BGE 114 V 258 |
48. Arrêt du 22 novembre 1988 dans la cause C. contre Caisse-maladie du personnel de la Confédération et des entreprises suisses de transport et Tribunal cantonal valaisan des assurances |
Regeste |
Art. 12 Abs. 2 KUVG, Art. 21 Abs. 1 Vo III. |
Sachverhalt |
A.- Louis C., né en 1940, est assuré contre la maladie auprès de la Caisse-maladie du personnel de la Confédération et des entreprises suisses de transport (ci-après: CPT). En 1986, il a subi une transplantation cardiaque à l'Hôpital universitaire de Zurich. Le 26 avril 1986, la CPT lui a notifié une décision par laquelle elle refusait de prendre en charge les frais en relation avec cette intervention, motif pris que celle-ci ne donnait pas lieu à des prestations obligatoires des caisses-maladie reconnues.
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En cours de procédure, la CPT a accepté de prendre à sa charge les frais de traitement encourus par son assuré jusqu'à concurrence de 36'566 francs, au titre de prestations bénévoles. Considérant que ce dernier avait obtenu satisfaction, la juridiction cantonale a déclaré sans objet le recours et elle a radié l'affaire du rôle par jugement du 18 septembre 1986.
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C.- Tant Louis C. que la CPT ont formé un recours de droit administratif contre ce jugement.
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Par arrêt du 30 mars 1987, le Tribunal fédéral des assurances a renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour nouveau prononcé. En bref, il a constaté que le versement de 36'566 francs n'était pas de nature à mettre fin au litige entre les parties. Il s'agissait de prestations bénévoles, auxquelles l'assuré n'avait aucun droit juridiquement protégé et qui, au demeurant, ne suffisaient pas à couvrir la totalité des frais médicaux découlant de l'intervention litigieuse.
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D.- A la suite de cet arrêt, le tribunal cantonal des assurances a, le 3 novembre 1987, rejeté le recours contre la décision du 26 avril 1986. En résumé, il a considéré que la transplantation cardiaque ne représentait pas une prestation obligatoirement à la charge des caisses-maladie, faute d'une décision expresse du Département fédéral de l'intérieur sur ce point.
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E.- Louis C. interjette un recours de droit administratif dans lequel il conclut à l'annulation de ce jugement et demande au Tribunal fédéral des assurances d'ordonner à la CPT "de payer à titre obligatoire les prestations dues (...) au titre de la transplantation subie".
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La CPT conclut au rejet du recours, ce que propose également l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS).
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F.- Dans sa séance du 28 août 1986, la Commission fédérale des prestations générales de l'assurance-maladie a traité notamment de la question de la transplantation cardiaque. A la demande du juge délégué, l'OFAS a versé au dossier diverses pièces en relation avec cette prise de position.
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Considérant en droit: |
2. En vertu de l'art. 12 al. 2 LAMA, les prestations à la charge des caisses-maladie au titre de l'assurance des soins médicaux et pharmaceutiques sont dues en cas de traitement médical. Par traitement médical, il faut entendre, notamment, les soins donnés par un médecin. Ceux-ci comprennent, selon l'art. 21 al. 1 Ord. III, toute mesure diagnostique ou thérapeutique, reconnue scientifiquement, qui est appliquée par un médecin. En outre, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 1986, ladite disposition réglementaire prévoit que la mesure doit être appropriée à son but et économique. Ces principes s'appliquent aussi bien au traitement ambulatoire qu'au traitement dans un établissement hospitalier (ATF 113 V 44 consid. 4b, ATF 112 V 305 consid. 2b).
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Selon la jurisprudence, une méthode de traitement est considérée comme éprouvée par la science médicale, c'est-à-dire réputée scientifiquement reconnue, si elle est largement admise par les chercheurs et les praticiens. L'élément décisif à cet égard réside dans le résultat des expériences et dans le succès d'une thérapie (ATF 114 V 23, ATF 113 V 45 consid. 4d/aa, ATF 105 V 185 consid. 3; ATFA 1962 p. 116).
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Si le caractère scientifique, la valeur diagnostique ou thérapeutique ou le caractère économique d'une mesure est contesté, le Département fédéral de l'intérieur décide, sur préavis d'une commission de spécialistes (Commission fédérale des prestations générales de l'assurance-maladie), si la mesure doit être prise en charge obligatoirement par les caisses (art. 12 al. 5 LAMA, art. 21 al. 2 Ord. III).
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Il n'existe pas non plus de décision du Département fédéral de l'intérieur à ce sujet. En particulier, les mesures thérapeutiques énumérées dans l'Ord. dép. 9, relative aux opérations du coeur et aux dialyses, n'incluent pas les transplantations cardiaques, ce qui ne saurait surprendre si l'on considère que cette ordonnance a été édictée en 1967. Mais contrairement à ce qu'admettent les premiers juges, cela ne signifie pas que les transplantations de ce genre échappent d'emblée au domaine des prestations obligatoires: en ce qui concerne les soins donnés par un médecin, ils ne font l'objet d'une décision du département que s'ils prêtent à discussion. Cela ressort clairement de l'art. 21 al. 2 Ord. III, précité, et le Conseil fédéral l'a d'ailleurs rappelé dans son message sur la révision partielle de l'assurance-maladie du 19 août 1981 (FF 1981 II 1119). En fait, ce sont les traitements administrés par le personnel paramédical qui sont désignés d'une manière exhaustive (art. 21a Ord. III; Ord. dép. 7).
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b) La Commission fédérale des prestations générales de l'assurance-maladie s'est, quant à elle, prononcée dans sa séance du 28 août 1986. L'OFAS avait préparé à son intention un rapport dont il résulte ce qui suit:
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aa) La transplantation cardiaque peut être indiquée pour des cardiopathies parvenues au stade terminal chez des patients âgés de moins de cinquante à cinquante-cinq ans.
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bb) Les centres de transplantation cardiaque doivent répondre à certains critères de sélection qui sont les suivants: justifier d'une expérience suffisante et d'une organisation adéquate (au niveau du personnel pluridisciplinaire et du choix des transplants notamment); rassembler, dans toute la mesure du possible, des informations sur les interventions qu'ils effectuent.
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cc) Les problèmes techniques de l'opération sont maintenant résolus, mais il n'en a pas toujours été de même tout de suite pour les problèmes immunologiques (réactions de rejet). Toutefois, la cyclosporine, apparue en 1981, a permis, dans une large mesure, de résoudre ces difficultés. Le taux de survie des patients s'en trouve nettement augmenté; le recouvrement de la capacité de travail demeure cependant aléatoire.
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dd) Le coût global d'une transplantation (comprenant celui de l'intervention et celui du traitement postopératoire) devrait se situer, en Suisse, entre 60'000 francs et 80'000 francs.
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ee) En transposant sur le plan suisse les estimations américaines (selon lesquelles 5 à 60 patients par million d'habitants seraient susceptibles de subir l'opération), il faudrait s'attendre à un nombre de transplantations compris entre 30 et 360 par année dans notre pays.
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ff) La transplantation effectuée dans des centres expérimentés (c'est-à-dire procédant à plus de 12 interventions par an) doit être considérée comme une mesure scientifiquement reconnue, si les critères de sélection des patients (en tenant compte des indications et contre-indications) et des donneurs sont respectes.
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L'OFAS a néanmoins estimé, en conclusion, que la transplantation cardiaque ne saurait, pour le moment, être mise obligatoirement à la charge des caisses-maladie. La commission des spécialistes s'est ralliée à cette conclusion. Ses motifs, résumés par l'OFAS dans le RAMA 1987 p. 79, sont les suivants:
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"La transplantation cardiaque (ci-après TC) constitue une mesure thérapeutique scientifiquement reconnue, dans la mesure où elle est effectuée dans un centre suffisamment expérimenté dans ce domaine et disposant d'une organisation adéquate ainsi que dans la mesure où les critères de sélection des patients (indications resp. contre-indications) et des donneurs sont respectés.
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D'après la Commission des prestations, la TC ne saurait actuellement en Suisse être mise obligatoirement à la charge des caisses-maladie, et cela pour les motifs suivants:
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- petit nombre de TC faites en Suisse jusqu'à maintenant (une dizaine);
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- manque de structures appropriées et par là même d'expériences (pas de centres correspondants; non-inclusion de la TC dans le programme de "Swisstransplant"/Fondation suisse pour la transplantation d'organes);
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- indisponibilité actuelle de données épidémiologiques sur la TC;
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- absence d'informations sur le coût réel de la TC et du traitement postopératoire à moyen et à long terme."
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Au bas de ce texte, il était indiqué que la Caisse de réassurance pour longues maladies (CLM) avait décidé, le 14 août 1986, que les transplantations cardiaques seraient prises en charge "à bien plaire", cela pour les patients assurés par une caisse-maladie elle-même affiliée à la CLM.
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Appliquant ces principes, le Tribunal fédéral des assurances s'en est tenu à l'avis de la commission dans les cas de l'amniocentèse (ATF 112 V 303), de la procréation artificielle par fécondation in vitro et transfert d'embryon (ATF 113 V 42) et de la thérapie musicale (ATF 114 V 22). Il s'en est récemment écarté s'agissant d'actes chirurgicaux en relation avec l'opération de changement de sexe (ATF 114 V 153 et 162), après avoir constaté que l'opinion des spécialistes ne se fondait pas, en l'occurrence, sur des considérations d'ordre strictement médical, propres à lier le tribunal, mais surtout sur des appréciations générales ou de nature juridique, que ce dernier revoit librement.
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b) Comme on l'a vu, la commission admet que la transplantation cardiaque satisfait, en principe, à l'exigence du traitement scientifiquement reconnu. Cela n'est du reste guère contestable. On sait en effet que les transplantations cardiaques remontent maintenant à une vingtaine d'années, la première opération de ce genre ayant été pratiquée en 1967 par le professeur Barnard. La technique a, depuis lors, été éprouvée et améliorée dans un certain nombre de pays, notamment aux Etats-Unis, en France et en Allemagne. Ainsi, selon la documentation médicale déposée au dossier, 2062 transplantations du coeur avaient été effectuées aux Etats-Unis à la date du 31 mars 1986, dans 86 centres médicaux différents. En 1985, l'on en a recensé 750 dans le monde, dont 75 en Allemagne et plus de 100 en France. Les problèmes techniques et immunologiques ayant été en grande partie résolus, le taux de réussite a très sensiblement augmenté ces dernières années: selon une étude du professeur Cabrol, la courbe de survie actuarielle à trois ans a passé de 15 pour cent à plus de 85 pour cent pour les interventions pratiquées au centre hospitalier de La Pitié, à Paris; ce dernier taux est supérieur à celui rencontré dans nombre d'opérations cardiaques de routine et il est susceptible de progresser encore si l'on respecte scrupuleusement toutes les contre-indications et si, d'autre part, l'on évite des erreurs dans le choix du receveur et du donneur.
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c) On peut donc tenir pour établi que la transplantation cardiaque est aujourd'hui reconnue par le corps médical comme une thérapie adéquate et efficace. A cet égard, et pour ne citer qu'un exemple, il n'y a pas de comparaison possible avec le cas de la fécondation in vitro, qui a fait l'objet de l' ATF 113 V 42 : cette méthode de procréation artificielle revêtait encore un caractère essentiellement expérimental (ce qui, par définition, signifiait qu'elle n'était pas véritablement éprouvée par la science médicale); le taux de réussite était extrêmement faible, d'une manière générale (10 pour cent environ), et la méthode présentait en outre, en cas de succès de la fertilisation, un risque non négligeable de grossesse anormale.
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Certes la commission des spécialistes a-t-elle en l'espèce exprimé des réserves, en ce qui concerne les traitements effectués en Suisse, lesquels laisseraient planer quelques incertitudes. Mais ces réserves, qui ne sont du reste pas toutes d'ordre médical, n'apparaissent pas déterminantes d'un point de vue juridique; en cela, elles ne sauraient lier le juge.
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aa) Il en est ainsi du faible nombre de transplantations cardiaques (une dizaine recensées en août 1986) et du fait que l'on ne dispose pas encore de centres médicaux jugés suffisamment expérimentés. Que la technique en cause n'ait été pratiquée en Suisse qu'avec un retard certain ne signifie pas qu'elle soit mal maîtrisée. En outre, le nombre d'interventions possibles est forcément limité dans un pays comme le nôtre, vu l'effectif restreint de patients qui, en théorie, seraient susceptibles de bénéficier d'une telle technique. Entrer dans les vues de la commission reviendrait à refuser la prise en charge par les caisses-maladie d'une mesure thérapeutique, pourtant reconnue scientifiquement, jusqu'à ce qu'un certain seuil quantitatif soit franchi, ce qui comporterait un risque important d'arbitraire.
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En d'autres termes, on ne voit pas pour quelle raison le droit à des prestations devrait être dénié à ceux des assurés qui, par un pur hasard, seraient les premiers à bénéficier du traitement. Cela d'autant moins qu'il semble admis que la position de la commission devra être reconsidérée à brève échéance.
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bb) Quant à l'objection tirée de l'indisponibilité de données épidémiologiques, elle est certainement fondée en ce qui concerne la Suisse, mais elle ne l'est apparemment pas si l'on prend en considération - comme il se doit - les données étrangères.
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cc) La commission relève d'autre part l'absence d'information sur le coût réel des transplantations cardiaques et sur celui du traitement postopératoire à moyen et à long terme.
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Cette affirmation mérite toutefois d'être nuancée. En effet, il ressort du dossier que le coût de l'intervention est fonction de divers facteurs, en particulier du lieu où s'effectue le prélèvement. Lorsque le donneur se trouve sur place, ce coût peut être estimé à 25'000 francs ou 30'000 francs. Si le prélèvement a lieu à distance, il est majoré du prix du transport de l'organe par hélicoptère. Au coût de l'opération proprement dite, s'ajoutent celui du traitement anti-rejet et celui d'un traitement au "long cours", impliquant du deuxième au troisième mois un bilan hebdomadaire, du troisième au sixième mois un bilan par quinzaine, puis, dès le sixième mois, un bilan mensuel. Le coût global de l'intervention et du traitement anti-rejet devrait se situer entre 60'000 francs et 80'000 francs, comme l'a du reste indiqué l'OFAS dans son rapport à l'intention de la commission.
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En fait, les objections soulevées ici par la commission sont à mettre en relation avec l'exigence du caractère économique du traitement. Mais il faut rappeler à ce propos que le but du traitement médical, dans les limites de l'assurance-maladie, est d'éliminer de la manière la plus complète possible les atteintes physiques ou psychiques à la santé (ATF 111 V 234 consid. 3b). Les caisses-maladie doivent donc prendre en charge même des mesures coûteuses, lorsqu'il n'existe pas d'autre méthode de traitement ou, à tout le moins, pas de méthode plus économique, et que le coût de la mesure est acceptable au regard du principe de la proportionnalité (ATF 109 V 43 consid. 2b et les références). Or, dans le cas particulier, la commission ne prétend pas qu'il existe une disproportion évidente entre le montant des frais estimés et le résultat que l'on peut attendre de la thérapeutique en cause.
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Dans ce contexte, il n'est au surplus pas sans intérêt de constater que les transplantations cardiaques sont prises en charge par l'assurance-maladie sociale dans d'autres pays européens, notamment en France et en Allemagne, comme cela résulte d'une documentation versée au dossier par l'Institut suisse de droit comparé, à la demande du tribunal.
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d) Enfin, il sied de relever que la pratique actuelle n'est pas dépourvue de toute ambiguïté, puisque les transplantations cardiaques sont prises en charge, à titre bénévole, par les caisses-maladie affiliées à la CLM. Certes, il est loisible aux caisses-maladie d'allouer des prestations bénévoles, notamment dans les cas de rigueur; bien que ces prestations échappent en principe au contrôle judiciaire, elles ne doivent pas être accordées arbitrairement, au mépris du principe d'égalité entre les assurés (v. p.ex. RJAM 1973 No 177 p. 156). Mais une telle pratique ne saurait guère être généralisée dans le cas d'un traitement particulièrement coûteux. Car, même bénévoles, les prestations sont financées au moyen des cotisations versées par les assurés et subventionnées par les pouvoirs publics. Dès lors, de deux choses l'une: ou bien la mesure est scientifiquement reconnue et elle relève de l'assurance-maladie sociale; ou bien elle est à cet égard contestable et il n'y a pas de motif de la prendre en charge de manière presque systématique.
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e) Force est donc d'admettre, au vu de ces considérations, que la transplantation cardiaque représente une prestation obligatoirement à la charge des caisses-maladie reconnues. Encore faut-il, bien entendu, qu'un certain nombre d'exigences soient remplies, notamment en ce qui concerne les critères de sélection des patients et des donneurs. A ce propos, il serait souhaitable que ces conditions fassent l'objet d'une ordonnance du Département fédéral de l'intérieur, fondée sur l'art. 21 al. 3 Ord. III (disposition introduite par la novelle du 20 décembre 1985), qui donne à cette autorité la compétence de subordonner la prise en charge obligatoire de soins à des conditions destinées à garantir leur valeur diagnostique ou thérapeutique et leur caractère économique.
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5. Cela étant, et comme il n'apparaît pas que les critères de sélection aient été en l'espèce inadéquats, tant en ce qui concerne le patient que le donneur, le recours de droit administratif se révèle bien fondé. Il y a donc lieu de renvoyer la cause à la caisse intimée pour décision sur les prestations dues au recourant.
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