BGE 123 V 219
 
39. Extrait de l'arrêt du 27 août 1997 dans la cause Office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail contre L. et Commission cantonale de recours en matière d'assurance-chômage, Genève
 
Regeste
Art. 14 Abs. 2 AVIG: Befreiung von der Erfüllung der Beitragszeit.
Die Auflösung einer eheähnlichen Gemeinschaft stellt keinen "ähnlichen Grund" im Sinne von Art. 14 Abs. 2 AVIG dar.
 
Sachverhalt
A.- L., née en 1962, a exercé une activité lucrative jusqu'en 1989, époque à laquelle elle a accompagné son ami à l'étranger.
Devenue mère d'une petite fille en 1992, L. s'est séparée de son compagnon, le père de l'enfant, après treize ans de vie commune. A la fin du mois de septembre 1995, elle est rentrée en Suisse, où elle s'est établie à G. chez ses parents.
Le 31 octobre 1995, elle a présenté une demande d'indemnité de chômage, avec effet rétroactif au 6 octobre 1995.
Par décision du 2 novembre 1995, la Caisse cantonale genevoise de chômage a refusé de donner suite à cette demande, au motif que L. ne remplissait pas les conditions relatives à la période de cotisation.
Saisi d'un recours, l'Office cantonal genevois de l'emploi l'a rejeté par décision du 12 décembre 1995, compte tenu du fait que l'ami de la prénommée n'avait jamais eu d'obligation légale d'entretien ou d'assistance à l'égard de cette dernière.
B.- L. a recouru contre cette décision devant la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'assurance-chômage. Par jugement du 25 avril 1996, cette dernière a admis le recours, motif pris que la situation de l'assurée était semblable à celle d'une femme séparée de corps ou divorcée, contrainte d'exercer une activité lucrative à la suite de la séparation, afin de subvenir à son entretien et à celui de son enfant.
C.- Par écriture du 19 juin 1996, l'Office fédéral de l'industrie, des arts et métiers et du travail interjette recours de droit administratif contre le jugement cantonal dont il requiert l'annulation, en demandant à la Cour de céans de dire que l'intimée n'est pas libérée des conditions relatives à la période de cotisation.
Invitée à se prononcer, la Caisse cantonale genevoise de chômage propose l'acceptation du recours.
Dans sa réponse, l'intimée fait valoir que le concubinage a créé une obligation légale d'entretien à son égard de la part de son ami et que la rupture d'un tel lien à l'étranger doit être prise en considération dans le cadre de la détermination de son droit à des indemnités de chômage.
 
Extrait des considérants:
Aux termes de l'art. 8 al. 1 let. e LACI, l'assuré a droit à l'indemnité de chômage s'il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré. Selon l'art. 14 al. 2 LACI, sont libérées des conditions relatives à la période de cotisation les personnes qui, par suite de séparation de corps ou de divorce, d'invalidité ou de mort de leur conjoint ou pour des raisons semblables ou pour cause de suppression de leur rente d'invalidité, sont contraintes d'exercer une activité salariée ou de l'étendre.
Une disposition similaire, contenue à l'art. 17 al. 4 de l'ordonnance sur l'assurance-chômage du 14 mars 1977 (OAC), prévoyait déjà, sous le titre marginal "personnes entrant dans la vie active", qu'étaient dispensées de justifier d'une activité soumise à cotisation durant une année au plus, pour autant qu'elles se mettent à l'entière disposition de l'office du travail en vue de leur placement, les personnes qui, par suite de divorce, de mort ou d'invalidité du conjoint ou à la suite d'un événement semblable étaient contraintes, pour des raisons économiques, d'exercer une activité lucrative.
b) Dans un arrêt du 13 février 1980 (ATF 106 V 58), la Cour de céans a jugé que l'"événement semblable" au sens de l'art. 17 al. 4 OAC ne visait pas la rupture du concubinage. Le Tribunal fédéral des assurances a notamment considéré que même si elles entraînent un devoir moral, de telles situations sont par essence précaires en droit, chacun pouvant y mettre fin sans avoir eu dans le passé ni avoir pour l'avenir une quelconque obligation pécuniaire; et chacun devant donc s'attendre à voir cesser à tout moment les prestations que l'autre lui verse juridiquement à bien plaire (ATF 106 V 60 consid. 3).
c) En l'espèce, c'est l'art. 14 al. 2 LACI, entré en vigueur le 1er janvier 1984, qui s'applique. Il sied donc d'examiner si la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien droit (art. 17 OAC; consid. 2b ci-dessus) reste néanmoins valable.
Certes, l'art. 17 al. 4 OAC visait uniquement les personnes entrant dans la vie active. Cependant, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que cette disposition s'appliquait aussi lorsque le divorce contraignait un conjoint à passer d'un volume de travail réduit, qui ne lui permettait pas de justifier d'une activité antérieure suffisante à l'octroi d'indemnités de chômage, à un volume de travail assez important pour justifier ladite indemnisation (DTA 1980 no 23 p. 47 sv.). En prévoyant à l'art. 14 al. 2 LACI une libération des conditions relatives à la période de cotisations non seulement en cas d'entrée dans la vie active, mais aussi en cas de reconversion ou de perfectionnement professionnel, le législateur n'a pas procédé à une extension générale du champ d'application de cette disposition, mais il a tenu compte de la jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 17 al. 4 OAC (STAUFFER, Die Arbeitslosenversicherung, 1984, p. 21 sv.).
Dans un arrêt du 21 mai 1987 (DTA 1987 no 5 p. 69 consid. 2c), le Tribunal fédéral des assurances a jugé que le sens et le but de l'art. 17 al. 4 OAC n'avaient pas été modifiés par la nouvelle réglementation sur l'assurance-chômage, soit en particulier l'art. 14 al. 2 LACI. Les seules extensions apportées par cette disposition légale ont trait à l'énumération des critères déterminants et au cercle de personnes auquel elle s'adresse. D'une part, la séparation de corps a été introduite comme motif de libération des conditions relatives à la période de cotisation; il s'agit là toutefois d'une simple codification de la jurisprudence rendue sous l'empire de l'art. 17 al. 4 OAC (DTA 1980 no 21 p. 40 ss; STAUFFER, op.cit., p. 21). D'autre part, la suppression de la rente d'invalidité a été ajoutée aux anciens motifs de libération. Parallèlement à l'extension des bénéficiaires de cette réglementation, "l'événement semblable" de l'art. 17 al. 4 OAC a été repris à l'art. 14 al. 2 LACI sous les termes de "raisons semblables". C'est à dessein que cette dernière notion n'a pas été précisée par le législateur, qui n'a pas voulu enlever à cette règle la souplesse requise par la diversité des situations de l'existence (FF 1980 III 566).
d) Il résulte de ce qui précède que la jurisprudence rendue en application de l'ancien art. 17 al. 4 OAC à propos du concubinage reste valable sous l'empire de l'art. 14 al. 2 LACI. En particulier, vouloir s'écarter, dans le cadre de cette disposition, des notions de droit civil entraînerait un certain arbitraire et aboutirait à une insécurité du droit (ATF 106 V 61 consid. 3 in fine).
La doctrine, aussi bien en matière de droit privé que dans le domaine des assurances sociales, est également de l'avis que la dissolution d'une union libre ne saurait constituer, au sens de cet article de loi, une "raison semblable" à un divorce ou une séparation. Selon DESCHENAUX/TERCIER/WERRO, qui citent l'arrêt ATF 106 V 58, le fait de n'être qu'un concubin peut présenter des inconvénients: la personne dont le concubinage a pris fin n'est pas assimilée à celle dont le mariage a pris fin (Le mariage et le divorce: la formation et la dissolution du lien conjugal, 4e éd., 1995, no 1026 p. 207). Pour GERHARDS, l'art. 14 al. 2 LACI ne saurait pas non plus être invoqué en cas de rupture d'un concubinage (Kommentar zum Arbeitslosenversicherungsgesetz [AVIG], vol. I, no 36 ad art. 14, p. 189). Le même avis est exprimé par STAUFFER dans son édition annotée de la LACI (p. 17 ad art. 14 al. 2).
e) Rejeter le recours de droit administratif et admettre que la notion de "raisons semblables" de l'art. 14 al. 2 LACI englobe aussi la situation des concubins dont l'union est rompue n'équivaudrait pas à un simple changement de pratique administrative, mais bien à un revirement de jurisprudence. Un tel revirement présuppose l'existence de motifs décisifs qui font défaut en l'occurrence: en principe, la sécurité du droit exige qu'une jurisprudence ne soit modifiée que si la solution nouvelle correspond mieux à la ratio legis, à un changement des circonstances extérieures ou à l'évolution des conceptions juridiques (ATF 119 V 260 consid. 4a et les références).
En l'espèce, pas plus le jugement cantonal, très sommairement motivé, que la réponse de l'intimée au recours n'apportent d'arguments décisifs en faveur d'un changement de jurisprudence. Certes, le concubinage n'a aujourd'hui plus rien d'exceptionnel et il ne reste pas sans effets juridiques sur les relations entre les concubins (DESCHENAUX/TERCIER/WERRO, op.cit., nos 1011 ss p. 204 ss). Il n'en demeure pas moins que le droit fédéral des assurances sociales repose sur les mêmes notions que celles du droit civil, notamment en ce qui concerne le droit de la famille (ATF 121 V 127 ss consid. 2c). Or, en droit positif, la séparation de concubins ne peut être assimilée, dans ses effets juridiques, à une séparation de corps ou à un divorce (art. 143 ss CC).
Il n'y a dès lors pas lieu de revenir sur la jurisprudence précitée.
f) Dans le cas particulier, il n'est pas contesté que l'intimée a vécu en concubinage pendant 13 ans et qu'un enfant est né de cette union. Ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, ces circonstances ne donnent cependant pas naissance à une obligation légale d'entretien et d'assistance permettant d'admettre l'existence de "raisons semblables" au sens de l'art. 14 al. 2 LACI.