BGer 4C.440/1999
 
BGer 4C.440/1999 vom 02.03.2000
«AZA 3»
4C.440/1999
Ie C O U R C I V I L E
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2 mars 2000
Composition de la Cour : MM. Walter, président, Leu et Corboz, juges. Greffier: M. Ramelet.
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Dans la cause civile pendante
entre
Banque Edouard Constant S.A., à Genève, défenderesse et recourante, représentée par Me Pierre-Louis Manfrini, avocat à Genève,
et
Pierre Dejardin-Verkinder, à Genève, demandeur et intimé, représenté par Me Marc Bonnant, avocat à Genève;
(contrat de travail; interprétation d'un "Termination Agreement").
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:
A.- a) En 1979, Pierre Dejardin-Verkinder fut engagé comme gestionnaire par la Banque Scandinave en Suisse (ci-après: BSS; devenue le 27 septembre 1996 Banque Edouard Constant S.A.). La BSS le nomma sous-directeur en avril 1982; à cette occasion, le délai de dénonciation du contrat de travail du prénommé fut porté à six mois pour la fin d'un mois. Nommé directeur général de la BSS dès 1991, DejardinVerkinder assuma depuis 1994 la présidence du comité de direction de l'établissement. b) Le 19 mai 1992, Dejardin-Verkinder et la BSS conclurent un contrat, rédigé en anglais, intitulé "Termination Agreement". La BSS passa des contrats identiques avec les autres membres du comité de direction. Après le préambule, dont la teneur était la suivante: " Attendu que la société souhaite stimuler ses cadres
et accroître ses moyens de retenir les membres
actuels de sa direction, et attendu que la société
souhaite récompenser le cadre pour les services
précieux et dévoués qu'il rend à la société, si le
contrat de travail du cadre devait être résilié aux
conditions décrites ci-dessous, et attendu que le
conseil d'administration considère par conséquent
qu'il est dans l'intérêt de la société et de ses
actionnaires de conclure des contrats de résilia-
tion avec certains cadres majeurs de la société et
attendu que le cadre est actuellement un membre dû-
ment élu du comité de direction, avec lequel le
conseil a dûment autorisé la société à conclure le
présent contrat, par conséquent, en vue d'assurer à
la société le dévouement soutenu du cadre et la
disponibilité de ses conseils si ces circonstances
se produisaient, et moyennant toute autre bonne et
valable contre-prestation, dont chaque partie accu-
se réception et qu'elle reconnaît appropriée, la
société et le cadre conviennent de ce qui suit",
la convention stipulait notamment les points suivants:
" 1. Portée du contrat.
1.1 Résiliation du contrat de travail
a. Les dispositions du paragraphe 2 des présentes dé-
ploieront leurs effets si le contrat de travail du
cadre est résilié à l'initiative de la société pour
d'autres motifs que le décès, l'invalidité et la
faute professionnelle. [...]
c. Aux fins des présentes: [...]
(III) "faute professionnelle" signifie:
i. la commission volontaire par le cadre d'un acte dé-
lictueux ou autre causant ou susceptible de causer
des dommages économiques à la société ou un tort
substantiel à sa réputation professionnelle
ii. la commission par le cadre d'un acte frauduleux
dans l'exercice de sa charge pour le compte de la
société
iii. le manquement continu et volontaire du cadre à
l'exécution de ses obligations en sa qualité de ca-
dre de la société (autre que tout manquement résul-
tant de l'invalidité du cadre en raison d'une mala-
die physique ou mentale), après que le conseil
d'administration aura adressé au cadre la notifica-
tion écrite d'un tel manquement (qui en précisera
raisonnablement les détails) et lui aura laissé la
possibilité d'être entendu et de réparer son man-
quement.
[...]
2. Paiements lors de la résiliation
Si la société résilie le contrat de travail du ca-
dre pour une raison autre que le décès, l'invali-
dité, la retraite ou la faute professionnelle du
cadre tels que décrits au paragraphe 1.1 [...]
a. la société versera au cadre, en rétribution des
services rendus, avant ou à la date de résiliation,
une somme forfaitaire en numéraire (soumise à toute
déduction ou imposition applicable devant être re-
tenue et calculée au taux appliqué pour les paie-
ments supplémentaires) égale à deux (2) fois la
moyenne de la rétribution annuelle du cadre payable
par la société.
b. le cadre aura droit aux "pensions spéciales de re-
traite" telles que prévues dans les présentes, de
sorte que la pension de retraite totale que le ca-
dre recevra de la société s'approchera de la pen-
sion de retraite totale que le cadre aurait reçue
au titre de tous les plans de retraite et autres
contrats de travail de la société auxquels le cadre
est partie si le cadre avait eu entièrement droit à
ces plans de retraite et à toutes les pensions
payables aux termes de ces autres contrats de tra-
vail et si le cadre avait continué à être employé
par la société pendant trente-six mois suivant la
date de résiliation ou jusqu'à la date de sa re-
traite, si celle-ci survenait plus tôt. Ces pen-
sions spéciales de retraite seront payables aux
moments et de la manière prévue dans les plans de
retraite et autres contrats de travail en vigueur
auxquels elles se réfèrent.
c. "rétribution annuelle" signifie le montant détermi-
né en prenant la rétribution annuelle moyenne en
numéraire, y compris l'indemnité de représentation
et la prime au mérite à court terme, reçue lors des
trois années immédiatement antérieures à la date de
résiliation. Les postes suivants, tels qu'utilisés
dans les présentes, ne font pas partie de la rétri-
bution annuelle: frais remboursés, tout versement
au titre de primes d'assurance ou autres contribu-
tions à d'autres plans de sécurité sociale ou de
pension. Pour la période 1992-1994, la prime spé-
ciale au mérite versée en 1992 pour l'exercice de
1991 sera comprise dans le calcul à raison d'un
tiers (1/3) du montant effectivement reçu.
3. Généralités
[...]
a. Pour une période de trois ans suivant la date de
résiliation, le cadre ne prendra, directement ou
indirectement, aucun engagement, intérêt ou parti-
cipation dans une organisation exerçant ses activi-
tés ou entrant en concurrence avec la société, tel-
le que définie par la société vis-à-vis de ses
clients au moment de la résiliation. Le cadre re-
connaît que la société est seule propriétaire de
toutes ses informations et convient de traiter ces
informations comme confidentielles pendant cette
période. Sans le consentement préalable par écrit
de la société, il ne divulguera aucune information
confidentielle à quiconque pour aucune raison ni à
aucune fin, ni n'utilisera des informations confi-
dentielles pour son propre intérêt ou au bénéfice
d'un tiers. Le cadre restituera tout matériel con-
tenant ces informations à la résiliation du contrat
de travail.
b. L'obligation de la société de verser au cadre sa
rétribution et d'effectuer les démarches décrites
dans les présentes est absolue et inconditionnelle
et ne sera modifiée en aucune circonstance. Sauf
comme prévu au paragraphe 3.a des présentes, tout
paiement versé au titre des présentes par la socié-
té sera définitif et la société ne cherchera pas à
exiger, pour quelque raison que ce soit, la resti-
tution de tout ou partie de ce paiement du cadre ou
de tout ayant droit.
[...]
e. Aux fins des présentes, "date de résiliation" si-
gnifie la date indiquée dans l'avis de résiliation,
qui ne sera pas plus de quatre-vingt-dix (90) jours
après que cet avis aura été adressé. Si, dans les
trente (30) jours suivant la date à laquelle l'avis
a été donné, la partie le recevant informe l'autre
partie de l'existence d'un litige, la date de rési-
liation sera la date à laquelle le litige sera dé-
finitivement déterminé, soit par consentement mu-
tuel par écrit des parties, ou par un jugement fi-
nal, une ordonnance ou un arrêt rendu par un tribu-
nal compétent [...]".
Le texte de l'art. 3.b de l'accord n'a pas été reproduit dans l'arrêt cantonal. Il s'agissait d'une inadvertance manifeste qu'il y avait lieu de rectifier d'office (art. 63 al. 2 in fine OJ).
c) A la fin 1993, le principal actionnaire de la BSS, Scandinaviska Endskilda Banken (ci-après: la SEB), décida de vendre sa participation dans la banque. La SEB et les membres du comité de direction de la BSS convinrent alors d'un accord dit "Incentive Agreement", prévoyant que ces derniers toucheraient une participation financière proportionnelle au produit de la vente du capital-actions de la banque. Afin de les assister dans la négociation avec la SEB, les membres dudit comité de direction consultèrent l'avocat Bernard Lachenal, dont la note d'honoraires, par 132 500 fr., fut réglée par le débit de la BSS, avec l'accord de l'actionnariat de la banque. Dans le même cadre, les membres du comité de direction mandatèrent le 10 mars 1994, après avoir ob-
tenu l'aval et du président du conseil d'administration de la BSS et d'un représentant de la SEB, un consultant spécialisé, SG Warburg & Co S.A.; la facture que ce consultant a établie, arrêtée à 850 000 fr., fut honorée le 14 juillet 1994 par le débit de la banque. Le 30 mars 1994, la Fondation de famille Sandoz acheta le capital-actions de la BSS. Le 4 mai 1994, la Fondation précitée, d'une part, et les membres du comité de direction de la BSS, d'autre part, conclurent une convention visant à constituer une société holding qui détiendrait 90% du capital de la BSS, holding dont le 60 % des actions serait détenu par la Fondation de famille Sandoz, le solde étant aux mains du comité de direction. L'exécution de la convention fut différée, en particulier en raison d'un différend survenu à la suite de la vente à un tiers d'une filiale de la BSS, la société Skandifinanz AG.
Peu après le rachat de la BSS, des tensions apparurent entre le nouvel actionnaire et la direction de l'établissement, lesquelles s'amplifièrent au cours de l'année 1995 en raison des mauvais résultats financiers de la BSS.
Le 7 novembre 1994, Dejardin-Verkinder signa un accusé de réception du nouveau règlement du personnel de la BSS, qui disposait notamment qu'après neuf ans de service, le contrat de travail pouvait être résilié pour la fin d'un mois moyennant un délai de congé de trois mois. Dans ce document, il précisa que "conformément à la politique de la banque, (il restait) bénéficiaire des droits acquis, en matière de vacances et de délai de congé". Le litige relatif à Skandifinanz AG ayant été résolu en février 1996, les membres du comité de direction prièrent la Fondation de famille Sandoz d'appliquer la convention du 4 mai 1994. Il s'ensuivit entre mars et avril 1996 un
échange épistolaire peu amène, au terme duquel le conseil d'administration de la BSS prit la décision de licencier notamment Pierre Dejardin-Verkinder. La BSS convoqua ainsi le prénommé le matin du 16 avril 1996 et lui proposa un arrangement financier s'il mettait lui-même fin à son contrat de travail. Devant le refus de l'intéressé, la BSS lui remit une lettre de licenciement pour le 31 juillet 1996, laquelle lui rappelait singulièrement ses devoirs de réserve et de nonconcurrence; Dejardin-Verkinder était libéré de son obligation de travailler avec effet immédiat, ses effets personnels devant être retirés de son bureau le même jour avant midi.
Par l'entremise de son conseil, la BSS motiva le 2 mai 1996 la résiliation du contrat par "la rupture du rapport de confiance nécessaire à une bonne coopération entre le conseil d'administration et la direction de la banque, causée par (le comportement de son directeur général)", repoussa le terme du congé au 31 octobre 1996, offrit la somme de 1 225 351 fr. à titre d'indemnité calculée selon le "Termination Agreement", rappela la clause de non-concurrence insérée dans cet accord et mit en demeure le travailleur de ne plus chercher à flétrir la réputation de l'établissement. Par courriers des 24 mai et 8 juillet 1996, Pierre DejardinVerkinder contesta son licenciement; s'opposant à la prolongation du délai de congé, il déclara que la clause de nonconcurrence du "Termination Agreement" était caduque et chiffra à 3 468 432 fr. l'indemnité réclamée en vertu de l'art. 2 de cet accord, correspondant à trois fois la moyenne annuelle de la rétribution perçue lors des trois années ayant précédé le congé (1 156 144 x 3). d) Le 18 août 1996 selon la presse, le 1er septembre 1996 selon ses dires, Dejardin-Verkinder a été nommé directeur général de la Banque Piguet & Cie S.A.
Le 26 août 1996, la BSS a licencié DejardinVerkinder avec effet immédiat, l'accusant d'avoir fait concurrence directement à ladite banque auprès d'un établissement tiers avant la fin de son contrat de travail.
B.- Le 16 septembre 1996, Pierre DejardinVerkinder a ouvert action contre la BSS devant la juridiction des prud'hommes de Genève et a réclamé le montant total de 4 333 227 fr.50 plus intérêts à 5% dès le 16 juillet 1996; cette somme se décompose comme il suit:
- 3 484 752 fr.30 à titre d'indemnité de départ selon le
"Termination Agreement" du 19 mai 1992;
- 348 475 fr.20 à titre de contribution de la BSS à la caisse
de prévoyance;
- 500 000 fr. à titre d'indemnité pour réparation du tort mo-
ral. La défenderesse a conclu à libération. Elle a formé une reconvention tendant à ce que le demandeur soit condamné, solidairement avec un autre cadre de la banque également congédié sans délai, à lui verser 4 888 410 fr., soit,
- 850 000 fr. à titre de remboursement des honoraires de
SG Warburg & Co S.A.;
- 75 000 fr. au titre de remboursement partiel des honoraires
de l'avocat Lachenal;
- 170 000 fr. de dommages-intérêts pour débauchage d'em-
ployés;
- 3 043 410 fr. comme dommages-intérêts pour perte de fonds
sous gestion, transférés à la Banque Piguet & Cie S.A.;
- 250 000 fr. représentant des dommages-intérêts pour déni-
grement;
- 500 000 fr. de dommages-intérêts pour actes de concurrence
directe illégaux.
En cours de procédure, la BSS a sollicité l'ouverture d'une instruction complémentaire portant sur des faits nouveaux, lesquels, à l'en croire, justifieraient encore mieux a posteriori le congé signifié au demandeur; à ce titre elle a requis l'audition de trois témoins supplémentaires. Le demandeur s'est opposé à l'ouverture d'une instruction sur ces faits, contestant du reste qu'il s'agisse de nova.
La défenderesse a encore requis l'apport des pièces saisies dans la procédure pénale dirigée contre le demandeur en raison de l'établissement des factures de l'avocat Lachenal et de SG Warburg & Co S.A., procédure suspendue jusqu'à droit connu sur le procès civil.
Par jugement du 30 juin 1998, le Tribunal des prud'hommes de Genève a préalablement débouté la BSS de ses conclusions tendant à l'apport des pièces saisies auprès de SG Warburg & Co S.A. ainsi qu'à l'ouverture d'une instruction sur faits nouveaux. Au fond, le Tribunal a rejeté tant la demande principale que la reconvention.
Saisie d'un appel du demandeur et d'un appel incident de la défenderesse, la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, par arrêt du 14 octobre 1999, a annulé le jugement déféré, puis, statuant à nouveau, condamné la Banque Edouard Constant S.A. à payer à DejardinVerkinder la somme de 3 484 752 fr.30 plus intérêts à 5% dès le 31 juillet 1996, dit que la Banque Edouard Constant S.A. devra verser à l'institution de prévoyance désignée par le demandeur le montant de 348 475 fr.20 avec intérêts à la même date, débouté les parties de toute autre conclusion et invité la partie qui en a la charge à opérer les déductions sociales usuelles. En substance, l'autorité cantonale a préalablement jugé que les pièces produites par les parties étaient suffisantes pour trancher le litige, de sorte qu'elle a considéré qu'il ne se justifiait ni d'entendre trois nouveaux témoins,
ni d'ordonner l'apport de la procédure pénale susmentionnée. Après avoir rappelé que l'indemnité prévue par le "Termination Agreement" ne pouvait être octroyée au demandeur s'il pouvait se voir reprocher une faute professionnelle, elle a retenu que les raisons invoquées d'emblée par la défenderesse, même considérées dans leur ensemble, ne suffisaient pas à établir l'existence d'un quelconque manquement imputable au travailleur. Quant aux éléments découverts après le licenciement, qui prétendument justifieraient le congé, ils n'ont nullement été établis. Les relations contractuelles entre parties ont pris fin le 31 juillet 1996, a poursuivi la cour cantonale, car la BSS est liée par sa déclaration de résilier pour ce terme le contrat du travailleur, lequel n'a pas consenti à le voir repousser au 31 octobre 1996. Le demandeur était donc libre dès le 1er août 1996 de s'engager au service d'un autre employeur, de sorte qu'il n'a pas violé son obligation de fidélité par sa prise d'emploi ultérieure auprès de la Banque Piguet & Cie S.A. Comme la défenderesse n'avait pas de motif justifié pour mettre un terme au contrat de travail de son directeur général, la prohibition de concurrence convenue dans le "Termination Agreement" ne doit déployer aucun effet. Le demandeur a ainsi droit au versement et de l'indemnité et de la pension de retraite prévues dans cet accord, les montants articulés à ce titre n'ayant pas été contestés par la BSS. En revanche, les circonstances de son licenciement ne permettaient pas de lui accorder une indemnité pour tort moral. Enfin, les juges cantonaux ont rejeté tous les postes de la reconvention formée par la défenderesse, aucune forme de responsabilité du travailleur à l'égard de son ancien employeur ne pouvant entrer en considération.
C.- Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité par arrêt de ce jour, la défenderesse exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut principalement au déboutement du
demandeur, subsidiairement au renvoi de la cause à la Chambre d'appel pour nouvelle décision.
L'intimé propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt cantonal.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.- Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ).
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 119 II 353 consid. 5c/aa; 117 II 256 consid. 2a). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties, mais il n'est pas lié par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ), ni par ceux de la décision cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 123 III 246 consid. 2; 122 III 150 consid. 3).
2.- Pour la recourante, l'économie générale du "Terminal Agreement" montrerait que l'indemnité prévue à son art. 2 et exigible dans les cas de licenciement énumérés à
son art. 1 constituerait la contrepartie de la prohibition de concurrence stipulée à l'art. 3.a. La réserve de l'interdiction de concurrence inscrite au début de la seconde phrase de l'art. 3.b de l'accord ferait clairement dépendre le versement de l'indemnité au cadre congédié du respect de l'engagement qu'il a souscrit de s'abstenir de concurrencer la défenderesse. L'équivalence entre la durée de l'interdiction de concurrence (trois ans) et la quotité de l'indemnisation (égale à trois fois la moyenne de la rétribution annuelle du cadre) serait symptomatique à cet égard. Partant, il y aurait lieu d'admettre que la clause d'interdiction de concurrence revêt un caractère bilatéral et que l'employeur est fondé à se prévaloir de l'art. 82 CO pour refuser de payer l'indemnité susmentionnée lorsque le travailleur entreprend de concurrencer son ancien employeur. Si ce n'était pas le cas, le travailleur pourrait obtenir un double salaire pendant trois ans pour l'unique raison qu'il n'est pas responsable de son licenciement. A suivre la recourante, la Chambre d'appel se serait ainsi écartée du cadre contractuel au mépris de l'art. 1 CO. Soit elle n'aurait pas cherché à établir la réelle et commune intention des parties, soit elle aurait précédé à une interprétation normative de la convention contrairement au principe de la confiance. Enfin, la cour cantonale aurait violé l'art. 340c al. 2 CO en retenant que le défaut de motif justifié de licenciement aurait supprimé la faculté pour la BSS de se prévaloir de l'exception de l'inexécution pour retenir sa prestation.
3.- a) A bon droit, la défenderesse ne conteste pas qu'elle ne pouvait exiger le respect de la clause de prohibition de concurrence, dès lors qu'elle a licencié le demandeur sans motif justifié au sens de l'art. 340c al. 2 CO. De même, elle ne prétend plus que le demandeur a perdu le droit à l'indemnité par application de l'art. 1.1.c.III du
"Terminal Agreement", en raison du comportement qu'il a adopté avant le licenciement ordinaire du 16 avril 1996 et durant le délai de congé. Il n'y a pas lieu de revenir sur ces points, qui ont fait l'objet d'amples développements de la cour cantonale au considérant 3 de l'arrêt déféré. La recourante soutient en revanche que l'intimé doit se voir nier tout droit à l'indemnité en vertu de l'art. 3.b de l'accord litigieux, dès l'instant où il a entrepris une activité concurrente immédiatement après son congé abrupt.
b) L'issue de la querelle dépend ainsi de la portée juridique qu'il convient d'attribuer aux manifestations de volonté que les parties ont exprimées lors de la passation du
"Terminal Agreement" le 19 mai 1992.
Partant, il convient de rappeler quelles sont les règles qui régissent l'interprétation des contrats, puis d'examiner les clauses controversées à la lumière de ces principes.
c) Pour déterminer l'objet et le contenu d'un contrat, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (art. 18 al. 1 CO), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices (interprétation subjective); cette recherche débouchera sur une constatation de fait. La priorité de l'interprétation subjective est un principe dont la violation peut être invoquée dans un recours en réforme (ATF 125 III 305 consid. 2b p. 308). Si le juge ne parvient pas à déterminer ainsi la volonté réelle des parties ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté réelle manifestée par l'autre, il recherchera quel sens les parties pouvaient ou devaient donner, de bonne foi, à leurs manifestations de volonté réciproques (application du principe de la confiance); il résoudra ainsi
une question de droit. Cette interprétation se fera non seulement d'après le texte et le contexte des déclarations, mais aussi d'après les circonstances qui les ont précédées et accompagnées (ATF 125 III 305 consid. 2b, 435 consid. 2a/aa; 122 III 106 consid. 5a, 420 consid. 3a).
In casu, l'autorité cantonale n'a pas pu établir que les contractants auraient donné un sens déterminé aux termes employés dans le "Terminal Agreement". L'interprétation qu'elle a donnée des clauses de cet accord peut donc être revue par la juridiction fédérale de réforme.
d) Sous l'intitulé "Portée du contrat", l'art. 1.1. de la convention en cause envisage explicitement, dans sa lettre a, l'hypothèse d'un licenciement sans faute du cadre dirigeant. Quant à l'art. 2.a de l'accord, il prévoit que, dans l'hypothèse susrappelée, la défenderesse versera au travailleur une somme forfaitaire représentant trois fois la moyenne de sa rétribution annuelle, laquelle est définie sous la lettre c du même article. L'art. 2 ne formule aucune autre condition; il ne se réfère notamment pas à la clause de prohibition de concurrence stipulée à l'art. 3.
Comme il est exposé dans le préambule de la convention, l'engagement pris par la défenderesse avait pour but de retenir, autant que possible, les cadres au sein de la société. Dans ce contexte, les articles 1 et 2 du "Terminal Agreement" avaient un sens: il s'agissait de dissuader les directeurs de chercher un autre emploi à supposer que la banque fusionne avec un autre établissement ou soit vendue à un tiers. En effet, l'obligation, pour celui qui entend acquérir une société et réaliser rapidement un bénéfice en la revendant, de verser aux cadres dirigeants dont il entend se séparer des indemnités substantielles ("golden parachute" selon la terminologie anglo-saxonne) peut contribuer à le décourager de tenter l'opération. Autrement dit, cet accord tendait
à rasséréner les directeurs si des changements significatifs devaient intervenir au niveau de l'actionnariat, cela en leur donnant le sentiment que leur fonction dirigeante ne serait pas menacée si la banque passait sous le contrôle d'un tiers.
L'art. 3.a de la convention stipulait certes une interdiction de concurrence, mais il n'était pas en relation avec le paiement de l'indemnité instaurée par l'art. 2.a. La recourante fait grand cas de la formulation utilisée à l'art. 2.b, seconde phrase, de l'accord, selon laquelle le paiement des indemnités est définitif, "sauf comme prévu au paragraphe 3.a des présentes". Il appert toutefois que la défenderesse se réservait ainsi le droit de réclamer ultérieurement des dommages-intérêts si la clause de non-concurrence était violée. Il est vrai que, du moment que l'indemnité de l'art. 2 n'était due qu'en l'absence de faute professionnelle du cadre, il y avait fort peu de cas où la BSS aurait pu exiger réparation du préjudice causé par la violation de l'interdiction de concurrence, car, en vertu de l'art. 340c al. 2 CO, la prohibition cesse si l'employeur résilie le contrat sans que le travailleur lui ait donné un motif justifié. On peut toutefois envisager l'hypothèse où le congé réside dans un empêchement non fautif du travailleur pour des causes inhérentes à sa personne, telles un accident ou une maladie entraînant une longue incapacité de travail; de fait, la prohibition subsiste en pareils cas (cf. Adrian Staehelin, Commentaire zurichois, n. 8 ad art. 340c CO).
La liberté contractuelle (art. 19 al. 1 CO) autorise certes les parties à convenir que l'abstention de concurrence sera la contrepartie du paiement d'une indemnité. Est en effet valable la clause qui, moyennant rétribution (Karenzentschädigung), interdit à l'employé de porter concurrence à son ancien employeur (art. 340a al. 2 in fine CO; cf. not. Adrian Staehelin, op. cit., n. 24 ss ad art. 340 CO et n. 6 ad art. 340a CO). Si telle était la volonté de la recou-
rante, il lui incombait toutefois de le déclarer. Mais les clauses convenues entre les plaideurs ne permettent nullement d'établir un tel lien. En résumé, l'interprétation opérée par la cour cantonale du "Terminal Agreement", selon laquelle, dans les circonstances relatées, l'intimé a droit au paiement de l'indemnité ainsi qu'au versement d'un capital à l'institution de prévoyance qu'il désignera, est conforme au droit fédéral. Comme la défenderesse ne conteste pas la manière dont le demandeur a calculé les montants qui lui sont dus, le recours doit être rejeté, l'arrêt attaqué étant confirmé.
4.- La valeur litigieuse étant très largement supérieure à 20 000 fr., la procédure n'est pas gratuite (cf. art. 343 al. 2 et 3 CO). Les frais et dépens doivent être mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours et confirme l'arrêt attaqué;
2. Met un émolument judiciaire de 17 000 fr. à la charge de la recourante;
3. Dit que la recourante versera à l'intimé une indemnité de 20 000 fr. à titre de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
__________
Lausanne, le 2 mars 2000
ECH
Au nom de la Ie Cour civile
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,