9. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 18 mars 1980 dans la cause Cravanzola dit Jean-Michel contre Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité)
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Regeste
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Art. 148 Abs. 2 StGB.
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Sachverhalt
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A.- 1. Au début de 1975, Cravanzola a créé avec des amis une association au sens des art. 60 ss. CC sous le nom de "Jean-Michel et son équipe", qui exerce une activité lucrative en la forme commerciale et qui a été inscrite au Registre du commerce du district de Moudon. Son but statutaire est "d'aider les jeunes qui ont des difficultés personnelles ou sociales... dans l'esprit de les amener à une foi chrétienne et, ainsi, de provoquer une transformation profonde de leur personnalité et de leur vie...". Cravanzola est le président de l'association. Il prend pratiquement toutes les décisions, qu'il fait entériner par le comité.
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Près de 215 personnes vivent dans trois communautés dépendant de l'association, dont une en France, une à Vugelles-la-Mothe qui compte une cinquantaine d'adultes et 25 enfants, et une à Hermenches qui compte une soixantaine d'adultes et une quarantaine d'enfants. Ces membres sont répartis en équipes chargées de l'évangélisation, de l'imprimerie, de l'administration, de l'entretien des immeubles, des travaux de ménage et de l'éducation des enfants.
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Les bilans établis, qui ne sont pas publiés, démontrent que les biens de l'association augmentent d'année en année, mais comportent des immobilisations importantes. Les principales ressources proviennent de la vente de livres et de publications sortis de l'imprimerie de l'association, qui a rapporté près de 400'000 fr. par mois. D'autres ressources proviennent de collectes et appels de fonds.
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2. En novembre 1977, Cravanzola a expédié deux lettres circulaires demandant des fonds de toute urgence, dans la semaine, pour faire face à des circonstances dramatiques. La première a été adressée en 1470 exemplaires aux abonnés de "La Gerbe de blé", publication éditée par l'association. 348 personnes ont répondu, versant au total 144'607 fr., se décomposant notamment en 83 dons de 500 à 1000 fr., 40 de 1000 à 2500 fr. et 6 de 2500 à 5000 fr.
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La seconde lettre a été envoyée à plus de 86'000 personnes qui avaient occasionnellement acheté une publication de l'association, dont 21'000 en Suisse française et 65'000 en Suisse allemande. Elle a permis de récolter 179'000 fr.
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3. Sur les ressources de l'association, Cravanzola a disposé de montants considérables tant pour ses besoins personnels qu'au profit de certains des "Frères" qu'il a privilégiés, pour assurer leur confort personnel, assouvir leur goût du luxe, maintenir à un haut niveau leur image de marque et rehausser leur prestige. Il a engagé des dépenses inconsidérées sans aucun rapport avec les objectifs de l'association par laquelle il se faisait entretenir très largement, affectant des montants considérables à l'aménagement du château d'Hermenches, pour lequel il a notamment acheté des meubles anciens et des bibelots; de bureaux luxueux à Mauborget; d'un appartement de luxe à Epalinges; à l'achat de voitures de grand luxe (une Mercédès de 92'000 fr.), de bijoux et de vêtements de prix réservés à lui-même, à sa femme, à certains Frères et à leurs épouses; à des voyages d'agrément dans des pays éloignés, dont l'évangélisation n'était que le prétexte.
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4. Les donateurs touchés par les appels de novembre 1977 ont ignoré cette affectation d'une partie des fonds de l'association. Certains, s'étant rendu compte qu'une partie de leurs dons n'était pas affectée au but visé par l'association, ont dénoncé la chose aux autorités judiciaires, se déclarant victimes d'une tromperie. Trois d'entre eux ont déposé plainte. Aucun n'a pris de conclusions civiles.
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B.- Le 18 juin 1979, le Tribunal correctionnel du district de Lausanne a condamné Cravanzola pour escroquerie par métier et contravention à un arrêté cantonal sur les collectes à la peine de 18 mois de réclusion, à une amende de 20'000 fr. ainsi qu'à l'expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans, avec sursis durant cinq ans. Il a subordonné l'octroi du sursis à la condition spéciale que le condamné n'exercerait aucune activité statutaire au sein de l'association "Jean-Michel et son équipe", notamment comme membre du comité, durant le délai d'épreuve.
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Sur double recours du condamné et du Ministère public, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a, par arrêt du 15 octobre 1979, admis partiellement les deux recours; elle a réformé le jugement en ce sens que l'amende a été réduite à 5000 fr., mais que le sursis à la peine principale a été supprimé.
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C.- Cravanzola se pourvoit en nullité au Tribunal fédéral; il a également déposé un recours de droit public qui a été rejeté ce jour.
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Dans son pourvoi en nullité, Cravanzola conclut à libération pure et simple, l'accusation d'escroquerie par métier étant abandonnée; subsidiairement, il demande à n'être condamné qu'à une amende n'excédant pas 500 fr., avec délai d'épreuve en vue de la radiation; plus subsidiairement, enfin, il demande à être libéré de la circonstance aggravante du métier, la peine et l'amende étant de ce fait considérablement réduites et assorties du sursis, la peine accessoire de l'expulsion étant quant à elle supprimée.
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Extrait des considérants:
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a) A ce sujet, le recourant semble, mais de façon confuse, contester que certains éléments de l'escroquerie soient réunis. C'est ainsi qu'il nie avoir usé d'une tromperie pour amener ses correspondants à faire un don à l'association: la proportion entre les frais généraux et les montants affectés au but de charité serait normale; l'affectation des fonds collectés à des dépenses d'apparat ne serait pas établie; l'association a effectivement agi conformément à son but; l'intention d'affecter les fonds collectés à des dépenses de pur luxe ne serait pas établie; le caractère familier et personnel des lettres ne serait pas trompeur; l'urgence du besoin serait véritable; les causes de la crise de trésorerie ne devaient pas nécessairement être indiquées; les abonnés à "La Gerbe de blé" connaissaient l'activité exacte de l'association.
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b) L'ensemble de ces remarques n'est toutefois pas propre à établir le caractère véridique des lettres de novembre 1977.
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En effet, il n'est pas question, dans ces lettres, de frais généraux qui absorberaient une partie des ressources de l'association. Elles se présentent comme rédigées de façon artisanale, sur un mauvais papier, avec des ratures et des retouches manuscrites, ce qui éveille le sentiment que les frais généraux sont réduits au minimum, le recourant dactylographiant lui-même, de façon malhabile, et renonçant aux services d'une secrétaire expérimentée et aux frais qu'entraînent des imprimés. Les dépenses de pur luxe sont entièrement passées sous silence. Elles sont même implicitement contestées lorsque le recourant écrit qu'il ne se résout à faire appel à la générosité de ses amis qu'après avoir recherché une solution rapide, vendu tout ce qu'il possédait et consacré sa vie à sa tâche auprès des âmes perdues. De telles déclarations sont tout à fait impropres à évoquer des aménagements luxueux et des dépenses d'apparat. Les dépenses inconsidérées étant établies par ailleurs, c'est mensongèrement que le recourant affirme que ses difficultés financières - telles qu'elles nécessitent un miracle - sont dues uniquement au travail auprès de milliers de personnes qui rencontrent de grandes difficultés, à l'accueil d'enfants abandonnés, travail qui a encore augmenté et qui seul, d'après les lettres en cause, est à l'origine des difficultés financières. Les dépenses d'apparat ayant été faites avant ou après l'envoi des lettres, et étant entièrement cachées, le recourant n'y ayant pas renoncé par la suite, n'ayant pas réalisé les aménagements luxueux ni renoncé aux voyages d'agrément dans des pays lointains, peu importe que les fonds collectés aient été affectés uniquement à des dépenses de pur luxe ou aussi en partie à des buts de l'association. La tromperie consiste à faire état uniquement des buts charitables pour inciter les destinataires des lettres à faire des donations, sans les renseigner sur le fait que les ressources de l'association ont aussi servi à faire des dépenses d'apparat auxquelles le recourant a démontré qu'il n'a jamais eu l'intention de renoncer. Il ressort du reste des constatations des premiers juges que notamment les voyages au Kenya, à Haïti et à la Guadeloupe - dont le prétendu but d'évangélisation n'est qu'un prétexte - ont eu lieu postérieurement à novembre 1977, l'achat de la Mercédès à 92'000 fr. précédant de peu - en date du 6 octobre 1977 - les appels de fonds dramatiques.
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Le recourant a donc bien usé de tromperie à l'appui de ses appels, en cachant l'affectation réelle d'une part importante des ressources de l'association.
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Il n'est nullement établi que les abonnés à "La Gerbe de blé" aient connu l'activité exacte de l'association. Il ne ressort nullement du jugement que ces abonnés ont su que le recourant avait fait des investissements de luxe dans une partie du château d'Hermenches, dans ses bureaux de Mauborget, dans l'appartement d'Epalinges, dans des bijoux et des vêtements de prix destinés à quelques privilégiés, dans une voiture de grand prix affectée à lui seul.
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c) Le recourant ne conteste pas le caractère astucieux de la tromperie à laquelle il a recouru en cachant ses dépenses inconsidérées, exorbitantes au but de l'association. A bon droit. Les comptes n'étant pas publiés, aucune vérification n'était possible aisément. Si le recourant parle, dans ses lettres, des communautés, il n'est pas établi que l'existence de bureaux somptueux à Mauborget et d'un appartement de luxe meublé d'antiquités de prix à Epalinges fût connue. Au surplus, le recourant pouvait s'attendre à ce que les gens auxquels il s'adressait eussent confiance en lui et le considérassent comme un homme désintéressé, se vouant entièrement à une activité charitable; c'est cette image qu'il donne de lui dans ses lettres. Les destinataires devaient donc avoir une confiance particulière en lui et ne pas entreprendre de contrôles. Cette circonstance suffit à établir l'astuce (cf. ATF 100 IV 274, 99 IV 77; STRATENWERTH, I, p. 221, 222).
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d) Le recourant ne conteste pas non plus la relation de causalité entre la tromperie astucieuse et l'acte des victimes qui lui ont envoyé des sommes d'argent. Cette relation de causalité est évidente, car si l'on est enclin à donner de l'argent pour venir en aide à des malheureux, cela n'entraîne pas la conséquence que l'on est aussi disposé à donner pour assouvir les besoins de luxe du donataire. Il résulte d'ailleurs des faits constatés par les premiers juges que plusieurs donateurs ont précisément dénoncé le cas aux autorités, voire ont déposé plainte lorsqu'ils ont appris qu'une partie de leurs dons n'étaient pas affectés aux buts de l'association.
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L'art. 148 CP a donc été correctement appliqué.
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