2. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 4 février 1988 dans la cause dame G. contre G. (recours en réforme)
|
Regeste
|
Art. 152 ZGB; Zeitliche Beschränkung der Unterhaltsrente.
|
Sachverhalt
|
Par arrêt du 15 mai 1987, la Première Chambre de la Cour de justice du canton de Genève, statuant dans la cause en divorce opposant les époux G., a notamment condamné le mari à verser pendant six ans à la femme une pension alimentaire au sens de l'art. 152 CC, arrêtée à 4'000 francs par mois pendant les deux premières années, 2'000 francs par mois pendant les troisième et quatrième années et 1'000 francs par mois pendant les cinquième et sixième années.
|
Saisi d'un recours en réforme de dame G., le Tribunal fédéral a annulé l'arrêt attaqué en ce qui concerne la pension alimentaire allouée à la recourante et renvoyé l'affaire à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
|
Extrait des considérants:
|
|
|
a) En principe, la pension alimentaire est allouée pour toute la vie du bénéficiaire (ATF 66 II 3in fine). Toutefois, rente d'assistance ou de secours (cf. DESCHENAUX/TERCIER, Le mariage et le divorce, 3e éd., p. 130 n. 682/683), elle peut n'être accordée que pour la durée prévisible du dénuement (ATF 81 II 410 consid. 2).
|
Au sujet de l'indemnité allouée à la femme divorcée en vertu de l'art. 151 al. 1 CC, le Tribunal fédéral a dit récemment qu'il se justifie de limiter la rente dans le temps lorsque le préjudice résultant du divorce apparaît temporaire: la rente sera assurée pour la durée présumable de la réinsertion professionnelle de l'épouse, eu égard, notamment, à la durée du mariage, à l'âge et à l'état de santé de la crédirentière, à sa formation, à la situation économique en général, ainsi qu'à la possibilité pour l'épouse de retrouver une activité lucrative totale ou partielle (ATF 111 II 306 et les arrêts cités). On peut appliquer ces principes par analogie à la rente d'assistance de l'art. 152 CC, mais, compte tenu des considérations d'ordre social qui sont à la base de cette disposition légale (cf. BÜHLER/SPÜHLER, n. 4 ad art. 152 CC), destinée à empêcher la détresse ou la pauvreté conduisant éventuellement à la gêne (ATF 95 II 289, ATF 90 II 71 in fine), le juge devra faire montre de beaucoup de retenue (cf. HAUSHEER, RJB 122/1986 p. 61 in fine).
|
b) En l'espèce, la Cour de justice a estimé "équitable" d'allouer une pension alimentaire à la recourante, "compte tenu du fait que les époux G. ont été mariés pendant une quinzaine d'années, que dame G. n'a jamais travaillé durant la vie commune, qu'elle ne dispose d'aucune formation professionnelle spéciale et qu'il lui sera difficile de trouver un emploi normalement rémunéré, vu son âge"; elle a fixé le montant de la rente en prenant en considération "la situation très aisée de G.". Mais elle ne dit mot des raisons qui l'ont incitée à l'allocation d'une rente limitée à la durée de six ans. Il convient donc d'examiner, sur le vu des faits établis, s'il est probable que, dans six ans, dame G. sera apte à se créer sans plus aucun secours des ressources lui permettant d'échapper au besoin.
|
Au moment du divorce, la recourante était âgée de 43 ans. Or, ce n'est qu'à 45 ans qu'on ne devrait normalement plus exiger d'une femme, qui n'a pas exercé une activité lucrative pendant un mariage de longue durée, de se réinsérer dans la vie économique (cf. HAUSHEER, RJB 122/1986, p. 59; ATF 110 II 226 ss, 111 II 307; arrêt, non publié, S. c. J., du 16 juillet 1987). D'autre part, il n'est pas établi que son état de santé entrave dame G. dans l'exercice d'une profession: certes, elle est affectée d'une scoliose, mais il s'agit là d'une maladie banale, qui ne lui interdit notamment pas de pratiquer très activement le tennis. Enfin, elle dispose de tout son temps, puisqu'elle n'a plus la charge de la tenue du ménage conjugal et de l'éducation de ses enfants.
|
Par ailleurs, toutefois, la recourante n'a pas de formation professionnelle, n'ayant travaillé que comme barmaid; pendant le mariage elle n'a pas exercé d'activité rémunérée. Elle a commencé à se réintégrer dans la vie économique, mais, aujourd'hui, elle n'a pas pleinement réussi cette réinsertion. En 1984, durant son stage de formation, elle a gagné quelque 16'000 francs en huit mois, soit 2'000 francs par mois environ, ce qui, à première vue, suffirait à la mettre à l'abri du besoin. Mais ces ressources n'ont pas été durables. Actuellement, la recourante gagne 15'000 francs brut par an, soit 1'125 francs net par mois: un tel revenu paraît insuffisant dans la région genevoise, où, en particulier, les loyers sont notoirement élevés.
|
Ainsi, sur le vu des constatations de fait de l'arrêt attaqué, il n'est pas possible de tenir pour prévisible que, dans six ans, dame G. sera en mesure d'échapper au besoin par ses seuls moyens. Il y a donc lieu, en application de l'art. 64 al. 1 OJ, d'annuler sur ce point la décision déférée et d'inviter l'autorité cantonale à compléter ses constatations et à statuer à nouveau.
|
La Cour de justice ne devra pas s'en tenir exclusivement à l'expérience de la vie. Il lui incombera de déterminer si l'on se trouve ou non en présence d'éléments concrets indiquant que, dans l'espèce, l'épouse est apte à se créer à long terme une situation la mettant à l'abri du besoin, compte tenu notamment du coût élevé de la vie dans la région genevoise. Il lui faudra donc établir quelles sont les chances de réinsertion économiques de la recourante; si, d'après les circonstances, il est probable qu'elle trouvera un emploi stable lui fournissant des ressources suffisantes pour échapper au dénuement et, dans l'affirmative, dans combien de temps cette réintégration pourra se faire.
|
Si la cour cantonale parvient à la conclusion qu'il n'est pas possible de prévoir que la recourante puisse parvenir à une réintégration économique complète et qu'on ne saurait donc raisonnablement exiger d'elle qu'elle subvienne seule à ses besoins, fût-ce dans un avenir lointain, elle devra allouer une rente d'une durée illimitée. Dans cette éventualité, elle pourra revoir la quotité de la rente dans son entier. Au cas où elle a accordé un montant initial de 4'000 francs dans l'optique d'une rente limitée à six ans, afin de permettre à la recourante de prendre plus facilement, pendant les deux premières années, des dispositions en vue de sa réinsertion, elle pourra, si elle l'estime équitable, allouer une rente d'une quotité moindre dès le commencement. Pour le surplus, elle ne perdra pas de vue que les principes du droit des poursuites sur le minimum vital (art. 93 LP) fournissent seulement une base au juge du divorce pour la détermination de la quotité de la rente: ils ne le lient pas, notamment si les facultés du mari permettent d'allouer un montant supérieur (ATF 96 II 304 /305 consid. 5b et d; BÜHLER/SPÜHLER, n. 24 ad art. 152 CC).
|