BGE 144 III 54 |
6. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit civil dans la cause A.A. contre B.A. (recours en matière civile) |
5A_213/2017 du 11 décembre 2017 |
Regeste |
Art. 221 Abs. 1 lit. d und e ZPO in analoger Anwendung; Zulässigkeit einer Scheidungsklage, insbesondere mit Bezug auf die Form ihrer Abfassung. |
Sachverhalt |
A.a Le 27 mai 2016, A.A. a introduit une demande en divorce contre B.A. auprès du Tribunal des districts de Martigny et Saint-Maurice.
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A.b Lors de l'audience de conciliation du 14 juillet 2016 devant le Juge des districts de Martigny et Saint-Maurice (ci-après: le Juge de district), les parties ont passé la transaction partielle suivante:
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"1. Le mariage célébré le 5 décembre 2009 par A.A. et B.A. devant l'officier d'état civil de W. est dissous par le divorce.
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2. Les prestations de sortie calculées pour la durée du mariage sont partagées par moitié.
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3. Le régime matrimonial est considéré comme liquidé, chacun des époux demeurant propriétaire des biens en sa possession, titulaire des comptes à son nom et débiteur des dettes à son nom. Les prétentions résultant d'éventuels arriérés de contributions d'entretien sont réservées."
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A.c Par ordonnance du même jour, le Juge de district a imparti un unique délai de 30 jours à A.A. pour déposer un mémoire-demande motivé, limité aux questions de l'autorité parentale et de la garde sur l'enfant des parties, ainsi que des contributions d'entretien. Il a précisé qu'à défaut, la demande serait déclarée sans objet et rayée du rôle en vertu de l'art. 291 al. 3 CPC.
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A.A. a déposé un mémoire-demande le 14 septembre 2016.
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Par ordonnance du 15 septembre 2016, le Juge de district a imparti un délai échéant le 5 octobre 2016 à B.A. pour déposer sa réponse. Par courrier du 19 septembre 2016, le défendeur a relevé que le mémoire-demande ne contenait ni faits circonstanciés, ni moyens de preuve s'y rapportant, de sorte qu'il n'était pas suffisamment clair pour qu'il puisse y répondre.
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Par ordonnance du 26 septembre 2016, le Juge de district a imparti un délai de 10 jours à la demanderesse pour modifier son mémoire, en précisant qu'à défaut, il ne serait pas entré en matière sur la demande. Il s'est fondé sur l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC, exposant que celui-ci exige "que les allégations et offres de preuve de chaque partie soient formulées de façon suffisamment précise, selon le principe 'un fait = un allégué', de sorte que le défendeur puisse se déterminer de façon précise sur chacun d'entre eux".
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Le 17 octobre 2016, la demanderesse a déposé une "écriture ampliative".
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B. Le Tribunal fédéral a admis le recours formé par A.A., annulé la décision du 6 février 2017 et renvoyé la cause à l'autorité de première instance pour examen de la demande en divorce.
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(résumé)
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Extrait des considérants: |
Erwägung 4.1 |
La demande unilatérale en divorce n'est pas précédée d'une tentative préalable de conciliation (art. 198 let. c CPC), mais la conciliation sera tentée à l'audience obligatoirement fixée à réception de la demande (art. 291 al. 1 CPC; ATF 138 III 366 consid. 3.1.2-3.1.4). Lors de cette audience dite de "conciliation" (Einigungsverhandlung; udienza di conciliazione), le tribunal doit vérifier l'existence du motif de divorce (art. 114 ou 115 CC), puis, si l'existence d'un tel motif est avérée, tenter de trouver un accord entre les époux sur les effets du divorce (art. 291 al. 1 et 2 CPC; arrêt 5A_223/2016 du 28 juillet 2016 consid. 5.1.2.1). Si le motif de divorce n'est pas avéré ou si la tentative de conciliation sur les effets accessoires n'a pas abouti, le tribunal fixe un délai au demandeur pour déposer sa motivation écrite, faute de quoi la cause sera déclarée sans objet et rayée du rôle (art. 291 al. 3 CPC). Une fois que l'époux demandeur a motivé sa demande ou si, interpellé à ce sujet, celui-ci indique ne pas souhaiter compléter sa demande qui serait d'ores et déjà motivée, le procès se continue selon les règles de la procédure ordinaire, applicables par analogie (art. 219 ss CPC), avec les exigences de la procédure de divorce (art. 274 ss CPC; arrêt 5A_223/2016 du 28 juillet 2016 consid. 5.1.2.1).
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4.1.3.1 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Il n'y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales. Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation,mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste. Si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 142 III 695 consid. 4.1.2 et les références, ATF 142 III 402 consid. 2.5.1).
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En ce qui concerne la disposition topique pour le cas d'espèce, à savoir l'art. 221 al. 1 let. d CPC, le texte légal est similaire dans les différentes langues nationales: la demande doit notamment contenir les allégations de fait (die Tatsachenbehauptungen; l'esposizione dei fatti) du demandeur. Quant au texte français de l'art. 221 al. 1 let. e CPC (selon lequel la demande doit contenir l'indication, pour chaque allégation, des moyens de preuves proposés), il est légèrement différent des textes allemand et italien (die Bezeichnung der einzelnen Beweismittel zu den behaupteten Tatsachen; l'indicazione dei singoli mezzi di prova con riferimento ai fatti esposti). Le texte français semble suggérer que les allégations de fait doivent être individualisées ("chaque allégation"). Tel n'est pas le cas des textes allemand et italien. En revanche, ceux-ci laissent entendre que le demandeur doit indiquer précisément quel moyen de preuve est proposé en relation avec ses allégations ("einzelnen Beweismittel"; "singoli mezzi di prova"); il en résulte notamment que le demandeur ne saurait proposer de manière générale, à l'appui d'une allégation de fait, la preuve "par témoins", mais doit indiquer quel témoin est proposé (dans ce sens notamment CHRISTOPH LEUENBERGER, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm et al. [éd.], 3e éd. 2016, n° 56a ad art. 221 CPC). Cela étant, quelle que soit la langue prise en considération, la loi ne précise pas si les allégations du demandeur doivent revêtir une certaine forme, en particulier, si chaque allégation doit comprendre un certain nombre de phrases au maximum, si chaque fait doit être présenté séparément, ou encore si les allégations de fait doivent être numérotées. Elle ne dit pas non plus si les offres de preuve doivent être placées directement à la suite de chaque fait allégué, ou s'il suffit que l'on puisse clairement comprendre quelle preuve se rapporte à quel fait (à ce sujet, voir notamment l'arrêt 4A_487/2015 du 6 janvier 2016 consid. 5.2 et les références, qui précise qu'un moyen de preuve est offert conformément aux exigences formelles posées par la loi s'il est clairement associé au fait qu'il est destiné à démontrer, et réciproquement). A fortiori, la loi ne dit pas si, en fonction de la manière dont sont présentés les allégués et les moyens de preuve, le juge pourrait déclarer la demande irrecevable pour vice de forme, au sens de l'art. 132 al. 1 et 2 CPC. En conséquence, on peut se demander si l'interprétation à laquelle a procédé l'autorité cantonale en l'espèce est conforme à l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC.
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4.1.3.2 Dans son Message relatif au CPC, le Conseil fédéral indique qu'en procédure ordinaire, la demande doit respecter la forme d'un mémoire. Il ajoute que le projet reprend les formalités et indications usuellement requises en droit de procédure (Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civil suisse [CPC], FF 2006 6841 ss, 6946 ad art. 217 à 220 P-CPC).
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Or, les formalités requises par les anciens codes de procédure civile cantonaux à propos de la présentation des faits et des moyens de preuve étaient divergentes. Alors que certaines lois cantonales étaient souples à cet égard, d'autres avaient une approche nettement plus formaliste. On citera, à titre d'exemple, l'art. 262 let. b et c du Code de procédure civile du canton de Vaud du 14 décembre 1966 (aCPC-VD), qui disposait que la demande renferme "l'exposition articulée des faits rangés sous des numéros d'ordre" et "l'indication précise, à la suite de chaque fait allégué, des preuves offertes". Selon la jurisprudence cantonale vaudoise, chaque allégué ne devait contenir que l'exposé d'un seul élément de fait. Cette règle avait pour but de permettre à la partie adverse de se déterminer clairement sur les faits allégués et de faciliter la rédaction, par le juge instructeur, de l'ordonnance sur preuves (POUDRET/HALDY/TAPPY, Procédure civile vaudoise, 3e éd. 2002, n° 1 ad art. 262 aCPC-VD p. 406 s. et les références). La règle "un fait, un allégué" a été reprise par le Code de procédure civile du canton du Valais du 24 mars 1998 (aCPC-VS), dont l'art. 126 al. 1 let. d prévoyait expressément que le mémoire-demande contient "l'énumération concise, en phrases articulées et rangées suivant une numérotation logique, des faits sur lesquels le demandeur fonde son action, permettant à la partie adverse de se déterminer par 'admis', 'contesté' ou 'ignoré'; chaque fait doit faire l'objet d'un allégué distinct" (selon la version allemande de la dernière partie de cette phrase: "jede Tatsachenbehauptung ist für sich getrennt aufzuführen"). Cette exigence constituait une innovation par rapport à l'ancienne version du Code de procédure civile valaisan (MICHEL DUCROT, Le droit judiciaire privé valaisan, 2000, p. 396), selon laquelle la demande devait contenir "l'énumération concise et en phrases articulées des faits sur lesquels le demandeur base son action" (art. 144 ch. 4 du Code de procédure civile de la République et canton du Valais du 22 novembre 1919).
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Dans la mesure où, selon le Message précité, le CPC reprend l'acquis commun cantonal sans suivre pour autant l'exemple d'un CPC cantonal déterminé, et où la codification doit résulter de la méthode comparative appliquée aux codes cantonaux, au droit judiciaire fédéral et au droit international (FF 2006 6855), on ne saurait se référer en priorité à l'une ou l'autre des anciennes lois cantonales pour interpréter le CPC suisse s'agissant de la question litigieuse. Au regard des exemples cités ci-dessus (aCPC-VS et aCPC-VD), on ne peut exclure d'emblée que la procédure civile unifiée soit emprunte d'un certain formalisme à cet égard. Il faut toutefois relever que selon le Message, la procédure doit répondre aux besoins de la pratique et servir à la réalisation du droit, et qu'en présence de variantes, la plus simple doit être préférée (FF 2006 6855).
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Les travaux parlementaires n'apportent aucune précision supplémentaire sur ce point. Si l'adoption des art. 219 à 221 CPC (art. 216-218 P-CPC) a fait l'objet d'une remarque générale d'un Conseiller aux Etats à propos de la fonction de la procédure ordinaire, ainsi que de la question des faits et moyens de preuve nouveaux et de la modification de la demande (BO 2007 CE 528), le point de savoir si la présentation des faits et des moyens de preuve est soumise à des exigences formelles particulières n'a pas été abordé. Au Conseil national, le projet du Conseil fédéral relatif aux art. 219 à 221 CPC a été adopté sans aucune discussion (BO 2008 CN 964).
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Il ressort de ce qui précède que l'interprétation historique ne permet pas de déterminer la portée exacte de l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC.
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4.1.3.3 Le but de l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC est de permettre au juge de déterminer sur quels faits le demandeur fonde ses prétentions et par quels moyens de preuve il entend démontrer lesdits faits. Cette disposition a aussi pour objectif de permettre au défendeur de se déterminer sur les faits allégués et, le cas échéant, d'offrir des contre-preuves, conformément à l'art. 222 CPC. Il s'agit donc de se demander si, pour que ce but puisse être atteint, il est indispensable d'imposer au demandeur de structurer son mémoire en phrases distinctes, contenant chacune un seul fait.
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4.1.3.4 La doctrine n'est pas unanime à ce sujet.
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De manière générale, lorsqu'ils commentent l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC, les auteurs romands ont tendance à aborder essentiellement le point de savoir si cette disposition contient des exigences formelles.
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Certains auteurs affirment que chaque fait doit être présenté séparément, avec à sa suite la preuve proposée, autrement dit, que la procédure civile unifiée prévoit un système similaire à celui de l'ancien droit de procédure civile vaudois (principe "un allégué, un fait"; MERCEDES NOVIER, Demande et réponse en procédure ordinaire selon le CPC: quelques observations, JdT 2010 III p. 195, 203 s.; dans le même sens DENIS TAPPY, in CPC, Code de procédure civile commenté, 2011, n° 17 ad art. 221 CPC, qui expose qu'il s'agit d'articuler les faits en allégués distincts, comme le prévoyaient notamment la plupart des procédures cantonales romandes, à l'exception de la procédure genevoise, ceci même si le terme "allégué" n'apparaît pas en français dans le texte de l'art. 221 CPC [cet auteur souligne que ce terme figure cependant à l'art. 235 al. 2 CPC]). Des allégations ainsi conçues seraient nécessaires au bon déroulement de la procédure ordinaire, sous peine d'empêcher le défendeur d'indiquer dans sa réponse, avec la précision requise par l'art. 222 al. 2 CPC, quels faits sont reconnus ou contestés. Tout en évitant le formalisme excessif, le tribunal devrait faire respecter d'office cette exigence, sous peine d'irrecevabilité, le cas échéant après avoir fixé au demandeur qui ne l'aurait pas respecté un délai pour remédier à une formulation déficiente (TAPPY, op. cit., n° 18 ad art. 221 CPC).
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En revanche, d'autres auteurs admettent que la loi n'impose pas un tel format de présentation, tout en soulignant qu'il est fortement conseillé de l'adopter, pour des raisons pratiques, notamment pour permettre au défendeur de se prononcer de façon plus claire sur les allégués du demandeur (JEANDIN/PEYROT, Précis de procédure civile, 2015, p. 197 s.; apparemment dans le même sens: FRANÇOIS CHAIX, L'apport des faits au procès, in Procédure civile suisse, François Bohnet [éd.], 2010, n. 34 p. 127 s., selon lequel"en pratique, l'écriture contiendra des allégués brefs, contenant chacun un unique élément de fait"). Certains auteurs ajoutent que chaque allégué doit être bref, la brièveté devant s'analyser à la lumière de l'interdiction du formalisme excessif: selon eux, on ne saurait fixer un maximum de lignes, voire de mots à ne pas dépasser, le bon sens devant prévaloir à cet égard (HOFMANN/LÜSCHER, Le Code de procédure civile, 2e éd. 2015, p. 200). Un auteur précise qu'un allégué peut comprendre plusieurs faits et, s'il est numéroté, quelques paragraphes, avec indication des preuves se rapportant à ces faits. Il estime que seule une présentation désordonnée ou excessivement compacte devrait justifier un renvoi à son auteur pour rectification au sens de l'art. 132 CPC. Il relève que la question essentielle est la praticabilité de l'acte: celui-ci est recevable - et conforme aux exigences de l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC - si la présentation des faits et des preuves permet au juge d'instruire la cause et si l'adversaire peut prendre position sur la demande (FRANÇOIS BOHNET, Nouveau CPC: questions choisies, RSPC 2011 p. 169 et 171).
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Les auteurs alémaniques et tessinois sont en revanche muets sur la question précise de la forme des allégués. Dans leurs écrits relatifs à l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC, ils retiennent, en substance, que les faits doivent être suffisamment détaillés pour qu'il soit possible d'en apporter la preuve. Ils rappellent qu'en vertu de l'art. 56 CPC, le tribunal interpelle les parties lorsque leurs actes ou déclarations sont peu clairs, contradictoires, imprécis ou manifestement incomplets, leur donnant l'occasion de les clarifier et de les compléter (parmi plusieurs THOMAS SUTTER-SOMM, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd. 2017, n. 1058-1062 s. p. 285 s.; ERIC PAHUD, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Kommentar, Brunner et al. [éd.], 2e éd. 2016, n° 15 ad art. 221 CPC). Ils exposent que le demandeur doit alléguer de manière concrète et suffisamment précise les faits sur lesquels il fonde ses prétentions, de telle manière que l'adverse partie puisse se déterminer sur ceux-ci et offrir ses contre-preuves (cf. notamment LAURENT KILLIAS, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, vol. II, 2012, nos 22 et 28 ad art. 221 CPC; FRANCESCO TREZZINI, in Commentario al Codice di diritto processuale civile svizzero [CPC], 2011, p. 976; DANIEL WILLISEGGER, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd. 2017, n° 29 in fine ad art. 221 CPC; FRANCESCO TREZZINI, in Commentario pratico al Codice di diritto processuale civile svizzero, vol. I, 2e éd. 2017, n° 82 ad art. 55 CPC, précise, s'agissant de la structure du mémoire de demande ou de réponse, qu'un paragraphe doit être dédié aux offres ou réquisitions de preuve, et qu'il doit être placé à la suite du complexe de faits [corpo fattuale] qu'il est appelé à démontrer). Lorsqu'il n'est pas possible d'identifier l'objet du procès - par exemple, parce que la demande ne contient aucun exposé des faits -, le juge peut refuser d'entrer en matière sur celle-ci et rendre une décision d'irrecevabilité (LEUENBERGER/UFFER-TOBLER, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 2e éd. 2016, n. 11.67 in fine p. 345; dans le même sens KILLIAS, op. cit., n° 25 ad art. 221 CPC; PAHUD, op. cit., n° 15 ad art. 221 CPC; WILLISEGGER, op. cit., n° 28 in fine ad art. 221 CPC; LEUENBERGER, op. cit., n° 44a in fine ad art. 221 CPC; cf. aussi, à propos de ce principe général de procédure civile, l' ATF 115 II 187 consid. 3b in fine et l'arrêt 4C.82/2006 du 27 juin 2006 consid. 3.4). Cependant, aucun de ces auteurs n'affirme que la demande devrait être rédigée sous la forme d'allégués séparés contenant chacun un seul fait, ni que chaque allégué devrait être composé d'un nombre limité de phrases.
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Enfin, selon la doctrine majoritaire, la loi n'exige pas que le demandeur numérote ses allégations de fait (TAPPY, op. cit., n° 21 ad art. 221 CPC; CHAIX, op. cit., n. 34 p. 128; NOVIER, op. cit., spéc. p. 204; BAUER/SANDOZ, La nouvelle organisation judiciaire neuchâteloise et les principales nouveautés en matière de procédure civile et de procédure pénale, Recueil de jurisprudence neuchâteloise [RJN] 2010 p. 13 ss, 88; plus stricte: FABIENNE HOHL, Procédure civile, Tome I, 2e éd. 2016, n. 382 p. 77). Les auteurs relèvent néanmoins qu'il serait judicieux de procéder à une telle numérotation, ceci pour des raisons pratiques, en particulier, pour faciliter la rédaction des déterminations de la partie adverse (TAPPY, op. cit., n° 21 ad art. 221 CPC; CHAIX, op. cit., n. 34 p. 128; NOVIER, op. cit., spéc. p. 204; BAUER/SANDOZ, op. cit., p. 88).
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4.1.3.5 En définitive, en tenant compte des différentes méthodes d'interprétation qui ont été examinées, il faut retenir que le droit fédéral ne précise pas strictement et de manière générale quelle forme particulière devraient revêtir les allégations de fait et les offres de preuve, ceci quand bien même, comme le souligne à juste titre une partie de la doctrine, le respect d'un format de présentation structuré en allégués distincts présente des avantages pratiques indéniables. La loi ne prévoit pas un nombre maximal de mots ou de phrases par allégation, pas plus qu'elle ne précise que chaque allégué ne devrait contenir qu'un seul fait, ni que les faits devraient impérativement être rangés en phrases numérotées. Cette solution est conforme au but de l'art. 221 al. 1 let. d et e CPC ainsi qu'à l'esprit dans lequel a été envisagé le CPC, à savoir répondre aux besoins de la pratique et, en présence de solutions différentes, privilégier la plus simple. L'opinion contraire de certains auteurs, par référence à d'anciennes pratiques cantonales, se fonde principalement sur le fait qu'à leur avis, il est nécessaire que la demande revête une forme très stricte pour que le but de la loi puisse être atteint. Tel n'est cependant pas forcément le cas. L'argument selon lequel le terme "allégué", qui ne figure pas à l'art. 221 CPC, apparaît à l'art. 235 al. 2 CPC, ne saurait être décisif, ce d'autant que les textes allemand ("Ausführungen tatsächlicher Natur") et italien ("le indicazioni concernenti i fatti") de cette dernière disposition ne permettent pas d'affirmer que le CPC exigerait une forme particulière. Il résulte de ce qui précède qu'une demande de divorce ne saurait être qualifiée d'irrecevable sous le seul prétexte que certains de ses allégués de fait sont composés de plusieurs phrases, voire plusieurs paragraphes.
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Il importe en revanche, pour que la loi puisse atteindre son but, que chaque allégation de fait soit suffisamment claire et circonscrite. La loi exige que la demande soit rédigée de telle manière que le juge soit en mesure de comprendre quel est l'objet du procès et sur quels faits le demandeur fonde ses prétentions, et de déterminer quels moyens de preuve sont proposés pour quels faits. En outre, elle doit permettre au défendeur de se déterminer aisément sur ceux-ci et de proposer des contre-preuves. Il résulte ainsi du but de la loi que le degré de concision des allégations de fait dépend des circonstances et de la complexité du cas d'espèce. Par ailleurs, si une numérotation des allégués ne saurait en principe être d'emblée exigée, on ne peut exclure que celle-ci puisse s'avérer nécessaire, selon les circonstances, l'ampleur et la complexité du cas d'espèce, afin de permettre au défendeur de se déterminer clairement. Si le demandeur n'a pas allégué de manière concrète et suffisamment précise les faits sur lesquels il fonde ses prétentions, le juge doit lui donner l'occasion d'y remédier (art. 56, respectivement 132 al. 2 CPC). Dans l'hypothèse où le demandeur ne remédierait pas à l'irrégularité de son acte, le juge rend une décision d'irrecevabilité (art. 236 CPC).
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4.2.1 Dans son écriture du 27 mai 2016, après avoir formulé des conclusions, demandé que le tribunal consulte le dossier de mesures protectrices de l'union conjugale et indiqué produire comme moyens de preuve une procuration (annexe 1) et un certificat de famille (annexe 2), la demanderesse explique en quelques paragraphes (numérotés de 1 à 3 puis de 5 à 6), sur deux pages et demie au total, les motifs de sa demande (p. 3-5 de la demande).
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Elle expose, en substance, que la séparation date de plus de deux ans, qu'elle vit à U., alors que son époux vit à V. "avec sa copine", et que comme le mariage n'est "plus soutenu par une volonté commune", elle demande le divorce (chiffre 1 de la demande). Au chiffre 2, elle décrit en quelques lignes les faits sur lesquels elle se fonde pour demander la garde et l'autorité parentale exclusive sur l'enfant - exposant, en substance, que celui-ci serait instrumentalisé par son père, qu'il en aurait peur, qu'il aurait besoin de soutien psychothérapeutique et que la manière dont son père exercerait son "droit de contact" lui serait insupportable -; à titre de moyens de preuve, elle renvoie d'une part aux "documents mentionnés ci-dessus" et requiert d'autre part qu'une expertise soit ordonnée pour que la décision à intervenir soit prise en considération du bien de l'enfant. Au chiffre 3 de la demande, elle réclame une contribution d'entretien en sa faveur et en faveur de l'enfant, expliquant en outre, pour l'essentiel, qu'elle ignore les revenus et la fortune actuels de son mari et que depuis plusieurs mois, sans motifs valable, il "paye trop peu de contributions d'entretien voire pas du tout". Sous la rubrique "moyens de preuve" qui suit immédiatement cette allégation, la demanderesse renvoie aux "documents mentionnés ci-dessus" et requiert, en substance, que l'époux produise les documents nécessaires pour établir sa situation financière. Sous le chiffre 5, la demanderesse déclare produire, concernant sa propre situation financière, les "documents mentionnés ci-dessus", son certificat de salaire 2015 figurant à l'annexe 3, le certificat d'allocations familiales 2015 (annexe 4), un contrat de bail (pièce jointe ultérieurement), des polices d'assurance maladie (annexe 5), les "Frais de santé pris en charge par demanderesse Annexe 6" et sa déclaration d'impôts (annexe 7). Enfin, au chiffre 6 de la demande, elle expose que les avoirs LPP des parties doivent être partagés selon l'art. 122 CC.
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Dans ses écritures des 14 septembre et 17 octobre 2016, la demanderesse complète ses allégations de fait relatives aux questions de la garde et de l'autorité parentale, et demande, à titre de moyens de preuve, l'édition des dossiers de l'autorité de protection de l'enfant et la mise en oeuvre d'une expertise. Elle ajoute quelques explications s'agissant des contributions d'entretien en sa faveur et en faveur de l'enfant et chiffre ses conclusions à ce propos, rééditant en outre sa demande tendant à ce que son époux produise les documents relatifs à sa situation financière.
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