BGE 104 IV 15
 
5. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 17 février 1978 dans la cause F. contre R.
 
Regeste
Art. 173 Ziff. 2 StGB. Beweis des guten Glaubens.
 
Extrait des considérants:
La cour cantonale n'ayant pas pu se convaincre de la véracité des déclarations que dame X. a faites à l'intimé et à ses compagnons, la preuve de la vérité des allégations incriminées n'a pas été rapportée. Reste à savoir si, au vu des faits retenus, on doit admettre que l'intimé avait des raisons sérieuses de tenir de bonne foi par vraies les allégations qu'il a publiées et diffusées. Il s'agit là d'une question de droit.
b) L'auteur rapporte la preuve de sa bonne foi s'il établit qu'il a cru à la vérité de ses allégations après avoir fait consciencieusement tout ce que l'on pourrait attendre de lui pour s'assurer de leur exactitude (cf. ATF 85 IV 184). On doit ainsi se demander si l'auteur a satisfait au devoir de prudence (Sorgfaltspflicht) qui incombe de manière générale à celui qui porte atteinte à l'honneur d'autrui. La réponse à cette question dépend des circonstances de chaque cas particulier (ATF 86 IV 175). Ce devoir est violé lorsque l'auteur n'a pas accompli les démarches que l'on pouvait attendre de lui pour vérifier l'exactitude de ses allégations, compte tenu des circonstances et de sa situation personnelle.
Une prudence particulière doit ainsi être exigée de celui qui, comme l'intimé en l'espèce, donne une large diffusion à ses allégations par la voie de la presse ou de tracts. La large diffusion, ajoutée à la puissance suggestive du texte imprimé, augmente en effet l'intensité de l'atteinte. On doit donc, dans ce cas, se montrer très strict quant au respect du devoir de vérification incombant à l'auteur (cf. arrêt non publié du 13 novembre 1959 en la cause Holzer c. Stemmler; MERZ, in SJZ 67 (1971), p. 85). Le devoir de respecter la vérité se traduit, pour celui qui agit par la voie de la presse, par l'obligation de contrôler scrupuleusement les opinions qu'il émet (cf. BOURQUIN, La liberté de la presse, p. 248).
La jurisprudence a certes reconnu que les exigences touchant à la preuve de la bonne foi pouvaient être moins sévères lorsque les assertions qui portent atteinte à l'honneur ont été faites en vue de sauvegarder des intérêts légitimes (ATF 96 IV 56, ATF 86 IV 175 /176). Cette réserve favorable à l'auteur s'applique par exemple aux allégations qui sont faites par une partie ou par un avocat dans un procès (arrêts précités), ou qui sont adressées à la police, soit à une autorité (cf. ATF 85 IV 184 /185). Dans ces cas, en effet, les allégations sont portées à la connaissance de personnes qui sont aptes à vérifier sans préjugé le bien-fondé des communications qu'elles reçoivent et à les contrôler de façon critique (cf. ATF 102 IV 184). La situation est différente lorsque les allégations sont formulées publiquement ou largement diffusées. Là, en dépit de l'existence d'un intérêt public - qui ne se confond pas nécessairement avec l'intérêt légitime -, le devoir de prudence et de vérification de la véracité des allégations doit être strictement respecté.
Le devoir de prudence de celui qui, comme en l'espèce, fonde ses allégations sur les déclarations d'un tiers exige à tout le moins une appréciation critique de la crédibilité de celui-ci. Certes, on ne peut pas exiger un examen comparable à celui auquel se livre le juge qui cherche à soupeser la valeur d'un témoignage, mais on peut au moins attendre de l'auteur qu'il dispose de quelques éléments lui donnant des raisons de se fier aux dires de son informateur, par exemple la connaissance personnelle qu'il a de ce tiers ou le crédit et la bonne réputation dont celui-ci jouit d'une manière générale (cf. arrêt précité Holzer c. Stemmler, consid. 5 et 6).
c) En l'espèce, l'intimé a fondé ses allégations sur les seules déclarations de dame X. Or il ressort des faits qu'il ne connaissait pas particulièrement cette personne et ignorait par conséquent quels étaient sa réputation ou son crédit. Il ne disposait donc d'aucun élément d'appréciation lui permettant raisonnablement de tabler sur la véracité des déclarations de celle-ci. Si l'on admettait qu'un témoignage unique, obtenu auprès d'un tiers inconnu ou mal connu, puisse suffire à fonder la large diffusion de propos et d'accusations attentatoires à l'honneur, on ouvrirait la porte à tous les abus. Rien, en effet, ne permet à l'auteur de savoir s'il n'a pas eu affaire à un témoin douteux, peu sûr, prévenu contre la victime ou hostile à celle-ci pour une raison quelconque.
L'intimé devait en outre, in casu, se montrer d'autant plus circonspect qu'il avait eu connaissance de la "mise au point" diffusée par le recourant le 12 mars (cf. SCHUMACHER, Die Presseäusserung als Verletzung der persönlichen Verhältnisse, Fribourg 1960, p. 195). Certes, l'intimé pouvait ne pas être convaincu de la véracité des dires du recourant dans la mesure où ils portaient sur des faits non contrôlables. Mais la "mise au point" faisait également état d'un élément objectivement vérifiable, à savoir la réfutation des déclarations de dame X. niant avoir signé un appel en faveur du "non". Or l'intimé n'a rien entrepris pour vérifier cet élément, qui était pourtant de nature à ébranler sérieusement la crédibilité de dame X.
C'est donc à tort que la cour cantonale, en se fondant sur le seul fait que dame X. avait été catégorique dans ses déclarations à l'intimé et à ses compagnons, a estimé que la preuve de la bonne foi au sens de l'art. 173 ch. 2 CP avait été rapportée.
Le pourvoi doit ainsi être admis et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle condamne l'intimé pour diffamation.