15. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 21 janvier 1992 dans la cause Finanziaria Les Copains S.p.A. contre Office fédéral de la propriété intellectuelle (recours de droit administratif)
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Regeste
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Familiennamen als Marken oder Markenbestandteile und ersonnene Firmen (Art. 14 Abs. 1 Ziff. 4 MSchG).
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2. Zulässigkeit der Marke "MISS ELLECI" (E. 3).
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Sachverhalt
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A.- La société Finanziaria Les Copains S.p.A., dont le siège est à Bologne, a fait enregistrer, en Italie, la marque verbale "MISS ELLECI" pour des produits de la classe internationale 25 (articles d'habillement, souliers, chapellerie).
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Par décision du 20 juin 1991, l'Office fédéral de la propriété intellectuelle (ci-après: l'Office) a refusé d'enregistrer ladite marque au motif qu'elle renvoie à une tierce personne dont l'usage du patronyme à titre de marque n'est pas justifié.
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B.- Saisi d'un recours de droit administratif, le Tribunal fédéral a annulé cette décision et invité l'Office à enregistrer la marque en question.
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Extrait des considérants:
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2. a) L'insertion d'un nom patronymique dans une marque induit le public en erreur sur les relations commerciales du titulaire de la marque lorsqu'elle donne à penser qu'il existe un lien entre le produit ainsi désigné et le porteur du nom. C'est toujours le cas si le public connaît le nom en question et qu'il soit possible que celui qui le porte ait exercé ou exerce encore une influence sur la qualité du produit, par exemple en tant qu'inventeur, chercheur ou utilisateur renommé (ATF 98 Ib 10 consid. 3, ATF 77 I 77 ss; TROLLER, Immaterialgüterrecht, 3e éd., vol. I, p. 317; MARBACH, Die eintragungsfähige Marke, thèse Berne 1983, p. 104/105). Au demeurant, abstraction faite du risque que l'on vient d'évoquer, l'emploi comme marque d'un patronyme connu du public suisse est en principe inadmissible, selon la jurisprudence et la doctrine, car, même s'il n'en tire aucune conclusion quant à la qualité du produit qui lui est présenté sous une telle marque, l'acheteur risque toutefois d'établir à tort un lien entre ce produit, d'une part, et le porteur du nom ou une raison de commerce incluant ce patronyme, d'autre part (ATF 98 Ib 10 consid. 4 "Santi"; arrêt non publié du 25 janvier 1985, en la cause J. Schoeff c. l'Office, reproduit dans la Feuille suisse des brevets, dessins et marques [FBDM] 1985 I 35/36 "Monsieur Dupont"; MATTER, Commentaire de la LMF, p. 83; DAVID, n. 46 ad art. 3 LMF; MARBACH, ibid.; BITZI, Der Familienname als Marke, p. 104 ss; CURCHOD, Famille et propriété intellectuelle, in: Problèmes de droit de la famille, Neuchâtel 1987, p. 49).
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L'art. 14 al. 1 ch. 4 LMF prohibe, en outre, l'enregistrement d'une marque qui porte une raison de commerce fictive. Tombe, en particulier, sous le coup de cette disposition la marque contenant des mots qui sont susceptibles d'être compris comme patronymes, même si ces derniers n'existent pas en Suisse (MARBACH, op.cit., p. 101 et 105). Les décisions relatives à cette question sont délicates. L'Office a dès lors jugé utile d'exposer quelle serait dorénavant sa pratique en la matière. Il a indiqué qu'il appliquerait à l'avenir le critère suivant afin de donner plus de clarté et d'assise à cette pratique: lorsque la patronyme n'existe pas en Suisse ou n'y est pas connu, la marque est acceptée à moins que le mot qui la compose ne soit accompagné d'une adjonction au point de rendre le renvoi à une tierce personne comme évident. L'adjonction pourra être un prénom, une particule ("by", "de", "création", "and Co.") ou le portrait d'un personnage. Selon l'Office, cette conception plus objective de la raison de commerce fictive constitue une nouvelle étape dans le processus de libéralisation concernant l'examen des marques (FBDM 1990 I 61/62). Le critère retenu par l'Office est assurément valable et conforme au droit fédéral, mais il est trop absolu dans sa formulation. En effet, il donne à penser que la marque comprenant un patronyme qui n'est pas connu en Suisse doit être refusée dès qu'elle renvoie clairement à une tierce personne. Ce n'est toutefois le cas que si ledit patronyme et l'adjonction qui l'accompagne confèrent à la marque visée l'apparence d'une raison de commerce, autrement dit s'ils donnent l'impression de faire partie intégrante d'une raison de commerce, généralement de la raison sociale d'une personne morale (cf., mutatis mutandis, l'ATF 98 Ib 190 consid. 2a où le Tribunal fédéral a appliqué ce principe à la marque "Sheila Diffusion"). A ce défaut, c'est-à-dire si, selon l'expérience générale, le public qui examine la marque incluant un patronyme étranger n'établit aucune relation entre ce patronyme et une raison de commerce - individuelle ou sociale - déterminée, l'enregistrement de la marque ne saurait être refusé même si le risque d'une confusion avec une raison de commerce ne peut en soi jamais être totalement écarté (dans le même sens, à propos des termes de fantaisie, cf. MATTER, op.cit., p. 177, et DAVID, n. 11 ad art. 14 LMF).
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b) Cela étant, il convient de faire les distinctions suivantes en ce qui concerne le risque de tromperie:
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aa) Un patronyme qui est utilisé en Suisse ou qui y est un tant soit peu connu pourra être employé comme marque ou comme élément constitutif d'une marque aux trois conditions alternatives suivantes:
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- si le public l'associe immédiatement à une chose (par ex. "Zeppelin", "Bocca") ou si sa présentation en fait essentiellement un signe descriptif (par ex. des noms comme "Loup", "Lièvre" ou "Renard" accompagnés de l'animal stylisé; cf. MARBACH, op.cit. p. 101);
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- si le titulaire de la marque et le porteur du nom ne forment qu'une seule et même personne et que la marque en question ne soit pas déceptive à un autre égard (au sujet de cette dernière réserve, cf. l'ATF 77 I 79 "Kübler");
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- si le porteur du nom consent à l'emploi de son patronyme comme marque et qu'il existe entre le déposant et lui un lien de nature à exclure le risque d'une tromperie du public (TROLLER, ibid.; MARBACH, op.cit., p. 104/105 et les références).
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bb) L'emploi, comme marque ou dans une marque, d'un patronyme étranger qui n'est pas connu en Suisse portera peut-être atteinte au droit au nom de tierces personnes et sera subordonné, le cas échéant, à l'accord des intéressés (MARBACH, op.cit., p. 86). En revanche, il ne sera propre à induire le public en erreur que si la marque ainsi constituée revêt le caractère d'une raison de commerce fictive. Pour en juger, on appliquera le critère susmentionné (cf. let. a).
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cc) C'est également sur cette base que devra être appréciée la validité d'une désignation de fantaisie formée d'une suite de lettres ou de syllabes susceptible d'évoquer un nom de famille qui, en réalité, n'existe pas en Suisse (MARBACH, op.cit., p. 106). Il n'est, en effet, pas toujours facile pour le public de savoir si les termes qu'il a sous les yeux constituent un nom de famille ou une désignation de fantaisie: cela se vérifie déjà à propos de vocables qui lui sont familiers (par ex. la marque "Varazzi" qui est très proche du patronyme "Marazzi", connu en Suisse; MARBACH, op.cit., p. 106); mais c'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit d'analyser des mots aux consonances se distinguant nettement, au point de vue phonétique, de celles de l'une des quatre langues nationales de la Suisse ou, plus généralement, de celles des langues indo-européennes (par ex. des mots de type extrême-oriental, tels que "Wan" ou "Wun"). Aussi faut-il savoir gré à l'Office d'avoir posé un critère sûr permettant de faire le départ entre les désignations de fantaisie admissibles comme marques et celles qui ne le sont pas. Le processus de libéralisation dans l'examen des marques, qu'il a instauré avec sa pratique actuelle, est d'autant moins critiquable que la difficulté de former de nouvelles marques verbales ne cesse de s'accroître avec le temps. Dans ces conditions, il est conforme à cette pratique de n'assimiler une désignation de fantaisie à une raison de commerce fictive, et partant d'en refuser l'enregistrement en application de l'art. 14 al. 1 ch. 4 LMF, que si, du fait de sa présentation, elle est propre, selon l'expérience générale, à tromper le public en éveillant chez lui l'idée, erronée, que la marque considérée se rapporte à une personne - physique ou morale - individualisée.
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3. a) Le terme "ELLECI", qui figure dans la marque litigieuse, a été formé à partir des premières lettres, prononcées en italien, des mots "Les Copains", lesquels constituent l'élément essentiel de la raison sociale de la recourante et ont été également enregistrés comme marque à l'instar desdites lettres (L&C). Ce terme n'est pas utilisé comme patronyme en Suisse (RÉPERTOIRE DES NOMS DE FAMILLE SUISSES, 3e éd., vol. I, p. 496). Aux dires de la recourante, qui se fonde à cet égard sur l'examen des annuaires téléphoniques de Zurich, Berne, Genève, Lausanne, Bâle, Lugano, New York, Londres, Madrid, Milan et Rome, un tel patronyme n'existerait tout simplement pas, de sorte qu'il ne saurait être question ici d'un risque de confusion de noms. Pour l'Office, cette circonstance n'est pas déterminante, le mot "ELLECI" donnant déjà, à lui seul, l'impression - fausse - qu'il correspond au nom du titulaire de la marque, impression que le terme "MISS" ne ferait que renforcer.
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b) L'emploi de titres tels que "Miss", "Mademoiselle", "Missis", "Madame", "Mister", "Monsieur", "Lady" ou "Sir", pour la formation des raisons de commerce, à le supposer admissible, n'est en tout cas pas d'usage courant (MARBACH, op.cit., p. 105). Ces termes, du fait de leur large diffusion, ne sont généralement pas perçus comme un renvoi à une personne ou à une entreprise déterminée par le public, lequel y voit bien plutôt un argument publicitaire destiné à une clientèle ciblée. Aussi ne sont-ils de nature à tromper l'acheteur que si le terme qui les accompagne (nom, prénom ou désignation de fantaisie) leur confère un pouvoir d'individualisation suffisant, en particulier s'il s'agit d'un nom patronymique connu en Suisse (par ex. "Monsieur Dupont") ou d'un prénom renvoyant manifestement à une seule personne (par ex. "Lady Di", la référence à la couronne d'Angleterre étant ici évidente).
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En l'occurrence, contrairement à l'opinion de l'Office, la marque litigieuse ne donne pas à penser qu'il existe une relation entre le produit désigné par elle et une entreprise fictive portant le même nom. Le terme de fantaisie "ELLECI" ne correspond, en effet, à aucun patronyme suisse ou étranger et ne possède pas non plus un pouvoir d'individualisation tel que, joint au titre "MISS", il conduirait immédiatement le public à faire le rapprochement entre ladite marque et une raison de commerce inexistante. Dès lors, le recours doit être admis et l'Office invité à procéder à l'enregistrement requis.
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