BGE 139 V 496
 
65. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit social dans la cause Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève contre F. (recours en matière de droit public)
 
9C_801/2012 du 28 octobre 2013
 
Art. 61 lit. a ATSG; Art. 69 Abs. 1bis IVG; Auferlegung der Kosten für ein Gerichtsgutachten im Verfahren der Invalidenversicherung.
 
Art. 29 Abs. 2 BV; Anspruch auf rechtliches Gehör; Pflicht zur Begründung von Entscheiden.
 
Sachverhalt
A. F., sans formation professionnelle, a exercé de nombreuses activités lucratives non qualifiées jusqu'en 2000. Le 8 octobre 2003, l'intéressé a déposé une demande de prestations de l'assurance-invalidité tendant principalement à l'octroi d'une mesure d'orientation professionnelle. L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) a recueilli divers renseignements médicaux auprès des médecins traitants de l'assuré, à savoir les docteurs M., spécialiste en médecine physique et réadaptation (rapport du 23 octobre 2003), W., spécialiste en ophtalmologie (rapports des 23 octobre 2003, 18 octobre 2004 et 12 décembre 2005) et G., spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (rapport du 20 juin 2005). D'après ces renseignements, l'assuré souffrait de problèmes à répétition au genou droit, de lombo-sciatalgies gauches récurrentes, de séquelles d'un traumatisme perforant de l'oeil gauche (ayant abouti à une énucléation le 7 octobre 2004) et d'un trouble dépressif.
L'assuré a été examiné par le Service médical régional de l'assurance-invalidité (SMR) à l'occasion d'un examen clinique rhumato-psychiatrique. Dans un rapport du 20 juin 2006, les docteurs P., spécialiste en rhumatologie et en médecine physique et réadaptation, et H., spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont retenu les diagnostics - avec répercussion sur la capacité de travail - de status post entorse grave du genou droit avec instabilité postérieure persistante, de status post déchirure de l'aileron rotulien interne (instabilité de la rotule droite), de lombalgies chroniques non irritatives et non déficitaires dans un contexte de hernie discale L4-L5 médiane gauche et de status post pose de prothèse oculaire gauche; d'après les médecins précités, l'assuré disposait d'une pleine capacité de travail dans une activité physiquement légère et ne nécessitant pas de vision binoculaire.
Au cours des années 2007 et 2008, l'assuré a subi plusieurs interventions chirurgicales au niveau des genoux et du nez.
Après que l'assuré eut recouvré une stabilité suffisante sur le plan médical, l'office AI a examiné l'opportunité d'allouer à l'assuré des mesures d'ordre professionnel. Après avoir écarté l'idée d'une formation professionnelle initiale, l'office AI a mis en oeuvre un stage d'orientation professionnelle. A l'issue de la mesure qui s'est déroulée du 7 décembre 2009 au 21 mars 2010 et au cours de laquelle l'assuré a effectué un stage en entreprise en qualité d'aide de crèche, il a été constaté que l'assuré n'était pour l'heure pas en mesure d'être réadapté, l'assuré souffrant de problèmes cervicaux qui entraînaient une incapacité de travail totale.
Après avoir complété l'instruction sur le plan médical (rapports du docteur M. des 21 juin et 30 septembre 2010), l'office AI a estimé que la situation médicale n'avait pas évolué depuis l'évaluation effectuée par le SMR. Considérant que l'assuré disposait de bonnes aptitudes dans le domaine tertiaire, que les conditions à l'octroi de mesures professionnelles telles qu'une formation professionnelle initiale ou un reclassement n'étaient pas remplies et que d'autres mesures professionnelles telles qu'un réentraînement au travail étaient vouées à l'échec, il a procédé à une évaluation médico-théorique de l'invalidité. Par décision du 1er juin 2011, la demande de prestations de l'assuré a été rejetée.
B. F. a déféré cette décision devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève, en concluant principalement à l'octroi de mesures d'ordre professionnel, singulièrement d'un reclassement professionnel, et subsidiairement à l'octroi d'un trois-quarts de rente d'invalidité. Après avoir entendu l'assuré au cours d'une audience de comparution personnelle, la juridiction cantonale a confié la réalisation d'une expertise rhumatologique au docteur O. Dans son rapport du 27 janvier 2012, ce médecin a retenu l'existence d'une cervicarthrose modérée touchant la région basse de la nuque, des troubles dégénératifs étagés de la colonne lombaire (rectitude du segment lombaire avec des discopathies étagées [L3 à S1] prédominant nettement à L4-L5) et une gonarthrose fémoro-tibiale interne bilatérale (sous forme d'un aspect effilé des berges articulaires). D'après l'expert, l'assuré possédait une capacité de travail entière dans une activité adaptée respectant ses limitations fonctionnelles; des mesures de réadaptation professionnelle étaient indiquées. Le dossier a été complété par des renseignements médicaux relatifs à l'évolution des troubles ophtalmiques. Après avoir examiné l'ensemble des éléments médicaux recueillis, l'office AI a proposé d'allouer à l'assuré une mesure de reclassement professionnel dans le domaine tertiaire.
Le 29 août 2012, la Cour de justice a rendu un jugement dont le dispositif était le suivant:
    LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES:
    Statuant d'accord entre les parties
    1. Donne acte à l'intimé de son engagement d'annuler la décision dont est recours, de mettre le recourant au bénéfice d'une mesure de reclassement professionnel, soit une formation professionnelle initiale, et de confier son dossier à un nouveau réadaptateur.
    2. L'y condamne en tant que besoin.
    3. Donne acte au recourant de son engagement de se soumettre à une mesure de formation professionnelle à un taux d'activité complet.
    4. Condamne l'intimé à verser au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens.
    5. Met l'émolument de justice de 200 fr. et les frais d'expertise de 3'300 fr. à la charge de l'intimé.
    6. (...)
C. L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement dont il demande l'annulation. Il conclut, d'une part, à ce qu'il soit dit que le recourant a droit à une mesure de reclassement professionnel et, d'autre part, à ce que la cause soit renvoyée à la juridiction cantonale pour nouvelle décision sur les frais et les dépens.
F. acquiesce au recours, en tant que celui-ci conclut à l'octroi d'une mesure de reclassement professionnel, et conclut à la confirmation du jugement cantonal pour le surplus. L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a renoncé à se déterminer.
Le recours a été partiellement admis.
 
Extrait des considérants:
3. Dans un premier grief, l'office recourant s'en prend au bien-fondé du jugement attaqué en tant que celui-ci octroie à l'intimé une "mesure de reclassement professionnel, soit une formation professionnelle initiale" et l'enjoint de "confier [le] dossier à un nouveau réadaptateur".
4.1 Afin d'assurer une procédure administrative et de recours équitable, l' ATF 137 V 210 a dégagé à son considérant 3 un certain nombre de principes (droits de participation; droit à une décision incidente sujette à recours; droit à la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire) et de recommandations ayant pour but de définir un standard uniforme en matière de mise en oeuvre d'une expertise médicale pluridisciplinaire auprès d'un COMAI. A l'invitation du Tribunal fédéral, l'OFAS a également mis en place à la suite de cet arrêt une plate-forme (SuisseMED@P) destinée aux offices AI pour l'attribution sur une base aléatoire des mandats d'expertise médicale pluridisciplinaire (art. 72bis RAI [RS 831.201]). La jurisprudence a précisé par la suite que ces principes et recommandations, à l'exception de l'attribution du mandat sur une base aléatoire, étaient également applicables par analogie aux expertises mono- et bidisciplinaires (ATF 139 V 349 consid. 5.4 p. 357) et s'appliquaient aux autres branches des assurances sociales concernées par cette problématique (voir ATF 138 V 318 consid. 6.1 p. 321).
4.2 Sous réserve des exigences définies à l'art. 61 let. a à i LPGA (RS 830.1), la procédure devant le tribunal cantonal des assurances (respectivement le Tribunal administratif fédéral) est régie par le droit cantonal et les principes généraux de procédure. Conformément à l'art. 61 let. a LPGA, la procédure doit être gratuite pour les parties; des émoluments de justice et les frais de procédure peuvent toutefois être mis à la charge de la partie qui agit de manière téméraire ou témoigne de légèreté. L'art. 69 al. 1bis LAI (en vigueur depuis le 1er juillet 2006) déroge à ce principe général dans la mesure où la procédure de recours en matière de contestations portant sur l'octroi ou le refus de prestations de l'assurance-invalidité devant le tribunal cantonal des assurances est soumise à des frais de justice. Le montant des frais doit alors être fixé en fonction de la charge liée à la procédure, indépendamment de la valeur litigieuse, et se situer entre 200 et 1'000 fr. Les frais de justice ne peuvent être ni inférieurs ni supérieurs à ces montants, les cantons demeurant cependant libres de renoncer totalement ou partiellement à la perception de ces frais, pour autant que le droit cantonal le prévoie (ATF 138 V 122 consid. 1 p. 123).
4.3 Au consid. 4.4.2 de l' ATF 137 V 210, le Tribunal fédéral a indiqué que les frais qui découlaient de la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire pluridisciplinaire confiée à un COMAI pouvaient le cas échéant être mis à la charge de l'assurance-invalidité. En effet, lorsque l'autorité judiciaire de première instance décidait de confier la réalisation d'une expertise judiciaire pluridisciplinaire à un COMAI parce qu'elle estimait que l'instruction menée par l'autorité administrative était insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l' ATF 137 V 210), elle intervenait dans les faits en lieu et place de l'autorité administrative, qui aurait dû, en principe, mettre en oeuvre cette mesure d'instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l'expertise ne constituaient pas des frais de justice au sens de l'art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l'art. 45 LPGA qui devaient être pris en charge par l'assurance-invalidité.
4.4 Cette règle, qu'il convient également d'appliquer, dans son principe, aux expertises judiciaires mono- et bidisciplinaires (cf. supra consid. 4.1), ne saurait entraîner la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en oeuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2 p. 265). Tel sera notamment le cas lorsque l'autorité administrative aura laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier (ATF 135 V 465 consid. 4.4 p. 469; voir également ATF 139 V 225 consid. 4 p. 226 et arrêt 8C_71/2013 du 27 juin 2013 consid. 2), lorsqu'elle aura laissé ouverte une ou plusieurs questions nécessaires à l'appréciation de la situation médicale ou lorsqu'elle aura pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents (ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352). En revanche, lorsque l'autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d'une expertise qui répondait aux réquisits jurisprudentiels, la mise à sa charge des frais d'une expertise judiciaire ordonnée par l'autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d'une expertise privée), ne saurait se justifier.
 
Erwägung 4.5
4.5.2 Il ressort du dossier administratif que le SMR a interpellé le docteur M. afin que celui-ci lui fournisse des informations complémentaires sur l'état de santé de son patient. Dans un courrier adressé le 30 septembre 2010 à l'office recourant, ce médecin a indiqué qu'il n'avait pas revu son patient depuis le 9 juin 2010 et que celui-ci avait sollicité un rendez-vous auprès du Centre de la douleur de l'Hôpital X. D'après une note téléphonique établie le 12 octobre 2010, l'intimé ne s'était finalement pas adressé au Centre de la douleur, mais avait suivi un traitement de physiothérapie qui avait pris fin deux semaines auparavant; il présentait encore occasionnellement des douleurs à la nuque en fonction des sollicitations de celle-ci. Sur la base de ces éléments, le SMR a estimé ne pas disposer d'éléments suffisants permettant de remettre en cause les conclusions de l'examen réalisé en 2006, sous réserve de l'apparition de quelques limitations fonctionnelles rachidiennes supplémentaires (avis médical du 15 novembre 2010).
5.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 Cst., celui d'obtenir une décision motivée. Le destinataire de la décision et toute personne intéressée doit pouvoir la comprendre et l'attaquer utilement en connaissance de cause s'il y a lieu, et l'instance de recours doit pouvoir exercer pleinement son contrôle si elle est saisie (ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; ATF 126 I 15 consid. 2a/aa p. 16). Le juge n'est toutefois pas toujours tenu de motiver la décision par laquelle il fixe le montant des dépens alloués à une partie obtenant totalement ou partiellement gain de cause dans un procès, ou l'indemnité allouée à l'avocat d'office; il est admis de façon générale que le juge est en mesure de se rendre compte de la nature et de l'ampleur des opérations que le procès a nécessitées. Lorsqu'il existe un tarif ou une règle légale fixant des minima et maxima, le juge ne doit motiver sa décision que s'il sort de ces limites ou si des éléments extraordinaires sont invoqués par la partie concernée, ou encore si le juge s'écarte d'une note de frais produite par l'intéressé et alloue une indemnité inférieure au montant habituel, en dépit d'une pratique bien définie. L'exigence d'une motivation de la décision touchant le montant des dépens risquerait sinon d'aboutir à des formules stéréotypées qui ne différeraient guère de l'absence de motivation. Le Tribunal fédéral ne motive d'ailleurs pas, en principe, les décisions en matière de dépens pour les causes qui sont portées devant lui (ATF 111 Ia 1; voir également arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 308/98 du 28 juillet 1999 consid. 3, in SVR 2000 IV n° 11 p. 31).
5.2 En l'occurrence, la juridiction cantonale s'est contentée d'appliquer la règle générale, selon laquelle il n'y a pas lieu, en principe, de motiver la décision en matière de dépens. Le grief développé par l'office recourant serait admissible si la juridiction cantonale s'était écartée d'un tarif ou d'une règle légale cantonale fixant des minima et des maxima. Or, ce n'est manifestement pas le cas en l'espèce. D'après l'art. 6 du règlement genevois du 30 juillet 1986 sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative (RFPA; RSG E 5 10.03), la juridiction peut allouer à une partie pour les frais indispensables occasionnés par la procédure, y compris les honoraires éventuels d'un mandataire, une indemnité de 200 à 10'000 fr. Dans la mesure où le montant alloué à l'intimé se situe dans la fourchette prévue par le droit cantonal, la juridiction cantonale n'était pas tenue de motiver sa décision et n'a, partant, pas violé le droit d'être entendu de l'office recourant.