BGE 116 III 70 |
16. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 20 novembre 1990 dans la cause E. contre Cour de cassation civile du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (recours de droit public) |
Regeste |
1. Willkürliche Ausübung der Überprüfungsbefugnis des freiburgischen Zivilkassationshofes. |
2. Art. 82 OR. |
Art. 82 OR nicht auf Gesellschaftsverträge anzuwenden, ist nicht willkürlich (E. 3). |
Extrait des considérants: |
a) Aux termes de l'art. 310 al. 1 let. a CPC frib., le recours en cassation est recevable pour violation manifeste du droit applicable au fond.
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Selon la jurisprudence du Tribunal cantonal fribourgeois, est manifeste la violation de toute disposition de droit matériel qui, après un examen approfondi, ne souffre qu'une interprétation; si plusieurs interprétations sont possibles, une violation manifeste ne saurait être invoquée; même une interprétation erronée, si elle est concevable, ne viole pas manifestement le droit applicable au fond (Extraits 1977, p. 67; 1974, p. 5/6; 1972, p. 72). Toute application discutable du droit matériel ne peut donc pas être sanctionnée en cassation. La législation exige une violation qualifiée du droit et se rattache ainsi à la solution adoptée par la majorité des codes de procédure civile cantonaux, qui ouvrent la voie de la cassation en cas de "Verletzung klaren Rechts" ou de "offenbare Verletzung einer Rechtsnorm". Il faut que le juge ait appliqué le droit de manière absolument contraire au sens de la loi, tel qu'il a été fixé après un examen approfondi par une jurisprudence constante ou l'unanimité des meilleurs auteurs. Lorsque, sur une question de droit, de bons auteurs sont partagés, il n'est pas dans le rôle de la Cour de cassation d'annuler le jugement qui préfère une opinion à une autre. La cassation est également exclue lorsque, sur l'interprétation d'une disposition légale, s'élèvent des doutes sérieux qui n'ont été résolus ni par une jurisprudence constante, ni par les auteurs (Extraits 1969, p. 127/128; 1958, p. 55 ss, notamment p. 62, et p. 108 ss, not. p. 111). Dans la définition de l'arbitraire, les cours cantonales tendent à se ranger à la jurisprudence dégagée par le Tribunal fédéral de l'art. 4 Cst.; ainsi à Fribourg (Extraits, 1977, p. 67).
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Commentant l'art. 310 al. 1 let. a CPC frib., DESCHENAUX/CASTELLA définissent dans les mêmes termes la notion de violation manifeste du droit applicable au fond: il faut que l'application du droit soit insoutenable, objectivement arbitraire; la cassation suppose que le droit ait été appliqué d'une manière absolument contraire au sens de la loi, tel qu'il a été fixé par une jurisprudence constante ou la quasi-unanimité des meilleurs auteurs (cf. La nouvelle procédure fribourgeoise, p. 208/209).
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b) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'autorité cantonale qui réexamine librement la cause, alors qu'elle ne jouit que d'une cognition limitée, tombe dans l'arbitraire (ATF 109 II 171 /172 consid. 2, ATF 104 Ia 414); sa décision ne sera toutefois annulée que si elle est arbitraire dans son résultat, et non seulement dans sa motivation (ATF 109 II 172 consid. 3). Saisi d'un recours de droit public, fondé sur l'art. 4 Cst., contre une décision de l'autorité cantonale de dernière instance dont la cognition était limitée à la violation manifeste de la loi applicable au fond, le Tribunal fédéral examine librement si l'autorité cantonale a nié - ou admis - à tort une violation manifeste du droit matériel (ATF 112 Ia 351; ATF 111 Ia 355).
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c) En l'espèce, le premier juge devait examiner si la clause 5 al. 2 du contrat du 24 novembre 1988 constituait une reconnaissance de dette et, le cas échéant, si la créance invoquée par la poursuivante sur la base de cette clause était exigible. La poursuivie excipait de sa libération en se prévalant de l'inexécution par la poursuivante de ses propres obligations. Il fallait donc se demander si la déclaration prévue par l'art. 5 al. 2 du contrat devait être remise aux seules conditions prévues par cette clause ou si la poursuivie n'y était tenue que pour autant que les autres obligations contractuelles aient été exécutées. Le premier juge a certes admis qu'une convention forme en principe un tout. Toutefois, rien n'empêche les parties de prévoir que tout ou partie des engagements pris de part ou d'autre puissent être exécutés séparément et à des moments déterminés. Or, la convention et ses suppléments ne contiennent aucune clause générale liant l'exécution des obligations consenties. La créance de l'art. 5 al. 2 est donc exigible, nonobstant l'éventuelle inexécution des autres clauses de la convention. La clause litigieuse constitue par conséquent une reconnaissance de dette pour le montant de 2,25 millions de US$.
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La cour cantonale devait examiner si le premier juge avait manifestement violé l'art. 82 LP, à savoir s'il était insoutenable de considérer que la créance invoquée par la poursuivante était exigible, partant, dire en quoi il était inadmissible, et non seulement erroné, de n'avoir pas appliqué l'art. 82 CO aux obligations liant les parties. La cour cantonale ne s'est pas bornée à cet examen restreint, que lui impose l'art. 310 al. 1 let. a CPC frib. Elle a librement réexaminé la cause, substituant sa propre interprétation de l'accord du 24 novembre 1988 à celle du premier juge. On cherche vainement dans la décision attaquée une argumentation tendant à démontrer que l'interprétation retenue par le premier juge était insoutenable et en quoi il était inadmissible de ne pas appliquer l'art. 82 CO. Ce faisant, la cour cantonale est tombée dans l'arbitraire.
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3. Comme on l'a vu (cf. supra, ch. 2b), la décision attaquée ne saurait toutefois être annulée que si elle est arbitraire dans son résultat. C'est ce que soutient la recourante. A son avis, l'opinion selon laquelle l'art. 82 CO n'est pas applicable aux contrats de société est non seulement compatible avec le texte légal mais conforme à la doctrine dominante; elle ne saurait dès lors être qualifiée d'arbitraire.
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a) Par leur accord du 24 novembre 1988, les parties sont convenues de liquider leur "joint-venture" du 1er juillet 1988; elles s'engageaient à mettre en commun leurs efforts pour atteindre ce but; leurs droits et obligations étaient réglés de manière inégale; les prestations de chacune d'elles, dont le contenu était différent, étaient réunies en vue du but commun, et non échangées. On est en présence de la liquidation d'une société simple, au sens des art. 530 ss CO (ATF 104 II 111 consid. 2).
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b) Aux termes de l'art. 82 CO, celui qui poursuit l'exécution d'un contrat bilatéral doit avoir exécuté ou offert d'exécuter sa propre obligation, à moins qu'il ne soit au bénéfice d'un terme d'après les clauses ou la nature du contrat. Selon le texte même de l'art. 82 CO et le titre marginal des art. 82 et 83, ces dispositions s'appliquent aux contrats bilatéraux.
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Selon la jurisprudence, l'art. 82 CO vise directement les prestations d'un seul et même contrat synallagmatique promises l'une en échange de l'autre, soit celles qui dépendent l'une de l'autre pour leur naissance et leur exécution (ATF 107 II 413 consid. 1 et les références). Il n'est pas directement applicable aux contrats bilatéraux imparfaits, mais par une analogie fondée sur le droit de rétention personnel, en vertu duquel une partie peut refuser sa prestation tant que la contre-prestation issue du même contrat ne lui est pas assurée (ATF 94 II 267 consid. 3a et les références). A ce jour, le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé sur une éventuelle application, par analogie, de l'art. 82 CO aux contrats de société, dans lesquels les prestations dues par chacune des parties sont réunies en vue d'un but commun.
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Pour WEBER (n. 75 ad art. 82 CO), l'art. 82 CO n'est pas applicable au contrat de société, car il ne s'agit pas d'un contrat bilatéral. La simultanéité des prestations n'est pas essentielle et celles-ci ne sont pas dans un rapport d'échange. Le fait qu'une prestation est effectuée avant l'autre ne modifie pas le rapport de collaboration; l'intérêt commun l'emporte sur l'intérêt individuel; si une partie pouvait retenir sa prestation parce qu'une autre n'aurait pas effectué la sienne, il s'ensuivrait une paralysie de la société. La cause de l'obligation sociale réside dans la qualité de membre. Au besoin, l'art. 2 CC permet d'apporter un correctif: le comportement d'un associé qui ne s'acquitte pas de sa prestation peut constituer un abus de droit. OSER/SCHÖNENBERGER (n. 4 ad art. 82 CO), de même que BECKER (n. 12 ad art. 82 CO), estiment eux aussi que l'art. 82 CO n'est pas applicable à la société simple, qui n'est pas un contrat bilatéral au sens de cette disposition; ce dernier auteur exclut en tout cas l'application de l'art. 82 CO lorsque la société simple lie plus de deux parties. Pour MEIER-HAYOZ/FORSTMOSER (Grundriss des schweizerischen Gesellschaftsrechts, 5e éd., par. 1, n. 44 et 45), l'art. 82 CO n'est en principe pas applicable aux contrats de société, faute d'un lien de réciprocité entre les prestations. GAUCH/SCHLUEP/TERCIER (Partie générale du droit des obligations, 2e éd., vol. II, n. 1332) ne traitent pas de cette question précise, ni VON TUHR/ESCHER (Allgemeiner Teil des Obligationenrechts, vol. II, p. 57 à 69); ces derniers semblent toutefois n'admettre l'application de l'art. 82 CO qu'aux contrats bilatéraux (cf. notamment p. 57/58 ch. I, p. 63 et p. 67/68 ch. VIII). GUHL/MERZ/KUMMER (Das schweizerische Obligationenrecht, 7e éd., p. 564) partagent en principe cette opinion, mais avec une réserve. Dans la société simple, les parties n'échangent pas leurs prestations mais chacun fournit la sienne en vue du but commun; si un associé ne la fournit pas, un autre ne peut invoquer l'exception non adimpleti contractus, à moins que la disposition à exécuter le contrat ne fasse aussi défaut chez d'autres associés, au point que l'apport de la contribution sollicitée ne change rien à l'absence générale de la volonté de coopérer et, partant, à l'échec du but contractuel.
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R. MÜLLER (Gesellschaftsvertrag und Synallagma, thèse Zurich 1971, p. 88 ss) distingue entre les apports (Beitragspflichten) et les autres obligations (andere als Beitragspflichten). En ce qui concerne les apports, l'exception non adimpleti contractus ne peut, en principe, être invoquée; le fait de réclamer une telle prestation peut toutefois être abusif; le cas échéant, l'autre partie peut, en principe, retenir sa propre prestation; l'exception non adimpleti contractus doit notamment être largement admise dans le cas d'une société à deux personnes (Zweimanngesellschaft), lorsque l'une d'elles exige de l'autre l'exécution du contrat, sans vouloir l'exécuter de son côté, pour autant que l'un des cocontractants ne soit pas tenu à exécuter d'abord sa prestation (cf. p. 100/101). S'agissant des autres obligations (andere als Beitragspflichten), l'application de l'art. 82 CO serait concevable, mais la quasi-unanimité de la doctrine l'exclut (cf. p. 102/103). R. SIMMEN (Die Einrede des nicht erfüllten Vertrags, OR 82, thèse Zurich 1981, p. 114/115), estime que l'exception non adimpleti contractus n'est, en principe, pas applicable aux obligations découlant de contrats de société. Le principe de la bonne foi peut toutefois postuler, dans des cas particuliers, une application analogique de l'art. 82 CO, notamment dans les cas de sociétés à deux personnes, dont la structure est proche de celle des contrats bilatéraux parfaits.
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Il résulte de ce qui précède que la doctrine est quasi unanime à considérer que l'exception non adimpleti contractus ne peut, en principe, être invoquée dans un contrat de société, même si certains auteurs, qui se sont penchés plus précisément sur la question, notamment MÜLLER ET SIMMEN, admettent, dans certains cas et à certaines conditions, une application analogique de l'art. 82 CO, ces deux auteurs fondant toutefois leur solution sur l'interdiction de l'abus de droit.
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c) La décision du premier juge serait insoutenable s'il avait méconnu qu'il existait manifestement, entre les diverses obligations résultant de l'accord, un rapport d'interdépendance. Or, comme on l'a vu (cf. supra, let. b), la grande majorité de la doctrine écarte, en principe, l'application de l'art. 82 CO à la société simple, et cette opinion paraît conforme au texte légal. Dans ces conditions, même si l'interprétation donnée au contrat par le premier juge était erronée, il n'y avait pas violation manifeste de la loi au sens de la jurisprudence du Tribunal cantonal fribourgeois (cf. supra, ch. 2a) du fait que l'art. 82 CO n'avait pas été appliqué. La décision attaquée se révèle arbitraire dans son résultat et doit donc être annulée.
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