46. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 18 novembre 1955 dans la cause Castella contre Ministère publlc du canton de Fribourg.
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Regeste
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Art. 41 StGB.
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Sachverhalt
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A.- Par jugement du 19 janvier 1955, le Tribunal correctionnel de la Veveyse a reconnu Roger Castella coupable de vol et l'a condamné à six jours d'emprisonnement sous déduction de six jours de détention préventive. Il a refusé le sursis au prévenu pour le motif que celui-ci avait été renvoyé dans une maison d'éducation pour adolescents, en vertu d'un jugement rendu le 1er décembre 1945, et avait subi en 1953 une peine de trois jours d'arrêts infligée par le préfet de la Gruyère pour ivresse publique.
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B.- Saisie d'un recours formé par Castella, la Cour de cassation pénale de l'Etat de Fribourg, par arrêt du 2 mars 1955, a annulé ce jugement et, retenant la cause, a condamné à nouveau le recourant sans sursis. Elle a considéré, d'une part, que le jugement attaqué violait l'art. 41 ch. 1 al. 3 CP, parce que la mesure de renvoi dans une maison d'éducation et la peine d'arrêts prononcée pour une contravention de droit cantonal ne faisaient pas obstacle à l'octroi du sursis. D'autre part, elle a admis que, la peine de six jours d'emprisonnement étant compensée par la détention préventive subie, la question du sursis ne se posait plus, puisqu'il n'y avait plus de peine à exécuter.
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C.- Castella s'est pourvu en nullité au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle lui accorde le sursis. Il fait valoir que l'arrêt attaqué viole l'art. 41 ch. 1 CP.
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Considérant en droit:
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Selon l'arrêt RO 69 IV 151, lorsque la peine est éteinte par l'imputation de la détention préventive subie, la question du sursis ne se pose plus, car il n'y a plus place pour le sursis quand, par suite de cette imputation, il ne reste plus de peine à exécuter; s'il est vrai que le sursis permet la réhabilitation prématurée par radiation du jugement au casier judiciaire lorsque le condamné a subi l'épreuve jusqu'au bout, cet effet ne modifie pas la nature du sursis, dont il n'est qu'une conséquence, et n'a rien à voir avec l'exécution; le sursis ne peut pas être accordé uniquement pour produire cette conséquence, lorsque les conditions n'en sont pas remplies, soit quand la peine infligée est déjà subie.
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Cette opinion ne peut toutefois être maintenue. En effet, à l'encontre de ce qu'admet implicitement l'arrêt précité, lorsque le juge de répression prononce une condamnation, la question de l'imputation de la détention préventive subie ne se pose pas nécessairement avantcelle du sursis. Au contraire, le juge peut logiquement assigner un autre ordre aux questions qu'il doit trancher: il peut commencer par fixer la peine, examiner ensuite si les conditions mises par la loi à l'octroi du sursis sont réalisées et, si c'est le cas, accorder le sursis au condamné et décider enfin d'imputer la détention préventive sur la peine infligée, cette imputation ne devant pratiquement sortir ses effets qu'au cas où l'intéressé ne subirait pas l'épreuve avec succès. C'est cette forme de raisonnement qui est suivie lorsque la durée de la détention préventive est inférieure à la peine infligée. En effet, dans ce cas, le juge ne prononce pas une peine ferme pour la part qui est compensée par la détention préventive, pour le motif que la question du sursis ne se poserait plus pour cette partie de la peine qui est déjà subie, et une peine avec sursis pour l'autre part qui n'est pas éteinte par l'imputation de la détention préventive; il octroie, au contraire, le sursis pour la totalité de la peine et ce n'est que si celle-ci doit être exécutée, à la suite de l'échec de l'épreuve, que l'effet de la déduction de la détention préventive se produit en faveur du condamné. Il n'y a aucun motif de procéder d'une autre façon lorsque la peine prononcée est d'une durée égale à la détention préventive subie. Il n'est pas plus contraire à la nature du sursis à l'exécution de la peine d'accorder le sursis pour une peine qui est totalement compensée par l'imputation de la détention préventive que pour la partie d'une peine supérieure à la durée de cette détention qui est éteinte par la déduction de celle-ci. Dans un cas comme dans l'autre, l'imputation de la détention préventive n'est destinée à sortir ses effets que si l'exécution de la peine doit être ordonnée.
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On ne doit pas minimiser, d'autre part, le rôle que joue dans l'institution du sursis la réhabilitation prématurée à l'expiration du délai d'épreuve subi avec succès par le condamné. Il s'agit là non pas seulement d'une conséquence accessoire du sursis, mais d'un effet de celui-ci auquel le législateur a assigné une fonction dans le reclassement du condamné (Message du Conseil fédéral à l'appui du projet de loi revisant partiellement le Code pénal suisse, du 23 juin 1949, FF 1949, p. 1265). La perspective d'obtenir la réhabilitation par la radiation du jugement au casier judiciaire dans un laps de temps relativement court, soit deux à cinq ans (art. 41 ch. 1 al 2 et ch. 4 CP) au lieu de dix ans (art. 80 CP), constitue avec celle de n'avoir pas à subir la peine un motif important pour l'intéressé de se bien conduire pendant le délai d'épreuve. Lorsque la peine prononcée est totalement ou presque intégralement compensée par la détention préventive, la possibilité de bénéficier d'une réhabilitation prématurée sera précisément une raison déterminante pour le condamné de ne pas tromper la confiance mise en lui.
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Il n'est pas admissible, au surplus, que la faculté d'obtenir le sursis dépende de la durée d'une détention préventive qui est ordonnée ou maintenue pour des motifs étrangers à l'institution du sursis. Le juge de répression doit être en mesure d'accorder le sursis à un condamné qui le mérite au regard des dispositions de l'art. 41 ch. 1 CP, lors même que l'organe d'instruction a mis l'intéressé en prison préventive. Il serait ainsi particulièrement choquant que le juge ne puisse pas octroyer le sursis pour une peine d'une durée égale à la détention préventive subie lorsque celle-ci a été ordonnée ou maintenue à tort. Au préjudice causé au condamné par la détention préventive injustifiée s'ajouterait dans ce cas celui qui résulterait pour l'intéressé de l'impossibilité d'obtenir la réhabilitation prématurée attachée à l'octroi du sursis.
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Il faut de plus tenir compte de l'intérêt qu'a une personne, indépendamment de la réhabilitation prématurée, d'être condamnée avec sursis. D'une part, une condamnation avec sursis marque beaucoup moins, aux yeux de la société, celui auquel elle est infligée qu'une peine ferme. D'autre part, une peine prononcée sans sursis parce qu'elle serait considérée comme intégralement éteinte par l'imputation de la détention préventive constituerait une peine subie et ferait obstacle à l'octroi du sursis en cas de nouvelle infraction commise dans les cinq ans.
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Pour éviter les impasses et les conséquences inéquitables auxquelles conduit l'opinion adoptée par l'arrêt RO 69 IV 151, le juge qui considérerait comme digne du sursis un délinquant qui a fait de la prison préventive n'aurait pas d'autre solution à sa disposition que de prononcer une peine d'une durée supérieure à celle de cette détention, de façon à pouvoir mettre le condamné au bénéfice du sursis pour la totalité de la peine. Ce résultat démontre qu'il y a lieu d'admettre l'octroi du sursis lors même que la détention préventive imputée sur la peine prononcée est d'une durée égale à celle-ci, l'imputation ne devant produire ses effets qu'au cas où la peine devrait être exécutée.
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Par ces motifs, la Cour de cassation pénale prononce:
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Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé dans la mesure où il refuse le sursis et la cause est renvoyée à la juridiction cantonale pour qu'elle accorde le sursis au recourant.
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