BGE 130 III 462 |
59. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause banque A. contre banque B. (recours en réforme) |
4C.66/2004 du 1er juin 2004 |
Regeste |
Unwiderrufliches Akkreditiv mit hinausgeschobener Zahlung; Betrug; Auszahlung vor dem Verfalltag; Art. 14e der "Einheitlichen Richtlinien und Gebräuche für Dokumenten-Akkreditive" der Internationalen Handelskammer (ERA 500). |
Sachverhalt |
A partir de 1998, C. a connu des difficultés financières, mais B. n'en a eu connaissance qu'en juillet 1999. Jusqu'à cette année-là, les opérations commerciales menées par C. et financées par B. s'étaient déroulées régulièrement et la banque avait confiance en sa cliente.
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B. accordait des financements à C. sous forme d'avances en blanc pour permettre à cette dernière d'acheter des métaux qu'elle revendait ensuite. Le paiement des marchandises s'effectuait en "open account": C. adressait à B. des instructions de paiement écrites, sans joindre les factures, de sorte que la banque ignorait l'identité des fournisseurs. Le prix des marchandises était versé par l'acheteur au moyen de lettres de crédit à paiement différé que B. confirmait en général et escomptait à C. avant l'échéance.
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Le 22 février 1999, la banque A., dont le siège est à Dubaï, a émis une lettre de crédit irrévocable, sur requête de la société F., sise aux Emirats Arabes Unis, en faveur de C. pour un montant de US$ 851'700.
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Cet accréditif irrévocable devait être confirmé par B. sur requête de A. Il était valable jusqu'au 21 avril 1999 et payable auprès de B. à Genève, à 180 jours dès la date de présentation des documents à la banque confirmante. Il se référait à 25'500 kg d'un alliage de plomb et d'argent qui devait être expédié à Dubaï depuis un port européen.
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Le 24 février 1999, B. a notifié à C. la lettre de crédit en y ajoutant sa confirmation.
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Le 26 février 1999, B. a reçu les documents. Après vérification, la banque les a considérés comme conformes aux conditions de l'accréditif et, le 2 mars 1999, elle les a transmis à A., signalant à la banque émettrice qu'elle demanderait le paiement de US$ 851'599.80 à l'échéance, le 30 août 1999.
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Le 3 mars 1999, B. a crédité le compte de C. d'un montant de US$ 820'075, soit la contre-valeur des documents présentés dans le cadre de l'accréditif, sous déduction de commissions et de frais divers. Ce paiement anticipé sous forme d'escompte est venu rembourser l'avance en blanc consentie le 22 janvier 1999. Conformément à sa pratique, B. n'en a pas avisé la banque émettrice.
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Le 9 mars 1999, sur la base des documents correspondant aux conditions de l'accréditif, A. a endossé les connaissements et les a remis à F., afin que cette dernière puisse disposer de la marchandise. En échange, F. a remis à A. des billets à ordre d'une valeur égale au montant de l'accréditif échéant au 30 août 1999. A. n'a pas indiqué à B. qu'elle s'était dessaisie des documents en faveur du donneur d'ordre.
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Le 10 mars 1999, A. a informé B. qu'elle acceptait les documents et qu'elle payerait le montant dû selon l'accréditif à l'échéance.
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Au début du mois de mai 1999, B. a eu connaissance de rumeurs de fraude perpétrée par F. et en a tout de suite informé C. A. a également été alertée à la mi-mai 1999.
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A fin mai 1999, l'ICC-International Maritime Bureau, chargé d'enquêter notamment sur les cas de fraude maritime, a appris que le contenu réel du container qui devait être financé par l'accréditif litigieux n'était pas conforme à ce qui avait été convenu. Elle en a informé A. le 27 mai 1999. Un second rapport de l'ICC du 15 juillet 1999 a confirmé que la fraude s'étendait également au contenu du deuxième container concerné par l'accréditif.
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L'enquête a révélé que, dans les opérations commerciales financées par le biais de C., soit aucune marchandise n'était transportée, soit celle-ci avait une valeur très inférieure à celle indiquée dans les documents. L'argent non affecté à l'achat des marchandises était détourné par F. Le préjudice global a été évalué à US$ 300 millions.
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C. était la bénéficiaire de l'accréditif et apparaissait ainsi comme la venderesse. Il a toutefois été retenu que son rôle réel était difficile à cerner et que cette société agissait plutôt comme un intermédiaire financier. Elle n'avait, contrairement aux apparences, pas participé à l'expédition des marchandises, mais elle savait que la vente financée était fictive.
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La fraude étant avérée, A. et B. ont cherché en vain à trouver un compromis.
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En août 1999, A. a déposé une plainte pénale à Genève contre les responsables de C. Elle a également requis des mesures provisionnelles urgentes en vue d'interdire à B. de lui réclamer à l'échéance le montant de l'accréditif. Celles-ci ont été rejetées.
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A l'échéance du 30 août 1999, A. n'a pas payé à B. le montant de l'accréditif et n'a pas obtenu, pour sa part, le paiement des traites remises par F. le 9 mars 1999.
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Le 5 novembre 1999, B. a déposé à Genève une demande en paiement à l'encontre de A., qui a été admise par le Tribunal de première instance, condamnant cette dernière à verser à B. US$ 851'579.80, plus intérêt. Cette sentence a été confirmée par la Cour de justice genevoise, dans un arrêt du 12 décembre 2003.
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Contre cet arrêt, A. interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral.
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Extrait des considérants: |
Erwägung 3 |
3.1 Selon l'arrêt entrepris, la défenderesse A. a émis, le 22 février 1999, une lettre de crédit irrévocable sur requête de F. en faveur de C., pour un montant de US$ 851'700. Cet accréditif était valable jusqu'au 21 avril 1999 et payable auprès de la demanderesse B. (la banque confirmante) à Genève, à 180 jours dès la date de la présentation des documents. A la fin du mois de février 1999, la demanderesse a confirmé le crédit documentaire et a vérifié les documents qui paraissaient conformes aux conditions de l'accréditif. Le 3 mars 1999, après avoir transmis les documents à la banque émettrice et lui avoir signalé qu'elle demanderait le paiement à l'échéance, la demanderesse a versé par anticipation le montant de l'accréditif à C., sous déduction d'un escompte et de commissions, sans en aviser la banque émettrice. Le 10 mars 1999, la défenderesse a informé la demanderesse qu'elle acceptait les documents jugés conformes et qu'elle paierait la somme due selon l'accréditif à l'échéance du 30 août 1999. Postérieurement au paiement anticipé, mais avant l'échéance, une fraude a été révélée.
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Le litige oppose les deux banques parties à ce rapport d'accréditif et revient à déterminer si, dans les circonstances qui viennent d'être évoquées, la banque émettrice est ou non tenue de rembourser le montant du crédit documentaire à la banque confirmante.
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3.3 Dans son recours en réforme, la défenderesse se plaint d'une violation des art. 397 al. 1, 398 al. 2 et 402 al. 1 CO. Elle soutient en résumé qu'en payant par anticipation, la banque confirmante ne s'est pas conformée au mandat la liant à la banque émettrice et qu'elle a créé une situation préjudiciable aux intérêts de sa mandante. De plus, comme la demanderesse peut réclamer au bénéficiaire la restitution de la somme versée, elle n'est pas légitimée à en exiger le remboursement auprès de la banque émettrice. Enfin, la défenderesse relève que la motivation liée à la non-remise des documents est totalement infondée.
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Erwägung 4 |
S'agissant d'une dette d'argent, il n'est à juste titre pas contesté que les tribunaux suisses sont compétents, le for du lieu d'exécution de la prestation se situant à Genève, au siège de la banque qui invoque la créance (cf. art. 113 LDIP; art. 74 al. 2 ch. 1 CO).
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Le droit applicable, désigné selon la lex fori, est celui avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits (art. 117 al. 1 LDIP). Dans un litige portant sur les relations entre une banque confirmante et une banque émettrice, on considère que c'est la banque confirmante qui fournit la prestation caractéristique (ATF 119 II 173 consid. 2, rappelé in ATF 121 III 436 consid. 4b/bb). La demanderesse ayant son siège à Genève, c'est donc bien le droit suisse qui est applicable, ce qui correspond du reste au droit sur lequel les parties se fondent.
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4.2 Il y a également lieu de tenir compte des Règles et usances uniformes de la Chambre de commerce internationale, dans leur version de 1993 (ci-après: RUU 500). En effet, bien que l'arrêt attaqué ne précise pas si le crédit documentaire en cause renvoie aux RUU, ces règles trouvent de toute manière application dans les rapports d'accréditif entre deux banques (ATF 78 II 42 consid. 2; cf. en ce sens LOMBARDINI, Droit bancaire suisse, Zurich 2002, p. 327 n. 36; GUGGENHEIM, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 4e éd., Genève 2000, p. 387).
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Erwägung 5 |
La relation d'accréditif entre le donneur d'ordre et la banque émettrice se caractérise comme une combinaison entre un mandat (art. 394 ss CO) et une assignation (art. 466 ss CO; ATF 117 III 76 consid. 6a; ATF 114 II 45 consid. 4a p. 48). Lorsqu'il est fait appel à une seconde banque, le rapport entre les parties devient alors quadrangulaire (TEVINI DU PASQUIER, Le crédit documentaire en droit suisse, thèse Genève 1990, p. 15 s.; DOHM, FJS n° 314 p. 18). Si cette banque confirme l'accréditif, une relation identique à celle existant entre le donneur d'ordre et la banque émettrice se noue entre cette dernière et la banque confirmante, qui s'engage de la même manière envers le bénéficiaire (SCHÖNLE, Rechtsprobleme des Dokumentenakkreditivs mit hinausgeschobener Zahlung, in Droit des obligations et droit bancaire, Genève 1995, p. 241 ss, 242). La banque confirmante est mandatée et assignée par la banque émettrice et sous-mandataire du donneur d'ordre, alors que le bénéficiaire (le vendeur) est deux fois assignataire (cf. ATF 114 II 45 consid. 4b p. 49). Les règles du mandat, en particulier l'art. 402 CO, sont donc applicables entre la banque émettrice et la banque confirmante (ENGEL, Contrats de droit suisse, 2e éd., Berne 2000, p. 756). Ainsi, la banque confirmante qui paie au bénéficiaire un crédit documentaire pourra obtenir de la banque émettrice son remboursement sur la base de l'art. 402 al. 1 CO (GUGGENHEIM, op. cit., p. 385). En payant le bénéficiaire, la banque n'acquiert pas par subrogation la créance de ce dernier contre le donneur d'ordre (LOMBARDINI, Droit et pratique du crédit documentaire, 2e éd., Bâle 2000, p. 23 n. 76).
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6.1 Il découle des règles de l'assignation applicables au crédit documentaire (cf. supra consid. 5.1) que, dès l'acceptation sans réserve de l'assignation, la banque assignée est obligée d'effectuer le versement, sans pouvoir faire valoir des exceptions tirées du rapport de provision ou du rapport de valeur (art. 468 al. 1 CO; cf. ATF 127 III 553 consid. 2e/bb p. 557; ATF 124 III 253 consid. 3b p. 256). Il s'agit de la concrétisation du principe de l'abstraction, qui est une règle essentielle du crédit documentaire (DE GOTTRAU, thèse, op. cit., p. 191; KOLLER, op. cit., n. 16 ad Anhang zum 18. Titel). Seule l'existence d'un abus de droit (art. 2 al. 2 CC) permet à la banque assignée de ne pas fournir sa prestation (ATF 115 II 67 consid. 2b p. 71 s.; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 4C.344/2002 du 12 novembre 2003, consid. 5.1).
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La jurisprudence se montre toutefois très restrictive et n'admet la faculté pour l'assigné de se prévaloir d'un abus de droit du fait d'un vice affectant le rapport de valeur que dans des cas particulièrement graves (arrêt du Tribunal fédéral 4C.172/2001 du 28 mars 2001, publié in PJA 2002 p. 464 ss, consid. 4b; en ce sens également ATF 100 II 145 consid. 4b p. 151). Il faut que l'illicéité ou la contrariété aux moeurs de la créance de base soit évidente; le vice doit être patent sur le plan juridique et sa démonstration doit pouvoir être apportée de façon immédiate en fait; le moment déterminant pour juger de la réalisation de ces conditions est celui où l'assignataire réclame l'exécution de l'assignation; on admet que l'assignataire abuse de son droit lorsqu'il sait ou doit savoir qu'il ne dispose d'aucun droit actuel ou futur en vertu du rapport de valeur, sur la base de preuves immédiatement disponibles (arrêt du 28 mars 2001 précité, publié in PJA 2002 p. 467 ss, consid. 4c; confirmé in arrêt du 12 novembre 2003 précité, consid. 5.1). Tel est en particulier le cas s'agissant d'un crédit documentaire en présence de machinations frauduleuses (ATF 100 II 145 consid. 4b p. 151), par exemple lorsqu'il est établi que la vente à la base de l'accréditif porte sur des marchandises inexistantes ou d'une valeur bien moindre que le montant que la banque s'est engagée à verser à l'assignataire (KOLLER, Bemerkungen, PJA 2002 p. 464 ss, 469; DE GOTTRAU, thèse, op. cit., p. 113; DOHM, FJS n° 315 p. 15; SCHÜTZE, Das Dokumentenakkreditiv im internationalen Handelsverkehr, 5e éd., Heidelberg 1999, p. 176).
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6.2 En l'espèce, il ressort des constatations cantonales qu'une fraude a été révélée après le paiement anticipé par la demanderesse et la vérification des documents par les banques, mais avant l'échéance de l'accréditif. L'enquête menée par l'ICC a permis d'établir, fin mai 1999, que le contenu réel du premier container qui devait être financé par l'accréditif litigieux n'était pas conforme à ce qui était convenu et, dans un rapport du 15 juillet 1999, l'ICC a confirmé qu'il en allait de même s'agissant du deuxième container concerné par l'accréditif. Ces opérations s'inséraient dans le cadre d'autres fraudes similaires, dans lesquelles la marchandise à transporter était inexistante ou d'une valeur très inférieure à celle indiquée dans les documents. C. apparaissait formellement en qualité d'expéditrice et de venderesse, se faisant rembourser par F. l'avance consentie par le biais d'une vente fictive, payée par un accréditif à paiement différé d'ordre de cette dernière. Il a toutefois été constaté que son rôle réel était difficile à cerner et que C. semblait plutôt agir comme intermédiaire financier. Elle ne participait pas à l'expédition des marchandises, mais elle savait que la vente financée était fictive.
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Il découle de ces éléments qu'avant l'échéance de l'accréditif, l'enquête de l'ICC a permis d'établir que les livraisons financées par le crédit documentaire ne correspondaient pas à ce qui était convenu. Il a également été constaté que C. était au courant du caractère fictif de la vente, de sorte que, même si l'opération a été initiée par F., le bénéficiaire était également impliqué (cf. sur ce type de fraude: DE GOTTRAU, thèse, op. cit., p. 113). La demanderesse ne peut donc être suivie lorsqu'elle affirme que l'on est en présence d'une fraude émanant du seul donneur d'ordre. En outre, il importe peu qu'aucun jugement condamnatoire n'ait été prononcé avant le 30 août 1999, dès lors qu'il suffit que la manoeuvre frauduleuse apparaisse évidente à ce moment, ce qui est le cas en l'occurrence. Le montage litigieux s'inscrit du reste dans le cadre d'une opération de grande envergure, citée comme un exemple caractéristique de fraude dans l'accréditif à paiement différé (cf. DE GOTTRAU, Crédit documentaire et garantie bancaire: fraude dans l'accréditif à paiement différé et choix des parties citées dans les mesures provisionnelles, in Journée 2001 de droit bancaire et financier, Berne 2002, p. 65 ss, 67). Conformément à la jurisprudence précitée, la banque assignée aurait donc pu valablement opposer l'exception d'abus de droit à C. pour refuser le paiement de l'accréditif, si elle s'était exécutée à l'échéance du 30 août 1999.
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7.1 Cette question, qualifiée de délicate et controversée par la doctrine (cf. notamment DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 67), suppose tout d'abord de déterminer si l'on peut reprocher à la banque confirmante d'avoir violé ses obligations découlant du crédit documentaire en versant le montant de l'accréditif au bénéficiaire avant l'échéance sous forme d'un escompte, ce qu'affirme la défenderesse. Si tel devait être le cas, cette dernière pourrait, en application de l'art. 398 al. 2 CO, refuser de payer à l'échéance en invoquant la fraude subséquente avérée.
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L'art. 9a/ii des RUU 500 indique qu'en présence d'un crédit irrévocable à paiement différé, la banque émettrice doit, pour autant que les documents stipulés aient été remis et que les conditions du crédit soient respectées, payer à la date ou aux dates d'échéance déterminable(s) conformément aux stipulations du crédit. Si une banque confirmante intervient, l'art. 9b/ii RUU 500 précise que la confirmation d'un crédit irrévocable constitue un engagement ferme de la banque confirmante s'ajoutant à celui de la banque émettrice, de sorte que, si le crédit est réalisable par paiement différé, celle-ci doit également payer à la date ou aux dates d'échéances déterminable(s) conformément aux stipulations du crédit.
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Certains auteurs en déduisent qu'un paiement anticipé n'est pas compatible avec l'accréditif à paiement différé tel que décrit à l'art. 9 RUU 500 (CAPRIOLI, Le crédit documentaire: évolution et perspectives, Paris 1992, p. 246; LOMBARDINI, Droit bancaire, op. cit., p. 323 n. 22; du même auteur, Droit et pratique, op. cit., p. 26 n. 85). Cette position ne ressort toutefois pas clairement du texte de l'art. 9 RUU 500, de sorte que rien ne permet d'affirmer que la banque assignée violerait les RUU en versant le montant du crédit documentaire à paiement différé au bénéficiaire avant l'échéance (cf. en ce sens: DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 77 s.). Sous l'angle du droit suisse, il n'y a donc aucune raison de s'écarter de la position soutenue par la Cour de céans dans l'arrêt de 1974, selon laquelle les règles du crédit documentaire ne s'opposent pas à ce que la banque assignée, en application de l'art. 81 al. 1 CO, paie de manière anticipée le montant de l'accréditif à paiement différé (ATF 100 II 145). Cet avis est du reste partagé par la doctrine majoritaire (cf. notamment GUGGENHEIM, op. cit., p. 402 s.; STAUDER, Das Dokumentenakkreditiv mit hinausgeschobener Zahlung, in Liber Amicorum A. Schnitzer, Genève 1979, p. 433 ss, 451; DOHM, FJS n° 315 p. 13; position différente, TEVINI DU PASQUIER, Le crédit documentaire, op. cit., p. 65 s.) et correspond à l'usage bancaire suisse et étranger (DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 77; ENGEL, op. cit., p. 758).
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Par conséquent, à moins que les parties l'aient expressément exclu (cf. art. 397 al. 1 CO), ce qui n'est pas le cas en l'occurrence, il y a lieu de considérer que la banque assignée ne viole pas les art. 394 ss CO ou les RUU 500 lorsqu'elle s'acquitte du crédit documentaire avant l'échéance.
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Pour les auteurs minoritaires qui soutiennent qu'en payant de manière anticipée, la banque commet une irrégularité (cf. supra consid. 7.1.2), il est logique que celle-ci ne puisse exiger d'être remboursée à l'échéance si un cas de fraude survient (cf. en ce sens, CAPRIOLI, op. cit., p. 246; TEVINI DU PASQUIER, Le crédit documentaire, op. cit., p. 65 s.).
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Parmi les tenants de la théorie majoritaire, selon laquelle le paiement anticipé est compatible avec l'institution du crédit documentaire à paiement différé, plusieurs courants se dégagent. Les uns, invoquant l' ATF 100 II 145, considèrent que, dès lors que la fraude n'est pas encore connue au moment du paiement anticipé, le donneur d'ordre ou la banque émettrice ne peut invoquer l'art. 2 al. 2 CC pour s'exonérer de ses obligations de payer à l'échéance, même si une fraude manifeste a été découverte postérieurement (DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 89; DOHM, FJS n° 315 p. 13; STAUDER, op. cit., p. 450 s.; VASSEUR, Note in Recueil Dalloz/Sirey 1987 p. 399 ss, n. 14). En effet, une fois les documents remis et le paiement effectué, même de manière anticipée, les engagements irrévocables et inconditionnels de la banque émettrice ou, le cas échéant, confirmante se figent (DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 80 s.). D'autres auteurs estiment qu'en escomptant l'accréditif, la banque assignée prend un engagement distinct du crédit documentaire. En octroyant un prêt indépendant, elle agit à ses risques et périls de sorte que, si une machination frauduleuse permettant de s'opposer au paiement de l'accréditif est révélée avant l'échéance, c'est à la banque qui a accordé le crédit d'en supporter les conséquences (SCHÜTZE, op. cit., p. 56; ESCHMANN, Der einstweilige Rechtsschutz des Akkreditiv-Auftraggebers in Deutschland, England und der Schweiz, Neuwied 1994, p. 14; SCHÖNLE, op. cit., p. 256 s.; aussi en ce sens: TEVINI DU Pasquier, Commentaire, op. cit., n. 15 s. ad Appendice aux art. 404-471 CO). Enfin, une partie de la doctrine parvient également à cette dernière conclusion, mais sans utiliser la construction juridique découlant du prêt. Elle considère que, lorsqu'elle escompte un accréditif, la banque assignée prive le donneur d'ordre de la possibilité d'invoquer un abus de droit pour s'opposer au paiement si une fraude est révélée postérieurement au versement anticipé, mais avant l'échéance prévue dans le crédit documentaire. C'est donc à la banque qui a payé de manière anticipée d'en assumer le risque (NIELSEN, Neue Richtlinien für Dokumenten-Akkreditive, Heidelberg 1994, n. 37 ad art. 9 RUU; BÜHLER, Sicherungsmittel im Zahlungsverkehr, Zurich 1997, p. 100).
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Ainsi, en Italie, il résulte d'une décision du Tribunal de Bologne du 15 mai 1981 que la banque confirmante est en droit de payer avant l'échéance en escomptant le crédit, après avoir constaté la régularité formelle des documents. Si tel est le cas, alors elle peut prétendre à être remboursée à l'échéance (sur cette jurisprudence, cf. DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 73 s.; du même auteur, thèse, op. cit., p. 285 s.), ce qui laisse entendre qu'une fraude serait sans incidence.
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En Allemagne, le Bundesgerichtshof considère que le paiement d'un accréditif avant l'échéance correspond à un prêt accordé par la banque au bénéficiaire et celle-ci doit en assumer les risques (arrêt du 16 mars 1987 II ZR 127/86, publié in NJW 1987 p. 2578). Il convient toutefois de préciser que cette jurisprudence se rapporte à une banque notificatrice, seulement chargée de payer pour la banque émettrice et non d'une banque confirmante (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4P.28/1997 du 15 décembre 1997, publié in SJ 1998 p. 388, consid. 2b/bb; DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 73).
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En France, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans une décision du 7 avril 1987 confirmant un arrêt de la Cour d'appel de Paris (Recueil Dalloz/Sirey 1987, Jurisprudence p. 399), a admis que la banque confirmante qui paie avant l'échéance peut se voir opposer l'exception de fraude, car la réalisation du crédit documentaire à paiement différé se situe au moment de l'échéance convenue (cf. CAPRIOLI, op. cit., p. 264 s.; DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 74; critique, VASSEUR, op. cit., n. 9 ss).
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Enfin, la jurisprudence anglaise a adopté une position se rapprochant des tribunaux français. Elle soutient également que la pratique bien établie du paiement anticipé du crédit réalisable par paiement différé est admissible, mais que la créance du bénéficiaire envers la banque confirmante n'intervient qu'à l'échéance convenue. La banque confirmante qui prend la décision seule de payer par anticipation le bénéficiaire doit supporter le risque de découverte d'une fraude avant l'échéance (arrêt de la High Court of Justice de Londres du 9 juin 1999, résumé in Revue de Droit Bancaire et Financier 2000/1 p. 22; DOISE, Contrats internationaux, Lamy tome 7, Paris 1999, n. 700). Cette décision a été confirmée par la Court of Appeal le 25 février 2000 (cas n° QBCMF 1999/0673/A3; cf. à ce sujet DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 74 s.).
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7.3 Il ressort de ce survol doctrinal et jurisprudentiel que la position soutenue dans l' ATF 100 II 145, selon laquelle la banque assignée ne viole pas ses obligations contractuelles en versant au bénéficiaire le montant du crédit documentaire à paiement différé avant l'échéance, est en l'état actuel largement admise. Même si les constructions juridiques proposées divergent, une tendance nette se dessine également, tant dans la doctrine que dans la jurisprudence étrangère, pour reconnaître que la banque qui agit de la sorte doit en supporter elle-même les risques, notamment si un cas de fraude est révélé après le paiement anticipé, mais avant l'échéance de l'accréditif.
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L'objection liée au caractère abstrait du crédit documentaire invoquée par la cour cantonale et la demanderesse ne résiste pas à l'examen. S'il est vrai que le crédit documentaire à paiement différé n'a pas pour but de permettre au donneur d'ordre de vérifier l'état de la marchandise dans le délai de paiement ou de le protéger contre une fraude éventuelle (ATF 100 II 145 consid. 4b), sous peine de faire perdre à l'accréditif sa fonction de garantie de paiement (GUGGENHEIM, op. cit., p. 401), il n'en demeure pas moins que l'exception tirée de l'art. 2 al. 2 CC en cas de fraude constitue précisément une situation exceptionnelle dans laquelle il est admis que l'on puisse s'écarter de l'abstraction documentaire. En faisant supporter les risques du paiement anticipé à la banque qui procède à l'escompte, on n'accorde pas à la banque émettrice ou au donneur d'ordre davantage de droits que ceux dont ils auraient disposé si le crédit documentaire avait été payé à l'échéance.
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L'art. 14e RUU 500 impose tant à la banque émettrice qu'à la banque confirmante un certain formalisme relatif au refus des documents (DOISE, op. cit., n. 669). Il vise le cas où la banque n'entend pas accepter les documents (cf. NIELSEN, op. cit., n. 102 ad art. 14 RUU) et prévoit qu'elle doit alors les refuser et les rendre intacts à celui qui les a présentés ou les tenir à sa disposition. Si elle a fait usage d'une autre manière de ces documents et ne peut ainsi les restituer ou les tenir à disposition, la banque sera réputée avoir accepté les documents sans réserve (DOHM, FJS n° 314 p. 16).
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Comme le relève pertinemment la défenderesse, l'art. 14e RUU 500 ne concerne que la procédure liée à l'acceptation des documents. Or, en cas de fraude découverte postérieurement, les documents qui avaient l'apparence de la conformité ont, par définition, été acceptés. Cette disposition ne saurait donc empêcher la banque qui s'aperçoit par la suite qu'elle a été trompée de se prévaloir d'une fraude, pour la seule raison qu'après avoir accepté sans réserve des documents conformes en apparence aux conditions de l'accréditif, elle en a disposé. La cour cantonale ne pouvait donc donner suite aux prétentions de la demanderesse en faisant abstraction de la fraude, sous prétexte que la défenderesse ne s'était pas conformée aux exigences formelles de l'art. 14e RUU 500.
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