BGE 140 III 315
 
48. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit civil dans la cause A. et B. contre C. (recours en matière civile)
 
4A_68/2014 du 16 juin 2014
 
Regeste
Verfahren des Rechtsschutzes in klaren Fällen (Art. 257 ZPO).
 
Sachverhalt
A. Par contrat du 5 mai 2008, A. et B. ont remis à bail à C. un appartement de trois pièces au 1er étage, avec cave (et une place de parc extérieure), dans l'immeuble sis route x à X. (VD), immeuble dont ils sont copropriétaires; le bail, conclu à partir du 1er avril 2008 pour une durée d'un an, est renouvelable d'année en année, sauf résiliation , et prévoit le versement d'un loyer mensuel net de 1'350 fr., plus un acompte mensuel de charges de 150 fr., soit de 1'500 fr. au total.
Depuis le mois d'août 2012 au moins, l'appartement est également occupé par l'amie de C., D.
B.
B.a Le loyer de novembre 2012 n'a pas été payé à temps par le locataire.
Par lettre du 27 novembre 2012, le locataire et son amie ont demandé aux bailleurs de leur transmettre une copie du contrat de bail, exposant que le Centre social intercommunal, qui était censé les aider en attendant la perception de leurs indemnités de chômage, avait besoin de cette pièce pour débloquer l'argent nécessaire au paiement du loyer.
Le loyer du mois de décembre 2012 n'a pas non plus été payé à temps par le locataire.
B.b Le 3 décembre 2012, les bailleurs ont mis en demeure le locataire de s'acquitter dans les 30 jours du montant de 3'000 fr. correspondant aux loyers et charges des mois de novembre et décembre 2012; la sommation indiquait qu'à défaut de paiement dans le délai imparti, le bail serait résilié conformément à l'art. 257d CO.
Le 13 décembre 2012, la Direction des affaires sociales et familiales de la Commune de Y. (ci-après: le service social) a versé aux bailleurs trois fois le montant de 750 fr. pour le compte de D., soit 2'250 fr. au total, avec l'indication qu'il s'agissait du versement des loyers d'août, septembre et octobre 2012 de celle-ci. Par courrier adressé au service social le 17 décembre 2012, les bailleurs ont toutefois déclaré refuser ce paiement, au motif que D. n'était pas titulaire du bail; ils ont restitué ce montant de 2'250 fr. par virement bancaire du 15 janvier 2013.
Le 18 décembre 2012, le service social a versé aux bailleurs le montant de 1'500 fr. pour le loyer de novembre 2012 de C., puis, le même jour, le montant de 750 fr. correspondant à la part de loyer de celui-ci pour le mois de décembre 2012, soit 2'250 fr. au total.
Invoquant l'art. 257d CO, les bailleurs ont résilié une première fois le bail le 16 janvier 2013, pour le 31 mars 2013; ils ont exposé que sur le montant de loyers de 3'000 fr. à payer, un reliquat de 1'500 fr. n'avait pas été réglé. Les locataires ont contesté le congé, estimant avoir même payé 750 fr. en trop. Cette résiliation a été déclarée nulle par la Commission de conciliation en matière de baux à loyer compétente.
Le 28 mai 2013, les bailleurs ont à nouveau résilié le bail, pour le 31 juillet 2013, sur la base de l'art. 257d CO, en se prévalant du même motif, à savoir que les loyers de novembre et décembre 2012 - d'un total de 3'000 fr. - n'avaient pas été entièrement payés, que le service social n'avait payé que 2'250 fr. le 18 décembre 2012, de sorte que 750 fr. sur le loyer de décembre 2012 n'avait pas été réglé dans le délai imparti par la sommation du 3 décembre 2012.
Le 17 juin 2013, le locataire a requis de la Commission de conciliation l'annulation du congé.
B.c Le 14 août 2013, les bailleurs ont requis du Juge de paix du district de la Riviera-Pays-d'Enhaut l'expulsion de leur locataire, invoquant la protection des cas clairs de l'art. 257 CPC. Vu cette requête d'expulsion, la procédure d'annulation du congé déposée par le locataire le 17 juin 2013 a été suspendue.
Par ordonnance du 10 octobre 2013, la Juge de paix a ordonné au locataire de quitter les locaux loués d'ici au jeudi 7 novembre 2013 à midi et, s'il ne devait pas le faire volontairement, a chargé l'huissier de paix de procéder, sous la responsabilité du Juge de paix, à l'exécution forcée sur requête des bailleurs.
Statuant par arrêt rendu le 10 décembre 2013, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois a admis l'appel du locataire et, statuant à nouveau, déclaré irrecevable la requête d'expulsion.
C. Par arrêt du 16 juin 2014, le Tribunal fédéral a rejeté le recours en matière civile interjeté par les bailleurs.
(résumé)
 
Extrait des considérants:
Jusqu'ici, le Tribunal fédéral n'a pas eu à examiner si le juge qui statue sur le fond de la prétention, avec autorité de la chose jugée, peut seulement accorder la protection au demandeur, en admettant la requête de celui-ci, ou s'il peut également, au cas où la prétention se révélerait mal fondée, la rejeter.
Se prononcent en faveur de la possibilité de prononcer un rejet: SUTTER-SOMM/LÖTSCHER, in Kommentar zum Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger (éd.), 2e éd. 2013, nos 23 ss ad art. 257 CPC; SUTTER-SOMM, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2e éd. 2012, n. 1198 ss; LEUENBERGER/UFFER-TOBLER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2010, n. 11.182; GASSER/RICKLI, Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), Kurzkommentar, 2010, n° 8 ad art. 257 CPC; GÖKSU, in Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), Brunner/Gasser/Schwander (éd.), 2011, n° 24 ad art. 257 CPC; KOSLAR, in Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), Baker & McKenzie (éd.), 2010, n° 18 ad art. 257 CPC; HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n. 1680.
Estiment, en revanche, que le juge ne peut que prononcer l'irrecevabilité si la requête du demandeur est clairement mal fondée: MEIER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2010, ch. 8.1 p. 373; GÜNGERICH, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2012, n° 21 ad art. 257 CPC; TREZZINI, in Commentario al Codice di diritto processuale civile svizzero (CPC) del 19 dicembre 2008, 2011, p. 1144 ch. 4B ad art. 257 CPC; STAEHELIN ET AL., Zivilprozessrecht, 2e éd. 2013, § 21 n. 58; LEUPOLD, Der Rechtsschutz in klaren Fällen nach der neuen Schweizerischen Zivilprozessordnung, in Der Weg zum Recht, 2008, p. 65 ss, 70 et 76; BOHNET, in CPC, Code de procédure civile commenté, 2011, n° 24 ad art. 257 CPC; HOFMANN/LÜSCHER, Le Code de procédure civile, 2009, p. 166; HOFMANN, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2e éd. 2013, n° 26 ad art. 257 CPC; JENT-SØRENSEN, in ZPO, Oberhammer/Domej/Haas (éd.), 2e éd. 2014, n° 14 ad art. 257 CPC).
 
Erwägung 5.2
5.2.1 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (interprétation systématique) (ATF 138 III 166 consid. 3.2; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1; ATF 135 III 640 consid. 2.3.1). Lorsqu'il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une position pragmatique en suivant ces différentes interprétations, sans les soumettre à un ordre de priorité (ATF 137 III 344 consid. 5.1; ATF 133 III 257 consid. 2.4; ATF 131 III 623 consid. 2.4.4 et les références).
5.2.2 Le texte de l'art. 257 CPC ne donne pas de réponse limpide à la question de savoir si le juge peut rendre un jugement de rejet, ayant l'autorité de la chose jugée. Selon le texte allemand de l'art. 257 al. 3 CPC, si la protection ne peut pas être accordée, le tribunal n'entre pas en matière sur la requête ("Kann dieser Rechtsschutz nicht gewährt werden, so tritt das Gericht auf das Gesuch nicht ein" qualifié d'équivoque par SUTTER-SOMM, op. cit., n. 1200). En revanche, les textes français et italien ne prévoient la conséquence de la non-entrée en matière que si les conditions de l'art. 257 al. 1 CPC ne sont pas remplies ("Le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée"; "Se non sono date le condizioni per ottenere la tutela giurisdizionale in procedura sommaria, il giudice non entra nel merito"). Il y a donc lieu de recourir aux autres modes d'interprétation de la loi, en particulier à l'interprétation historique, rien ne pouvant être déduit d'une interprétation systématique ou téléologique de cette disposition.
L'avant-projet de la commission d'experts de juin 2003 contenait deux dispositions pour régler cette procédure de "protection rapide dans les cas clairs" (art. 266 et 267 AP-CPC); l'art. 267 al. 3 AP-CPC prévoyait que "s'agissant de la force de chose jugée, une décision sur le fond a les effets d'une décision rendue en procédure ordinaire". Selon le rapport explicatif accompagnant cet avant-projet, il en résultait que "le rejet matériel de la requête est également pourvu de l'autorité de la chose jugée: il intervient lorsqu'il est manifeste que la prétention invoquée n'a pas lieu d'être (p. ex. lorsque le défendeur peut produire la quittance d'un paiement); le rejet de la requête doit toutefois être clairement distingué de la non-entrée en matière selon l'alinéa 2" (cf. Rapport accompagnant l'avant-projet de la commission d'experts, juin 2003, p. 128 ad art. 267). Le texte de l'art. 267 al. 2 AP-CPC correspond désormais, mis à part quelques nuances rédactionnelles, à l'art. 257 al. 3 CPC. Ces deux dispositions (art. 266 et 267 AP-CPC) ont été critiquées au cours de la procédure de consultation.
Par la suite, le Conseil fédéral a soumis au Parlement son Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse (CPC), dont le texte ne prévoit plus qu'une seule disposition (art. 253) pour régler cette procédure de "protection dans les cas clairs". Le Message indique que "le rejet de la requête avec autorité matérielle de chose jugée aurait constitué une conséquence inéquitable, ce qui a été signalé à juste titre lors de la procédure de consultation" (FF 2006 6960 ch. 5.18 ad art. 253).
S'il a été déduit de cette phrase que le Conseil fédéral était d'avis qu'une requête ne pouvait pas être rejetée (STAEHELIN ET AL., op. cit., § 21 n. 58; HOFMANN, op. cit., n° 26 ad art. 257 CPC; LEUENBERGER/UFFER-TOBLER, op. cit., n. 11.182), il en a aussi été tiré que le Conseil fédéral ne s'est pas exprimé sur la question de la prétention mal fondée, mais uniquement sur la conséquence à attacher au fait que les conditions de la protection rapide ne sont pas données, soit l'irrecevabilité de la requête, et non le rejet de celle-ci (SUTTER-SOMM/LÖTSCHER, op. cit., nos 27 et 31 ad art. 257 CPC). Cette dernière lecture du Message n'emporte toutefois pas la conviction, au vu des résultats de la procédure de consultation et de la modification de l'avant-projet qui en est résulté.
Au cours des débats parlementaires, la question d'un rejet matériel n'a pas été spécialement évoquée.