderesse conclut à l'annulation de l'arrêt du 27 octobre 1976.
 
Considérant en droit:
Les parties avaient ainsi réglé tout ce qui était essentiel pour elles. Sans doute la recourante demandait-elle la couverture de l'ordre de 20% du prix de vente. Mais le Tribunal cantonal constate que ce point n'était pas essentiel pour elle, et l'appréciation des preuves sur laquelle repose cette constatation n'est pas critiquée. Il n'est d'ailleurs pas question de la fourniture de sûretés dans la lettre du 28 novembre 1974 de la recourante, dont l'intimée aurait dû lui retourner le double, dûment signé. Le point en cause n'était évidemment pas essentiel non plus pour l'intimée, qui n'avait aucun intérêt à fournir la couverture requise et qui conteste avoir accepté cette condition. Le désaccord dont fait état l'arrêt attaqué portait donc sur un point secondaire, puisqu'il n'était subjectivement essentiel pour aucune des parties.
Le point de vue du Tribunal cantonal selon lequel le contrat ne serait pas venu à chef en raison de ce défaut d'accord est manifestement insoutenable, et partant arbitraire au sens de la jurisprudence relative à l'art. 4 Cst. Il est contraire aux règles de la bonne foi de ne pas respecter un contrat, bien que les parties se soient mises d'accord sur les points objectivement et subjectivement essentiels, simplement parce que l'une d'entre elles a en outre proposé sans succès, au cours des pourparlers, des conditions qui n'étaient pas essentielles pour les contractants. Si l'on voulait suivre le Tribunal cantonal, il faudrait alors se garder d'aborder durant les pourparlers des questions se rapportant à des points secondaires et sur lesquelles un accord pourrait ne pas intervenir.
Il est vrai qu'après le 28 novembre 1974 la recourante a réitéré sa demande de couverture d'une partie du prix de vente. Elle a rappelé dans sa lettre du 10 décembre 1974 qu'"une couverture de 10-15%" - et non plus de 20% - de ce prix devrait lui être fournie, en demandant à l'intimée de signer et de lui retourner le double de sa lettre du 28 novembre, qui ne mentionnait pas ladite couverture. Il n'est en revanche pas question de celle-ci dans la lettre de la recourante du 23 janvier 1975, contrairement à ce qu'admet le Tribunal cantonal, ni dans celle du 28 février 1975. Les pourparlers avaient d'ailleurs pris fin le 28 novembre 1974. En répétant le 10 décembre sa demande de sûretés, la recourante ne manifestait pas sa volonté de poursuivre les pourparlers, mais elle considérait que l'intimée devait lui fournir une couverture parce qu'elle lui en avait promis une le 28 novembre. On ne saurait en déduire que la fourniture de sûretés était subjectivement essentielle pour elle, alors que le contraire ressort d'une constatation incontestée de l'arrêt attaqué. La demande formulée le 10 décembre est dénuée de portée juridique. Du moment que le Tribunal cantonal retient qu'il n'est pas établi que l'intimée ait accepté, le 28 novembre 1974, de donner la couverture demandée, on doit admettre qu'aucun accord n'est intervenu sur ce point secondaire; peu importe que la recourante ait défendu un autre point de vue par la suite.
On ne saurait déduire de ce texte que le défaut d'accord sur des points secondaires s'oppose à la perfection du contrat, lorsque les parties ne les ont pas réservés en vue d'une entente ultérieure. L'art. 2 al. 1 prévoit seulement ce qui arrive lorsqu'une telle réserve a été faite. Vu cette réserve, on pourrait en effet douter en pareils cas de la perfection du contrat, lorsque les pourparlers postérieurs relatifs aux points secondaires n'ont pas lieu ou qu'ils échouent. L'art. 2 al. 1 CO présume alors que le contrat est conclu. Il n'y a en revanche pas de doute lorsque les parties n'ont pas réservé de pourparlers ultérieurs sur des points secondaires. Si elles se sont mises d'accord sur tous les éléments objectivement et subjectivement essentiels, il y a lieu d'admettre qu'elles renoncent à ce qu'elles avaient proposé pour le surplus, sans parvenir à une entente, et que le contrat est venu à chef avec le contenu sur lequel l'accord est intervenu. La partie qui entend éviter une telle conséquence doit réserver un règlement ultérieur. Le contrat étant réputé conclu en dépit de cette réserve, l'art. 2 al. 1 ne peut pas signifier que, sans elle, le contrat n'est pas venu à chef malgré l'accord portant sur tous les points essentiels. L'application par analogie de cette disposition conduit au contraire à admettre la conclusion du contrat, à plus forte raison, lorsque les parties se sont mises d'accord sur tous les éléments essentiels et qu'elles n'ont pas réservé de pourparlers ultérieurs sur des points secondaires.
Dans des arrêts plus anciens en revanche, le Tribunal fédéral a déclaré que la présomption de l'art. 2 al. 1 ne s'applique que si les parties ont réservé le règlement ultérieur des points secondaires; en l'absence d'une telle réserve, l'art. 2 ne permet pas au juge de suppléer au défaut d'accord de volonté des parties sur ces points, et il n'y a pas de contrat (ATF 20 p. 521, 34 II 468, 725 s.). Mais dans ces trois arrêts, le Tribunal fédéral a considéré que les points secondaires sur lesquels les parties ne s'étaient pas mises d'accord ni n'avaient réservé d'entente ultérieure étaient subjectivement essentiels pour l'une d'elles. Il n'a donc pas jugé que le défaut d'accord sur des points secondaires, ne présentant pas ce caractère, s'opposait à la conclusion du contrat lorsque les parties n'en avaient pas réservé le règlement ultérieur.
Le Tribunal fédéral se réfère aux arrêts ATF 34 II 468 et 725 dans un jugement de 1928 (ATF 54 II 304), en relevant que le contrat n'est pas nécessairement conclu lorsque l'accord est réalisé sur les points objectivement essentiels, mais que les parties peuvent considérer d'autres éléments comme importants pour elles et faire de leur règlement une condition de la conclusion du contrat. Le Tribunal fédéral ne dit en revanche pas que le défaut d'accord sur des points subjectivement non essentiels s'oppose à la perfection du contrat. Il admet au contraire que la réserve d'un règlement ultérieur formulée par une partie ne touchait que des points subjectivement non essentiels et qu'elle n'empêchait pas que le contrat fût venu à chef.
OFTINGER (Bundesgerichtspraxis zum Allgemeinen Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, p. 20 ss) commente cet arrêt en se référant également aux ATF 34 II 468. Il considère que l'art. 2 CO n'est pas applicable lorsque les parties ont débattu des points secondaires, sans parvenir à une entente ni faire de réserve au sens de l'art. 2 al. 1; il y a alors désaccord (Dissens), et le contrat n'est partant pas conclu, même si l'accord avait déjà été réalisé sur les points essentiels. Le point de vue d'Oftinger se recouvre donc avec celui de l'arrêt ATF 34 II 468. Cet auteur ne dit pas qu'un désaccord sur des points secondaires non réservés par les parties s'oppose à la perfection du contrat, même s'il s'agit de points subjectivement non essentiels. OFTINGER/JEANPRĂŠTRE (Jurisprudence du Tribunal fédéral sur la partie générale du Code des obligations, p. 19 ss) n'expriment pas non plus une telle opinion. Cet ouvrage, sur lequel le Tribunal cantonal se fonde pour l'essentiel, n'est d'ailleurs qu'une traduction de celui d'OFTINGER.
Dans sa note 2 à l'art. 2, que cite l'arrêt attaqué, BECKER examine le cas d'un désaccord (Dissens) sur des points non essentiels, par quoi il entend à l'évidence les points objectivement non essentiels (accidentalia negotii). En cas de désaccord manifeste, il dénie au juge le droit de compléter le contrat, en se référant aux arrêts ATF 20 p. 521 et 34 II 468, dans la mesure où il n'y a pas de réserve au sens de l'art. 2. Il reconnaît en revanche ce droit au juge, en appliquant cette disposition par analogie, si le désaccord n'est que latent. Le Tribunal cantonal invoque donc à tort ce passage du commentaire. BECKER distingue (n. 4 ad art. 2) entre points principaux et secondaires. Il range parmi les premiers, outre les éléments indispensables à l'existence du contrat, tous ceux dont le règlement contractuel devait raisonnablement apparaître important aux parties en raison des circonstances, et notamment de leur portée économique, si bien que l'on doit admettre qu'elles n'auraient pas conclu le contrat à défaut d'accord à leur sujet. BECKER qualifie de points secondaires ceux qui ne présentent pas ce caractère. Il reconnaît donc la distinction - sur laquelle se fonde par exemple l'arrêt ATF 93 II 309 consid. 6a - entre points essentiels et non essentiels, du point de vue subjectif. Or il ne dit pas que le contrat ne serait pas conclu en cas de désaccord sur ces derniers.
OSER/SCHÖNENBERGER font aussi cette distinction (n. 7-13 ad art. 2). Selon la note 15, que cite l'arrêt attaqué, il ne suffit pas d'un accord sur les points principaux pour que le contrat soit parfait. La note 16 ajoute que l'on peut déduire du fait que la discussion n'a pas porté sur des points secondaires que ceux-ci ne sont pas essentiels pour les parties et qu'ils doivent être réglés selon la loi, la volonté présumée des parties ou l'usage. Si les parties ont soulevé certaines questions, sans les résoudre, cela signifie souvent qu'elles renoncent à les considérer comme une condition du contrat (n. 17). OSER/SCHÖNENBERGER admettent ainsi qu'un contrat peut être conclu sans que les parties se soient mises d'accord sur certains points secondaires dont elles ont discuté.
L'arrêt attaqué se réfère encore à VON TUHR, Partie générale du Code fédéral des obligations, trad. de Torrenté/Thilo, I p. 168. Mais le point de vue de cet auteur s'oppose à celui de l'autorité cantonale. Il estime en effet que le contrat est réputé conclu, selon l'art. 2 CO applicable par analogie, dans l'hypothèse, non prévue par la loi, d'un désaccord latent sur un point secondaire, lorsqu'il y a lieu d'admettre que la conclusion serait intervenue même sans que ce point ait été fixé. La présente espèce est assimilable à cette hypothèse: la recourante partait de l'idée que l'intimée avait accepté de fournir la couverture demandée, mais elle n'a pas pu en rapporter la preuve, si bien que l'intimée est censée n'avoir pas accepté cette exigence; il y a lieu d'admettre que la recourante aurait conclu le contrat même si elle avait eu conscience de ce défaut d'accord sur le point en question, qui n'était pas essentiel pour elle.
BÉGUELIN (FJS 114, p. 6), également cité par le Tribunal cantonal, admet qu'"en principe", le contrat n'est pas conclu lorsque le désaccord affecte un point secondaire, en se référant aux arrêts ATF 20 p. 521 et 34 II 725. Il ajoute qu'il n'y a plus désaccord lorsqu'une partie a abandonné, expressément ou tacitement, sa prétention contestée sur un point secondaire.
Une telle renonciation peut résulter du fait que la partie considère les pourparlers comme terminés, malgré le désaccord qui subsiste sur ce point, à moins que l'autre partie n'ait admis, ou dû admettre selon les règles de la bonne foi que ce désaccord avait provoqué l'échec des pourparlers. Or tel n'est pas le cas en l'espèce. Le directeur de l'intimée, Lin, a déclaré le 28 novembre 1974 à un de ses collaborateurs qu'il avait acheté des lires à la recourante. L'opinion du Tribunal cantonal selon laquelle cette déclaration s'expliquerait par le fait qu'un "accord de principe" était intervenu et que Lin pouvait considérer que les pourparlers allaient aboutir, est manifestement insoutenable; les parties ne s'étaient nullement réservé de reprendre les pourparlers, et Lin n'a rien fait dans ce sens. De son côté, la recourante a confirmé par écrit, le même jour, qu'elle considérait le contrat comme conclu, sans dire un mot de la couverture d'une partie du prix de vente. Peu importe, on l'a vu (cf. consid. 1, dernier alinéa, ci-dessus), qu'elle soit revenue sur cette question dans sa lettre du 10 décembre 1974.
L'arrêt attaqué cite enfin ENGEL (Traité des obligations en droit suisse, p. 156). Mais cet auteur ne considère pas que l'absence d'accord sur un point subjectivement non essentiel s'oppose à la perfection du contrat, lorsque les parties se sont entendues sur les éléments essentiels, du point de vue objectif et subjectif. Il admet que si les parties ont discuté mais non résolu un point secondaire, il est à présumer qu'elles s'en sont remises au droit dispositif à cette fin, dès qu'elles tiennent leur contrat pour venu à chef.
En l'espèce, les parties se sont mises d'accord sur tous les points objectivement et subjectivement essentiels, et le contrat est dès lors réputé conclu au sens de l'art. 2 al. 1 CO. L'opinion contraire du Tribunal cantonal ne trouve appui ni dans la jurisprudence ni dans la doctrine. Elle est manifestement insoutenable et partant arbitraire, ce qui entraîne l'admission du recours et l'annulation du jugement attaqué.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois du 27 octobre 1976.