2. Arrêt de la Cour de cassation du 2 février 1977 dans la cause K. et cts contre Ministère public du canton de Neuchâtel
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Regeste
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Art. 59 StGB. Verfall an den Staat.
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Sachverhalt
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Les médecins K., R. et H. ont été reconnus coupables d'avortement par métier pour avoir pratiqué des interruptions de grossesse, sans avis conforme et sans état de nécessité au sens de l'art. 120 ch. 2 CP, respectivement dans 150, 110 et 75 cas. Les deux premiers ont été condamnés à 18 mois d'emprisonnement et le troisième à 12 mois, tous avec sursis pendant trois ans, par jugement de la Cour d'assises de Neuchâtel du 14 juin 1974, confirmé sur les points précités par arrêt de la Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel du 12 février 1975 et par arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral du 1er juillet 1975.
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Le jugement de la Cour d'assises du 14 juin 1974 avait également ordonné la dévolution à l'Etat, respectivement à la charge des trois condamnés, de 70'000 fr., 50'000 fr. et 30'000 fr., en application de l'art. 59 CP. L'arrêt cantonal du 12 février 1975 avait également confirmé cet ordre de dévolution. Mais un recours de droit public interjeté par les condamnés contre cet arrêt a été partiellement admis par le Tribunal fédéral le 20 juin 1975. L'arrêt cantonal a été annulé, pour violation du droit d'être entendu, dans la mesure où il ordonnait la dévolution à l'Etat des montants précités (ATF 101 Ia 292 ss).
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La cour cantonale, au vu de l'arrêt du Tribunal fédéral, a renvoyé la cause à la Cour d'assises pour nouvelle décision sur la dévolution à l'Etat.
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Par nouveau jugement du 21 mai 1976, la Cour d'assises a retenu que les honoraires des médecins condamnés étaient, sous réserve de rares cas de réduction ou de gratuité, de 500 fr. par avortement. Compte tenu du nombre des avortements illicites retenus, d'une réduction largement comptée de 5%, des avortements gratuits ou moins chers, ainsi que des frais généraux à déduire éventuellement du bénéfice brut pour le cas où il faudrait admettre que seul le bénéfice net peut être dévolu à l'Etat, la Cour a retenu que les bénéfices illicites se sont élevés à 71'250 fr. pour K., 52'250 fr. pour R. et 35'625 fr. pour H. Elle a alors prononcé derechef la dévolution à l'Etat de respectivement 70'000 fr., 50'000 fr. et 30'000 fr., en application de l'art. 59 CP. Si elle a renoncé à fixer des montants correspondant exactement aux bénéfices illicites, c'est uniquement pour ne pas procéder à une reformatio in pejus.
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La Cour a considéré que les médecins condamnés avaient conscience de l'illicéité de leurs actes, au moins à titre éventuel; que les femmes étrangères au canton qui s'adressaient à eux n'avaient pas, elles, conscience du fait que les interruptions de grossesse qu'elles sollicitaient et qu'elles obtenaient contre rémunération étaient illégales; que si ces femmes étaient dans un état de détresse grave, cela n'emportait pas que les médecins soient intervenus dans le seul but de les soulager; que l'appât du gain avait joué un rôle important, voire capital dans leur décision et leur détermination.
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Par arrêt du 13 octobre 1976, la Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel a rejeté les pourvois interjetés par les condamnés contre le nouveau jugement de la Cour d'assises.
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Les trois condamnés, à savoir K. et R., par un seul et même acte, et H., par acte séparé, se pourvoient en nullité au Tribunal fédéral. Ils concluent à la levée définitive de la mesure de dévolution à l'Etat prononcée contre eux.
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Le Procureur général du canton de Neuchâtel propose de rejeter les pourvois.
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Considérant en droit:
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b) Les recourants critiquent cette manière de voir. Ils font valoir que la mesure de dévolution à l'Etat prévue à l'art. 59 CP a pour condition nécessaire un rapport de causalité entre les "dons et autres avantages" mentionné dans cette disposition et la commission d'une infraction par le bénéficiaire de ces prestations; l'élément d'incitation serait déterminant; dès lors, si les patientes opérées ignoraient le caractère illicite de l'intervention, les honoraires qu'elles payaient n'avaient pour but ni de décider les médecins à commettre une infraction ni de les récompenser de l'avoir fait; en outre, les honoraires étant les mêmes que dans les opérations licites, il n'existerait aucune relation de causalité entre les honoraires payés et la violation de la loi. Enfin, les recourants K. et R. contestent la constatation selon laquelle l'appât du gain a joué un rôle dans leur détermination. Ils relèvent également que le directeur de la clinique, pourtant condamné lui aussi pour avortement par métier, n'a pas été frappé d'une mesure de dévolution à l'Etat du bénéfice qu'il a réalisé.
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Très tôt déjà, la jurisprudence a considéré que le but de cette disposition était d'empêcher que le délinquant ne conserve l'avantage qu'il s'est acquis par son forfait et qu'une interprétation même extensive de ce texte légal était admissible si elle correspondait au but ainsi visé par le législateur (ATF 71 IV 148 et ATF 72 IV 102). C'est ainsi que le Tribunal fédéral a prononcé que l'art. 59 al. 1 CP devait être appliqué aussi bien dans les cas où l'acceptation d'une prestation est l'un des éléments constitutifs de l'infraction (s'agissant de la corruption, par exemple) que dans ceux (le proxénétisme, notamment) où le seul dessein de retirer un avantage pécuniaire de l'acte suffit à faire tomber ce dernier sous le coup de la loi pénale, cela quand bien même la réception effective de la prestation n'est pas un élément constitutif de l'infraction (ATF 72 IV 104 consid. 2).
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La jurisprudence a également posé que l'art. 59 al. 1 CP ne supposait pas que l'infraction ait été commise ni que l'attribution elle-même constitue un acte punissable. Il n'est ainsi pas nécessaire pour appliquer cette disposition que le "gratifiant" ait été l'instigateur, le complice ou le coauteur du bénéficiaire. Celui qui, par une prestation, "décide" à commettre une infraction n'est pas nécessairement instigateur, car décider quelqu'un à commettre un acte ne signifie pas forcément l'y avoir déterminé intentionnellement. De même, celui qui "récompense" l'infraction n'y participe pas nécessairement au sens de la loi. Il est dès lors sans intérêt, du point de vue de la dévolution à l'Etat, que l'infraction soit commise ou non. Le "gratifiant" ne peut pas faire obstacle à la dévolution en faisant valoir qu'une tentative d'instigation de sa part ne serait pas punissable, parce qu'en cas de réussite de son projet, il n'aurait pas été condamné, par exemple à cause d'une erreur de droit excusable (ATF 76 IV 19).
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Enfin, le Tribunal fédéral a précisé que la loi ne tenait pas compte des mobiles ou du dessein des "gratifiants", mais de la destination objective de leurs prestations (ATF 97 IV 252).
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b) Il ressort des principes ainsi dégagés, et auxquels il convient de se tenir pour respecter le but de la loi, que les mobiles, buts et desseins du "gratifiant" ne sont pas déterminants pour l'application de l'art. 59 CP. Il importe peu de ce fait que le "gratifiant" ait consenti sa prestation sous l'empire d'une erreur de fait ou de droit. Ce qui compte, c'est qu'objectivement la prestation ait servi à rémunérer un acte objectivement punissable. Il suffit en outre qu'il y ait un lien entre la gratification et l'infraction, sans que cette gratification soit nécessairement la cause de l'acte délictueux. La récompense d'un acte, notion qui recouvre celle de rémunération ou d'honoraires, ne constitue pas nécessairement la cause de cet acte. Toute interprétation plus restrictive permettrait au délinquant de conserver l'avantage acquis par son forfait, elle serait partant contraire au but visé par le législateur.
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La doctrine n'hésite d'ailleurs pas à voir dans la rémunération des avorteurs par métier, à l'instar de celle des souteneurs, un exemple typique de prestation tombant sous le coup de l'art. 59 CP (WAIBLINGER, in RJB 1948/84, p. 428; SCHULTZ, Einführung in den allgemeinen Teil des Strafrechts, Berne 1974, 2e éd., II, p. 168). Il faut en effet bien admettre que si la dévolution à l'Etat de ce genre de gains illicites devait dépendre des buts, mobiles ou desseins des "gratifiantes", souvent inconnues ou animées de mobiles très divers, la suppression de l'avantage illicite voulue par le législateur ne pourrait le plus souvent pas intervenir. La solution n'est d'ailleurs pas différente lorsque l'infraction n'a pas été commise par métier, puisqu'il n'est pas nécessaire que la prestation reçue par l'auteur bénéficiaire soit un élément constitutif de l'infraction.
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c) En l'espèce, il est donc sans incidence que les patientes aient ignoré le caractère illicite des interventions des recourants et que les honoraires qu'elles ont payés n'aient pas eu pour but de décider les médecins à commettre une infraction ni de les récompenser de l'avoir commise. Il suffit de constater que ces honoraires ont constitué la rémunération des actes accomplis et qu'objectivement ces actes sont des infractions pour que les honoraires tombent sous le coup de l'art. 59 CP et soient dès lors dévolus à l'Etat.
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La Cour cantonale a donc appliqué correctement l'art. 59 CP.
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Quant à la référence au cas d'un autre accusé, elle est dénuée de pertinence et ne peut en aucun cas être invoquée devant la Cour de cassation faute de toute référence à une violation du droit fédéral.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral:
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