BGer 1P.276/2000
 
BGer 1P.276/2000 vom 08.09.2000
[AZA 0]
1P.276/2000
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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8 septembre 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffier: M. Parmelin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
A.________ , représenté par Me Philippe Degoumois, avocat à Moutier,
contre
l'arrêt rendu le 22 mars 2000 par la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton du Jura, dans la cause qui oppose le recourant à la société B.________ , et au Procureur général du canton du Jura;
(procédure pénale; appréciation des preuves)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- Durant la nuit du 14 au 15 novembre 1998, la Police cantonale jurassienne a interpellé C.________ et D.________ alors qu'ils tentaient de desceller un coffre-fort dans le magasin d'alimentation Primo, à Courrendlin, et d'emporter trois cartouches de cigarettes, après avoir forcé la porte coulissante de l'entrée principale à l'aide d'un tournevis.
L'exploitation des conversations téléphoniques des appareils portables trouvés en leur possession a permis d'établir leur implication ainsi que celle de E.________ et de A.________ dans d'autres cambriolages de magasins d'alimentation perpétrés dans le canton du Jura durant les mois de septembre à novembre 1998, selon un mode opératoire analogue consistant dans le repérage des lieux les jours précédant le vol, dans le cambriolage proprement dit et le vol des coffres-forts, puis dans la récupération du butin les jours suivants par l'ouverture des coffres-forts. La police a par ailleurs retrouvé le téléphone portable de A.________ et dix cartouches de cigarettes provenant du cambriolage perpétré à Courroux au domicile de F.________, la soeur de E.________ et C.________ et l'ex-amie de A.________.
Ce dernier a constamment nié les faits qui lui étaient reprochés. Il a déclaré ne pas connaître D.________, alors que celui-ci affirmait avoir suivi une partie de leur scolarité ensemble dans leur pays d'origine, avant de revenir sur ses déclarations. Il a contesté avoir appelé les frères C.________ et E.________ lors des cambriolages et suggéré que F.________ avait dû utiliser l'appareil en son absence ou le prêter à un autre membre de sa famille. Il a par la suite reconnu avoir reçu plusieurs appels des frères C.________ et E.________ et de leur cousin D.________, tout en contestant s'être trouvé sur les lieux des différents délits.
F.________ a affirmé que A.________ lui prêtait parfois son téléphone portable à des occasions précises, notamment lorsque sa mère ou son fils était malade. Elle téléphonait en général depuis Delémont pendant la journée ou en début de soirée, mais jamais après 22h00. Elle a déclaré n'avoir jamais prêté le téléphone mobile de son ex-ami à des tiers.
B.- Par jugement du 15 décembre 1999, le Tribunal correctionnel du district de Delémont a libéré A.________ des préventions de tentative de vol et de dommages à la propriété commis les 14/15 novembre 1998 à Courrendlin au préjudice du magasin Primo ainsi que de vol et de dommages à la propriété commis les 29/30 octobre 1998 aux Genevez au préjudice du magasin Vis-à-Vis, dans la mesure où sa présence sur les lieux n'avait pas pu être établie. Il l'a en revanche reconnu coupable de vol en bande et de dommages à la propriété commis les 19/20 octobre 1998 à Alle au préjudice du magasin B.________, de vol en bande et de dommages à la propriété commis les 16/17 octobre 1998 à Courrendlin au préjudice du magasin B.________, de tentative de vol en bande et de dommages à la propriété commis les 14/15 octobre 1998 à Courfaivre au préjudice du magasin B.________, de vol en bande et de dommages à la propriété commis les 14/15 octobre 1998 à Courroux au préjudice du magasin B.________ et de vol en bande commis les 1er/2 septembre 1998 à Develier au préjudice de G.________. Il l'a condamné à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement, sous déduction de la détention préventive subie, avec sursis pendant trois ans, et ordonné son expulsion du territoire suisse pour une durée de six ans, avec sursis pendant trois ans. Il l'a condamné à payer, solidairement avec E.________ et D.________, une somme de 2'597. 50 fr. au magasin d'alimentation B.________.
Statuant le 22 mars 2000 sur appel du condamné, la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton du Jura (ci-après, la cour cantonale) a constaté que le jugement de première instance était entré en force de chose jugée dans la mesure où il libérait A.________ des préventions de tentative de vol et de dommages à la propriété commis les 14/15 novembre 1998 à Courrendlin au préjudice du magasin Primo ainsi que de vol et de dommages à la propriété commis les 29/30 octobre 1998 aux Genevez au préjudice du magasin Vis-à-Vis; elle l'a en revanche déclaré coupable des autres infractions retenues à sa charge et a confirmé les peines et mesures infligées en première instance.
La cour cantonale a vu un indice de la participation de A.________ au vol perpétré dans la nuit du 1er au 2 septembre 1998 à Develier dans le fait qu'il avait visité à plusieurs reprises son cousin, surveillant de nuit dans l'usine de G.________, sur son lieu de travail et qu'il avait eu l'occasion de constater la présence d'un coffre-fort dans un bureau de l'entreprise. L'accusé était en outre en possession de son téléphone portable dans la soirée du 1er septembre 1998 et a conversé depuis Delémont avec C.________ à 17h39 et 17h45, avec D.________ à 21h45 et avec son cousin H.________, à deux reprises, alors même qu'il prétendait ne lui avoir rendu visite qu'une seule fois. Le même soir, il a appelé C.________ à 22h15 depuis Moutier alors que celui-ci était en route pour Develier. Il a également consulté sa boîte vocale à 00h25 depuis Delémont, puis sa femme l'a appelé à 07h49. Pour le délit commis à Courfaivre les 14/15 octobre 1998, E.________ l'a appelé à 00h23.
Pour celui perpétré à Courrendlin les 16/17 octobre 1998, E.________ l'a appelé depuis Delémont le 14 octobre 1998 à deux reprises à 23h22, puis à 00h23 et D.________ une fois à 23h23. A.________ et E.________ se sont téléphonés le 17 octobre 1998 à 20h14 et 23h52 et le 18 octobre 1998 à 00h01 et 00h59, alors qu'ils procédaient à l'ouverture du coffre-fort. Enfin, en plus des contacts téléphoniques intervenus entre les trois protagonistes les 18, 19 et 20 octobre 1998, il est établi que A.________ se trouvait à Alle au matin du 21 octobre 1998, entre 01h00 et 02h00, pour ouvrir le coffre-fort dérobé la veille. Il s'est rendu dans l'après-midi à Rüti pour apporter l'argent à E.________. Durant le trajet, il a appelé son épouse. La cour cantonale a vu un indice de la participation de A.________ au vol commis à Courroux les 14/15 octobre 1998 dans le fait que dix cartouches de cigarettes provenant du magasin B.________ de cette localité avaient été retrouvées au domicile de son ex-amie F.________. Elle a vu des indices supplémentaires de culpabilité dans le fait que l'appelant disposait, de par sa profession, de la pratique nécessaire pour ouvrir les coffres-forts, dans la possibilité qu'il avait de se faire de l'argent, dans les fausses déclarations de A.________ à propos de ses relations avec les membres de cette famille et dans le fait que les actes délictueux ont cessé après leur arrestation.
C.- Agissant par la voie du recours de droit public pour violation des art. 8, 9 Cst. et 6 § 2 CEDH, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt en ce qui le concerne. Il reproche à l'autorité intimée d'avoir procédé à une appréciation arbitraire des preuves et d'avoir violé le principe de la présomption d'innocence. Il requiert l'assistance judiciaire.
La cour cantonale conclut au rejet du recours. Le Procureur général propose également son rejet dans la mesure où il est recevable. L'intimée a renoncé à déposer des observations.
Considérant en droit :
1.- a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral n'est pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2ap. 83 et les arrêts cités) ou pour invoquer la violation directe d'un droit constitutionnel ou conventionnel (ATF 120 IV 113 consid. 1a p. 114). Au vu des arguments soulevés, seul le recours de droit public est ouvert en l'occurrence.
b) Le recourant est personnellement touché par l'arrêt attaqué qui confirme sa condamnation pénale à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans et son expulsion du territoire suisse pour une durée de six ans, avec sursis pendant trois ans; il a un intérêt actuel et juridiquement protégé à ce que cet arrêt soit annulé et a, partant, qualité pour recourir selon l'art. 88 OJ.
Les autres conditions de recevabilité du recours de droit public sont par ailleurs réunies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le fond.
2.- Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir procédé à une appréciation arbitraire des preuves et d'avoir violé le principe de la présomption d'innocence garanti à l'art. 6 § 2 CEDH.
a) Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne substitue pas son appréciation à celle du juge du fond, même s'il considère, à la différence de celui-ci, qu'un certain doute est possible; il ne statue en effet que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 124 IV 86 consid. 2ap. 87/88; 120 Ia 31 consid. 2e et 4b p. 38 et 40). Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat (ATF 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 10 consid. 3a p. 15 et les arrêts cités).
La présomption d'innocence consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH se rapporte tant à l'appréciation des preuves qu'au fardeau de la preuve. Dans la mesure où l'appréciation des preuves est critiquée en référence avec la présomption d'innocence, celle-ci n'a pas une portée plus large que l'interdiction de l'arbitraire découlant de l'art. 9 Cst. La maxime "in dubio pro reo" est violée lorsque l'appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; il ne doit pas s'agir de doutes abstraits ou théoriques, qui sont toujours possibles parce qu'une certitude absolue ne peut être exigée (ATF 124 IV 86 consid. 2a p. 87/88; 120 Ia 31 consid. 2e et 4b p. 38 et 40).
b) En l'occurrence, la cour cantonale a considéré, en l'absence de preuves matérielles et de témoins oculaires, que le recourant s'était rendu coupable des infractions retenues à sa charge sur la base d'un faisceau d'indices concordants, dont en particulier les relations téléphoniques entretenues depuis son téléphone portable.
Le recourant prétend que l'utilisation de son téléphone mobile à proximité des lieux des cambriolages ne serait pas un indice suffisant pour établir sa présence sur les lieux et sa participation aux vols ou aux tentatives de vols et dommages à la propriété qui lui sont reprochés. Le fait qu'il prêtait régulièrement son appareil à F.________ aurait dû au contraire amener la Cour pénale à douter de sa culpabilité.
La cour cantonale a tiré des conversations reçues ou effectuées les 1er et 2 septembre 1998 à partir du téléphone portable de A.________ la conclusion que celui-ci était la seule personne à avoir pu utiliser son appareil. Le recourant ne tente pas de démontrer, comme il lui appartenait de le faire (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités), en quoi il serait arbitraire de déduire du fait que son cousin H.________ et son épouse l'ont appelé sur son téléphone mobile, qu'il était le destinataire de ces appels et, partant, qu'il était ainsi le seul à avoir utilisé cet appareil dans la nuit du 1er au 2 septembre 1998. De même, le recourant ne conteste pas avoir visité l'usine de G.________ en compagnie de son cousin et avoir eu, à cette occasion, l'opportunité de situer l'emplacement du coffre-fort. Dans ces conditions, l'autorité intimée n'a pas fait preuve d'arbitraire en se déclarant convaincue de la participation du recourant au vol en bande commis dans la nuit du 1er au 2 septembre 1998 à Develier au préjudice de G.________, sur la base de ces éléments.
Dès lors qu'elle pouvait de manière soutenable admettre que A.________ était la personne avec laquelle conversaient C.________ et son cousin D.________ lors du cambriolage de Develier, la cour cantonale n'a pas fait preuve d'arbitraire en considérant qu'il en allait de même s'agissant des autres infractions reprochées au recourant. Le fait que le recourant prêtait régulièrement son téléphone portable à F.________ ne signifie pas encore que les appels sortants émaneraient de la jeune femme ou qu'elle serait la destinataire des appels rentrants; celle-ci a en effet expliqué que A.________ lui prêtait son appareil mobile à certaines occasions précises, soit lorsque sa mère ou son fils était malade, ce qui était le cas lorsque la police a saisi le téléphone portable du recourant au domicile de la jeune femme.
Par ailleurs, F.________ a déclaré n'avoir jamais utilisé cet appareil après 22h00, alors que de nombreux appels entrants et sortants ont été enregistrés en pleine nuit, ni l'avoir prêté à un tiers lorsqu'elle en avait l'usage. Dans ces conditions, la cour cantonale pouvait, sans verser dans l'arbitraire ni violer le principe de la présomption d'innocence, exclure la version du recourant selon laquelle il avait prêté son téléphone portable à son ex-amie aux dates des infractions et, partant, que son appareil ait pu être utilisé à l'insu de celle-ci.
L'autorité intimée pouvait aussi de manière soutenable déduire de la formation de mécanicien acquise par A.________ dans son pays d'origine que celui-ci disposait des connaissances nécessaires pour ouvrir les coffres-forts et voir dans cette circonstance un indice supplémentaire de sa participation aux crimes qui lui étaient reprochés. Elle n'a pas plus fait preuve d'arbitraire en considérant que les déclarations contradictoires du recourant quant à la date depuis laquelle il connaissait les frères C.________ et E.________ et leur cousin D.________ et à la fréquence de leur relation étaient de nature à confirmer sa culpabilité.
Enfin, pour asseoir sa conviction, la cour cantonale s'est fondée sur des indices non contestés par le recourant, tels que la présence au domicile de F.________ de dix cartouches de cigarettes provenant du vol perpétré du 14 au 15 octobre 1998 à Courroux au préjudice de l'intimée. Les autres griefs invoqués ne sont pas de nature à établir le caractère arbitraire de l'arrêt attaqué, dans la mesure où ils répondent aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b précité).
c) En définitive, le recourant ne parvient pas à démontrer que sa condamnation reposerait sur une appréciation arbitraire des preuves ou qu'un examen objectif de l'ensemble de la cause aurait dû inciter la cour cantonale à concevoir des doutes sur sa culpabilité au point que sa condamnation soit contraire au principe de la présomption d'innocence.
3.- Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il convient de faire droit à la demande d'assistance judiciaire présentée par le recourant et de statuer sans frais. Me Philippe Degoumois est désigné comme défenseur d'office de A.________ pour la présente procédure et une indemnité lui sera versée (art. 152 al. 2 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée qui n'a pas formulé d'observations.
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est recevable;
2. Admet la demande d'assistance judiciaire et désigne Me Philippe Degoumois en qualité d'avocat d'office du recourant;
3. Dit qu'il est statué sans frais, ni dépens;
4. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera au mandataire du recourant une indemnité de 1'000 fr. à titre d'honoraires;
5. Communique le présent arrêt en copie aux parties, au Procureur général et à la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton du Jura.
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Lausanne, le 8 septembre 2000 PMN/mnv
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,