BGE 145 IV 287 |
34. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X.X. contre Service de l'application des peines et mesures (SAPEM) (recours en matière pénale) |
6B_630/2019 du 29 juillet 2019 |
Regeste |
Art. 92a StGB; Informationsrecht betreffend die Vollstreckung von Strafen und Massnahmen der Verurteilten. |
Sachverhalt |
Par arrêt du 29 juin 2016 (6B_1276/2015), le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par X.X. contre cet arrêt.
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B. Le 12 septembre 2018, B.A. a demandé au Service de l'application des peines et mesures (ci-après: SAPEM), en application de l'art. 92a CP, de l'informer si, en particulier, D.X. - qui avait été également condamnée dans cette affaire et avait été vue à ... quelques jours auparavant - ainsi que X.X., sa mère, avaient été libérées définitivement ou de façon conditionnelle, afin d'éviter de les croiser, compte tenu notamment de l'atrocité du crime commis.
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Par décision du 14 février 2019, le SAPEM a accepté d'informer B.A. de toutes les décisions essentielles qui ont été prises ou seront prises dans le cadre de l'exécution de la peine de X.X., ainsi que concernant la fin de celle-ci ou une éventuelle fuite de la prénommée.
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Par arrêt du 23 avril 2019, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours formé par X.X. contre la décision du 14 février 2019.
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C. X.X. forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 23 avril 2019, en concluant principalement à sa réforme en ce sens que la demande d'informations présentée par B.A. est rejetée et, subsidiairement, à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Elle sollicite par ailleurs l'octroi de l'effet suspensif.
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Extrait des considérants: |
L'art. 92a CP, introduit par la loi fédérale sur le droit de la victime à être informée (modification du CP, du DPMin, du CPP et de la PPM; RO 2015 1623), est entré en vigueur le 1er janvier 2016. Cette disposition trouve son origine dans une initiative parlementaire qui visait à accorder aux victimes un droit à l'information concernant globalement la détention de l'auteur de l'infraction après la fin de la procédure pénale (initiative parlementaire "Loi sur l'aide aux victimes. Octroi à la victime de droits importants en matière d'information" déposée le 30 avril 2009).
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Dans un avant-projet portant sur une modification du CP, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a notamment proposé d'accorder à la victime, voire à ses proches, un droit à l'information concernant la situation de l'auteur de l'infraction exécutant sa sanction, en prévoyant que l'autorité puisse "exceptionnellement refuser l'information si le condamné a un intérêt justifié et prépondérant au maintien du secret" (cf. rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 7 novembre 2013 concernant l'initiative parlementaire "Octroi à la victime de droits importants en matière d'information", FF 2014 867). Au terme de la procédure de consultation menée, l'avant-projet a été modifié et il a été proposé de reprendre la règle - plus restrictive - figurant à l'art. 214 al. 4 CPP, selon laquelle l'autorité peut refuser l'information si celle-ci "devait exposer le condamné à un danger sérieux" (cf. FF 2014 868 et 881). Selon la Commission des affaires juridiques du Conseil national, le droit de la victime à être informée ne pouvait être considéré comme absolu, celui-ci s'opposant au "droit à l'autodétermination en matière d'information garanti à la personne condamnée par l'art. 13 al. 2 Cst.". L'intérêt du condamné au maintien du secret devait être considéré comme prépondérant sur celui de l'ayant droit à être informé lorsque "la transmission d'informations pourrait faire peser un risque grave sur l'intégrité physique ou psychique du condamné, en l'exposant à la vengeance de l'ayant droit ou de ses proches" (cf. rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, FF 2014 875 s.).
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A cet égard, le Conseil fédéral, dans son avis du 15 janvier 2014, a proposé de modifier le texte envisagé, en prévoyant que l'autorité pourrait refuser l'information demandée si "un intérêt prépondérant du condamné le justifi[ait]". Pour défendre cette position, le Conseil fédéral a notamment relevé que le condamné bénéficiait "du droit fondamental à l'autodétermination en matière d'information, selon lequel les autorités ne sont par principe pas autorisées à remettre à des tiers (p. ex. la victime ou ses proches) des données se rapportant à sa personne", ce droit ne pouvant être restreint "qu'aux conditions fixées à l'art. 36 Cst.". Il convenait ainsi, au regard des principes découlant de cette disposition, de "mettre en balance les intérêts du condamné et du demandeur". Sur ce point, le Conseil fédéral a relevé que l'article 92a CP envisagé remplissait les conditions d'une loi formelle permettant de justifier des "restrictions sévères aux droits fondamentaux". Il a ajouté qu'il existait un intérêt public des victimes et de leurs proches à recevoir des informations sur l'exécution des peines et des mesures, car ceux-ci devaient "pouvoir se mouvoir librement, c'est-à-dire sans avoir à redouter de croiser inopinément la personne condamnée", d'autant que ces renseignements pouvaient "les aider à mieux surmonter les traumatismes provoqués par l'infraction". Le Conseil fédéral a précisé que l'autorité pourrait faire usage de l'art. 292 CP pour "garantir la confidentialité des informations, en soumettant à des sanctions toute transmission illicite de ces dernières". S'agissant plus particulièrement de la proposition faite de calquer le critère d'octroi de l'information sur celui ressortant de l'art. 214 al. 4 CPP, il a indiqué que cette règle restreindrait "inutilement la portée de la pesée des intérêts". Selon lui, les intérêts en question n'étaient pas identiques à ceux qui existaient durant la procédure - soit lorsque la victime "s'expose à un danger en accablant le prévenu" -, car la menace pesant sur la victime et les personnes concernées n'était "plus aussi grande une fois la procédure pénale close". Le Conseil fédéral a encore relevé que l'évaluation qui devait être opérée par l'autorité devait "inclure l'ensemble des intérêts des parties, comme la raison de la demande (le demandeur est-il seulement curieux ou est-il tout aussi touché que la victime ?) et les conséquences de la décision sur la réintégration sociale du condamné ou sur les contacts entre les personnes concernées", afin de tenir compte des droits fondamentaux des personnes concernées. Il convenait notamment d'éviter que "l'ayant droit n'utilise les informations pour tenter d'empêcher le condamné de se réinsérer socialement, de trouver un logement ou du travail, en informant de son passé les bailleurs et les employeurs potentiels ou en rendant public son ancien statut (en placardant par exemple "ici vit un criminel")". Lorsque de tels comportements semblaient probables, il paraissait "disproportionné de livrer à leurs auteurs potentiels des informations sur l'exécution de la peine ou de la mesure, surtout si le condamné a commis un acte de peu de gravité" (cf. initiative parlementaire Octroi à la victime de droits importants en matière d'information, avis du Conseil fédéral, FF 2014 889 s.).
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Devant les Chambres fédérales, la formulation de l'art. 92a al. 3 CP a donné lieu à de vives discussions ainsi qu'à des divergences de vues entre le Conseil national et le Conseil des Etats (cf. notamment BO 2014 CE 763 et 866 s.; BO 2014 CN 758 ss, 1598 ss et 1701 ss). En substance, une opposition s'est dessinée entre, d'une part, ceux estimant que l'intérêt de l'ayant droit l'emportait en principe systématiquement sur celui du condamné et craignant qu'une simple pesée des intérêts puisse conduire à refuser trop aisément la délivrance d'informations, et, d'autre part, ceux considérant - avec le Conseil fédéral - que l'exigence de l'existence d'un "danger sérieux" pour le condamné en cas de transmission de l'information serait si élevée qu'elle exclurait en pratique tout refus de communication. Au terme de ces débats, le critère du "danger sérieux" devant planer sur le condamné pour justifier un refus d'information a été abandonné. En revanche, afin de marquer le caractère "exceptionnel" du refus, il a été décidé de préciser que l'autorité pourrait refuser d'informer ou révoquer sa décision de le faire "uniquement" si un intérêt prépondérant du condamné le justifiait (cf. BO 2014 CN 1703).
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On peut ajouter que le droit à l'information prévu à l'art. 92a CP s'applique aussi à l'exécution ordonnée en vertu de l'ancien droit (cf. RO 2015 1624).
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L'autorité précédente a ajouté que la recourante n'avait étayé ses craintes pour sa vie par aucun élément concret, aucune menace de représailles, quelle qu'en fût la forme, qui aurait pu être proférée à son encontre. L'intéressée n'avait donc fait valoir aucun intérêt prépondérant permettant de refuser la transmission des informations en question.
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2.3 La recourante ne conteste pas que B.A. fût fondée à demander des informations à titre de l'art. 92a CP, ni ne discute la teneur des renseignements qui doivent, selon la décision attaquée, être communiqués à la prénommée, mais s'oppose à toute transmission de cet ordre. Elle évoque tout d'abord la faible probabilité qu'une rencontre inopinée puisse survenir. Or, comme l'a relevé l'autorité précédente, l'idée qu'une telle rencontre puisse se concrétiser - tandis que les deux intéressées vivraient à quelques dizaines de kilomètres de distance - n'a rien d'extravagant. Les informations transmises permettront ainsi notamment à B.A., dès la libération de la recourante, d'éviter ... et ses environs. Contrairement à ce que soutient la recourante, la cour cantonale a bien effectué une pesée des intérêts et son raisonnement ne revient nullement à accepter la transmission d'informations dès lors qu'une rencontre entre les personnes concernées est envisageable. La perspective, pour un ayant droit, de croiser fortuitement le condamné constituait d'ailleurs l'un des principaux éléments ayant justifié l'adoption de l'art. 92a CP (cf. consid. 2.1 supra). En l'occurrence, la pesée des intérêts s'est avérée défavorable à la recourante car cette dernière n'a fait valoir aucun intérêt propre à refuser la communication.
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La recourante prétend ensuite qu'une transmission d'informations ne se justifierait que lorsque le condamné aurait eu un "comportement négatif" à l'encontre de l'ayant droit, notamment en proférant des menaces à son égard. Or, une telle exigence ne ressort aucunement de l'art. 92a al. 3 CP, ni ne correspond à la volonté du législateur, lequel a entendu permettre exceptionnellement à l'autorité de refuser la transmission d'informations en présence d'un intérêt prépondérant du condamné (cf. consid. 2.1 supra). On peut ajouter que la doctrine ne préconise pas d'appliquer des critères plus stricts en la matière, mais considère qu'un refus, de la part de l'autorité, pourrait se justifier lorsque l'ayant droit risquerait de se venger, de s'en prendre physiquement au condamné, d'entraver sa réinsertion ou lorsque celui-ci aurait déjà, par le passé, mésusé de renseignements de ce type (cf. DANIEL WYSSMANN, in Basler Kommentar, Strafrecht, 4e éd. 2019, nos 23 s. ad art. 92a CP; TRECHSEL/AEBERSOLD, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 3e éd. 2018, n° 3 ad art. 92a CP). Dans le présent cas, la recourante évoque son bon comportement et l'absence d'attitude hostile envers B.A., mais n'explique pas quel serait concrètement son intérêt à refuser les informations demandées.
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Enfin, dans la mesure où la recourante affirme qu'elle aurait "peur de possibles représailles", tout en admettant que de telles craintes "ne reposent pas sur un élément objectif", l'intéressée ne fait pas davantage valoir un intérêt pouvant être considéré comme prépondérant au regard de celui revendiqué par B.A. Au demeurant, dès lors que la recourante annonce précisément, dans son recours, qu'après "avoir purgé sa peine, [elle] retournera à ...", où elle est "au bénéfice d'un contrat de bail pour la villa dont elle était propriétaire", on peut douter qu'elle redoute véritablement des représailles de la part de B.A.
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