BGE 107 II 375
 
58. Arrêt de la IIe Cour civile du 24 septembre 1981 dans la cause B. contre Commission cantonale de recours en matière foncière du canton de Vaud (recours de droit administratif)
 
Regeste
Art. 19 und 20 EGG. Verkauf eines landwirtschaftlichen Heimwesens, das sich auf dem Gebiet von zwei verschiedenen Kantonen befindet.
2. Das EGG enthält keine Bestimmungen betreffend Kompetenzkonflikte zwischen Kantonen (E. 2a und b). Es sind verschiedene Kriterien denkbar. Angesichts der Zusammensetzung des Betriebes braucht im vorliegenden Fall nicht zu Gunsten eines bestimmten Kriteriums entschieden zu werden (E. 2d und e).
 
Sachverhalt
A.- a) Par acte authentique du 31 mars 1980, instrumenté par le notaire X., à Domdidier (Fribourg), G. a déclaré vendre à B. des immeubles sis sur le territoire de la commune de Domdidier, pour une surface totale de 81'341 m2 comprenant des champs avec ferme et dépendances. Selon l'acte, "avec les immeubles sur le canton de Fribourg, sont compris comme faisant partie du domaine les immeubles suivants situés sur la commune d'Avenches et qui feront l'objet d'un acte à instrumenter par un notaire vaudois". Suit la désignation de quatre prés-champs, d'une surface totale de 42'050 m2.
Le prix de vente, qui a été versé au vendeur, était de 1'000'000 de francs, dont 790'000 fr. pour les immeubles fribourgeois et 210'000 fr. pour les immeubles vaudois.
b) Par lettre du 5 mai 1980, l'autorité foncière cantonale de Fribourg a avisé le notaire X. qu'en application de l'art. 218bis CO elle avait ratifié, dans sa séance du 23 avril 1980, le contrat de vente immobilière, en tant que portant sur une exploitation agricole sise partie dans le canton de Fribourg, partie dans le canton de Vaud. L'acte a été inscrit au registre foncier d'Estavayer-le-Lac le 13 mai 1980.
B.- Le 24 avril 1980, le notaire Y., à Avenches, agissant comme mandataire des deux parties contractantes, a présenté une requête préalable à la Commission foncière, Section I, du canton de Vaud pour la vente des immeubles sis sur le territoire de la commune d'Avenches. Le 23 mai 1980, la Commission a décidé de faire opposition à cette vente.
B. et G. ont recouru à la Commission cantonale de recours en matière foncière, qui les a déboutés par décision du 22 octobre 1980, communiquée le 23 janvier 1981.
C.- B. a formé un recours de droit administratif auprès du Tribunal fédéral. Il demande que la décision de la Commission cantonale de recours soit réformée en ce sens qu'il est dit qu'il ne sera pas fait opposition à la vente par G. des parcelles de la commune d'Avenches, la revente de ces immeubles avant l'expiration du délai légal de dix ans étant au surplus autorisée. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de la décision attaquée.
Le Département fédéral de justice et police propose l'admission du recours.
 
Considérant en droit:
1. Selon le Département fédéral de justice et police, dès lors que l'autorité fribourgeoise avait ratifié le contrat, il n'y avait plus de place pour l'intervention de l'autorité vaudoise, qui n'était pas compétente s'agissant de la vente d'un domaine agricole dont la plus grande partie se trouve dans le canton de Fribourg.
2. a) L'art. 20 LPR, relatif à la compétence et à la procédure d'opposition en matière de ventes de biens-fonds, quand les cantons ont fait usage (comme Fribourg et Vaud) de la faculté que leur confère l'art. 18 LPR, se borne à imposer une voie de recours et à inviter les cantons à tenir compte des prescriptions sur le registre foncier. Il ne désigne pas l'autorité cantonale compétente lorsque le domaine agricole à vendre s'étend sur plusieurs cantons. Or, c'est au législateur fédéral qu'il appartenait de prendre une disposition à ce sujet. En effet, chaque canton ne peut régler que le sort des contrats qui portent sur des immeubles relevant de sa souveraineté. Tout au plus un concordat pourrait-il définir la compétence entre cantons lorsqu'un domaine se trouve sur le territoire de plusieurs d'entre eux; mais un tel concordat n'existe pas.
b) De manière générale, la doctrine n'aborde pas la question (cf. KAUFMANN, Die Neuordnung des Landwirtschaftsrechtes, Zurich 1952, p. 49 ss; JOST, Handkommentar zum Bundesgesetz über die Erhaltung des bäuerlichen Grundbesitzes vom 12. Juni 1951, Berne 1953, p. 104 ss; COMMENT, Fiche juridique suisse 228 p. 13 ss; CAVIN, La vente, l'échange, la donation, dans: Traité de droit privé suisse, VII, 1, p. 142 ss; PIDOUX, Droit foncier rural, RDS 1979 II p. 448 ss). Seul Jenny (Das Gesetz über die Erhaltung des bäuerlichen Grundbesitzes, RSJ 1953 p. 60) l'évoque, en déplorant l'absence d'une règle de conflit.
Selon le Département fédéral de justice et police, le législateur fédéral a implicitement tranché le conflit de compétence en invitant les cantons à tenir compte des prescriptions sur le registre foncier: la disposition de l'art. 20 al. 2 LPR, introduite par le Conseil des Etats, rendrait applicable par analogie la règle de compétence édictée à l'art. 952 al. 2 CC (cf. l'art. 1er al. 1 et l'art. 6 ORF).
Cette interprétation de l'art. 20 al. 2 LPR n'est pas convaincante.
Le Département fédéral de justice et police se fonde sur la déclaration du rapporteur au Conseil des Etats (Bulletin sténographique de l'Assemblée fédérale, CE 1949 p. 437):
"Cet art. laisse aux cantons le soin de désigner les autorités
compétentes en matière d'opposition et de déterminer la procédure.
Le département (de justice et police) estime que celle-ci doit être
réglée en tenant compte de l'organisation et de la tenue du registre
foncier.
Comme cette organisation diffère beaucoup d'un canton à l'autre, le
législateur fédéral doit nécessairement se borner à édicter certaines
règles générales."
Mais il apparaît bien plutôt que l'allusion à l'organisation cantonale du registre foncier était dictée par le souci que le conservateur soit tenu au courant des décisions prises par les autorités compétentes pour faire opposition et par les autorités compétentes, en cas de conflit, pour statuer sur le bien-fondé de l'opposition. Il est en effet nécessaire que le conservateur sache s'il peut procéder dans ses registres aux inscriptions entraînant le transfert de propriété; on avait même envisagé de lui attribuer la compétence matérielle de faire opposition, mais, les conservateurs ayant estimé que cette tâche était trop lourde pour eux, on laissa aux cantons le soin d'organiser la procédure (Bulletin sténographique de l'Assemblée fédérale, CE 1949 p. 308).
Force est donc de constater que le problème du conflit de compétence locale entre cantons pour appliquer les art. 18 ss LPR à un domaine agricole s'étendant sur plusieurs cantons n'a pas été tranché, ni même évoqué par le législateur.
c) On est ainsi amené à se demander si le problème existe réellement.
L'art. 19 al. 1 LPR prévoit qu'il peut être formé opposition contre des contrats de vente portant sur des domaines agricoles ou sur des biens-fonds agricoles.
aa) Un bien-fonds agricole est un immeuble au sens de l'art. 655 CC (al. 2 ch. 1). Il peut faire l'objet d'une vente immobilière selon les art. 216 ss CO, au moyen d'un acte authentique dont la forme est déterminée par la législation cantonale (art. 55 Tit. fin. CC). Si l'immeuble est situé dans plusieurs arrondissements du registre foncier, l'art. 952 al. 2 CC détermine l'arrondissement compétent pour recevoir l'acte authentique et, par conséquent, la forme que l'acte doit revêtir pour être conforme à la législation cantonale en vigueur dans cet arrondissement. Il n'y a donc pas de problème pour les biens-fonds isolés et une règle de conflit intercantonale n'était pas nécessaire, puisqu'elle existe déjà à l'art. 952 al. 2 CC.
bb) Le domaine agricole comprend l'ensemble des terres et des bâtiments qui est propre à constituer pour le paysan et sa famille le centre de son existence et la base de l'exploitation d'une entreprise agricole (ATF 92 I 316, 89 I 231). Il s'agit donc d'une unité économique (cf. le Message du Conseil fédéral à l'appui du projet de loi sur le maintien de la propriété foncière rurale, du 30 décembre 1947, FF 1948 I p. 54), formée d'un groupe de choses au sens juridique du terme, soit d'immeubles. Juridiquement, la vente d'un domaine agricole revêt la forme de la vente de plusieurs immeubles. Si les biens-fonds constituant l'unité économique relèvent de la souveraineté de plusieurs cantons, il est impossible de procéder à la vente du domaine comme tel par un seul et même acte. En vertu des art. 216 CO et 55 Tit. fin. CC, la vente doit faire l'objet de contrats distincts. Cela étant, on pourrait en déduire qu'il appartient à l'autorité compétente de chacun des cantons sur lesquels s'étend le domaine de décider s'il y a lieu de faire opposition à la vente portant sur l'immeuble qui est de son ressort territorial. On éviterait ainsi le conflit de compétence locale entre les cantons.
Mais raisonner ainsi, c'est perdre de vue que la loi fédérale sur le maintien de la propriété foncière rurale vise notamment à affermir le lien qui existe entre la famille et le domaine, et à favoriser le maintien d'entreprises agricoles (art. premier). Or, les diverses dispositions de la loi doivent être interprétées et appliquées d'après ce but (ATF 100 Ib 264 /265 et les références). On ne peut donc pas ignorer la notion économique de domaine agricole et l'unité qu'elle implique par le motif que le domaine s'étend sur le territoire de plusieurs cantons; il s'agit là d'une circonstance accidentelle qui ne permet pas de s'écarter de la volonté du législateur. La réalité économique de la vente doit seule être prise en considération; peu importe que, pour que soient respectées les prescriptions cantonales sur la forme de l'acte authentique, la vente doive s'exprimer par plusieurs actes distincts.
Ainsi, dès lors qu'une seule opération entre en ligne de compte, savoir la vente du domaine comme un tout, c'est à une seule autorité cantonale qu'il appartient de décider s'il y a lieu de former opposition. Le risque de conflit de compétence locale existe donc bien quand le domaine s'étend sur plusieurs cantons; il s'est réalisé en l'espèce.
d) Ne contenant pas de règle de conflit, la loi fédérale sur le maintien de la propriété foncière rurale est entachée d'une lacune, qu'il faut combler conformément aux principes exprimés à l'art. 1er al. 2 et 3 CC.
Pour déterminer l'autorité compétente, il convient de rechercher avec quel canton l'opération envisagée a les circonstances de rattachement les plus importantes. Le législateur, on l'a vu, entend protéger la propriété foncière rurale, notamment en favorisant la création et le maintien d'entreprises agricoles (art. 1er LPR): il faut donc sauvegarder l'unité économique de l'exploitation, de façon à donner une base à la vie d'une famille paysanne. Si l'on adopte le critère de l'art. 952 al. 2 CC, on dira que l'autorité compétente est celle où se trouve la plus grande partie du domaine. On peut songer aussi au critère de l'art. 51 al. 2 LP et prendre en considération la partie qui a la plus grande valeur. Toutefois ces critères ne sont pas toujours adéquats s'agissant d'une entreprise agricole. Ce qui paraît décisif, dans l'optique du programme fixé à l'art. 1er LPR, c'est la partie essentielle pour le rendement de l'entreprise, le facteur principal de l'exploitation, comme, par exemple, la ferme, la zone de culture intensive. La présente espèce n'impose toutefois pas un choix entre ces différents critères.
e) En effet, la partie du domaine située sur le territoire du canton de Fribourg est à la fois celle qui est la plus étendue, qui a la plus grande valeur et sur laquelle se trouve la ferme et ses dépendances. Quel que soit le critère qu'on adopte, seule l'autorité fribourgeoise était compétente, à l'exclusion des autorités vaudoises, pour se prononcer en matière d'opposition. Sa décision est correctement prise, puisque, s'attachant à la réalité économique, elle autorise la vente de tout le domaine.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
Admet le recours et annule la décision de la Commission cantonale de recours en matière foncière du canton de Vaud, ainsi que la décision de la commission foncière, section I.