BGer 2A.43/2000
 
BGer 2A.43/2000 vom 12.04.2000
2A.43/2000
[AZA 0]
IIe COUR DE DROIT PUBLIC
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12 avril 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Wurzburger, président,
R. Müller et Meylan, suppléant. Greffière: Mme Rochat.
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Statuant sur le recours de droit administratif
formé par
S.________ et son épouse C.________, tous deux représentés par M. Claude Paschoud, conseiller juridique, à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 14 décembre 1999 par le Tribunal administratif du canton de Vaud, dans la cause qui oppose les recourants au Service de la population du Département des institutions et des relations extérieures du canton de V a u d;
(art. 17 al. 2 LSEE et 8 CEDH: demande d'autorisation de
séjour pour regroupement familial)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Le 19 juin 1996, l'Office fédéral des étrangers a prononcé à l'encontre de C.________, ressortissante portugaise, une décision d'interdiction d'entrée en Suisse d'une durée de trois ans, pour avoir séjourné et travaillé dans le canton de Vaud sans autorisation. L'intéressée a toutefois continué à séjourner, en tous cas occasionnellement, chez son ami et compatriote S.________, titulaire d'une autorisation d'établissement, de sorte que l'Office fédéral des étrangers a prolongé de trois ans sa décision d'interdiction d'entrée en Suisse, par prononcé du 18 juin 1999.
Le 1er juillet 1999, C.________ a épousé, à Coimbra, S.________. Elle a alors sollicité le réexamen de la décision du 18 juin 1999, dont elle n'avait eu connaissance qu'après son mariage, et a requis l'octroi d'une autorisation de séjour pour pouvoir vivre en Suisse avec son époux. Cette requête a été rejetée par le Service cantonal de la population, le 30 août 1999.
B.- Les époux S.________ ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif du canton de Vaud, qui a rejeté le recours par arrêt du 14 décembre 1999. La juridiction cantonale a retenu que la seule décision d'interdiction d'entrée en Suisse du 18 juin 1999 privait déjà les autorités vaudoises de toute possibilité d'accorder l'autorisation de séjour sollicitée. Relevant ensuite la situation financière lourdement obérée de S.________, ainsi que les prestations de l'aide sociale vaudoise dont bénéficiait l'intéressé depuis le printemps 1999, elle en a déduit que les époux risquaient de tomber de manière continue et dans une large mesure à la charge de l'assistance publique. Enfin, sous l'angle de l'art. 8 CEDH, le Tribunal administratif a considéré que le refus d'autorisation n'empêchait pas les époux de vivre ensemble au Portugal.
C.- Agissant par la voie du recours de droit administratif, les époux S.________ concluent, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt du Tribunal administratif du 14 décembre 1999 et au renvoi de la cause à cette autorité pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
A l'appui de leur recours, ils ont notamment produit un contrat de travail du 19 janvier 2000, par lequel S.________ est engagée comme employée de maison pour un salaire net de 960 fr. par mois. Les recourants ont également présenté une demande d'effet suspensif et une requête d'assistance judiciaire.
Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours et se réfère, pour l'essentiel, aux considérants de son arrêt. Le Service de la population s'en remet pour sa part aux déterminations de l'autorité judiciaire. De son côté, le Département fédéral de justice et police propose de rejeter le recours.
D.- Par ordonnance du 21 février 2000, l'effet suspensif a été attribué au recours, en ce sens que la recourante était autorisée à demeurer en Suisse, pour autant qu'elle y séjournait déjà.
En cours de procédure, le mandataire des recourants a produit une décision de l'Office fédéral des étrangers du 22 février 2000, qui annulait sa décision d'interdiction d'entrée du 18 juin 1999, sans préjuger de la décision sur le regroupement familial qui n'était pas de sa compétence.
Considérant en d r o i t:
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 125 II 293 consid. 1a p. 299 et les arrêts cités).
a) Selon l'art. 100 al. 1 lettre b ch. 3 OJ, le recours de droit administratif n'est pas recevable en matière de police des étrangers contre l'octroi ou le refus d'autorisations auxquelles le droit fédéral ne confère pas un droit.
D'après l'art. 4 de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142. 20), les autorités compétentes statuent librement, dans le cadre des prescriptions légales et des traités avec l'étranger, sur l'octroi ou le refus d'autorisations de séjour ou d'établissement. Ainsi, le recours de droit administratif est irrecevable, à moins que ne puisse être invoquée une disposition particulière du droit fédéral ou d'un traité accordant le droit à la délivrance d'une telle autorisation (ATF 124 II 289 consid. 2ap. 291 et les arrêts cités, 361 consid. 1a p. 363).
En vertu de l'art. 17 al. 2 LSEE, le conjoint d'un étranger au bénéfice d'une autorisation d'établissement a droit à l'octroi d'une autorisation de séjour aussi longtemps que les époux vivent ensemble. Ce droit s'éteint toutefois si l'ayant droit a enfreint l'ordre public. Il est en l'espèce constant que le recourant est au bénéfice d'un permis d'établissement et que la recourante est revenue vivre en Suisse avec lui après son mariage. Le présent recours est donc recevable sous cet angle, la question de savoir si les conditions pour l'octroi de l'autorisation de séjour demandée par l'intéressée étant une question de fond et non de recevabilité (ATF 119 Ib 81 consid. 2a p.84).
Il est vrai qu'au moment où le Tribunal administratif a statué, la recourante était l'objet d'une décision d'interdiction d'entrée en Suisse, valable jusqu'au 18 juin 2002. Le Tribunal fédéral a cependant déjà eu l'occasion de juger qu'une telle décision ne faisait pas obstacle à la recevabilité du recours lorsque les circonstances de fait et de droit se sont modifiées dans l'intervalle. Les autorités cantonales ne sauraient dès lors se retrancher derrière une décision d'interdiction d'entrée en Suisse pour s'abstenir d'examiner si les conditions auxquelles un étranger a droit à la délivrance d'une autorisation de séjour sont réunies (arrêt non publié du 10 mars 1994 en la cause El-Kharrat c. Conseil d'Etat du canton de Genève, consid. 1d).
Le recours est ainsi recevable tant sous l'angle de l'art. 17 al. 2 LSEE, qu'au regard de l'art. 8 CEDH, disposition qui permet à un étranger de se prévaloir du droit au respect de sa vie privée et familiale pour obtenir une autorisation de séjour lorsque, comme ici, sa relation avec son conjoint au bénéfice d'une autorisation d'établissement est étroite et effective (ATF 124 II 361 consid. 3a p. 366; 122 II 1 consid. 1e p. 5, 289 consid. 1c p. 292).
b) Dans un recours dirigé, comme en l'espèce, contre une décision d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits constatés dans l'arrêt entrepris, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de procédure (art. 105 al. 2 OJ; 125 II 633 consid. 1c p. 635). La possibilité d'alléguer des faits nouveaux ou de faire valoir de nouveaux moyens de preuve est alors très restreinte. En particulier, les modifications ultérieures de l'état de fait ne sont pas prises en considération, car on ne saurait reprocher à l'autorité judiciaire d'avoir constaté les faits de façon incomplète si ceux-ci se sont modifiés après sa décision (ATF 121 II 97 consid. 1c p. 99 et les références citées).
Il s'ensuit que le Tribunal fédéral ne saurait prendre en considération le contrat de travail produit par la recourante.
Il en va de même de l'attestation du Centre régional d'Orbe produite par le Service intimé qui, dans la mesure où elle se borne à confirmer le fait que les époux bénéficient de l'aide sociale, n'apporte au demeurant aucun élément nouveau.
c) Au surplus, déposé en temps utile et dans les formes prescrites par la loi, le présent recours est recevable.
2.- a) L'intérêt de la recourante, concrétisé par les art. 17 al. 2 LSEE et 8 CEDH, à pouvoir vivre avec son mari en Suisse est très important. Sur ce point, les fautes qu'elles a commises en séjournant et en travaillant en Suisse sans autorisation ne suffisent pas, au regard du principe de la proportionnalité, à la priver de son droit au regroupement familial découlant de ces dispositions. En outre, il est constant que le recourant, qui vit en Suisse depuis 1984, aurait de grandes difficultés à suivre sa femme dans son pays d'origine. Reste à déterminer si, ce nonobstant, les autorités cantonales pouvaient fonder leur refus d'autorisation sur des motifs d'assistance publique au sens de l'art. 10 al. 1 lettre d LSEE.
b) Un canton peut certes tenir compte de circonstances purement financières, tirées de motifs préventifs d'assistance publique pour refuser une autorisation de séjour. Le Tribunal fédéral n'admet toutefois qu'avec réserve un refus d'autorisation fondé sur de tels motifs. Pour que ceux-ci l'emportent sur l'intérêt des recourants à pouvoir vivre leur vie de famille en Suisse, il faut qu'il existe un danger concret que, selon toute probabilité, les intéressés se trouvent durablement et dans une mesure importante à la charge de l'aide sociale (ATF 125 II 633 consid. 3c p. 641; 122 II 1 consid. 3c p. 9; 119 Ib 81 consid. 2e p. 88). A cet égard, il y a lieu de tenir compte de l'aptitude financière de chaque membre de la famille à réaliser un revenu. Cela suppose que le canton procède aux investigations voulues afin d'évaluer si la situation financière des personnes à charge de l'assistance publique est ou non susceptible d'évoluer favorablement à long terme et pas seulement au moment de la demande de regroupement familial (arrêts non publiés des 9 novembre et 22 décembre 1999 en les causes Carrasco et Salijevic).
Sur ce point, il est établi que le recourant n'a plus été en mesure de travailler depuis un accident qu'il a eu au mois de décembre 1997. A la date de l'arrêt attaqué, les prestations de l'aide sociale qu'il avait touchées s'élevaient à environ 19'700 fr. Le recourant a également fait l'objet de poursuites pour un montant de 18'600 fr. et trente-deux actes de défaut ont été délivrés entre février 1998 et juillet 1999. Si la situation financière des recourants est actuellement précaire, rien n'indique toutefois qu'elle le sera nécessairement de façon durable. A cet égard, l'instruction au niveau cantonal est restée très sommaire. Le dossier ne contient en effet aucune information sur les perspectives de réinsertion professionnelle du recourant ou ses chances de pouvoir toucher une rente de l'assurance invalidité.
Il n'a pas davantage été tenu compte des possibilités d'emploi qui pourraient s'offrir à la recourante, si elle était au bénéfice d'une autorisation de séjour valable. Dans cette mesure, l'on ne sait, par exemple, rien sur son état de santé ou sur les perspectives de travail compte tenu de sa formation (ou de son absence de formation). En tout état de cause, et vu qu'il s'agit de l'octroi d'une autorisation de séjour en faveur de la seule recourante, il y aurait lieu surtout de déterminer si, à la suite du mariage des intéressés, les charges de l'assistance publique risquent d'augmenter notablement et pendant une période relativement longue.
En l'état, les raisons avancées par la juridiction cantonale pour refuser une autorisation de séjour à la recourante sur la base de la situation financière précaire du couple sont insuffisantes. Il se justifie dès lors d'admettre le recours et de renvoyer la cause au Tribunal administratif afin qu'il procède aux investigations nécessaires dans le sens sus-indiqué.
3.- Il résulte de ce qui précède que le recours doit être admis dans le sens des considérants et la décision attaquée annulée, l'affaire étant renvoyée au Tribunal administratif pour complément d'instruction et nouvelle décision.
Vu l'issue du recours, le présent arrêt doit être rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ), de sorte que la demande d'assistance judiciaire présentée par les recourants devient sans objet. Il y a lieu également d'allouer des dépens aux recourants (art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Admet le recours dans le sens des considérants, annule l'arrêt attaqué et renvoie l'affaire au Tribunal administratif pour complément d'instruction et nouvelle décision.
2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3. Dit que le canton de Vaud versera aux recourants une indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens.
4. Constate que la demande d'assistance judiciaire est devenue sans objet.
5.- Communique le présent arrêt en copie au représentant des recourants, au Service de la population du Département des institutions et des relations extérieures et au Tribunal administratif du canton de Vaud, ainsi qu'au Département fédéral de justice et police.
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Lausanne, le 12 avril 2000 ROC/elo
Au nom de la IIe Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
La Greffière,