BGE 112 V 145
 
25. Arrêt du 24 septembre 1986 dans la cause Mondragon contre Caisse cantonale vaudoise de compensation et Tribunal des assurances du canton de Vaud
 
Regeste
Art. 9 Abs. 4 des Abkommens zwischen der Schweizerischen Eidgenossenschaft und Spanien über Soziale Sicherheit vom 13. Oktober 1969.
 
Sachverhalt
A.- Francisca Mondragon, de nationalité espagnole, née le 25 février 1923, a bénéficié depuis le 1er janvier 1972 d'une rente entière simple d'invalidité dont le montant, qui s'élevait en dernier lieu à 985 fr. par mois, avait été calculé en totalisant les périodes d'assurance et les périodes assimilées accomplies selon les dispositions légales espagnoles, entre le 1er juillet 1949 et le 31 mai 1963, et les périodes de cotisations suisses, conformément à l'art. 9 al. 3 de la Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et l'Espagne, du 13 octobre 1969.
Par décision du 7 février 1985, la Caisse cantonale vaudoise de compensation alloua à l'assurée, dès le 1er mars suivant, une rente extraordinaire de vieillesse simple de 690 fr. par mois, en lieu et place de la rente ordinaire partielle de 392 fr. à laquelle elle aurait pu prétendre sur la base des cotisations versées à la seule assurance-vieillesse et survivants suisse. La décision précitée contenait en outre la phrase suivante: "Si les cotisations que vous avez versées à la sécurité sociale espagnole ne vous donnaient pas le droit à une rente espagnole, nous vous prions de nous aviser."
B.- L'assurée recourut contre cette décision devant le Tribunal des assurances du canton de Vaud en faisant valoir que, conformément à la législation espagnole, elle ne pourrait faire valoir un droit à une rente de vieillesse qu'à l'âge de 65 ans, de telle sorte que la caisse de compensation aurait dû, selon l'art. 9 al. 4 de la convention précitée, tenir compte des périodes de cotisations espagnoles, pour déterminer le montant de sa rente de vieillesse de l'assurance suisse, jusqu'à la date d'ouverture de son droit à une rente espagnole. Par jugement du 4 septembre 1985, la juridiction cantonale rejeta le recours dont elle était saisie.
C.- Francisca Mondragon interjette recours de droit administratif contre ce jugement en concluant à son annulation. Elle demande au Tribunal fédéral des assurances de dire principalement qu'elle a droit à une rente de vieillesse succédant à sa rente d'invalidité et calculée en tenant compte des périodes de cotisations espagnoles; subsidiairement qu'au cas où elle n'aurait pas droit à des prestations de vieillesse de la sécurité sociale espagnole, à l'âge de 65 ans, elle aurait alors droit à une rente de vieillesse de l'assurance suisse tenant compte des périodes de cotisations espagnoles et versée avec effet rétroactif et intérêts dès mars 1985; plus subsidiairement enfin qu'au cas où, à l'âge de 65 ans, elle n'aurait droit qu'à des prestations de vieillesse de la sécurité sociale espagnole inférieures à la différence entre la rente d'invalidité et la rente de vieillesse suisse, elle aurait alors droit à une rente de vieillesse tenant compte des périodes de cotisations espagnoles et courant dès mars 1985, réduite uniquement du montant de la rente de vieillesse espagnole. La caisse intimée conclut au rejet du recours, ce que propose également l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS).
D.- Invité par le juge délégué à l'instruction du recours à étayer l'affirmation selon laquelle "la législation espagnole de sécurité sociale [lui laissait] à penser que la recourante eût pu prétendre une pension de vieillesse espagnole anticipée dès l'âge de 60 ans", l'OFAS a produit un extrait d'un document intitulé "Exposé sommaire du système espagnol de sécurité sociale", du 30 octobre 1981, émanant de l'Institut national espagnol de la sécurité sociale. Les observations formulées à ce propos tant par la caisse intimée que par la recourante seront évoquées dans les considérants qui suivent pour autant que nécessaire.
 
Considérant en droit:
Selon l'art. 9 al. 4 de la convention hispano-suisse précitée, les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l'assurance suisse venant se substituer à une rente d'invalidité fixée selon l'alinéa précédent (totalisation des périodes d'assurance espagnoles et des périodes de cotisations suisses), sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses (première phrase). Si toutefois les périodes d'assurance espagnoles, compte tenu de l'article 11 et des dispositions d'autres conventions internationales, n'ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation espagnole analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul des rentes suisses susmentionnées (seconde phrase).
Quant à l'art. 11 de la convention, auquel renvoie l'alinéa précité, il est ainsi rédigé, dans sa version en vigueur depuis le 1er novembre 1983 (avenant du 11 juin 1982):
"Quand un travailleur auquel s'applique la Convention a été soumis successivement ou alternativement aux législations des deux Etats contractants, les périodes de cotisations et les périodes assimilées accomplies sous chacune desdites législations pourront être totalisées du côté espagnol, en tant qu'elles ne se superposent pas, pour l'ouverture, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations régies par la présente section."
b) Les premiers juges ont rejeté le recours dont ils étaient saisis en considérant, en bref, que l'interprétation donnée par l'assurée à l'art. 9 al. 4 de la convention, sans être contraire à la lettre de cette disposition, ne correspondait toutefois pas à la volonté des Etats contractants telle qu'elle s'était exprimée dans le message du 12 novembre 1969 du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'approbation des conventions de sécurité sociale conclues par la Suisse avec l'Espagne et la Turquie, ni aux instructions administratives de l'OFAS applicables en la matière. Selon eux, la différence de l'âge-terme donnant droit à une rente de vieillesse pour une assurée (62 ans en Suisse et 65 ans en Espagne) n'est pas un cas exceptionnel au sens de cette disposition conventionnelle puisque toutes les assurées espagnoles pouvant prétendre une rente de l'AVS suisse sont dans la même situation.
c) Pour sa part, la recourante invoque trois moyens à l'appui de ses conclusions. En premier lieu, elle fait valoir que l'art. 9 al. 4 seconde phrase de la convention signifie que tant et aussi longtemps qu'un assuré ne peut bénéficier d'une rente de vieillesse du régime espagnol, il y a lieu de totaliser les périodes d'assurance espagnoles et suisses pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul de la rente de vieillesse suisse. Or, du moment qu'elle ne pourra prétendre une rente de vieillesse espagnole qu'à l'âge de 65 ans révolus en principe, elle a droit jusque-là à une rente de vieillesse suisse plus élevée, calculée selon les mêmes principes que la rente d'invalidité qui lui était servie antérieurement.
Dans un deuxième moyen, la recourante allègue qu'elle n'a cotisé à l'assurance-vieillesse espagnole que pendant treize ans et quatre mois. Il n'est dès lors pas certain qu'à l'âge de 65 ans révolus elle pourra prétendre une rente de vieillesse dans son pays d'origine puisque la nouvelle législation espagnole en la matière fixe désormais à quinze ans et non plus à dix ans la durée normale de cotisations requise pour ouvrir droit aux pensions de vieillesse (loi du 31 juillet 1985).
La recourante invoque enfin l'art. 33bis al. 1 LAVS selon lequel les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d'invalidité à laquelle elles succèdent, s'il en résulte un avantage pour l'ayant droit et elle soutient qu'elle peut, le cas échéant, bénéficier de cette règle en vertu du principe d'égalité de traitement des ressortissants espagnols et suisses, consacré par l'art. 7 al. 1 de la convention.
2. a) L'interprétation d'une convention internationale de sécurité sociale doit se fonder en premier lieu sur le texte même de cette convention. Si ce texte semble clair et que sa signification, telle qu'elle résulte du langage courant ainsi que de l'objet et du but de la convention, n'apparaisse pas comme manifestement absurde, une interprétation extensive ou restrictive s'écartant du texte même n'entre en ligne de compte que si l'on peut déduire avec certitude du contexte ou de la genèse de cette disposition que l'expression de la volonté des parties à la convention est inexacte (ATF 109 V 188 consid. 3a). Dans ce cadre, les notions auxquelles fait appel une convention de sécurité sociale, qui déterminent le droit à des prestations d'une institution d'assurance suisse, doivent être interprétées selon les conceptions suisses, c'est-à-dire d'après le droit national (ATF 111 V 119 consid. 1b).
En l'espèce, il convient de rechercher le sens qu'il faut donner au membre de phrase "n'ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation espagnole analogue" qui figure à l'art. 9 al. 4 de la convention. Si l'on se fonde uniquement sur le texte de la norme conventionnelle, on ne saurait dire, contrairement à l'opinion des premiers juges, qu'il est absolument clair, ni qu'il ne nécessite aucune interprétation autre que strictement littérale comme le soutient l'OFAS dans son préavis. Aussi convient-il de dégager la signification de la norme en cause en recherchant, selon les principes d'interprétation rappelés plus haut et compte tenu des travaux préparatoires qui ont précédé son adoption (cf. ATF 111 V 204 consid. 3; GRISEL, Traité de droit administratif, p. 128), quels en sont l'objet et le but.
b) Dans son message du 12 novembre 1969, le Conseil fédéral, après avoir indiqué les motifs pour lesquels il convenait de totaliser les périodes d'assurance accomplies dans le pays partenaire et les périodes de cotisations suisses, selon le principe de l'assurance risque-pur, pour le règlement des prestations de l'assurance-invalidité (cf. ATF 109 V 188 consid. 3b), s'est exprimé comme il suit au sujet des rentes de vieillesse et de survivants (FF 1969 II 1442):
"Il faut préciser que cette totalisation des périodes d'assurance étrangère opérée par la Suisse ne s'applique que dans l'assurance-invalidité. Lorsque des rentes de vieillesse ou de survivants se substituent à des rentes d'invalidité, l'assurance suisse revient à la méthode de calcul de ces prestations fondée uniquement sur la législation nationale. La conséquence en sera, dans la plupart des cas, une diminution des prestations suisses, avant tout pour les ressortissants espagnols et turcs. Mais, en règle générale, cette perte sera compensée par un droit à une prestation qu'ils auront acquis dans les assurances de l'autre Etat en vertu des périodes de cotisations qu'ils y auront accomplies, les périodes suisses (ou même les périodes accomplies dans les Etats tiers) pouvant être alors prises en considération, ainsi que nous l'avons exposé au chiffre 1 ci-dessus. Si, dans des cas exceptionnels, un droit à prestation ne devait pas exister malgré tout dans l'autre Etat, la totalisation opérée dans l'assurance suisse pour l'octroi d'une rente d'invalidité s'appliquerait alors également à l'octroi des rentes de vieillesse ou de survivants qui s'y substituent (conv. E, art. 9, par. 4; conv. TR, art. 10, par. 4)."
En ce qui concerne la portée du message du Conseil fédéral auquel, avec raison, se sont également référés les premiers juges, il convient cependant de remarquer que ce document ne saurait à lui seul exprimer la volonté des parties contractantes puisqu'il émane du gouvernement d'une seule de ces parties. En réalité, en matière de conventions internationales, le message du Conseil fédéral ne fait qu'exprimer la manière dont la Suisse comprend et interprète le traité auquel elle entend adhérer (cf. par exemple BASTID, Les traités dans la vie internationale. Conclusion et effets. Paris 1985, p. 127 et s.).
c) En l'occurrence, le passage précité du message du Conseil fédéral ne permet pas de définir le sens qu'il faut donner au membre de phrase dont l'interprétation est litigieuse. Aussi faut-il, comme on l'a exposé ci-dessus, rechercher quelle norme du droit suisse s'apparente le plus à la situation visée par les parties contractantes. Celle-ci figure à l'art. 33bis al. 1 LAVS, déjà cité, dont l'application aboutit au même résultat, c'est-à-dire que lorsqu'une rente de vieillesse ou de survivants de l'assurance suisse succède à une rente de l'assurance-invalidité calculée conformément à l'art. 9 al. 3 de la convention, c'est ce même mode de calcul qui doit être appliqué, s'il est plus avantageux pour l'assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation espagnole analogue au moment où s'ouvre son droit à la rente suisse. C'est, en effet, de cette manière seulement qu'on respecte le principe de l'égalité de traitement consacré par l'art. 7 al. 1 de la convention. Si, par la suite, un droit de l'assuré à la prestation espagnole naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes de cotisations suisses, conformément à l'art. 9 al. 4 première phrase de la convention.
Dans cette mesure, l'argumentation développée par la recourante dans son troisième moyen est pertinente. Elle ne l'est pas, en revanche, lorsque la recourante en déduit que si la rente de vieillesse espagnole est inférieure à la différence entre la rente d'invalidité calculée selon l'art. 9 al. 3 de la convention et la rente de vieillesse ou de survivants fixée en appliquant l'art. 9 al. 4 première phrase de la convention, il faut calculer la rente suisse conformément à l'art. 33bis al. 1 LAVS. En effet, la norme internationale l'emporte sur la règle de droit interne (ATF 111 V 202 consid. 2b, ATF 110 V 76 consid. 2b), et la disposition légale précitée est donc inapplicable dans un tel cas. Aussi peut-il fort bien arriver que la rente espagnole ne compense pas entièrement la différence mentionnée ci-dessus, hypothèse d'ailleurs expressément réservée par les mots "en règle générale" qui figurent dans le passage précité du message du Conseil fédéral.
3. La recourante allègue que lorsque s'est ouvert son droit à la rente de vieillesse de l'assurance suisse, c'est-à-dire le 1er mars 1985, elle n'avait pas encore droit à une prestation espagnole analogue, puisqu'elle n'avait pas atteint l'âge de 65 ans révolus. L'OFAS soutient en revanche que Francisca Mondragon aurait pu prétendre, à cette date, une pension de vieillesse anticipée espagnole. La recourante conteste cette affirmation en faisant valoir d'une part que l'"exposé sommaire du système espagnol de sécurité sociale" sur lequel se fonde ledit office serait dépassé tant au regard de la nouvelle législation espagnole que de l'avenant à la convention hispano-suisse entré en vigueur le 1er novembre 1983, et d'autre part que l'ancien droit espagnol subordonnait le droit à une pension de vieillesse à des conditions qu'elle ne remplit pas, puisqu'elle n'exerçait pas d'activité lucrative soumise à cotisations et n'était pas dans une situation assimilée (chômage indemnisé). Enfin, le droit à la pension de vieillesse anticipée est subordonné à la condition que l'assuré soit domicilié en Espagne, condition non réalisée en l'espèce. Pour sa part, la caisse intimée propose que la recourante présente une demande de pension du régime espagnol par l'intermédiaire de la Caisse suisse de compensation, ce qui permettrait d'être fixé sur l'étendue des droits de la recourante à l'égard de ce régime.
Il n'est pas possible de suivre cette suggestion. Comme dans toute procédure administrative, le contenu du droit étranger doit être examiné d'office par l'administration et, s'il y a lieu, par le juge des assurances sociales (ATF 108 V 124 consid. 3a). En l'espèce, les renseignements fournis à la Cour de céans sur la législation espagnole relative au régime des pensions de vieillesse, tant par l'OFAS que par la recourante, sont beaucoup trop imprécis et d'ailleurs partiellement contradictoires. La question essentielle, compte tenu de l'interprétation donnée ci-dessus à l'art. 9 al. 4 seconde phrase de la convention (consid. 2c), est celle de savoir si, lorsque s'est ouvert son droit à la rente de vieillesse suisse, la recourante pouvait effectivement prétendre une pension de vieillesse anticipée du régime espagnol. Cette question a été soulevée pour la première fois en procédure fédérale par l'OFAS. Aussi est-ce d'abord la tâche de l'administration que d'y répondre. Il convient donc d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer le dossier de la cause à la caisse intimée afin qu'elle procède à une instruction complémentaire sur ce point - en prenant des renseignements, le cas échéant, auprès des autorités espagnoles compétentes -, puis rende une nouvelle décision par laquelle elle fixera à nouveau le droit de la recourante à une rente de vieillesse, en se conformant aux motifs du présent arrêt.
Il n'y a pas lieu, en revanche, d'annuler la décision de rente litigieuse dont il n'est pas encore établi qu'elle soit contraire au droit.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal des assurances du canton de Vaud du 4 septembre 1985 est annulé et la cause renvoyée à la Caisse cantonale vaudoise de compensation pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des motifs.