BGE 141 III 13
 
3. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A. contre Office du Registre foncier du canton de Genève (recours en matière civile)
 
5A_240/2014 du 18 décembre 2014
 
Regeste
Art. 201 Abs. 2 i.V.m. Art. 204 Abs. 2 ZGB, Art. 965 ff. ZGB und Art. 83 ff. GBV; Zustimmung des Ehegatten zur Übertragung eines Miteigentumsanteils im Scheidungsfall; Prüfungsbefugnisse des Grundbuchverwalters.
 
Sachverhalt
A.
A.a Le 22 décembre 2008, B.B., domiciliée à V., a déposé une requête unilatérale en divorce contre C.B., actuellement domicilié à X. L'époux ayant consenti au divorce, la procédure est pendante uniquement sur les effets accessoires du divorce.
Les époux, tous deux citoyens russes, sont parents de A., née en 1989, qui vit également à X.
A.b Par ordonnance sur mesures provisionnelles du 20 mars 2012, le Tribunal de première instance du canton de Genève a donné acte à C.B. de son engagement de ne pas disposer, ni d'engager au sens de l'art. 646 al. 3 CC, sauf jugement contraire ou accord exprès de son épouse, de ses parts de copropriété sur les biens immobiliers situés sur les parcelles n° w de la Commune de U. et nos x et y de la Commune de V. Il y a été condamné en tant que de besoin. Le Tribunal de première instance a ordonné au conservateur du Registre foncier de mentionner cette restriction audit registre. Cette ordonnance n'a toutefois pas été communiquée au Registre foncier et aucune mention n'a été apportée sur les feuillets ad hoc.
B.
B.a Par acte authentique du 3 juin 2013, C.B. a fait donation à sa fille A., à titre d'avance d'hoirie, de ses parts de copropriété sur les parcelles nos z, x et y de la Commune de V.
B.b Le 5 juin 2013, A. a requis l'inscription de cette donation au Registre foncier. Sa réquisition a été inscrite au journal et publiée dans la Feuille d'avis officielle du 14 juin 2013.
B.c Par courrier du 17 juin 2013 de son mandataire, B.B. s'est opposée à l'inscription requise par sa fille au Registre foncier.
B.d Par décision du 2 juillet 2013, le Registre foncier a rejeté la réquisition de A. tendant à son inscription en tant que propriétaire des droits cédés par son père, à défaut de consentement de B.B., épouse de C.B. et copropriétaire avec celui-ci des parcelles en cause.
C.
C.a Parallèlement, par ordonnance de mesures superprovisionnelles du 17 juin 2013 rendue à la requête de B.B., le Tribunal de première instance a ordonné le blocage auprès du conservateur du registre foncier de Genève des parts de copropriété sur les parcelles nos x, y et z de la Commune de V. appartenant à C.B.
C.b Par ordonnance de mesures provisionnelles du 20 novembre 2013, le Tribunal de première instance a ordonné au conservateur du Registre foncier de procéder à la mention de blocage sur les feuillets relatifs aux parcelles nos x, y et z de la Commune de V. et a dit que celle-ci déploierait ses effets jusqu'à droit jugé dans la procédure de divorce.
D. Statuant le 18 février 2014 sur le recours formé par A. contre la décision du 2 juillet 2013 du Registre foncier, la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours et confirmé la décision querellée.
E. Par acte du 21 mars 2014, A. forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cette décision concluant principalement à l'annulation de la décision entreprise ainsi qu'à l'annulation de la décision du Registre foncier du 2 juillet 2013 rejetant la réquisition de l'inscrire en tant que propriétaire des droits cédés par son père, à savoir comme copropriétaire pour moitié des parcelles nos x, y et z de la Commune de V., et qu'il soit ordonné à l'Office du registre foncier de Genève de l'inscrire en tant que telle; subsidiairement, elle requiert qu'il soit ordonné au Registre foncier de mettre en suspens jusqu'à droit jugé quant à la procédure de divorce opposant ses parents la réquisition de l'inscrire comme copropriétaire desdits droits. A l'appui de ses conclusions, elle invoque la constatation arbitraire des faits, la violation de son droit d'être entendue et semble en outre alléguer une violation, respectivement une application erronée, de l'art. 57 LDIP et des art. 178, 201 al. 2 et 204 al. 2 CC.
Invités à se déterminer, la Cour de justice s'est référée aux considérants de sa décision et le Registre foncier a conclu au rejet du recours. La recourante a répliqué le 19 novembre 2014.
(...)
G. Le 18 décembre 2014, le Tribunal fédéral a délibéré sur le recours en séance publique. Il l'a rejeté par arrêt du même jour.
(extrait)
 
Extrait des considérants:
 
Erwägung 4
4.1 Sauf dans certains cas particuliers non pertinents en l'espèce, l'inscription au registre foncier est nécessaire pour l'acquisition de la propriété foncière (art. 656 al. 1 CC). Constitutive, l'inscription s'opère sur déclaration écrite du propriétaire de l'immeuble auquel se rapporte son objet (art. 963 al. 1 CC; PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome II, 4e éd. 2012, n. 1539 ss et les références; HERMANN LAIM, in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, vol. II, 4e éd. 2011, nos 10 ss ad art. 656 CC; cf. ATF 135 III 585 consid. 2.1). Le pouvoir d'examen du conservateur du registre foncier se limite principalement à un examen formel. Il ne peut procéder à aucune opération sans légitimation préalable du requérant quant à son droit de disposition et au titre sur lequel se fonde l'opération (art. 965 al. 1 CC). La réquisition doit être écartée si la légitimation fait défaut (art. 966 al. 1 CC). S'agissant du titre d'acquisition, son contrôle porte avant tout sur l'observation des formes auxquelles la validité de l'acte est subordonnée (art. 965 al. 3 CC). En principe, le conservateur ne doit pas examiner la validité matérielle du titre d'acquisition, à moins que le défaut soit manifeste (ATF 124 III 341 consid. 2b p. 344; arrêt 5A.14/2001 du 29 janvier 2002 consid. 3; PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome I, 5e éd. 2012, n. 849 ss). Ainsi, des questions de droit matériel ne peuvent pas être revues dans le cadre de la procédure de recours de l'art. 956a CC (ATF 124 III 341 consid. 2b p. 344 concernant le recours selon les anciens art. 101 ss ORF).
Aux termes de l'art. 46 al. 1 de l'ordonnnance du 23 septembre 2011 sur le registre foncier (ORF; RS 211.432.1), l'office du registre foncier n'opère d'inscription que sur réquisition. La réquisition ne peut être subordonnée à aucune condition ni réserve (art. 47 al. 1 ORF). L'office du registre foncier vérifie que les conditions légales de l'inscription au grand livre sont réunies sur la base des autres pièces justificatives accompagnant la réquisition (art. 83 al. 1 ORF). Il contrôle ainsi notamment le droit de disposer de la personne qui présente la réquisition (art. 83 al. 2 let. c ORF) et les autorisations et les consentements nécessaires, pour s'assurer qu'ils ont été produits (art. 83 al. 2 let. i ORF). L'art. 51 al. 2 ORF prévoit en outre que les pièces justificatives accompagnant la réquisition d'inscription doivent contenir les indications permettant d'apprécier si le consentement du conjoint est nécessaire pour disposer de l'immeuble.
Lorsque les conditions de l'inscription au grand livre ne sont pas remplies, l'office du registre foncier rejette la requête (art. 87 al. 1 ORF). Il peut toutefois fixer un bref délai au requérant pour produire les pièces justificatives manquantes, à l'échéance duquel il rejettera la requête si le défaut n'est pas réparé (art. 87 al. 2 ORF).
L'art. 201 al. 2 CC introduit uniquement une restriction du pouvoir de disposer de l'époux qui est copropriétaire avec son conjoint. Cette interdiction n'a donc pas d'effet sur la capacité de l'époux copropriétaire de conclure un acte générateur d'obligations relatif à sa part de copropriété mais uniquement sur l'acte de disposition qui s'ensuit. Ainsi, le contrat sur lequel se fonde le transfert de propriété n'est pas nul du fait de l'absence de consentement. En revanche, l'acte ne pourra pas être exécuté valablement si le conjoint n'y consent pas (HAUSHEER/REUSSER/GEISER, Berner Kommentar, 1992, n° 29 ad art. 201 CC; ALEXANDRA RUMO-JUNGO, in Personen- und Familienrecht inkl. Kindes- und Erwachsenenschutzrecht, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, 2e éd. 2012, n° 7 ad art. 201 CC).
4.3 Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que les époux B. étaient, du moins avant le dépôt de la requête en divorce, soumis au régime matrimonial de la participation aux acquêts en application des art. 54 al. 1 let. b LDIP (RS 291) et 181 CC, de sorte que la restriction au pouvoir de disposer prévue par l'art. 201 al. 2 CC leur était en principe applicable. L'art. 204 al. 2 CC dispose cependant, qu'en cas de divorce, la dissolution du régime ordinaire rétroagit au jour de la demande. Cette formulation ambiguë a donné lieu à diverses interprétations en doctrine (cf. HAUSHEER/REUSSER/GEISER, op. cit., nos 27 ss ad art. 204 CC). Certains auteurs estiment que les époux sont soumis au régime de la séparation de biens dès le dépôt de la demande en divorce, pour autant qu'elle ne soit pas ensuite rejetée ou abandonnée, et ce autant dans leurs rapports juridiques internes qu'à l'égard des tiers (HAUSHEER/REUSSER/GEISER, op. cit., no 35 ad art. 204 CC; DESCHENAUX/STEINAUER/BADDELEY, Les effets du mariage, 2e éd. 2009, n. 1141b; HAUSHEER/AEBI-MÜLLER, in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, vol. I, 4e éd. 2010, n° 13 ad art. 204 CC; PAUL-HENRI STEINAUER, in Commentaire romand, Code civil, vol. I, 2010, n° 12 ad art. 204 CC). Une autre solution proposée consiste à retenir que la dissolution du régime ordinaire intervient seulement lorsque le prononcé de divorce entre en force, de sorte que l'effet rétroactif au jour du dépôt de la demande prévu par l'art. 204 al. 2 CC n'a d'effets que pour les rapports juridiques entre les époux (HAUSHEER/REUSSER/GEISER, op. cit., no 29 ad art. 204 CC). Dans la première hypothèse, défendue par la recourante, les époux sont soumis au régime de la séparation de biens à compter du dépôt de la requête en divorce, ce qui entraîne la suppression de l'interdiction de disposer sans le consentement du conjoint prévue par l'art. 201 al. 2 CC dès cette date. Ceci vaut toutefois uniquement pour autant que le divorce soit ensuite prononcé et entre en force, à défaut de quoi les actes de disposition accomplis sans le consentement requis entre le moment où la litispendance a été créée et le prononcé de divorce doivent être rectifiés, l'effet rétroactif prévu par l'art. 204 al. 2 CC n'étant dès lors plus applicable. En revanche, dans la seconde hypothèse évoquée les époux restent soumis au régime de la participation aux acquêts durant la procédure de divorce et l'interdiction de disposer de l'art. 201 al. 2 CC continue à déployer ses effets à l'égard des tiers également durant cette période.
5. Comme exposé précédemment (cf. supra consid. 4.1), le pouvoir d'examen du conservateur du registre foncier est limité. En effet, il ne lui appartient pas de trancher une question de droit matériel, controversée en doctrine, pour déterminer si le consentement de l'époux copropriétaire est encore nécessaire une fois la procédure de divorce pendante. Lorsque le conservateur est confronté à un acte de disposition portant sur une part de copropriété, qu'il constate que les copropriétaires sont mariés, que l'autre époux n'a pas consenti audit acte et qu'il a des doutes quant à la nécessité du consentement de l'époux copropriétaire, il ne viole pas le droit fédéral en procédant au rejet de la demande d'inscription (voir aussi l'arrêt 5C.13/1999 du 23 mars 2000 consid. 3a). En effet, alors que l'exigence du consentement de l'art. 201 al. 2 CC est claire, reconnaissable à la simple lecture de la loi, et ne souffre aucune interprétation, la portée de la rétroactivité de l'art. 204 al. 2 CC est controversée. En fondant sa disposition uniquement sur l'absence de consentement de l'épouse, le conservateur a par conséquent fait, à titre préjudiciel, un choix non critiquable en tant qu'il a ainsi exprimé l'idée selon laquelle il n'a pas à interpréter la loi civile et en l'occurrence l'art. 204 al. 2 CC dans son examen (cf. dans le même sens: ATF 117 II 541 consid. 3).
Il s'ensuit que la décision attaquée peut être confirmée par substitution de motifs. Le sort du recours est ainsi scellé sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de la conclusion subsidiaire de la recourante tendant à "mettre en suspens" la réquisition d'inscription jusqu'à droit jugé quant à la procédure de divorce opposant ses parents. Il suffit de rappeler à cet égard, comme le fait à juste titre la conservatrice dans sa réponse du 4 novembre 2014 au présent recours, que le registre foncier a pour but de donner l'état des droits en relation avec des immeubles, de sorte qu'il serait contraire au principe de la foi publique du registre foncier d'accepter de suspendre pour une durée indéterminée l'inscription d'un transfert de propriété. En effet, lorsque les conditions de l'inscription au grand livre ne sont pas remplies, l'office du registre foncier doit rejeter la requête (art. 87 al. 1 ORF). Il ne peut "suspendre" l'inscription que dans certains cas particuliers. Ainsi, l'art. 966 al. 2 CC permet au conservateur de procéder à une inscription provisoire dans l'attente que la légitimation soit complétée; de même, l'art. 87 al. 2 ORF, lui, permet de fixer un bref délai au requérant lorsque certaines pièces justificatives nécessaires à sa légitimation sont manquantes, la doctrine considérant toutefois que le requérant n'a pas un droit à obtenir la suspension dans un tel cas (PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome I, op. cit., n. 856d et la référence citée). Or, indépendamment de la question de savoir si le problème qui se pose en l'espèce relève d'un défaut de légitimation visé par l'art. 966 al. 2 CC, ici, seule une inscription définitive a été requise par la recourante. Par ailleurs, même si l'office peut différer sa décision et impartir un délai pour demander l'inscription provisoire, il ne viole cependant pas le droit fédéral en optant pour le rejet de la réquisition. Un autre cas de "suspension" est le sursis à la procédure d'inscription à proprement parler prévu par l'art. 88 ORF. Cette disposition précise toutefois que le conservateur doit surseoir à l'inscription au grand livre uniquement lorsqu'un acte législatif fédéral le prévoit (comme par exemple l'art. 81 de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier rural [LDFR; RS 211.412.11] et l'art. 18 de la loi fédérale du 16 décembre 1983 sur l'acquisition d'immeubles par des personnes à l'étranger [LFAIE; RS 211.412.41]). Ceci n'est manifestement pas le cas en l'espèce, de sorte que la conclusion subsidiaire du recours devrait de toute évidence également être rejetée.