46. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 8 juin 2000 dans la cause M. contre frères S. (recours de droit administratif)
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Regeste
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Art. 83 Abs. 3 BGBB; Beschwerdelegitimation des Erwerbers eines landwirtschaftlichen Gewerbes oder Grundstücks gegen die Erteilung einer Erwerbsbewilligung an den Pächter.
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Sachverhalt
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L'hoirie B. était propriétaire d'un domaine agricole affermé depuis de nombreuses années aux frères P. et P.-A. S. Après avoir obtenu une autorisation de la Commission foncière agricole du canton de Neuchâtel, elle a vendu ce domaine à M. le 11 décembre 1997.
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Dans une première décision du 22 mai 1998, annulée le 30 novembre 1998 par le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, puis dans une seconde décision du 8 juin 1999, la Commission foncière agricole a délivré une autorisation d'acquisition, au sens des art. 61 ss de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural (LDFR; RS 211.412.11), aux frères S. qui faisaient valoir leur droit de préemption de fermiers. Le recours de M. contre la seconde décision a été rejeté par le Tribunal administratif dans un arrêt du 30 novembre 1999.
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Statuant sur le recours de droit administratif formé par M., le Tribunal fédéral a annulé cet arrêt pour violation du droit d'être entendu.
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Extrait des considérants:
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a) La décision de l'autorité cantonale rejetant le recours du recourant est une décision au sens de l'art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative (PA; RS 172.021); prononcée en dernière instance cantonale, elle peut en principe faire l'objet d'un recours de droit administratif au Tribunal fédéral (art. 97 al. 1 et 98 let. g OJ), dès lors qu'un tel recours n'est pas exclu par les art. 99 à 102 OJ. L'art. 89 LDFR prévoit d'ailleurs expressément la voie du recours de droit administratif au Tribunal fédéral contre les décisions sur recours prises par les autorités cantonales de dernière instance au sens des art. 88 al. 1 et 90 let. f LDFR.
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b) Selon la règle générale de l'art. 103 let. a OJ, quiconque est atteint par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée a qualité pour interjeter un recours de droit administratif. L'art. 83 al. 3 LDFR restreint toutefois la qualité pour interjeter un recours devant l'autorité cantonale de recours (art. 88 LDFR) contre le refus ou l'octroi d'une autorisation au sens des art. 61 ss LDFR. Cette restriction vaut aussi pour le recours de droit administratif au Tribunal fédéral; en effet, celui qui n'a en vertu du droit fédéral pas qualité de partie devant l'autorité cantonale de recours ne saurait avoir cette qualité dans la procédure de recours au Tribunal fédéral (arrêt non publié K. c. G. du 23 octobre 1997, consid. 2b; CHRISTOPH BANDLI, Le droit foncier rural, Brugg 1998, n. 1 ad art. 89 LDFR).
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c) Aux termes de l'art. 83 al. 3 LDFR, les parties contractantes peuvent interjeter un recours devant l'autorité cantonale de recours (art. 88 LDFR) contre le refus d'autorisation, l'autorité cantonale de surveillance, le fermier et les titulaires du droit d'emption (cf. art. 25 ss LDFR), du droit de préemption (cf. art. 42 ss LDFR) ou du droit à l'attribution (cf. art. 11 ss LDFR), contre l'octroi de l'autorisation. La lettre de cette disposition ne confère ainsi pas à l'acquéreur d'une entreprise ou d'un immeuble agricole la qualité pour recourir contre l'octroi d'une autorisation d'acquisition à celui qui se prévaut d'un droit de préemption. Rien ne permet cependant d'admettre qu'il s'agisse là d'un silence qualifié du législateur, qui lierait le juge (ATF 125 III 277 consid. 2a; ATF 118 II 199 consid. 2a et les références citées).
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En effet, la formulation de l'art. 83 al. 3 LDFR résulte d'un compromis entre l'opinion défendue par le Conseil national, qui à la suite du Conseil fédéral voulait voir la règle de l'art. 103 let. a OJ appliquée également à la LDFR, et l'opinion du Conseil des États, selon lequel les décisions d'autorisation ne devraient pouvoir être attaquées que par les parties au contrat et non par un tiers quelconque; le compromis de l'art. 83 al. 3 LDFR vise ainsi à exclure du cercle des personnes ayant qualité pour recourir les voisins, les organisations de protection de la nature et de l'environnement ainsi que les organisations professionnelles comme les associations paysannes (arrêt non publié H. c. K. et F. du 8 juillet 1999, consid. 2a; cf. BANDLI, op. cit., n. 3 ad art. 88 LDFR; BEAT STALDER, ibid., n. 15 et 17 ad art. 83 LDFR). À cet égard, le conseiller fédéral Koller a exposé devant le Conseil des États que dans la recherche d'un compromis acceptable par les deux chambres, "[e]s geht ja vor allem um den Pächter und um jene, die Kaufs-, Vorkaufs- und Zuweisungsrechte geltend machen können. Wenn wir diese Parteien noch expressis verbis erwähnen, sollten wir den Kompromiss hergestellt haben" (BO 1991 CE 731).
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Il s'avère ainsi que l'intention du législateur, en adoptant l'art. 83 al. 3 LDFR dans sa formulation définitive, était avant tout d'assurer un droit de recours au fermier ainsi qu'aux titulaires du droit d'emption, du droit de préemption ou du droit à l'attribution en mentionnant expressément ces personnes, tout en excluant du cercle des personnes ayant qualité pour recourir les voisins, les organisations de protection de la nature et de l'environnement ainsi que les organisations professionnelles comme les associations paysannes. Dès lors, l'art. 83 al. 3 LDFR ne doit pas être considéré - contrairement à ce que la formulation employée pourrait laisser supposer - comme contenant une énumération exhaustive des personnes ayant qualité pour recourir contre l'octroi de l'autorisation.
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d) L'art. 83 al. 3 LDFR n'énumérant pas de manière exhaustive les personnes habilitées à recourir contre l'octroi de l'autorisation, il s'agit d'interpréter cette disposition conformément à l'intention du législateur. Au vu de ce qui a été dit plus haut (consid. c), il n'apparaît pas que cette intention ait été de restreindre le droit de recours de l'acquéreur d'une entreprise ou d'un immeuble agricole. En fait, il est vraisemblable que, comme le relève l'Office fédéral de la Justice dans ses observations, la question du droit de recours des parties contractantes contre une autorisation accordée au tiers titulaire d'un droit de préemption ait échappé au législateur. Si l'on ne voit guère quel intérêt l'acquéreur et l'aliénateur d'une entreprise ou d'un immeuble agricole pourraient avoir à recourir contre l'octroi de l'autorisation au premier cité - ce qui explique que le législateur n'ait pas mentionné les parties contractantes parmi les personnes habilitées à recourir contre l'octroi de l'autorisation -, il en va différemment en cas d'octroi de l'autorisation à un tiers se prévalant d'un droit de préemption. En effet, en pareil cas, l'acquéreur contractuel risque de perdre son acquisition au profit de ce tiers et d'être ainsi lésé dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés.
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e) Il se justifie dès lors d'interpréter l'art. 83 al. 3 LDFR en ce sens que l'acquéreur contractuel d'une entreprise ou d'un immeuble agricole a qualité pour recourir contre l'octroi de l'autorisation à celui qui se prévaut d'un droit de préemption (cf. dans ce sens CHRISTINA SCHMID-TSCHIRREN, in Communications de droit agraire 1998 p. 41 ss, n. 4 p. 43 et l'arrêt valaisan cité).
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f) Le recourant ayant qualité pour recourir, il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
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