BGE 125 II 238
 
23. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour de droit public du 8 avril 1999 dans la cause Z. et B. contre Chambre d'accusation du canton de Genève (recours de droit administratif)
 
Regeste
Art. 67a IRSG; unaufgeforderte Übermittlung von Informationen und Beweismitteln.
 
Sachverhalt
Le 6 mars 1998, l'Office fédéral de la police a transmis au Juge d'instruction genevois une demande d'entraide judiciaire, datée du 13 janvier 1998, présentée par le Procureur général de la République d'Ukraine pour les besoins d'une procédure pénale ouverte dans cet Etat pour malversation de biens appartenant à l'Etat ou à la collectivité par appropriation ou détournement de pouvoir, délit réprimé par l'art. 84 du Code pénal ukrainien, mis en relation avec les art. 165 et 166 de la même loi.
Selon l'exposé des faits joint à la demande, S., avec la complicité de P. et de O., aurait détourné un montant de 890'893 USD dans le cadre de l'exécution d'un contrat liant l'administration de l'Etat requérant à la société suisse G. La demande tendait à l'audition des dirigeants de G., ainsi qu'à la remise de documents relatifs à la transaction litigieuse.
La procédure d'exécution de cette demande a été désignée sous la rubrique CP/57/1998.
L'Office fédéral a transmis au Juge d'instruction genevois une demande complémentaire, datée du 14 février 1998. Celle-ci indiquait notamment que l'enquête avait permis de révéler que le ressortissant ukrainien K., soupçonné de blanchiment d'argent, était l'ayant droit de G.. La demande complémentaire tendait à la saisie, auprès de la banque A., de documents relatifs au compte noxxxx, ainsi qu'à l'identification et à la saisie de tous autres comptes bancaires ouverts en Suisse aux noms de S., O. et K.
Le 6 mars 1998, le Procureur général du canton de Genève a ordonné l'ouverture d'une information pénale en vue de déterminer si des délits de blanchissage (art. 305bis CP) ou de défaut de vigilance en matière d'opérations financières (art. 305ter CP) avaient été commis à Genève en relation avec les faits mentionnés dans la demande d'entraide ukrainienne.
Dans le cadre de cette procédure, désignée sous la rubrique P/2489/98, le Juge d'instruction a ordonné, le 17 mars 1998, la saisie auprès de la banque A. de tous les documents relatifs au compte noxxxx et de tous autres comptes ouverts aux noms de S., de P. et de K.
Les investigations conduites par le Juge d'instruction lui ont permis de découvrir l'existence de huit comptes ouverts auprès de la banque A. aux noms des sociétés B., W., E., Z. et C. dont K. est l'ayant droit.
Le dossier de la procédure P/2489/98 contient une note du Juge d'instruction, non datée, relatant la visite, le 27 mars 1998, de Dimitro Mykolaiovitch Moltchanov, Juge d'instruction à Kiev. A cette occasion, le Juge d'instruction a confirmé au Juge Moltchanov qu'il était chargé de l'exécution des demandes d'entraide ukrainiennes et qu'une procédure pénale avait été ouverte à Genève à l'encontre de K. La note indique en outre ce qui suit:
«En application de l'art. 67a EIMP, le Juge lui a précisé que l'instruction de la procédure genevoise avait permis de saisir des montants importants susceptibles d'être d'origine délictueuse. Il a fourni à M. Moltchanov les références des sociétés offshore au nom desquelles avaient été ouverts auprès de la Banque A. les comptes concernés non mentionnés dans les requêtes d'entraide et dont K. apparaissait comme ayant droit économique:
- B.
- W.
- E.
- Z.
- B.
Le Juge a indiqué à M. Moltchanov que ces informations ne valaient pas officiellement moyens de preuve, mais étaient destinées à permettre aux autorités ukrainiennes de délivrer - si elles le jugeaient utile - une commission rogatoire complémentaire aux fins d'obtenir toutes informations sur ces comptes.»
L'Etat requérant a complété sa demande les 7 mars, 31 mars, 7 avril, 21 avril, 30 avril, 13 mai, 21 juillet et 26 juillet 1998.
Le 23 novembre 1998, la Chambre d'accusation du canton de Genève a déclaré irrecevable le recours formé par Z. et B. contre la transmission spontanée d'informations du 27 mars 1998.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit administratif formé par Z. et B. contre cette décision.
 
Extrait des considérants:
2. a) L'entraide judiciaire entre la Confédération suisse et la République d'Ukraine est régie en premier lieu par la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1), conclue à Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la Suisse et le 9 juin 1998 pour l'Ukraine. Dans le domaine du blanchiment, le juge d'instruction a agi uniquement sur la base de l'art. 67a EIMP, comme l'indique le compte-rendu de sa communication du 27 mars 1998, la Convention no141 n'étant pas encore entrée en vigueur pour l'Ukraine à cette époque. En outre, la seule question à trancher est celle de l'aménagement des voies de droit en matière de transmission spontanée d'informations; cet examen, touchant à la procédure en Suisse, se fait exclusivement au regard des prescriptions du droit interne (cf. art. 3 al. 1 CEEJ), soit l'EIMP et l'OEIMP (art. 12 al. 1 EIMP).
La Chambre d'accusation, s'appuyant à cet égard sur les directives de l'Office fédéral de la police (8ème édition, 1998), a considéré que la transmission spontanée de renseignements selon l'art. 67a EIMP n'était pas assimilable à un acte d'entraide ordonné à la demande de l'Etat requérant, mais à une demande suisse présentée à l'étranger; aucune voie de recours ne serait dès lors ouverte contre la transmission spontanée, celle-ci ne constituant en outre ni une décision de clôture au sens de l'art. 80e let. a EIMP, ni une décision incidente au sens de l'art. 80e let. b EIMP. Les recourantes contestent ce point de vue, en soutenant que la transmission spontanée d'informations devrait être assimilée à une décision de clôture de la procédure d'entraide (art. 80d EIMP), voire à une décision incidente antérieure, pouvant l'une et l'autre faire l'objet d'un recours au sens de l'art. 80e EIMP.
a) L'art. 67a EIMP a la teneur suivante:
    «1. L'autorité de poursuite pénale peut transmettre spontanément à une autorité étrangère des moyens de preuve qu'elle a recueillis au cours de sa propre enquête, lorsqu'elle estime que cette transmission:
    a. Est de nature à permettre d'ouvrir une poursuite pénale, ou
    b. Peut faciliter le déroulement d'une enquête en cours.
    2. La transmission prévue au 1er alinéa n'a aucun effet sur la procédure pénale en cours en Suisse.
    3. La transmission d'un moyen de preuve à un Etat avec lequel la Suisse n'est pas liée par un accord international requiert l'autorisation de l'office fédéral.
    4. Les 1er et 2e alinéas ne s'appliquent pas aux moyens de preuve qui touchent au domaine secret.
    5. Des informations touchant au domaine secret peuvent être fournies si elles sont de nature à permettre de présenter une demande d'entraide à la Suisse.
    6. Toute transmission spontanée doit figurer dans un procès-verbal.»
La transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve s'écarte fondamentalement du principe de base de l'entraide internationale en matière pénale, selon lequel l'Etat requis n'agit qu'à la demande de l'Etat requérant (ANDREAS HAFFTER, Internationale Zusammenarbeit in Strafsachen im Spannungsfeld zwischen Denunziation und Verbrechensbekämpfung: Zur Problematik der spontanen Rechsthilfe (Art. 67a IRSG), PJA 1999, p. 116 ss, 117). En transmettant spontanément des renseignements à l'Etat étranger, l'autorité de poursuite pénale sort du rôle passif dans lequel la cantonne la procédure ordinaire de l'entraide en lui permettant d'agir alors même qu'elle n'est pas - ou pas encore - saisie d'une demande étrangère (cf. HAFFTER, op.cit., p. 117; RUDOLF WYSS, Die Revision der Gesetzgebung über die internationale Rechtshilfe in Strafsachen, RSJ 1997, p. 33 ss). Elle peut ainsi envisager une communication spontanée d'informations et de moyens de preuve dès l'instant où elle s'aperçoit, dans le cours de ses investigations, que celles-ci présentent des ramifications internationales ou que les renseignements recueillis seraient de nature à intéresser les autorités pénales d'un Etat étranger. La transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve est envisageable comme forme soit complémentaire, soit anticipée, de la coopération internationale en matière pénale. Elle est complémentaire lorsque l'Etat requis, parallèlement à l'exécution de la demande, livre spontanément à l'Etat requérant, en vue de favoriser sa procédure, des renseignements dont la remise n'avait pas spécifiquement été demandée. Elle est anticipée lorsqu'elle appelle la présentation, par l'Etat destinataire, d'une demande d'entraide. Dans les deux cas de figure, le but recherché est d'éviter que des renseignements utiles à une procédure pénale étrangère demeurent inexploités, faute d'avoir été portés à la connaissance des autorités de l'Etat compétent pour réprimer l'infraction découverte à l'étranger (cf. le Rapport explicatif de la Convention no 141, n. 38 et le commentaire de l'art. 10 de cette Convention par Hans G. Nilsson, in: ANDREA DE GUTTRY/FABRIZIO PAGANI (ed), La cooperazione tra gli Stati in materia di confisca dei proventi di reato e lotta al riciclaggio, Milan, 1993, p. 231 ss, 247; PAOLO BERNASCONI, Rogatorie penali italo-svizzere, Milan, 1997, p. 99/100, 252-254; ROBERT ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, Berne, 1999, no 237/238).
b) Quelle que soit sa forme, la transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve constitue désormais l'un des moyens admissibles de l'entraide prêtée par la Suisse à l'étranger. A cet effet, l'art. 67a EIMP a été inséré dans la troisième partie de la loi régissant les «autres actes d'entraide», c'est-à-dire l'entraide au sens strict ou, selon l'ancienne terminologie, la «petite entraide» ou l'«entraide accessoire». De même, l'art. 10 de la Convention no141 fait partie de la section 2 du chapitre III de cette Convention, consacrée à l'«entraide aux fins d'investigations». Voir dans la transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve une forme de demande suisse à l'étranger, comme le fait l'Office fédéral (Directives relatives à l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, 8ème éd. 1998, ch. 1.2.5) et, à sa suite, la Chambre d'accusation, procède d'une erreur de perspective: le but principal de la transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve est de favoriser le développement de la procédure pénale à l'étranger; elle sert au premier chef les intérêts de l'Etat destinataire des renseignements communiqués. En donnant spontanément des informations, la Suisse agit à l'instar d'un Etat requis, à cette différence près qu'elle est ou bien pas encore saisie d'une demande étrangère, ou bien - comme en l'espèce - saisie d'une demande ne visant pas spécifiquement les informations à remettre spontanément. Sous ce dernier aspect, contrairement à ce que soutiennent les recourantes en jouant sur le sens du mot «spontané», le dépôt antérieur d'une demande d'entraide n'exclut pas ipso facto la possibilité d'une transmission spontanée ultérieure d'informations aux autorités de l'Etat requérant.
Le Juge d'instruction ne s'est d'ailleurs pas mépris sur le fondement de son intervention, puisqu'il s'est référé expressément à l'art. 67a EIMP.
a) La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Toutefois, si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il faut alors rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment les travaux préparatoires, le but et l'esprit de la règle, les valeurs sur lesquelles elle repose, ainsi que sa relation avec d'autres dispositions légales (ATF 124 II 193 consid. 5a p. 199, 5c p. 200, 241 consid. 3 p. 245/246, 265 consid. 3a p. 268, 373 consid. 5 p. 376; ATF 124 V 185 consid. 3a p. 189; ATF 123 II 595 consid. 4a p. 600/601, et les arrêts cités). Pour rendre la décision répondant de manière optimale au système et au but de la loi, le Tribunal fédéral utilise, de manière pragmatique, une pluralité de méthodes, sans fixer entre elles un ordre de priorité (ATF 123 II 464 consid. 3a p. 468; ATF 121 III 219 consid. 1d/aa p. 224-226). Les travaux préparatoires ne sont pas à eux seuls déterminants; ils peuvent être utiles pour éclaircir le sens d'une norme imprécise ou se prêtant à plusieurs interprétations plausibles, mais contradictoires. Plus la loi est récente, moins il sera possible de s'écarter de la volonté clairement affirmée du législateur, notamment pour donner à la loi une portée qui lui a été refusée lors des débats parlementaires (ATF 124 V 185 consid. 3a p. 189/190).
b) L'art. 67a EIMP s'inspire directement de l'art. 10 de la Convention no141, à teneur duquel, sans préjudice de ses propres investigations ou procédures, un Etat peut, sans demande préalable, transmettre à un autre Etat des informations sur des «instruments» et des «produits», tels que définis par l'art. 1er de la Convention, lorsqu'il estime que la communication de ces informations pourrait aider l'Etat destinataire à engager ou à mener à bien des investigations ou des procédures, ou lorsque ces informations pourraient aboutir à la présentation d'une demande d'entraide par cet Etat.
L'art. 67a EIMP représente l'une des principales innovations de la novelle du 6 octobre 1996 (HAFFTER, op.cit., p. 117; PIERRE-DOMINIQUE SCHUPP, La révision de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale, RPS 1997 p. 180 ss, 194/195). Conformément au principe de faveur (cf. ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; ATF 122 II 140 consid. 2 p. 142, 373 consid. 1a p. 375), l'art. 67a EIMP vise à donner une base légale à la transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve par la Suisse à tous les Etats qui ne lui sont pas liés par un traité contenant une norme équivalente. La transmission spontanée d'informations et de moyens de preuve est cependant soumise à des conditions strictes, à peine de voir éludées les règles de l'entraide, spécialement celles protégeant le domaine secret. L'art. 67a EIMP - disposition potestative («Kann-Vorschrift») - doit être utilisé avec réserve; son but n'est pas d'encourager la délation, ni de permettre un flux incontrôlé d'informations vers l'étranger (Message du 29 mars 1995, FF 1995 III p. 1 ss, 25). Le souci de prévenir tout risque d'abus à cet égard, constamment présent à l'esprit du législateur (cf., lors des débats relatifs à la révision de l'EIMP du 6 octobre 1996, les interventions des Conseillers nationaux Sandoz, Schmid, Engler et de Dardel, BO 1995 CN 2638-2640, du Conseiller fédéral Koller, BO 1995 CN 2641, ainsi que celle du Conseiller aux Etats Küchler, BO 1996 CE 229), a amené l'Assemblée fédérale à assortir la transmission spontanée de moyens de preuve (al. 1), d'une série de restrictions. Selon la première, cette mesure ne produit aucun effet sur la procédure pénale en cours en Suisse (al. 2), qu'elle ne paralyse ni ne suspend; selon la deuxième restriction, la transmission de moyens de preuve à un Etat qui n'est pas lié à la Suisse par un accord international est soumis à l'approbation de l'Office fédéral (al. 3); troisièmement, est prohibée la transmission de moyens de preuve touchant au domaine secret (al. 4), celle-ci ne pouvant intervenir que dans le cadre de l'exécution d'une demande d'entraide ordinaire (Message du Conseil fédéral du 29 mars 1995, FF 1995 III p. 1 ss, 25). Est permise en revanche la transmission d'informations touchant au domaine secret, pour autant qu'elle soit de nature à permettre la présentation d'une demande d'entraide à la Suisse (al. 5; l'art. 10 de la Convention no141 ne fait pas cette distinction entre moyens de preuve et informations). La communication de ce type d'informations vise ainsi uniquement à anticiper l'entraide. Enfin, toute transmission doit faire l'objet d'un procès-verbal (al. 6).
c) Au cours des débats parlementaires ayant conduit à la révision du 6 octobre 1996, la commission du Conseil national avait proposé d'amender l'al. 1 de l'art. 67a EIMP en vue de limiter la transmission spontanée aux seuls cas graves et de portée internationale (cf. BO 1995 CN 2637 et les interventions des Conseillers nationaux Engler, rapporteur de langue allemande, BO 1995 CN 2639, et de Dardel, rapporteur de langue française, BO 1995 CN 2639/2640), d'une part, et de biffer l'al. 4 de l'art. 67a EIMP proposé par le Conseil fédéral (BO 1995 CN 2637), d'autre part. Le Conseiller national Schmid avait proposé de biffer l'al. 5 de cette disposition (BO 1995 CN 2637, 2638/2639). Quant à Mme Sandoz, elle avait proposé de maintenir les al. 4 et 5 du projet gouvernemental, tout en lui adjoignant un nouvel al. 6 exigeant, pour chaque transmission, l'établissement d'un procès-verbal (BO 1995 CN 2637/2638). Dans un premier temps, la proposition de la commission parlementaire relative à l'al. 1 de l'art. 67a EIMP avait trouvé le soutien du Conseil national (BO 1995 CN 2641), alors que les al. 4 et 5 étaient adoptés dans la version proposée par le Conseil fédéral, et l'al. 6 ajouté selon l'amendement présenté par Mme Sandoz (BO 1995 CN 2642). Le Conseil national a modifié ultérieurement sa position relative à l'art. 67a al. 1, pour adopter en fin de compte le texte présenté initialement sur ce point par le Conseil fédéral (BO 1995 CN 2652). Le Conseil des Etats s'est rallié sans discussion au texte issu des débats du Conseil national (BO 1996 CE 229).
d) La loi ne limite pas les moyens de la transmission spontanée au sens de l'art. 67a EIMP. Le législateur a non seulement renoncé à édicter toute prescription de forme dans ce domaine, mais a même envisagé la possibilité de communications les plus informelles - téléphoniques ou verbales (cf. les prises de position du Conseiller national Schmid, BO 1995 CN 2638, et du Conseiller fédéral Koller, BO 1995 CN 2641). D'un autre côté, le législateur a cherché à prévenir, dans toute la mesure du possible, le risque de voir éludées les normes régissant l'entraide par la transmission incontrôlée et informelle de renseignements, en particulier ceux touchant au domaine secret. A cette fin, il a distingué la transmission de moyens de preuve et celle des informations (cf. ci-dessus consid. 5b). A aucun stade des travaux préparatoires, il n'a été fait mention dans ce contexte de la possibilité d'un contrôle judiciaire direct de la transmission spontanée d'informations, ce qui explique que le législateur n'a pas désigné expressément la transmission spontanée comme objet de recours selon l'art. 80e EIMP. Il a ainsi vu en elle un acte d'entraide matériel spécifique, soumis à aucune condition de forme particulière, hormis l'établissement d'un simple procès-verbal pour toute transmission spontanée. L'intervention de Mme Sandoz, à l'origine de l'introduction de l'al. 6 de l'art. 67a EIMP, est éclairante sur ce point: le procès-verbal vise simplement à conserver une «trace» de la transmission (BO 1995 CN 2638/2639). Ce document permet ainsi à l'Office fédéral - outre le cas spécial de l'art. 67a al. 3 EIMP - d'exercer sa fonction de surveillance des autorités d'exécution (art. 3 OEIMP; cf. ci-dessous consid. 6c). Si la transmission impliquait le prononcé d'une décision au sens formel - avec toutes les conséquences qui s'ensuivent sous l'angle du droit d'être entendu -, l'établissement d'un procès-verbal constituerait une mesure vide de sens, l'Office fédéral étant partie à la procédure d'entraide soit comme autorité de surveillance, soit comme autorité habilitée à recourir (art. 80h let. a EIMP).
a) Si la transmission spontanée d'informations a pour effet, comme en l'espèce, d'amener les autorités de l'Etat destinataire à compléter une demande d'entraide préexistante, la personne touchée dispose de la faculté de soulever le grief de la violation de l'art. 67a EIMP dans le cadre d'un éventuel recours formé contre la décision de clôture de l'entraide (cf. par exemple l'arrêt non publié E. du 24 février 1998, consid. 2) - pour autant, naturellement, qu'elle ait qualité pour le faire et puisse se prévaloir à cette fin d'un intérêt digne de protection. En cas de constat de violation de l'art. 67a EIMP dans ce contexte, en raison d'un défaut d'autorisation de l'Office fédéral, ou de la transmission de moyens de preuve touchant au domaine secret, ou encore de l'absence de procès-verbal (art. 67a al. 3, 4 et 6 EIMP), l'autorité d'exécution pourrait être invitée à tenter d'obtenir la restitution des pièces communiquées à tort ou, à tout le moins, l'engagement de l'Etat destinataire de ne pas les utiliser dans sa procédure pénale. Une telle démarche serait toutefois superflue s'il apparaissait, après coup, que les conditions de l'entraide étaient de toute manière remplies ou lorsqu'on peut s'attendre, dans un proche avenir, à une décision positive quant à l'octroi de l'entraide (cf. arrêt non publié R. du 7 novembre 1996, consid. 3d/cc).
b) Si la transmission spontanée d'informations par l'autorité suisse ne conduit pas à la présentation d'une demande d'entraide de la part de l'Etat destinataire, la personne touchée ne pourra faire valoir aucun intérêt juridique, au sens de l'art. 80h let. b EIMP, justifiant l'intervention du juge suisse de l'entraide.
c) En interprétant l'art. 67a EIMP selon la méthode téléologique restrictive (cf. ATF 121 III 219 consid. 1d/aa p. 324-326) - dont l'application est en l'espèce la plus appropriée (cf. l'art. 1 al. 2 et 3 CC) compte tenu de la clarté des travaux préparatoires et du caractère récent de la loi -, il convient de souligner que si le législateur a voulu faire de la transmission spontanée d'informations un moyen efficace de la coopération internationale en matière pénale, il n'a pas voulu pour autant abandonner les mécanismes traditionnels de l'entraide judiciaire, s'agissant notamment du respect des formes de la procédure et de la protection des droits fondamentaux (consid. 5b-d ci-dessus). Prolongeant selon ce double objectif la volonté du législateur dans un sens qui renforce l'efficacité de la norme, l'art. 67a EIMP doit être compris comme exigeant que la transmission spontanée d'informations doit dans tous les cas faire l'objet d'une communication écrite aux autorités de l'Etat destinataire (dans ce sens aussi: HAFFTER, op.cit., p. 121, et ZIMMERMANN, op.cit., no237 in fine), cette communication devant de surcroît être portée dans tous les cas à la connaissance de l'Office fédéral. Immédiatement et directement averti de toutes les communications spontanées, celui-ci sera en mesure d'exercer effectivement sa tâche de surveillance des autorités d'exécution, fédérales et cantonales (art. 3 OEIMP). Si, dans ce cadre, l'Office fédéral devait constater des abus, il lui incomberait d'intervenir auprès de l'autorité concernée. Cette surveillance lui permettra aussi de mesurer précisément - d'un point de vue quantitatif et qualitatif - les effets du nouvel instrument d'entraide prévu par l'art. 67a EIMP.
d) Concrètement, l'autorité suisse chargée de la poursuite pénale pourra transmettre spontanément des informations et des moyens de preuve en application de l'art. 67a EIMP - aux conditions fixées par cette norme -, y compris de manière informelle. Elle devra toutefois, à chaque fois, communiquer à l'autorité étrangère une relation écrite des renseignements transmis. L'exigence d'une communication écrite s'impose en vue d'assurer la protection optimale des droits des parties à la procédure étrangère, laquelle doit respecter les principes de procédure fixés par la CEDH et le Pacte ONU II (art. 2 let. a EIMP). Ainsi, la personne accusée à l'étranger - ou tout autre partie à cette procédure - pourra, en consultant le dossier pénal contenant la relation écrite de la transmission spontanée, connaître l'origine et le contenu des informations recueillies grâce à la collaboration des autorités suisses. Elle pourra, le cas échéant et selon les formes du droit étranger, s'opposer à l'utilisation de renseignements qui auraient été obtenus de manière illégale. L'autorité suisse communiquant spontanément des informations à l'étranger établira sur-le-champ le procès-verbal visé à l'art. 67a al. 6 EIMP, qu'elle transmettra dans tous les cas à l'Office fédéral avec la copie de la note remise aux autorités étrangères, rendant ainsi visible la mention transmission spontanée.
e) Les personnes au sujet desquelles des informations sont transmises spontanément en application de l'art. 67a EIMP - ou de toute autre norme analogue contenue dans un traité - ne sauraient en revanche prétendre pouvoir recourir contre ces communications. Une telle intervention dans la procédure d'entraide irait à l'encontre de la volonté du législateur et du but de la loi. Elle comporterait de surcroît un risque élevé d'abus lorsque, comme en l'espèce, ce n'est pas la personne accusée dans la procédure pénale étrangère qui entend s'opposer à la transmission spontanée, mais des tiers. Il n'est pas davantage nécessaire d'exiger de l'autorité d'exécution communiquant spontanément des renseignements et des moyens de preuve selon l'art. 67a EIMP, qu'elle notifie aux personnes concernées une copie de la communication écrite transmise aux autorités étrangères: une telle mesure irait au-delà de ce qui est nécessaire pour la protection de ces personnes et reviendrait en fin de compte à leur accorder le droit de recourir contre la transmission spontanée, ce que la loi leur a précisément refusé.
f) En l'espèce, la Chambre d'accusation n'a pas violé le droit fédéral en estimant que la communication du 27 mars 1998, faite dans le cadre de la procédure P/2489/98, n'était pas attaquable en l'état pour violation de l'art. 67a EIMP. Un tel grief pourrait tout au plus être soulevé à l'appui d'un recours dirigé contre une décision de clôture de la procédure d'entraide désignée sous la rubrique CP/57/98, pour autant que les autres conditions de recevabilité soient remplies. Quant au Juge d'instruction, on ne saurait lui reprocher de n'avoir pas consigné sous une forme écrite les renseignements communiqués oralement le 27 mars 1998, ni transmis le procès-verbal à l'Office fédéral, ces exigences ne lui étant pas opposables à cette époque.