33. Extrait de l'arrêt de la Chambre des poursuites et des faillites du 14 décembre 1981 dans la cause Rockoil S.A. (recours LP)
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Regeste
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Örtliche Zuständigkeit bei der Arrestierung von Forderungen, die nicht in Wertpapieren verkörpert sind und deren Inhaber im Ausland wohnt (Art. 272 SchKG).
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Sachverhalt
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Les sociétés Rockoil S.A., à Panama, et Ducoil Trading AG, à Vaduz, ont conclu un contrat de vente portant sur du kérosène. Sur ordre de l'acheteuse, Rockoil S.A., la Banque de Paris et des Pays-Bas, Suisse, S.A. (Paribas) a émis un crédit documentaire pour le paiement du prix de vente. Rockoil S.A. a également invité Paribas à souscrire une garantie de bonne exécution ("performance bond") couvrant le risque pour la venderesse que l'acheteuse ne prît pas livraison de la marchandise. Paribas a exécuté cet ordre en adressant de son siège de Genève à sa succursale de Lugano le télex qui suit, daté du 7 octobre 1980 et confirmé par lettre du surlendemain:
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"Par ordre et pour le compte de notre client, Rockoil S.A., Panama, nous émettons par la présente notre garantie irrévocable de bonne exécution no 12326, en faveur de Ducoil Trading AG, Vaduz, pour un montant ne dépassant pas 450'000 dollars américains, garantie entrant en vigueur immédiatement et expirant à Lugano le 31 décembre 1980; cette garantie a pour objet la bonne exécution par notre client de ses engagements selon la lettre de crédit no 27552 émise par nous le 29 août 1980, savoir que notre client, au plus tard le 30 novembre 1980, prendra livraison, à Augusta, Sicile, d'environ 6000 tonnes de kérosène... d'après les modalités de la lettre de crédit.
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Les fonds dus en vertu de la présente garantie de bonne exécution seront disponibles à vue, sans exception aucune, sur présentation à Paribas Lugano d'une déclaration écrite de Ducoil Trading AG précisant que Rockoil S.A., Panama, a manqué à son obligation de prendre livraison de la marchandise en conformité des conditions du contrat."
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On ne sait de quelle manière la succursale tessinoise de Paribas a donné connaissance de cet engagement à la société bénéficiaire.
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Le 9 janvier 1981, Rockoil S.A. a obtenu du Président du Tribunal de première instance de Genève une ordonnance de séquestre contre Ducoil Trading AG pour une créance de 798'705 fr. La mesure portait sur la "créance de Ducoil Trading AG, Vaduz, contre la Banque de Paris et des Pays-Bas, Suisse, S.A., résultant du "performance bond" no 12326 du 9 octobre 1980".
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Après avoir exécuté le séquestre par un télex adressé au siège de Paribas, à Genève, l'Office des poursuites de Genève a décidé de constater la nullité de la mesure pour défaut de compétence à raison du lieu. A son avis, la créance à mettre sous main de justice était dirigée contre la succursale de Paribas à Lugano et le séquestre relevait donc des autorités tessinoises. Rockoil S.A. a déposé contre cette décision une plainte que l'Autorité de surveillance des offices de poursuite pour dettes et de faillite du canton de Genève a rejetée le 9 septembre 1981. Le Tribunal fédéral a admis le recours de Rockoil S.A. et reconnu la compétence locale des autorités genevoises pour mettre sous main de justice la créance de Ducoil Trading AG contre Paribas.
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Extrait des considérants:
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Les créances non incorporées dans des papiers-valeurs sont en principe séquestrées au domicile de leur titulaire, le débiteur poursuivi. Si, comme en l'espèce, cet ayant droit n'est pas domicilié en Suisse, la créance est séquestrée au domicile ou au siège du tiers débiteur (ATF 103 III 90, ATF 102 III 99 s. consid. 2 et les arrêts cités). L'Autorité de surveillance n'a pas entendu s'écarter de la règle, mais a jugé que la mise sous main de justice doit se faire au lieu de la succursale du tiers débiteur lorsque la créance à séquestrer est liée à l'activité de cet établissement. Dans un arrêt du 16 octobre 1954, en effet, la Chambre de céans a dénié au créancier poursuivant le droit de faire séquestrer globalement au siège d'une banque tous les avoirs que le débiteur pourrait posséder dans chacune des succursales ou agences suisses de l'entreprise. Elle a considéré que le séquestre doit être ordonné et exécuté au siège de la succursale s'il porte sur des créances que le débiteur, domicilié à l'étranger, tire d'affaires traitées avec cette succursale (ATF 80 III 122 ss). La Chambre de céans n'entend pas abandonner cette jurisprudence. Elle doit néanmoins préciser que l'application du principe énoncé dans l'arrêt précité se limite aux prétentions issues d'opérations, telles les relations de compte courant, dont la localisation au siège d'une succursale peut se faire de manière indiscutable. L'idée même d'un lieu de situation d'une créance est une fiction (ATF 63 III 44 s.). Les droits, réalités d'essence immatérielle, ne sont pas susceptibles d'être localisés dans l'espace et l'autorité ne peut que déterminer le lieu où se déroulent les actes et les faits qui sont la source ou la conséquence de la prétention en cause. Or le résultat de cet examen prête parfois à discussion quand la créance à séquestrer a sa cause dans une opération commerciale où interviennent, outre la banque, un donneur d'ordre et un bénéficiaire qui peuvent avoir traité l'un avec le siège et l'autre avec une succursale. Force est donc d'établir une présomption, valable dans tous les cas où l'on ne peut déterminer, sans doute possible, si la transaction dont est issue la prétention à mettre sous main de justice se rattache à l'activité du siège ou de la succursale du tiers débiteur. La jurisprudence autorise le séquestre des créances au domicile ou au siège du tiers débiteur lorsque l'ayant droit demeure à l'étranger (ATF 103 III 90, ATF 91 III 23, ATF 76 III 19, 63 III 44). La localisation auprès d'une succursale représente dès lors une exception. Les faits qui la justifient doivent être prouvés et constituer indubitablement un point de rattachement prépondérant avec la succursale.
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b) Le séquestre ordonné en l'espèce a frappé une créance issue d'une opération désignée avec précision, sur l'identité de laquelle ni le siège genevois ni la succursale tessinoise de Paribas ne pouvaient avoir la moindre hésitation. Point n'est besoin de qualifier juridiquement cet acte, car la compétence de l'autorité de séquestre ou du préposé chargé de l'exécution ne saurait dépendre d'une analyse détaillée des rapports juridiques dont découle la prétention à mettre sous main de justice. Il suffit de relever que la recourante a chargé Paribas, en s'adressant à son siège de Genève, de contracter un engagement envers Ducoil Trading AG. La banque a exécuté cet ordre par une communication faite de son siège genevois à sa succursale tessinoise. Ni la décision attaquée, ni les pièces du dossier ne permettent de déterminer de quelle manière l'engagement pris par la banque a été porté à la connaissance de la société bénéficiaire. Ducoil Trading AG a certes produit des pièces établissant que les discussions sur l'exécution des obligations contractées par Paribas se sont déroulées avec la succursale de Lugano. Dans les références de cette correspondance, toutefois, tant la succursale tessinoise que la société bénéficiaire ont désigné l'opération en cause comme une garantie bancaire émise par le siège genevois de Paribas ("Re: Performance bond no 12326 for US $ 450'000.-- of Banque de Paris et des Pays-Bas (Suisse) S.A. Geneva, dated 9.10.1980"; "Oggetto: Performance bond no 12326 di US $ 450'000.-- emessa dalla nostra sede di Ginevra in Vostro favore"). Ces éléments ne suffisent pas pour affirmer de manière catégorique que la garantie bancaire de Paribas relève de la sphère d'activité de sa succursale de Lugano et non de son siège principal de Genève. Il y a dès lors lieu de s'en tenir à la présomption établie en faveur du for au siège du tiers débiteur. Partant, l'Office des poursuites de Genève était compétent "ratione loci" pour exécuter le séquestre ordonné le 9 janvier 1981, qui frappait la créance de Ducoil Trading AG contre Paribas.
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L'Autorité de surveillance a jugé à tort que le lieu où la créance à séquestrer peut ou doit être payée détermine la compétence pour ordonner et exécuter la mesure. Un tel critère conduirait à une impasse lorsque la prétention à mettre sous main de justice porte sur une somme d'argent due à une personne domiciliée à l'étranger, en vertu d'un contrat soumis au droit suisse (art. 74 al. 2 ch. 1 CO). Et les conventions éventuelles sur le lieu du paiement peuvent être conclues sans forme. On ne saurait exiger du créancier séquestrant qu'il en ait connaissance quand il s'adresse à l'autorité de séquestre.
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