BGE 105 IV 234
 
61. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 5 septembre 1979 dans la cause A. contre Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)
 
Regeste
Art. 41 Ziff. 2 StGB. Weisung zur Schadensdeckung.
 
Extrait des considérants:
1. A l'appui de son pourvoi, le recourant invoque uniquement la fausse application de l'art. 41 ch. 2 CP. Il fait valoir que l'autorité cantonale n'avait pas le droit de subordonner l'octroi du sursis à la règle de conduite lui imposant de verser 11'000 fr. au plaignant par acomptes mensuels de 500 fr. au moins, étant donné que le dommage n a pas été fixé judiciairement et que le plaignant, qui n'est au bénéfice d'aucun jugement civil, s'est borné à demander "le paiement de ses frais" et n'a d'ailleurs obtenu que l'adjudication de ses réserves civiles. Selon le recourant, le ch. 2 de l'art. 41 CP qui autorise le juge à subordonner le sursis à des règles de conduite et notamment à l'obligation de réparer le dommage dans un délai déterminé ne concerne que "le dommage fixé judiciairement ou par accord avec le lésé", comme il est prévu à l'art. 41 ch. 1 al. 1 in fine CP. Il invoque à cet égard le silence des commentateurs, dont il infère qu'ils n'ont pas vu là de question particulière et que pour eux le dommage à réparer dont parle l'art. 41 ch. 2 CP est bien le dommage fixé judiciairement ou par accord avec le lésé. Un dommage ne peut en outre être considéré comme fixé judiciairement que par un jugement civil ou par un jugement pénal lorsque le lésé a pris des conclusions civiles. Le recourant fait valoir enfin que la décision attaquée va à l'encontre de l'art. 59 al. 3 Cst. selon lequel "la contrainte par corps est abolie". Comme le jugement attaqué ne vaut pas titre de mainlevée, le recourant estime qu'il est alors contraint de payer une somme qu'il ne doit pas sous peine d'aller en prison, ce qui serait un exemple caractéristique d'une survivance de la contrainte par corps.
Cette exigence selon laquelle les dommages-intérêts doivent avoir été fixés avant le jugement pénal ne vaut cependant pas pour le dommage dont la réparation est imposée comme règle de conduite liée à l'octroi du sursis, au sens de l'art. 41 ch. 2 CP (cf. ATF 70 IV 106). Personne n a jamais soutenu, le recourant l'admet d'ailleurs implicitement, que le dommage dont la réparation peut être imposée comme règle de conduite doit avoir été fixé antérieurement au jugement pénal. Une telle interprétation serait totalement étrangère au sens et au but des règles de conduite qui, contrairement aux conditions de l'art. 41 ch. 1 CP, concernent le comportement futur exigé du condamné et non son comportement passé. Certes dans son esprit, sinon dans sa lettre, le pourvoi ne propose-t-il pas une telle interprétation, mais il convient de mettre l'accent sur la différence essentielle existant entre les conditions de la réparation du dommage selon qu'il s'agit de celle figurant au ch. 1 ou au ch. 2 de l'art. 41 CP, pour mettre en évidence le caractère hasardeux de l'argumentation purement analogique du recourant.
b) La seule question qui doit être tranchée est en réalité celle de savoir si le dommage dont la réparation est imposée comme règle de conduite au sens de l'art. 41 ch. 2 CP doit avoir été obligatoirement fixé judiciairement, c'est-à-dire par un jugement civil ou pénal - pouvant être le même jugement que celui qui fixe la règle de conduite - allouant des dommages-intérêts au lésé, ou par transaction.
Contrairement à l'affirmation du recourant, les commentateurs n'ont pas tous ignoré cette question qui a d'ailleurs fait l'objet de quelques décisions de tribunaux cantonaux. Ainsi Schultz, se référant auxdites décisions, relève expressément et très clairement (FJS 1197, p. 4) que, contrairement au ch. 1 de l'art. 41 CP, le ch. 2 al. 1 n'exige pas que le dommage ait été déterminé judiciairement ou par transaction; il suffit qu'il soit établi avec certitude que le condamné a causé un dommage d'un montant déterminé par une attitude répréhensible; c'est pourquoi le juge pénal peut ordonner cette règle de conduite même lorsqu'il n'a pas été appelé à juger la question des dommages-intérêts et même si le juge civil n'a pas encore statué en dernier ressort sur l'étendue du dommage. L'auteur précité se réfère à cet égard à des décisions bernoise (RJB 85 (1949) 177), lucernoise (BJP 1943 no 29) et fribourgeoise (BJP 1947 no 19) (encore que la dernière de ces citations soit malheureuse, le résumé figurant au BJP allant expressément à l'encontre de l'opinion exprimée par l'auteur; cf. item VERA ROTTENBERG, Der bedingte Strafvollzug, thèse Zurich 1972, p. 110/111).
L'auteur d'une récente thèse bâloise (BRIGITTA FELLMANN, Die Weisung gemäss Art. 41 Ziff. 2 StGB, thèse Bâle 1973, p. 123/124) se référant à la doctrine allemande, relève le côté problématique de la question de la règle de conduite imposant la réparation du dommage lorsque celui-ci ne peut être déterminé de façon certaine. Dans un tel cas, on pourrait imaginer que le juge s'en tienne à la réparation de la partie non contestée du dommage, soit que, faisant abstraction de la détermination du montant du dommage, il laisse aux parties ou au juge civil le soin de régler ce point. Mais selon cet auteur, lorsque le montant du dommage peut être établi sans doute possible, rien n'empêcherait le juge d'arrêter le montant total de la réparation faisant l'objet de la règle de conduite, celui-ci valant aussi longtemps qu'un jugement civil rendu dans la même affaire ne fixe pas un montant inférieur (cf. LEIPZIGER, Kommentar, 9e éd., n. 6 ad par. 24 a; SCHÖNKE-SCHRÖDER, 19e éd., n. 9 ad par. 56 b; cf. aussi LUTHY, Der bedingte Strafvollzug im schweiz. Recht, thèse Berne 1948, p. 69).
Bien que le Tribunal fédéral n'ait jamais été saisi d'un cas semblable, il a toutefois relevé dans un obiter dictum que le résultat voulu par la règle de conduite imposant la réparation du dommage - soit le renforcement de l'effet éducatif visé par le sursis lui-même - ne pouvait être atteint que si le condamné savait exactement ce qui était exigé de lui. Il en a alors déduit logiquement que seul le paiement d'une indemnité, dont le principe et l'étendue étaient connus, pouvait être pris en considération dans le cadre de l'art. 41 ch. 2 CP. In casu il a estimé que si tel était bien le cas pour le montant alloué à la partie civile par le juge pénal, il n'en allait pas de même des sommes au paiement desquelles le condamné pourrait être condamné dans un procès encore pendant (ATF 79 IV 105 /106).
c) Il saute aux yeux qu'aucune des solutions pouvant être apportées au problème soulevé en l'espèce ne peut être entièrement satisfaisante. Cependant si l'on prend en considération le sens et le but des règles de conduite, on doit bien admettre qu'en dépit de certaines apparences la solution proposée par le recourant, et consistant à lier la règle de conduite imposant la réparation du dommage au sort de l'éventuelle action civile du lésé, apparaît de loin comme la moins satisfaisante tant sur le plan juridique et systématique que sur le plan pratique.
Le choix et le contenu des règles de conduite doivent être adaptés au but du sursis, qui est l'amendement durable du condamné. Le but principal de la règle de conduite, et notamment de l'obligation de réparer le dommage, n'est pas de porter préjudice au condamné ou de protéger les tiers contre lui. En effet, la règle de conduite doit être conçue en premier lieu dans l'intérêt du condamné de manière qu'il puisse la respecter. Elle doit avoir un effet éducatif qui limitera le danger de récidive (ATF 103 IV 136 consid. 2; ATF 94 IV 12 consid. 1). Ainsi que le relève pertinemment l'autorité cantonale, les règles de conduite accompagnant un sursis, qui doivent répondre aux buts de prévention spéciale et de réintégration sociale caractérisant le sursis, se distinguent fondamentalement de l'indemnité allouée au lésé directement et destinée à réparer son dommage.
S'agissant dès lors de mesures à caractère pénal, instaurées par le droit fédéral en matière pénale, les règles de conduite doivent pouvoir être appliquées par tout juge pénal compétent, et cela indépendamment de ses compétences sur le plan civil ou de la position qu'a pu prendre le lésé sur le plan civil. En outre le montant du dommage causé par le délinquant, qui peut jouer un certain rôle dans l'appréciation de la culpabilité (cf. ATF 75 IV 105), peut parfaitement être déterminé dans le cadre de l'instruction des faits de la cause par le juge pénal, et cela quelle que soit sa compétence civile en matière d'allocation de dommages-intérêts.
Il convient ainsi de se rallier à l'opinion des auteurs cités plus haut (SCHULTZ, FELLMANN, LUTHY) et aux décisions bernoise, lucernoise et fribourgeoise déjà évoquées (les considérants pertinents de cette dernière décision sont publiés dans les extraits des principaux arrêts rendus par le Tribunal cantonal de Fribourg, 1944/1945, p. 246 ss.), et de poser que, lorsque le montant du dommage peut être établi avec certitude, rien n'empêche le juge d'ordonner la règle de conduite tendant à la réparation du dommage, et cela même lorsqu'il n'a pas été appelé à juger de la question des dommages-intérêts. Quant à la question de la fixation d'une telle règle de conduite lorsque la quotité du dommage n a pas pu être déterminée avec certitude, elle peut être laissée ouverte.
Certes cette solution présente l'inconvénient de la contradiction possible qui pourra exister entre la règle de conduite et la décision que prendra ultérieurement le juge civil, ou l'accord qui pourrait intervenir entre l'auteur et le lésé. Mais cet inconvénient est cependant bien moindre que ceux qui résulteraient de la solution limitant la compétence du juge pénal d'imposer la règle de conduite au cas où le sort de l'action civile est réglé.
D'ailleurs l'inconvénient de la discordance éventuelle entre la règle de conduite et le sort ultérieur de la prévention civile perd beaucoup de son poids si l'on se rappelle que le juge pénal a la faculté de modifier ultérieurement les règles de conduite qu'il impose (art. 41 ch. 2 al. 2 in fine CP).
L'autorité cantonale n'a donc pas violé le droit fédéral en admettant que la règle de conduite pouvait être imposée bien qu'il n'ait pas été statué sur le sort de l'éventuelle action civile du lésé.