BGE 135 III 640 |
93. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause X. SA contre Y. (recours en matière civile) |
4A_354/2009 du 23 décembre 2009 |
Regeste |
Personalverleihunternehmen, das einem allgemeinverbindlich erklärten Gesamtarbeitsvertrag unterstellt ist; Verpflichtungen des Verleihers gemäss Art. 20 Abs. 1 AVG. |
Sachverhalt |
A. En juillet 2003, X. SA, entreprise de travail temporaire, a engagé Y. comme collaborateur auquel des missions seraient confiées. Le chiffre 4.4 du contrat prévoit que, lorsque l'entreprise locataire de services est soumise à une convention collective de travail étendue, X. SA, en tant que bailleresse de services, appliquera au travailleur temporaire les dispositions conventionnelles qui concernent le salaire et la durée du travail.
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La convention collective de travail (CCT) entrant en ligne de compte en l'espèce est la CCT romande du second oeuvre du 11 novembre 2000. Son champ d'application a été étendu par arrêtés du Conseil fédéral jusqu'au 31 décembre 2003, puis jusqu'au 31 décembre 2005. Cette convention comprend une annexe V, intitulée "Dispositions d'application relatives à l'assurance de l'indemnité journalière en cas de maladie et de maternité dans le canton de Vaud".
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Selon le contrat liant X. SA et Y., ce dernier est assuré contre la perte de gain en cas de maladie auprès de l'assureur A. SA. En 2001, X. SA avait conclu avec cette société une assurance-maladie collective d'indemnités journalières selon la LCA, destinée au personnel temporaire. En dérogation à l'art. 6 des conditions générales d'assurance (CGA), une clause du contrat passé avec l'assureur supprime le droit de transfert de l'assuré de l'assurance collective à l'assurance individuelle, sauf pour les chômeurs au sens de l'art. 10 LACI.
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Y. a accompli des missions de peintre en bâtiment pendant deux semaines à partir du 11 juillet 2003, ainsi que du 20 août au 17 septembre 2003. Le 4 septembre 2003, il a subi un accident professionnel, qui a provoqué une extension arrière de son bras gauche. Le travailleur a effectué une nouvelle mission du 29 septembre au 10 octobre 2003. Par la suite, il a chuté sur le côté où il avait été victime de l'étirement du 4 septembre 2003. Il a repris une mission le 20 octobre 2003, mais a dû être mis en incapacité de travail trois jours plus tard. Toutes les missions ont été effectuées auprès d'entreprises situées dans le canton de Vaud.
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En décembre 2003, X. SA a résilié le contrat de travail pour le 26 décembre 2003. Elle a informé le collaborateur que son dossier avait été transmis à la SUVA et que, comme il était au bénéfice d'une CCT étendue, il avait droit, en cas d'accident, à un maximum de 720 jours indemnisés sur une période de 900 jours.
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Y. a bénéficié de prestations de l'assurance-accidents jusqu'au 20 juin 2004. A cette date, la SUVA a supprimé les prestations au motif que les troubles qui subsistaient n'étaient plus dus à l'accident, mais relevaient exclusivement de la maladie. Y. s'est alors adressé à X. SA et à A. SA, qui ont refusé de lui verser un quelconque montant. Il a été totalement incapable de travailler du 21 juin 2004 au 31 janvier 2006; son incapacité de travail a été de 50 % du 1er février au 31 mai 2006.
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B. Y. a ouvert action contre X. SA, concluant en dernier lieu au paiement de 99'716 fr. 50 plus intérêts. Le montant réclamé correspond aux indemnités perte de gain en cas de maladie qui, selon le demandeur, ne lui ont pas été versées par la faute de la défenderesse.
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Dans un premier jugement, le Tribunal civil de l'arrondissement de l'Est vaudois a rejeté la demande.
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Statuant sur recours du travailleur, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a annulé le jugement de première instance et renvoyé la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle instruction dans le sens des considérants et nouveau jugement. En substance, la cour cantonale a jugé qu'en n'offrant pas au travailleur le libre passage dans l'assurance perte de gain individuelle lors de la résiliation du contrat de travail, X. SA avait violé les obligations découlant de la CCT du second oeuvre et devait réparer le préjudice subi par le collaborateur.
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Dans son nouveau jugement, le tribunal d'arrondissement a condamné X. SA à payer à Y. la somme de 99'403 fr. 20 avec intérêts à 5 % dès le 1er septembre 2005.
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Le recours interjeté par X. SA contre cette décision a été partiellement admis par la Chambre des recours, qui a réduit à 61'223 fr. 25 le capital à verser par X. SA à Y.
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C. X. SA a formé un recours en matière civile, concluant au rejet de l'action en paiement de Y.
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(résumé)
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Extrait des considérants: |
2.1 Pour son personnel temporaire, la recourante a conclu avec A. SA une assurance-maladie collective d'indemnités journalières selon la LCA (RS 221.229.1). L'art. 6 des CGA accorde à tout assuré domicilié en Suisse le droit de demander son transfert dans l'assurance individuelle s'il quitte le cercle des assurés, s'il est considéré comme chômeur au sens de l'art. 10 LACI (RS 837.0) ou si le contrat cesse de produire ses effets. En dérogation à cette disposition, une clause du contrat d'assurance exclut ce droit de transfert, sauf pour les chômeurs. Cette exception s'explique par l'art. 100 al. 2 LCA, lequel déclare l'art. 71 LAMal (RS 832.10) applicable par analogie aux assurés réputés chômeurs au sens de l'art. 10 LACI. Or, l'art. 71 al. 1 LAMal prévoit précisément un droit de transfert dans l'assurance individuelle en cas de sortie de l'assurance collective.
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En l'espèce, après la fin des rapports de travail, l'intimé n'était pas en recherche d'emploi, mais percevait des indemnités de l'assurance-accidents. N'étant pas chômeur, il ne pouvait pas, sur la base du contrat d'assurance, demander son transfert dans l'assurance individuelle à la fin des rapports de travail.
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Il convient dès lors de se demander si, selon la CCT du second oeuvre, l'employeur doit conclure une assurance collective perte de gain en cas de maladie, prévoyant un droit de passage dans l'assurance individuelle lorsque le travailleur quitte le cercle des assurés et, le cas échéant, si la recourante, bailleresse de services, est liée par une telle obligation envers l'intimé et doit supporter les conséquences de l'absence de libre passage.
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2.2 Aux termes de l'art. 33 ch. 1 de la CCT du second oeuvre, le travailleur est assuré contre la perte de gain résultant de la maladie et de la maternité; les conditions d'assurance doivent être au moins équivalentes à celles de la LAMal (art. 67 ss). Les art. 67 à 77 LAMal forment le titre 3 de la loi, relatif à l'assurance facultative d'indemnités journalières. L'art. 71 al. 1 LAMal accorde à l'assuré le droit de passer dans l'assurance individuelle de l'assureur lorsqu'il sort de l'assurance collective parce qu'il cesse d'appartenir au cercle des assurés défini par le contrat ou parce que le contrat est résilié. Pour le canton de Vaud, l'art. 33 al. 1 let. c de la CCT du second oeuvre renvoie au surplus à l'annexe V dont le chiffre 9 traite du "passage en assurance individuelle". Selon la première phrase de cette disposition, le travailleur assuré doit être informé sur ses droits de passage dans une autre assurance ou dans l'assurance individuelle de l'assureur gérant l'assurance collective de l'entreprise. Sur le vu de ce qui précède, l'employeur soumis à la CCT du second oeuvre et à son annexe V doit conclure pour ses employés une assurance perte de gain en cas de maladie, dont les conditions doivent notamment prévoir le droit de passer de l'assurance collective à l'assurance individuelle lorsque le travailleur cesse d'appartenir au cercle des assurés.
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2.3.2 A l'occasion d'une modification de l'ordonnance du 16 janvier 1991 sur le service de l'emploi (OSE; RS 823.111) en vigueur depuis le 1er décembre 1999, le Conseil fédéral a introduit l'art. 48a dont l'alinéa 1 précise quelles sont les dispositions concernant le salaire au sens de l'art. 20 LSE; entrent dans cette définition notamment les dispositions régissant le salaire en cas d'empêchement du travailleur sans faute de sa part selon l'art. 324a CO (let. f) ou la part des primes à l'assurance-maladie (assurance pour perte de gain) selon l'art. 324a al. 4 CO (let. g).
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Auparavant, le Tribunal fédéral avait déjà eu l'occasion d'interpréter l'art. 20 al. 1 LSE (ATF 124 III 126). Il a ainsi jugé que les dispositions concernant le salaire incluaient celles relatives au salaire en cas d'empêchement de travailler, notamment pour cause de maladie (art. 324a CO). Comme la CCT appliquée dans l'arrêt en cause prescrivait une assurance perte de gain en cas de maladie (art. 324a al. 4 CO), il incombait au bailleur de services d'assurer le travailleur, la police devant garantir dès le premier jour d'emploi, conformément aux exigences de la CCT, le versement d'indemnités journalières correspondant à 80 % du salaire, pendant 720 jours dans une période de 900 jours consécutifs. Cette conclusion se révélait conforme au but visé par l'art. 20 LSE, qui est de rendre loyales les conditions de concurrence, en particulier sur le plan des salaires. En effet, les coûts salariaux comprennent le coût de la protection du travailleur contre la perte de gain en cas d'incapacité de travail. Or, si le bailleur de services pouvait accorder au travailleur intérimaire, en matière de salaire en cas d'empêchement de travailler, des droits inférieurs à ceux prévus par la CCT, cela provoquerait une sous-enchère salariale nuisible aux employeurs qui appliquent la CCT à leurs propres travailleurs. Le Tribunal fédéral a également relevé que la conclusion par l'employeur d'une assurance perte de gain en cas de maladie, au bénéfice d'un travailleur intérimaire, n'est nullement étrangère au statut de ce dernier, contrairement à des dispositions de CCT relatives par exemple aux caisses de pension (arrêt précité, consid. 1b/bb et consid. 1c p. 129 ss).
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En l'espèce, l'enjeu ne porte pas sur un salaire ou une indemnité d'assurance à verser en cas de maladie, mais sur la possibilité, pour le travailleur intérimaire, de passer à l'assurance perte de gain individuelle, une fois que les rapports de travail ont pris fin et qu'il a quitté le cercle des personnes affiliées à l'assurance collective. De manière générale, le libre passage facilite le changement d'assurance. Il s'agit du droit de l'affilié de contracter une nouvelle assurance pour des prestations identiques à celles dont il bénéficiait dans l'assurance collective, sans nouvel examen de santé et sans qu'une réserve puisse être formulée; le libre passage implique également que la nouvelle prime est calculée selon l'âge d'entrée dans l'assurance collective, mais elle sera fixée selon le tarif - plus élevé - des primes individuelles et ne sera plus payée en partie par l'employeur (THOMAS MATTIG, Freizügigkeit in der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 99 et p. 102; NORDMANN/THONNEY, Les effets de la fin des rapports de travail sur les indemnités journalières en cas de maladie dans l'assurance collective LCA, Colloques et journées d'étude organisées par l'IRAL, 2002, p. 846). Ainsi défini, le libre passage d'une assurance à une autre ne constitue manifestement pas un "salaire" pris au sens littéral.
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La question se pose dès lors de savoir, lorsqu'il existe une CCT instituant un régime dérogatoire au sens de l'art. 324a al. 4 CO, si les dispositions concernant le salaire selon l'art. 20 LSE comprennent toutes les dispositions concernant l'assurance perte de gain figurant dans la CCT.
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A cet égard, on ne saurait tirer des conclusions catégoriques de la mention du libre passage dans l' ATF 124 III 126 déjà cité (consid. 3 p. 133); il s'agit en effet d'un bref raisonnement par surabondance, qui reconnaît incidemment au travailleur, encore lié au bailleur de services par un contrat de travail, le droit de passer dans l'assurance individuelle au cas où l'employeur voudrait le priver du bénéfice de l'assurance collective au motif que la CCT n'était plus étendue au moment où le salarié est tombé malade. Pour sa part, l'art. 48a al. 1 OSE mentionne l'art. 324a al. 4 CO, base des régimes dérogatoires mettant en oeuvre l'assurance perte de gain, uniquement en rapport avec la part des primes à l'assurance-maladie perte de gain, insérée à ce titre dans la définition du salaire (let. g). Dans ses directives et commentaires relatifs à la LSE, à l'OSE et à la TE-LSE (accessibles sur http://www.seco.admin.ch/dokumentation/publikation), le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) range dans les dispositions concernant le salaire au sens de l'art. 20 LSE, de manière générale, "les dispositions des CCT étendues relatives aux assurances pour perte de gain et aux différents cas de maintien du salaire". Mais, plus loin, il cite le droit du travailleur intérimaire, reconnu dans l' ATF 124 III 126, à obtenir la prestation prévue par l'assurance perte de gain conforme à la CCT, puis la couverture d'assurance, les délais d'attente ainsi que la différence entre les taux de cotisation des employeurs et ceux des salariés. Or, ces éléments concernent toujours l'indemnité destinée à se substituer au salaire, qu'il s'agisse de son montant, des conditions de son versement ou de son financement.
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Il convient de rappeler à ce propos que, notamment pour les cas de maladie de ses employés, l'employeur peut conclure une assurance d'indemnités journalières, au lieu de supporter lui-même le paiement du salaire pendant un temps limité conformément au régime de base de l'art. 324a al. 1 et 2 CO. Ce régime dérogatoire, admis par l'art. 324a al. 4 CO, suppose un accord des parties sur les points essentiels suivants: le pourcentage du salaire assuré; les risques couverts; les restrictions de couverture; la durée des prestations; les modalités de financement des primes; la durée du délai d'attente. Il faut en plus que les prestations soient au moins équivalentes au régime de base. Ce sera le cas si l'assurance est financée à parts égales par employeur et travailleur et si elle prend effet dès le premier jour d'emploi, garantissant au travailleur absent pour cause de maladie des indemnités correspondant aux 80 % du salaire, versées pendant 730 jours dans une période de 900 jours consécutifs, sous déduction d'un délai d'attente de deux jours (PHILIPPE CARRUZZO, Le contrat individuel de travail, 2009, p. 210/211). Un éventuel libre passage de l'assurance collective à l'assurance individuelle n'apparaît ainsi ni comme un élément essentiel de l'accord des parties dérogeant au régime de base, ni comme un facteur permettant d'apprécier l'équivalence des prestations. Comme l'art. 48a al. 1 let. f OSE l'indique expressément, les dispositions concernant le salaire au sens de l'art. 20 LSE sont notamment les dispositions régissant le salaire en cas d'empêchement du travailleur pour cause de maladie (art. 324a CO). Parmi celles-ci, l'art. 324a al. 4 CO permet l'instauration d'un régime dérogeant au régime de base, par exemple lorsqu'une CCT impose la conclusion d'une assurance perte de gain. Dans la logique du système, les dispositions conventionnelles concernant le salaire en cas de maladie ne peuvent alors être que celles qui ont trait, directement (mode de calcul, durée, délai d'attente) ou indirectement (taux de cotisation), à l'indemnité remplaçant le salaire. Il s'ensuit qu'une disposition d'une CCT relative à l'assurance perte de gain qui n'a rien à voir avec l'indemnité elle-même, comme celle offrant sur demande le libre passage de l'assurance collective à l'assurance individuelle, ne saurait être classée dans les dispositions concernant le salaire au sens de l'art. 20 LSE. Il n'y a pas de raison de s'écarter en l'espèce de l'interprétation littérale.
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2.4 Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit fédéral en mettant à la charge de la recourante une obligation conventionnelle de garantir à l'intimé le libre passage de l'assurance collective à l'assurance individuelle. Dans ces conditions, le travailleur intérimaire ne saurait prétendre à la réparation du dommage qu'il aurait subi pour n'avoir pas bénéficié d'indemnités journalières en cas de maladie faute d'avoir pu demander son transfert dans l'assurance individuelle. Le recours doit être admis sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'argumentation subsidiaire de la recourante. L'arrêt attaqué sera annulé et la demande en paiement de l'intimé sera rejetée.
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