BGE 146 V 87 |
8. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit social dans la cause Office AI Canton de Berne contre A. (recours en matière de droit public) |
9C_460/2018 du 21 janvier 2020 |
Regeste |
Art. 24 Ziff. 1 Bst. b des Abkommens über die Rechtsstellung der Flüchtlinge; Art. 18 Abs. 2 AHVG; Art. 1 Abs. 1 FlüB; Anspruch eines Flüchtlings auf Kinderrenten. |
Sachverhalt |
Le 26 avril 2016, l'assuré a informé l'Office AI Berne qu'il avait, en juin 2012, reconnu en France deux filles nées hors mariage dans ce pays, l'une le 24 octobre 2006, l'autre le 11 mai 2012. Le 6 octobre 2016, il a déposé une demande de rentes pour enfant, en précisant que ses filles vivaient avec leur mère en France. Par décision du 18 novembre 2016, l'Office AI Berne a rejeté la demande.
|
B. A. a déféré cette décision au Tribunal administratif du canton de Berne, Cour des affaires de langue française.
|
Par jugement du 18 mai 2018, la juridiction cantonale a admis le recours et annulé la décision du 18 novembre 2016 dans la mesure où elle refusait le droit à des rentes pour les deux enfants que l'assuré a reconnues, en raison de la nationalité et du domicile étrangers de ces dernières de même que de la nationalité tchadienne de l'assuré. La cause a été renvoyée à l'administration pour instruction complémentaire au sens des considérants (portant sur les autres conditions du droit à la prestation) et nouvelle décision.
|
C. L'Office AI Berne interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement dont il demande l'annulation, en concluant à la confirmation de sa décision du 18 novembre 2016. Il sollicite également l'attribution de l'effet suspensif à son recours.
|
L'intimé n'a pas répondu, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales (ci-après: OFAS) déclare se rallier entièrement à l'argumentation de l'office recourant.
|
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
|
Extrait des considérants: |
(...)
|
Erwägung 4 |
4.1 La juridiction cantonale a exposé de manière complète les règles applicables à la solution du litige, singulièrement les art. 6 et 35 LAI, les art. 58 et 59 de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi; RS 142.31), l'art. 24 par. 1 let. b de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (RS 0.142.30; ci-après: CR), ainsi que l'art. 1 de l'Arrêté fédéral du 4 octobre 1962 concernant le statut des réfugiés et des apatrides dans l'assurance-vieillesse et survivants et dans l'assurance-invalidité (dans sa teneur en vigueur à partir du 1er janvier 1997; ARéf; RS 831.131.11).
|
On rappellera qu'en vertu de l'art. 24 par. 1 let. b CR, les Etats Contractants accorderont aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire le même traitement qu'aux nationaux notamment en ce qui concerne la sécurité sociale (en particulier les dispositions légales relatives à l'invalidité), sous certaines réserves prévues aux lettres i et ii. L'art. 24 par. 1 let. b/ii CR concerne des dispositions particulières prescrites par la législation nationale du pays de résidence et vise deux cas particuliers: d'une part, les prestations ou fractions de prestations payables exclusivement sur les fonds publics et d'autre part, les allocations versées aux personnes qui ne réunissent pas les conditions de cotisation exigées pour l'attribution d'une pension normale. Ces dispositions de la Convention sont directement applicables en droit interne (self-executing; ATF 136 V 33 consid. 3.2.1 p. 36) et les demandeurs de prestations peuvent s'en prévaloir à partir de la date à laquelle le statut de réfugié leur a été reconnu, sans effet rétroactif au jour de l'entrée en Suisse (ATF 139 II 1 consid. 4.1 p. 3 s.).
|
Selon l'art. 1 al. 1 ARéf (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 1997), que le législateur a édicté en application de la Convention de 1951 et de l'ancien art. 34quater Cst. (aujourd'hui: art. 112 Cst.), les réfugiés qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit aux rentes ordinaires de l'assurance-vieillesse et survivants, ainsi qu'aux rentes ordinaires et aux allocations pour impotents de l'assurance-invalidité aux mêmes conditions que les ressortissants suisses. Toute personne pour laquelle une rente est octroyée doit personnellement satisfaire à l'exigence du domicile et de la résidence habituelle en Suisse.
|
(...)
|
Erwägung 7 |
7.1 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Il n'y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales. Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 139 V 250 consid. 4.1 p. 254 et les références).
|
Erwägung 7.2 |
7.2.2 Une interprétation littérale de l'art. 1 al. 1, 2e phrase, ARéf conduit à admettre que le titulaire de la rente principale n'est plus le seul qui est concerné par cette disposition, mais que la modification touche désormais tous les bénéficiaires de rentes liées à la rente principale. La version allemande est d'ailleurs encore plus claire: "Das Erfordernis des Wohnsitzes und des gewöhnlichen Aufenthalts ist von jeder Person, für die eine Rente ausgerichtet wird, einzeln zu erfüllen", le texte italien étant lui aussi dépourvu d'équivoque: "Chiunque riceva una rendita deve adempiere personalmente alla condizione del domicilio e della dimora abituale in Svizzera". En application de l'art. 1 al. 1, 2e phrase, ARéf, à défaut de domicile en Suisse, les enfants de l'intimé ne pourraient en principe pas être mis au bénéfice d'une rente pour enfant. Pareille interprétation est confortée par les travaux préparatoires relatifs à l'introduction de la seconde phrase de l'art. 1 al. 1 ARéf. Dans son Message, le Conseil fédéral avait mentionné - quoique dans un contexte indirect - l'exigence du domicile (de l'art. 18 LAVS en relation avec l'ARéf), qui devait être remplie "non seulement par le bénéficiaire de la rente principale, mais également par toutes les personnes pour lesquelles une rente est versée" (FF 1990 II 1, 88 ad art. 18 LAVS). On ne saurait dès lors suivre l'interprétation de cette disposition que donne la juridiction cantonale.
|
Erwägung 8 |
Erwägung 8.2 |
8.2.2 Aux termes de l'art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. Ni l'art. 190 Cst. ni l'art. 5 al. 4 Cst. n'instaurent de rang hiérarchique entre les normes de droit international et celles de droit interne. Selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment celles du droit interne qui lui sont contraires (cf. ATF 144 II 293 consid. 6.3 p. 311; ATF 142 II 35 consid. 3.2 p. 39; ATF 139 I 16 consid. 5.1 p. 28; ATF 138 II 524 consid. 5.1 p. 532 s.; ATF 125 II 417 consid. 4d p. 425; cf. art. 27 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]).
|
On rappellera qu'il faut présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu'il ait en pleine connaissance de cause décidé d'édicter une règle interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit s'interpréter conformément au droit international (ATF 99 Ib 39 consid. 3 p. 43).
|
Le sort du litige dépend donc du point de savoir si le législateur a voulu s'écarter du principe de l'égalité de traitement consacré par la CR, en subordonnant les réfugiés à la réalisation de conditions plus restrictives que les ressortissants suisses, singulièrement dans les cas où l'AVS ou l'AI seraient appelées à verser des rentes ordinaires pour enfant résidant à l'étranger.
|
8.3.2 Le Message du Conseil fédéral concernant la 10e révision de l'AVS (FF 1990 II 1, 88 ad art. 18 LAVS) était muet sur la compatibilité de la seconde phrase de l'art. 1 al. 1 ARéf avec l'art. 24 CR. Par ailleurs, la question de l'égalité de traitement entre ressortissants suisses et réfugiés n'a pas non plus été abordée à l'occasion de l'ajout de la seconde phrase à l'art. 1 al. 1 ARéf. En effet, à la lecture des travaux préparatoires, il apparaît que la nouvelle teneur de l'art. 1 al. 1 ARéf n'a donné lieu à aucune discussion au sein de la Commission du Conseil des Etats pour la 10e révision de l'AVS (cf. procès-verbal de la séance de ladite commission des 19 et 20 août 1992, p. 22), tandis que cet ajout a été qualifié d'adaptation rédactionnelle en lien avec la suppression de la rente pour couple et la modification de l'art. 18 al. 2 LAVS par la Commission de sécurité sociale du Conseil national pour la 10e révision de l'AVS (cf. procès-verbal de la séance de ladite commission des 7-9 septembre 1992, p. 9 et 28). Le rapport de la Commission du Conseil des Etats présenté audit Conseil n'abordait pas non plus la conformité de la modification de l'art. 1 al. 1 ARéf à la CR, mais renvoyait aux commentaires relatifs à l'art. 18 al. 2 LAVS (BO 1994 CE 564). Concernant cette disposition légale, le rapport retenait que: "En principe, dans le système du splitting, toutes les personnes au bénéfice d'une rente qui ne peut être versée à l'étranger doivent remplir personnellement les conditions du domicile et de séjour. Puisque dans le splitting, il n'y aura plus de rente pour couple, cette expression devra être supprimée dans la formulation du Conseil fédéral. Le reste de la phrase doit être conservé, car le système du splitting connaît également les rentes accessoires (rente pour enfant, rente complémentaire de l'AI)" (BO 1994 CE 556). Vu ce qui précède, on ne discerne pas de volonté explicite du législateur de déroger à la CR, en lien avec les débats parlementaires sur l'art. 1 al. 1 ARéf. Une application de la jurisprudence Schubert (ATF 99 Ib 39) n'entre pas en ligne de compte (cf. ATF 144 II 293 consid. 6.3 p. 311).
|
8.3.3 A l'occasion de la 10e révision de l'AVS, la teneur de l'art. 18 al. 2 LAVS a été modifiée comme suit: "Les étrangers et leurs survivants qui ne possèdent pas la nationalité suisse n'ont droit à une rente qu'aussi longtemps qu'ils ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse. Toute personne qui se voit octroyer une rente doit personnellement satisfaire à cette exigence. Sont réservées les dispositions spéciales de droit fédéral relatives au statut des réfugiés et des apatrides ainsi que les conventions internationales contraires, conclues en particulier avec des Etats dont la législation accorde aux ressortissants suisses et à leurs survivants des avantages à peu près équivalents à ceux de la présente loi". La volonté de déroger à la CR ne résulte pas non plus de la modification de l'art. 18 al. 2 LAVS. En effet, le maintien de la dernière phrase de cet alinéa n'a pas donné lieu à discussion au Conseil national (BO 1993 CN 252).
|
A défaut d'indices (cf. ATF 144 II 293 consid. 6.3 précité) permettant d'admettre une intention du législateur de déroger au droit conventionnel, les rentes pour enfant d'un réfugié domicilié en Suisse peuvent donc être versées sans égard au domicile et à la nationalité des enfants.
|
9. Le jugement attaqué est donc conforme au droit fédéral en tant qu'il admet le principe du versement des rentes pour les enfants de l'intimé qui sont domiciliés à l'étranger, pour autant que les autres conditions du droit à celles-ci soient réalisées. Le recourant contrôlera notamment si l'intimé n'a pas renoncé à son statut de réfugié (art. 64 al. 1 let. c LAsi) et si les reconnaissances de paternité auxquelles ce dernier a procédé le 12 juin 2012 en France sont reconnues comme déployant des effets en Suisse. Le recours est infondé.
|