BGE 106 III 114
 
25. Arrêt de la Ire Cour civile du 9 décembre 1980 dans la cause Fer contre Masse en faillite d'Alduc S.A. (recours en réforme)
 
Regeste
Verrechnung im Konkurs (Art. 213 und 214 SchKG).
2. Art. 214 SchKG setzt eine Täuschungsabsicht voraus. Fehlen einer solchen im vorliegenden Fall (E. 4).
 
Sachverhalt
A.- Bernard Fer était débiteur de 246'184 fr. 70 envers Alduc S.A. Il s'était aussi porté caution à concurrence de 450'000 fr. pour le compte courant que cette société avait ouvert auprès de l'Union de banques suisses. Le 15 juin 1976, Fer apprit qu'Alduc S.A. allait déposer son bilan. Le 24 juin, il donna à l'Union de banques suisses l'ordre de prélever 246'184 fr. 70 sur ses avoirs et d'en créditer le compte courant de la société. Fer agissait sur les conseils de la banque et entendait à la fois se libérer en partie de son cautionnement et éteindre sa dette envers Alduc S.A. Il fit préciser dans l'avis de crédit adressé à la société que le paiement était fait en remboursement "de son compte courant débiteur" chez elle. La banque lui confirma le lendemain l'exécution de l'ordre et la réduction de ses obligations de caution à 203'815 fr. 30.
Alduc S.A. fut déclarée en faillite le 9 juillet 1976. La masse réclama à Fer le paiement des 246'184 fr. 70. Fer fit valoir qu'il avait versé cette somme à l'Union de banques suisses comme caution et qu'il était subrogé dans les droits de la banque jusqu'à due concurrence. Il déclara compenser sa créance récursoire avec les prétentions de la masse, laquelle invoqua l'art. 214 LP pour contester la compensation.
B.- La masse en faillite de la société Alduc S.A. a ouvert contre Bernard Fer une action en paiement de 246'184 fr. 70, avec intérêt.
Par jugement du 2 juin 1980, le Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a admis la demande, écarté le moyen tiré de la compensation et condamné le défendeur au paiement de 246'184 fr. 70 avec intérêt à 5% dès le 17 avril 1977.
C.- Le défendeur a déposé un recours en réforme tendant au rejet de l'action pour cause de paiement ou de compensation.
Le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé le jugement attaqué et débouté la demanderesse.
 
Considérant en droit:
Le défendeur conteste la tardiveté du moyen tiré du paiement. Ce point relève du droit cantonal et ne saurait être revu en instance de réforme. Il n'est d'ailleurs pas décisif. La cour cantonale a justement rejeté le moyen sur le fond. La dette d'une somme d'argent est présumée portable (art. 74 al. 2 ch. 1 CO). Les parties peuvent convenir d'un autre mode de paiement et le créancier peut même autoriser tacitement son débiteur à se libérer auprès d'un tiers. Ainsi, celui qui se fait ouvrir un compte de chèques postaux et en informe le public est censé reconnaître l'effet libératoire des versements opérés à ce compte (ATF 55 II 201ss). Cependant rien dans les faits constatés par la cour cantonale ne permet de considérer que la demanderesse ait implicitement autorisé, par son attitude, le défendeur à s'acquitter de sa dette auprès de l'Union de banques suisses. Avant de donner son ordre de virement à la banque, le défendeur aurait dû préciser à la demanderesse qu'il entendait ainsi se libérer de sa dette envers elle. La demanderesse aurait alors pu s'y opposer et faire valoir que la banque n'était ni cessionnaire de la créance ni domicile de paiement. Le défendeur n'a donc pu se libérer de sa dette par son virement. Il s'est en revanche acquitté des engagements qu'il avait contractés envers la banque comme caution. Il a remboursé une partie du compte dont il garantissait le découvert. L'attitude ultérieure du défendeur confirme cette interprétation. Dans ses pourparlers avec la demanderesse, il a constamment soutenu être subrogé dans les droits de la banque. Il a déclaré compenser sa créance récursoire avec sa dette, dont il reconnaissait par là l'existence.
2. Il n'est pas établi que la créance de l'Union de banques suisses contre la demanderesse fût exigible avant l'ouverture de la faillite. Le 24 juin 1976, le défendeur n'était donc pas encore tenu de désintéresser la banque, mais il était en droit de le faire avec son accord (art. 504 al. 3 CO). Cet accord est constant. Par son paiement, le défendeur a été subrogé dans les droits de la banque. Il ne pouvait cependant faire valoir sa prétention récursoire avant l'exigibilité de la créance principale (art. 504 al. 3 et 507 al. 1 CO). La faculté de compenser lui a été ouverte par le prononcé de la faillite de la demanderesse. En effet, l'ouverture de la faillite rend exigibles toutes les créances contre le failli, y compris donc celles dans lesquelles la caution a été subrogée par son paiement anticipé (art. 208 LP). De plus, les créanciers ont le droit, dans la faillite de leur débiteur, de compenser leurs créances, même si elles ne sont pas exigibles, avec celles que le failli peut avoir contre eux (art. 123 al. 1 CO). L'exercice de la compensation dans la faillite est toutefois soumis aux restrictions prévues aux art. 213 et 214 LP.
3. Aux termes de l'art. 213 al. 2 ch. 1 LP, la compensation n'a pas lieu lorsque le débiteur du failli est devenu son créancier postérieurement à l'ouverture de la faillite. La cour cantonale a jugé à bon droit que cette disposition ne s'applique pas au défendeur. C'est en effet au moment où il a désintéressé la banque créancière qu'il a acquis, par subrogation, une créance récursoire contre la demanderesse. Peu importe que ses droits n'aient pas été immédiatement exigibles. L'article précité exclut la compensation si la créance opposée à celle de la masse tire sa cause juridique d'un fait postérieur à l'ouverture de la faillite (JAEGER, Commentaire de la loi sur la poursuite, n. 9 ad art. 213). La faculté de compenser reste en revanche ouverte lorsque la créance est affectée d'un terme, mais a sa source dans un acte antérieur au prononcé de faillite. Le texte clair de l'art. 123 al. 1 CO interdit une autre solution.
4. L'art. 214 LP permet de contester la compensation lorsque le débiteur du failli a acquis, avant l'ouverture de la faillite, mais en ayant connaissance de l'insolvabilité de son créancier, une créance contre lui en vue de se procurer, par la compensation, un avantage au préjudice de la masse. La cour cantonale a appliqué cette disposition. Le défendeur connaissait, le 24 juin 1976, l'imminence de la faillite de la demanderesse. Il a exécuté par anticipation ses engagements de caution envers l'Union de banques suisses pour acquérir par subrogation une créance qu'il entendait opposer en compensation à la demanderesse. Ces seuls éléments ne justifient toutefois pas l'application de l'art. 214 LP. Cette disposition d'exception ne saurait être interprétée de manière extensive (ATF 95 III 88). Le législateur a voulu prévenir des abus. L'art. 214 LP vise les manoeuvres déloyales de nature à vider la masse de sa substance ou à compromettre l'égalité des créanciers. Il empêche qu'un débiteur de l'insolvable ne se libère au moyen de créances acquises à vil prix. Il déjoue également les manoeuvres des créanciers de l'insolvable qui cèdent leurs droits à certains de ses débiteurs pour se procurer ainsi une somme supérieure au dividende de faillite (ATF 14 p. 641 s.). L'application de l'art. 214 LP suppose donc une intention frauduleuse qui fait défaut en l'espèce. Le défendeur n'a pas noué de rapport juridique nouveau pour acquérir la créance opposée en compensation, pas plus qu'il n'est intervenu dans des relations auxquelles il n'aurait pas été partie. Il n'a fait qu'exercer une faculté qu'il tirait d'un rapport juridique antérieur et que la loi lui reconnaissait expressément à l'art. 504 al. 3 CO.