BGE 131 III 222 |
29. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause A. SA contre banque L. (recours en réforme) |
4C.89/2004 du 9 mars 2005 |
Regeste |
Art. 63 Abs. 1 und Art. 468 Abs. 1 OR, Art. 2 Abs. 2 ZGB. Akkreditiv; Bereicherungsklage einer Bank, die nach Erhalt eines gefälschten Dokuments eine Zahlung getätigt hat. |
Sachverhalt |
Le 26 octobre 1993, la société A. SA, alors active dans le commerce des matières premières agricoles et des produits alimentaires, a versé 939'013.89 dollars étasuniens à B. AG, également active dans le commerce international. Selon ses déclarations ultérieures, A. SA effectuait alors un placement de liquidités. Afin de garantir le remboursement convenu, une lettre de crédit stand by avait été préalablement émise par la banque turque T. en faveur de A. SA. La bénéficiaire avait demandé que cet engagement fût confirmé par la banque L. à Genève. Par un télex du 25 octobre 1993 auquel la lettre de crédit était textuellement incorporée, cette seconde banque avait ainsi promis de lui payer un million de dollars, au maximum, contre remise de deux documents qui consisteraient dans un billet à ordre souscrit par B. AG, d'une part, et dans une déclaration de la bénéficiaire attestant que la somme stipulée dans ce billet n'avait pas été acquittée, d'autre part. Cet engagement était soumis aux "règles et usances en matière de crédit documentaire 1983" publiées par la Chambre de commerce internationale à Paris (publication CCI n° 400, 1984); il était valable jusqu'au 25 avril 1994.
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A cette date, A. SA a réclamé le paiement et a produit les documents. La banque L. lui a versé 998'950 dollars le 3 mai 1994, soit un million de dollars moins une commission et des frais par 1'050 dollars. Sur ordre de l'autorité compétente en Turquie, la banque T. avait alors cessé toute activité et suspendu ses paiements; B. AG disait tout ignorer du billet à ordre et de son éventuel engagement dans l'opération concernée.
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Par la suite, la banque L. a ouvert action contre A. SA devant le Tribunal cantonal du canton de Vaud. Elle soutenait qu'elle avait payé par erreur une somme qu'elle ne devait pas et dont elle demandait le remboursement sur la base de l'art. 63 al. 1 CO. Selon ses allégations, le billet à ordre que la défenderesse lui avait remis était un faux, pourvu d'une signature contrefaite de l'administrateur de B. AG. En outre, la défenderesse lui avait mensongèrement indiqué que sa garantie porterait sur une opération commerciale, concernant une livraison d'huile végétale, alors qu'il s'agissait en réalité d'une opération financière. Elle avait également dissimulé que la banque T. et B. AG étaient liées au sein d'un groupe de sociétés. Enfin, en avril 1994, la défenderesse avait obtenu le paiement de façon frauduleuse, en taisant que B. AG contestait toute obligation et que l'opération était contraire aux règles et principes à observer par la banque T. La juridiction saisie a condamné A. SA à rembourser à la banque L. 998'950 dollars avec intérêts à 5 % par an dès le 3 mai 1994. Elle a retenu que le billet à ordre était un faux et que, par ailleurs, la défenderesse avait réclamé le paiement de façon frauduleuse.
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Le Tribunal fédéral a rejeté le recours en réforme de A. SA, dans la mesure où il était recevable.
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Extrait des considérants: |
Erwägung 4 |
4.1 La banque qui confirme un accréditif s'oblige envers le bénéficiaire selon l'art. 468 al. 1 CO; elle est ainsi tenue de le payer et elle ne peut lui opposer que les exceptions résultant de leurs rapports personnels ou du contenu de l'accréditif, à l'exclusion de celles qui dérivent de ses relations avec le donneur d'ordre ou la banque émettrice. Son obligation est conditionnelle selon l'art. 151 CO, en ce sens qu'elle est subordonnée à la remise, par le bénéficiaire, des documents spécifiés dans l'accréditif. Elle est caractérisée par le principe de l'abstraction, en ce sens qu'elle existe indépendamment des obligations de la banque émettrice ou du donneur d'ordre envers le bénéficiaire; elle est aussi caractérisée par le principe dit de la rigueur documentaire, en ce sens que la condition dont elle dépend n'a pas d'objet autre que la conformité des documents aux clauses de l'accréditif (NICOLAS DE GOTTRAU, Le crédit documentaire et la fraude, thèse de Genève, Bâle 1999, p. 40 ss, 77, 87 ss, 101 ss, 159 ss; DANIEL GUGGENHEIM, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 4e éd., Genève 2000, p. 387/388; THEODOR Bühler, Sicherungsmittel im Zahlungsverkehr, Zurich 1997, p. 54 ss, 69 ss, 90-92; ATF 130 III 462 consid. 6.1 p. 469/470). En l'occurrence, la nature de l'engagement souscrit et les principes déterminants ressortent explicitement des art. 3, 4 et 10 let. b des règles et usances désignées dans le télex du 25 octobre 1993.
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L'abus de droit n'est admis que de façon très restrictive lorsque la banque se prévaut de vices qu'elle décèle dans les rapports du bénéficiaire avec le donneur d'ordre. Seules des circonstances particulièrement graves entrent en considération. Le bénéficiaire abuse de l'accréditif lorsqu'il sait ou doit savoir qu'il n'a aucun droit actuel ni futur à l'encontre du donneur d'ordre. L'abus est réalisé, par exemple, lorsque le paiement est réclamé pour des marchandises inexistantes ou d'une valeur bien moindre que celles promises dans le contrat de vente à l'origine de l'accréditif. Le caractère illicite ou immoral de la prétention doit être évident et ressortir de preuves immédiatement disponibles, cela au moment où le bénéficiaire produit les documents et réclame le paiement (ATF 130 III 462 consid. 6.1 p. 470, avec références détaillées).
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L'abus de droit peut être réalisé aussi lorsque le bénéficiaire remet à la banque un document inauthentique, c'est-à-dire créé par une personne autre que l'auteur apparent de cette pièce. La condition dont dépend l'accréditif n'est certes pas accomplie lorsque, à l'examen qui lui incombe et selon la diligence à attendre d'elle, la banque décèle ou pourrait déceler la contrefaçon. Dans cette hypothèse, la prétention du bénéficiaire ne devient pas exigible et il ne peut donc pas en abuser. La situation juridique se présente de façon plus complexe lorsque la contrefaçon n'est pas décelable et que le document est donc apparemment conforme aux exigences de l'accréditif. Selon l'une des conceptions en présence, la condition reste alors inaccomplie en vertu de l'adage fraus omnia corrumpit ; selon une autre théorie, l'apparente conformité du document implique que la banque doit en principe payer. Dans cette théorie-ci toutefois, la banque peut opposer au bénéficiaire, même si ce dernier ignore la fausseté du document qu'il produit, l'exception de l'abus de droit (GOTTRAU, op. cit., p. 159-182, 220-223, où l'auteur présente et discute cette controverse de façon détaillée).
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Les deux théories coïncident dans leur résultat, en ce sens que la banque n'est pas débitrice du bénéficiaire après que celui-ci lui a remis un faux. Cette solution doit être retenue comme conforme au droit fédéral. En effet, les documents ont un rôle essentiel dans le fonctionnement de l'accréditif et leur authenticité doit être considérée comme un préalable à l'engagement assumé par la banque. Par conséquent, même si l'accréditif a précisément pour but de protéger le bénéficiaire de certains risques, en particulier des risques d'insolvabilité ou de mauvaise volonté de son cocontractant (ATF 130 III 462 consid. 5.1 p. 468; ATF 114 II 45 consid. 4b p. 48/ 49), il n'a pas pour objet de reporter sur la banque le risque d'un éventuel défaut d'authenticité des documents.
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La défenderesse tient cette constatation pour contraire à l'art. 8 CC. Elle fait valoir que selon l'un des rapports, l'expertise était "limitée" par le petit nombre des signatures disponibles à fin de comparaison, et que selon l'autre rapport, il était encore nécessaire d'examiner "tous les cartons de signature" pertinents et détenus par la banque de la société concernée. Elle en déduit qu'il subsiste un doute sur le défaut d'authenticité de la signature et que le Tribunal cantonal s'est donc contenté d'une simple vraisemblance de la contrefaçon, alors qu'il eût incombé à la demanderesse de la prouver entièrement. Elle reproche aussi à ce tribunal d'avoir d'emblée écarté les témoignages produits par elle au motif que leurs auteurs étaient impliqués dans la cause pénale.
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Il ne ressort pas du jugement que le Tribunal cantonal ait considéré la contrefaçon comme seulement vraisemblable, ce qui pourrait effectivement aboutir à une violation de l'art. 8 CC (ATF 118 II 235 consid. 3c p. 339; ATF 104 II 216 consid. 2c p. 220); ce tribunal retient au contraire, sans exprimer aucun doute, que le billet à ordre est un faux. Dans ces conditions, l'argumentation soumise au Tribunal fédéral ne met en cause que l'appréciation des rapports d'expertise et l'appréciation anticipée des témoignages, lesquelles ne sont ni l'une ni l'autre régies par l'art. 8 CC (ATF 127 III 519 consid. 2a p. 522; ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24/25). Cette argumentation est par conséquent irrecevable à l'appui du recours en réforme. L'état de faits est exempt de toute lacune en ce qui concerne le défaut d'authenticité du billet à ordre, de sorte que, contrairement à ladite argumentation, il n'y a pas lieu d'examiner si l'art. 64 al. 2 OJ permettrait au Tribunal fédéral de le compléter sur la base des témoignages précités.
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L'inauthenticité du billet à ordre est ainsi établie selon une constatation qui lie le Tribunal fédéral (art. 63 al. 2 OJ), de sorte que pour ce motif déjà, la demanderesse ne devait pas le paiement qu'elle a fait le 3 mai 1994. Il n'est pas nécessaire de rechercher si ce paiement était indu, au regard de l'art. 2 al. 2 CC, en raison d'autres circonstances encore.
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