3. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile dans la cause Mizrahi contre Ringier SA, Marendaz Colle et Pillard (recours en réforme)
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5C.167/2003 du 23 septembre 2004
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Regeste
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Art. 28a Abs. 3 ZGB und Art. 49 Abs. 2 OR; Genugtuung bei Verletzung der Persönlichkeit, Veröffentlichung des Urteils.
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Sachverhalt
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Elie Mizrahi était administrateur de la société Montebello Finance SA, actuellement en liquidation. Il s'est porté candidat de l'Union Démocratique du Centre (ci-après: UDC), en deuxième tête de liste, lors des élections au Grand Conseil genevois qui se sont tenues le 7 octobre 2001.
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Le 18 août 2001, le journal dominical "dimanche.ch" a publié un article rédigé par la journaliste Emmanuelle Marendaz Colle intitulé "Un juif et un musulman candidats UDC" contenant les passages suivants:
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"Qui a dit que l'UDC était raciste? Pas sa section genevoise en tout cas, qui a présenté une liste de 22 candidats mâtinée de quelques noms aux consonances juive, musulmane et orthodoxe pour les élections d'octobre au Grand Conseil. Parmi eux, Ali Benouari et Elie Mizrahi (...). L'autre [Elie Mizrahi] avait été vaguement impliqué dans le scandale de l'Irangate, il y a de cela quinze ans (...). Son ton baisse de plusieurs crans quand on lui demande des explications sur son implication dans l'Irangate. Selon le rapport final du juge américain Lawrence E. Walsh, qui a enquêté huit ans sur ce scandale de vente d'armes à l'Iran par l'administration Reagan, un compte intitulé 'Codelis' et 'contrôlé par deux frères, Edgar et Elie Mizrahi' à la Banque de Commerce et de Développement de Genève avait été utilisé pour des transactions. Aujourd'hui, Mizrahi assure que 'cette erreur a été corrigée par les autorités américaines et n'a débouché sur aucune poursuite'. Une version tempérée par le juge à Oklahoma City: 'Personne n'a jamais été blanchi et les autorités suisses n'ont d'ailleurs pas été très coopératives.' Secret bancaire oblige."
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Un second article, rédigé par la même journaliste, est paru dans l'édition du 16 septembre 2001 de "dimanche.ch". Cet article occupait une page entière. Y figurait également une grande photographie de Gertrude Allegra et deux textes encadrés consacrés à la "Chronologie Elie Mizrahi" et aux tentatives de la journaliste pour joindre celui-ci ("Elie Mizrahi se défile"). Intitulé "Esclave d'un candidat UDC, son cas ira devant la justice", l'article contenait notamment les passages suivants:
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"La tête de liste n° 2 de l'UDC aux élections cantonales a longtemps employé une secrétaire au noir, qu'il battait et à qui il doit des années de salaire. Aujourd'hui, il l'accuse de diffamation. Elle contre-attaque... le calvaire qu'elle a enduré pendant plus de quatre ans, depuis que son patron a cessé de la payer et commencé de la battre régulièrement... son patron ayant fini par la licencier sans préavis... elle a appris que son bourreau était candidat au Grand Conseil genevois... Le monsieur en question se nomme Elie Mizrahi... il est décrit par de nombreuses personnes ayant eu à le fréquenter comme un individu incapable de se contrôler, tenant des propos violents à l'égard de ses contradicteurs... il a engagé Gertrude Allegra, en 1987, en tant que secrétaire et bonne à tout faire, puisqu'elle s'occupait aussi de ses courses et de son linge. (...) La vie de Gertrude Allegra bascule dans une horreur banalement quotidienne, faite de sévices et d'humiliations. Il l'insulte, la séquestre dans les toilettes, lui interdit de boire de l'eau au bureau, s'énerve à la moindre erreur, se met en colère au moindre retard, la prive de vacances et de congés. Elle doit parfois travailler tard dans la soirée, être à la disposition totale de cet homme qui se défoule sur elle en la frappant à maintes reprises. En quatre ans, il lui a cassé quatre dents, le nez, a failli l'étrangler, lui a brisé une phalange et démis l'épaule. Il utilisait de lourds livres de lois pour la frapper et elle avait les bras continuellement couverts de bleus... Il va sans dire que Mizrahi n'a remboursé aucun des frais médicaux et dentaires de son employée, s'élevant à quelques dizaines de milliers de francs. Quant à ses rentes AVS, elles souffrent de quatre années d'absence de cotisations."
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Le 29 octobre 2002, Elie Mizrahi a été débouté par le Tribunal de première instance du canton de Genève de son action en protection de la personnalité ouverte contre Emmanuelle Marendaz Colle, Daniel Pillard, rédacteur en chef de "dimanche.ch", et les Editions Ringier SA, par laquelle il sollicitait la constatation du fait que les deux articles de presse constituaient une atteinte illicite à sa personnalité, demandait que le jugement constatatoire soit publié dans "dimanche.ch" au même emplacement et avec la même dimension que les articles incriminés et concluait à la condamnation des défendeurs à lui payer, au titre de réparation du tort moral subi, une indemnité de 25'000 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 19 août 2001.
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Sur appel d'Elie Mizrahi, la Cour de justice a annulé le 13 juin 2003 le jugement de première instance et constaté l'existence d'une atteinte illicite aux droits de la personnalité de celui-ci dans la mesure où l'article du 18 août 2001 qualifiait la liste des candidats de l'UDC au Grand Conseil sur laquelle se présentait également Elie Mizrahi de "mâtinée de quelques noms aux consonances juive, musulmane et orthodoxe". L'illicéité de l'atteinte a également été admise en ce que l'article du 16 septembre 2001 comportait qu'Elie Mizrahi aurait exigé de sa secrétaire Gertrude Allegra qu'elle lui fasse ses courses et son linge, qu'il l'aurait séquestrée, qu'il lui aurait continuellement causé des hématomes aux bras, qu'il lui aurait fracturé le nez, une phalange et quatre dents, qu'il lui aurait démis l'épaule et failli l'étrangler, et, enfin, que ces lésions auraient causé à Gertrude Allegra des frais médicaux et dentaires de plusieurs milliers de francs, jamais remboursés par Elie Mizrahi. La Cour de justice a condamné les Editions Ringier SA à publier dans "dimanche.ch", à la première page de la partie "Suisse et Sport", sur un quart de page, à ses frais, la constatation de ces atteintes illicites, en indiquant qu'elles résultent du dispositif de l'arrêt.
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Le Tribunal fédéral a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours en réforme du demandeur.
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Extrait des considérants:
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4. Tort moral
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Le lésé, qui peut agir contre toute personne qui participe à l'atteinte (art. 28 al. 1 CC), dispose d'un cumul d'actions pour tort moral contre l'auteur, le rédacteur responsable, l'éditeur ou toute autre personne qui a participé à la diffusion du journal (ATF 126 III 161 consid. 5a/aa p. 165; ATF 113 II 213 consid. 2b p. 216). Les responsables sont tenus solidairement de réparer le tort moral (art. 50 al. 1 CO; ATF 126 III 161 consid. 5b/aa p. 166). A l'égard de celui qui est responsable en vertu de l'art. 41 al. 1 CO, une faute doit être établie; depuis l'entrée en vigueur du nouvel art. 49 CO le 1er juillet 1985 (loi fédérale du 16 décembre 1983 modifiant les art. 28 CC et 49 CO), il n'est plus nécessaire que cette faute soit particulièrement grave. Pour celui qui encourt une responsabilité objective (principalement l'art. 55 CO), il suffit que les conditions de sa responsabilité objective soient remplies (ATF 126 III 161 consid. 5b/aa p. 167).
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Se référant notamment à l' ATF 95 II 481, une partie de la doctrine est d'avis que la publication du jugement n'est pas un moyen de réparer le tort moral (notamment TERCIER, op. cit., n. 998 p. 136; DESCHENAUX/ TERCIER, LA RESPONSABILITÉ CIVILE, 2e ÉD., BERNE 1982, p. 261 n. 7; WERRO, Commentaire romand, 2003, n. 14 ad art. 49 CO; REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 3e éd., Zurich 2003, n. 508 ss, en particulier, n. 512). En revanche, d'autres auteurs estiment, à juste titre, que la publication du jugement peut poursuivre différents buts, comme la cessation de l'atteinte et la réparation du tort moral, et qu'elle peut être ajoutée ou peut même remplacer l'indemnité en argent allouée pour réparer le tort moral (notamment BREHM, op. cit., n. 103 ad art. 49 CO; GAUCH/AEPLI/STÖCKLI, Präjudizienbuch zum OR, Zurich 2002, n. 14 ad art. 49 CO; A.K. SCHNYDER, Basler Kommentar, n. 17 ad art. 49 CO; KELLER/SCHMIED-SYZ, Haftpflicht, 5e éd., Zurich 2001, p. 113 et 120).
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Comme l'art. 49 al. 2 CO laisse au juge la faculté de substituer ou d'ajouter un autre mode de réparation (Kannvorschrift; MEIER-HAYOZ, Berner Kommentar, n. 72 ad art. 4 CC), la détermination de ce mode relève du pouvoir d'appréciation du juge, qui applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC). Le fait que le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation ne signifie pas qu'il peut décider à sa guise; il doit motiver son choix et exposer dans son jugement les motifs qui ont emporté sa conviction. Les exigences de motivation des décisions en équité sont élevées (cf. arrêts 5C.100/2002 du 11 juillet 2002, consid. 3.1 et 5C.278/2000 du 4 avril 2001, consid. 3b). Si le Tribunal fédéral ne revoit en principe qu'avec réserve la décision d'équité motivée prise en dernière instance cantonale (ATF 130 III 504 consid. 4.1 p. 508; ATF 129 III 380 consid. 2 p. 382; ATF 128 III 428 consid. 4 p. 432; ATF 127 III 153 consid. 1a p. 155 et les arrêts cités), il n'en va pas de même lorsque cette décision n'est pas motivée. Dans ce cas, la juridiction de réforme, comme juge de l'action, exerce librement son pouvoir d'appréciation. Un renvoi à la cour cantonale pour remédier au défaut de motivation n'est pas nécessaire (art. 52 OJ).
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Par cette motivation, la cour cantonale a implicitement admis que toutes les conditions d'une réparation du tort moral au sens de l'art. 49 al. 1 CO étaient remplies, se limitant à motiver l'une d'elles, à savoir la faute de la journaliste. En l'absence de toute critique des défendeurs quant à l'application de l'art. 49 al. 1 CO, la juridiction de réforme n'a pas à en vérifier le bien-fondé (art. 55 al. 1 let. c, en relation avec l'art. 59 al. 3 OJ; ATF 116 II 745 consid. 3 p. 748/749; ATF 106 II 175).
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Appliquant ensuite implicitement l'art. 49 al. 2 CO, la cour cantonale a opté pour la seule publication du jugement, considérant que la réparation du tort moral était suffisamment assurée par ce moyen. Faute de plus ample motivation, on ignore quels éléments elle a retenus pour substituer la publication à l'allocation d'une indemnité en argent. La cour de céans est donc habilitée à revoir librement l'appréciation juridique des faits sur ce point.
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