56. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 23 août 1989 dans la cause E. (recours en réforme)
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Regeste
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Art. 30 Abs. 1 ZGB.
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Sachverhalt
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A.- J., domicilié à Carouge, né en 1962, est décédé à Genève le 15 mars 1988 à la suite d'un accident de la circulation.
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J. vivait en concubinage avec dame E. De cette union est né l'enfant François E. que son père a reconnu par acte du 18 février 1987.
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B.- Le 25 octobre 1988, dame E. a adressé au Conseil d'Etat du canton de Genève une requête tendant à obtenir l'autorisation, pour elle et pour son fils François, de porter le nom de famille de J. à la place du nom E.
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A l'appui de sa requête, dame E. faisait valoir, pour l'essentiel, qu'elle avait vécu en concubinage pendant plus de cinq ans avec J. et que de cette union était né l'enfant François, reconnu par son père; elle relevait qu'avant l'accident de circulation à la suite duquel J. avait perdu la vie, les deux concubins envisageaient sérieusement le mariage et que J. allait entreprendre incessamment les démarches nécessaires; elle faisait valoir qu'elle éprouvait le profond besoin de porter le nom de son futur époux décédé et que le changement de nom était indispensable aussi pour l'équilibre de l'enfant et était de nature à créer une attache psychologique avec son père. Dame E. précisait enfin que tel était également le voeu du grand-père paternel.
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Le 23 janvier 1989, le Service cantonal de l'Etat civil a communiqué à la requérante sa décision négative. Par arrêté du 22 mars 1989, le Conseil d'Etat du canton de Genève a rejeté aussi la requête en changement de nom.
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C.- Dame E., en son nom et au nom de son fils François, recourt en réforme au Tribunal fédéral. Elle reprend ses conclusions tendant à obtenir l'autorisation de porter le nom de famille de J.
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Le Département cantonal de justice et police conclut au rejet du recours.
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Extrait des considérants:
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Ces arguments sont cependant peu convaincants et, en partie, à double tranchant, car l'enfant pourrait aussi, le moment venu, se demander pour quelles raisons ses parents, tous les deux célibataires et nullement empêchés de se marier, ont choisi délibérément l'union libre et pour quel motif son père n'a entrepris aucune démarche, en dépit d'un concubinage qui durait depuis plus de cinq ans, pour obtenir le changement de nom de son fils, la requête étant due à l'initiative exclusive de sa mère après le décès du père. Si dame E. affirme (sans toutefois le prouver ou le rendre vraisemblable) que J. avait entrepris des démarches en vue du mariage, elle ne prétend pas que, indépendamment des projets de mariage, le père avait exprimé le désir de voir son fils porter son nom de famille.
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Restent les arguments d'ordre social. La jurisprudence ne les a pas ignorés. Aussi a-t-elle admis que l'enfant élevé dans le ménage de ses parents vivant en union libre est fondé à demander de porter le nom de son père lorsque les liens du concubinage ont un caractère stable et durable (ATF 105 II 241 et 247; 107 II 289; ATF 108 II 249 consid. 4b; ATF 109 II 177; sur le critère de la durée aussi 110 II 433). Cette jurisprudence tient compte des inconvénients d'ordre social qui s'attachent à la condition d'enfant de parents non mariés, en dépit du fait que le législateur a supprimé, à partir du 1er janvier 1978, la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels. Elle part de l'idée, déjà exprimée dans les arrêts ATF 96 I 429 et ATF 70 I 220 consid. 3, que l'enfant naturel doit être autorisé à prendre le nom de son père qui vit en concubinage stable avec la mère et contribue de façon durable, dans la mesure de ses moyens, à l'entretien du ménage où se trouve son fils. Sous l'angle de l'intérêt de l'enfant au changement de nom, elle considère comme non pertinente toute objection tirée du comportement des parents, et notamment de leur refus de se marier, ce qui leur permettrait d'attribuer à l'enfant le statut d'enfant de parents mariés et par conséquent aussi le nom du père.
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Si l'art. 270 al. 2 CC dispose que l'enfant né de parents non mariés acquiert le nom de famille de sa mère, c'est parce que l'enfant en question vit généralement auprès de sa mère avec laquelle il a des liens plus étroits qu'avec le père. Si tel n'est pas le cas, la procédure en changement de nom lui est précisément ouverte pour tenir compte des circonstances (ATF 105 II 246 consid. 2 in fine et les références et ATF 105 II 252). Du reste, lors de la modification de l'art. 30 CC, le projet du Conseil fédéral énumérait des cas de justes motifs pour le changement de nom et parmi ces motifs figurait celui où "le requérant mineur porte un autre nom de famille que le père ou la mère sous l'autorité parentale ou sous la garde duquel il est élevé" (ATF 108 II 249 consid. 4a; ATF 109 II 178 consid. 2).
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En l'espèce, la situation est différente et le choix du législateur, tel qu'il résulte de l'art. 270 al. 2 CC, conserve toute sa portée.
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L'enfant vit uniquement avec sa mère, qui subvient à son entretien et s'occupe de son éducation et à côté de laquelle il va grandir. Il n'y a plus, à défaut d'union conjugale, de cohabitation ou de ménage commun entre les deux parents. Si, dans ces conditions, l'autorité cantonale a estimé que l'enfant avait, en tout cas dans la situation actuelle, intérêt à porter le nom de famille de sa mère, elle n'a pas fait de la notion de justes motifs une application incompatible avec l'esprit et le but de la norme légale, et n'en a pas méconnu un élément essentiel (ATF 108 II 2 consid. 2). La solution préconisée par les recourants aurait pratiquement pour effet de vider de son contenu la règle de l'art. 270 al. 2 CC. Indépendamment de la question de savoir si l'intérêt de l'enfant au changement de nom l'emporte, en l'espèce, sur l'intérêt public à l'immutabilité du nom (ATF 105 II 243 consid. I 3, 249 consid. 3; ATF 108 II 249 consid. 4b; ATF 109 II 178 consid. 1), les motifs d'ordre psychologique et affectif invoqués par les recourants n'exigent pas, même en adoptant les critères très larges qui s'imposent dans le cas d'un enfant (ATF 105 II 243 I 3, 249 consid. 3; ATF 109 II 178 consid. 1), que celui-ci soit autorisé à porter le nom de son père décédé qui n'a pas été marié avec sa mère, à la place du nom de la mère avec laquelle il vit. L'art. 270 al. 2 CC tend précisément à éviter qu'en cas de rupture de concubinage l'enfant vivant avec sa mère ne porte un autre nom qu'elle, alors qu'il n'aura plus de relations avec son père (ATF 107 II 290 consid. 3b bb; ATF 105 II 246 consid. II 3, 252 consid. 6).
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