27. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Il septembre 1958 dans la cause Gübler.
|
Regeste
|
Betrug.
|
Sachverhalt
|
A.- Le 18 novembre 1957, Hans Gübler, voyageur de commerce, offrit des produits de nettoyage à dame Hotz, qui avait repris quelques semaines auparavant l'exploitation de l'hôtel de France, au Locle. Se présentant comme membre d'une société de skieurs qui logeaient régulièrement en hiver dans cet établissement, il réussit à obtenir une commande de 350 fr.
|
Le 25 novembre suivant, Gübler s'engagea à faire annuler partiellement le contrat. Il promit en outre une parure, à titre de cadeau, et loua toutes les chambres de l'hôtel pour le samedi suivant. Il obtint ainsi une seconde commande de 280 fr. Confiante, l'hôtelière refusa de louer les chambres que le voyageur avait réservées. Les promesses du recourant se révélèrent fallacieuses, et les clients annoncés, imaginaires. Dame Hotz apprit en outre que l'hôtel n'avait jamais hébergé de club de ski.
|
B.- Le 17 avril 1958, le Tribunal de police du Locle infligea à Gübler, en application de l'art. 148 CP, un mois d'emprisonnement. Le condamné adressa à la Cour de cassation pénale neuchâteloise un recours qu'elle rejeta le 21 mai 1958.
|
C.- Gübler s'est pourvu en nullité; il conteste s'être rendu coupable d'escroquerie.
|
Extrait des motifs:
|
Abstraction faite des produits de nettoyage, il est certain que l'hôtelière n'a pas reçu les prestations promises le 25 novembre et que, partant, la tromperie du recourant lui a été préjudiciable. Elle n'a pas bénéficié d'une annulation partielle de la première commande, ni obtenu le cadeau promis, ni encaissé le prix des chambres réservées; ayant refusé des clients dans l'attente des hôtes annoncés par Gübler, elle n'a pu compenser sa perte de loyer. Pour obtenir les prestations promises (outre les produits de nettoyage), elle a disposé de son patrimoine, non seulement en s'engageant à payer la marchandise à livrer, mais aussi en réservant des locaux qu'elle exploite.
|
Selon certains auteurs suisses, le préjudice causé à la victime doit correspondre à l'enrichissement recherché par l'escroc (principe de la "Stoffgleichheit"): l'un veut gagner ce que l'autre perd; enrichissement et dommage seraient de même nature, ou l'envers l'un de l'autre (HAFTER, Schweiz. Strafrecht, Bes. Teil p. 273; LOGOZ, Commentaire du code pénal suisse, partie spéc. I p. 159). La jurisprudence et la doctrine allemandes se prononcent dans le même sens (BGHSt. 6 p. 116; RGSt. 64 p. 435, 75 p. 379; SCHÖNKE/SCHRÖDER, Commentaire 8e éd. p. 937 litt. b; Leipz. Komm. 6e et 7e éd. p. 349; FRANK, Anm. VII 3 ad § 263 RStGB). La Cour a réservé la question dans l'arrêt Theiler du 18 octobre 1946, cons. 3. La Chambre d'accusation, dans l'arrêt Untersuchungsrichteramt St. Gallen et Helwig, du 1er mars 1950 (cons. 2 in fine), a appliqué le principe sans en entreprendre la démonstration.
|
Dans le cas particulier, l'annulation partielle de la première commande aurait exercé une influence sur le montant des commissions de Gübler; dès lors, le refus de procéder à cette annulation a causé à la victime une perte qui est le pendant d'une partie du profit visé par l'escroc. Toutefois, en ne recevant ni le cadeau promis ni le prix des chambres réservées, dame Hotz a subi un préjudice sans rapport avec l'enrichissement escompté par Gübler. Si l'on s'en tenait au principe de la "Stoffgleichheit", elle n'aurait donc été lésée que dans la mesure où le refus d'annuler partiellement la première commande a pu enrichir le recourant.
|
Ce principe est toutefois étranger au droit suisse. L'art. 148 CP requiert un lien de causalité entre le comportement de l'escroc et le préjudice de la victime; on ne saurait, par interprétation, déceler une condition supplémentaire. Il n'y a là rien qui choque. L'escroc ne paraît pas moins fautif lorsque le dommage qu'il cause ne correspond pas au profit qu'il recherche; or, l'on ne voit guère quelle disposition du droit pénal réprimerait ses mensonges astucieux si, comme en l'espèce, il ne paraît pas avoir agi avec la méchanceté requise par l'art. 149 CP.
|
Peu importe, dès lors, que le dommage subi par dame Hotz ne corresponde pas, pour la plus grande part, à l'enrichissement désiré par le recourant.
|