BGer 1P.409/2001 |
BGer 1P.409/2001 vom 30.08.2001 |
[AZA 0/2]
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1P.409/2001/viz
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Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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30 août 2001
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Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
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Vice-président du Tribunal fédéral, Favre et Mme le Juge
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suppléant Pont Veuthey.
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Greffier: M. Thélin.
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Statuant sur le recours de droit public
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formé par
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B.________, à Pully, représenté par Me Nicolas Saviaux, avocat à Lausanne,
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contre
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l'arrêt rendu le 17 mai 2001 par le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud dans la cause qui oppose le recourant au Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois Pierre-Henry K n e b e l et à A.________, représentée par Me Olivier Flattet, avocat à Lausanne;
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(récusation)
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Considérant en fait et en droit:
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1.- Dès début avril 1993, A.________ a entrepris diverses démarches dans le but de divorcer de son mari B.________. Le 22 de ce mois, une altercation s'est produite entre les époux; le mari a saisi sa femme par le cou et l'a serrée jusqu'à provoquer son évanouissement. Après intervention de la police, une enquête a été ouverte par le Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois Pierre-Henry Knebel, qui a inculpé B.________ de crime manqué de meurtre, éventuellement par passion, ou lésions corporelles.
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Le même magistrat a également ouvert une enquête contre A.________, sur plainte de son mari, qui lui reprochait d'avoir indûment prélevé plusieurs millions de francs sur des biens qu'il lui avait remis à titre fiduciaire. Le Juge d'instruction a inculpé cette prévenue de gestion déloyale, abus de confiance ou escroquerie, mais il a refusé un séquestre demandé par le plaignant, censé garantir la conservation du produit de l'infraction; sur recours, ce refus a été confirmé par le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Par la suite, les deux causes pénales furent jointes.
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Le Président du Tribunal civil du district de Vevey, saisi de la demande en divorce, a ordonné une expertise destinée à élucider les rapports pécuniaires des parties. Par ordonnance du 13 juin 1995, le Juge d'instruction a décidé de suspendre l'enquête pénale jusqu'à l'issue de cette opération.
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Le 7 octobre 1996, il a rejeté une demande de reprise de cause présentée par B.________, au motif que l'expert n'avait remis qu'un rapport provisoire et que divers points essentiels demeuraient en suspens; sur recours, ce prononcé a également été confirmé par le Tribunal d'accusation.
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Le Juge d'instruction n'a ordonné la reprise de cause que le 10 octobre 2000, en constatant que l'expertise, pourtant indispensable, n'était toujours pas achevée, et que l'abus de confiance ou l'acte de gestion déloyale éventuellement imputables à A.________ étaient couverts par la prescription absolue. B.________ a aussi recouru contre cette ordonnance, sans plus de succès. Le Juge d'instruction s'est enfin dessaisi le 17 avril 2001, en prononçant un non-lieu en faveur de A.________ et en renvoyant B.________, accusé - notamment - de tentative de meurtre ou de mise en danger de la vie d'autrui à la suite de l'altercation du 22 avril 1993, devant le Tribunal correctionnel compétent.
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B.________ a derechef recouru au Tribunal d'accusation qui, statuant le 19 juin 2001, a confirmé les mesures prises par le Juge d'instruction. Le recourant débouté a déféré l'ordonnance de non-lieu à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral, devant laquelle son pourvoi en nullité et son recours de droit public sont actuellement pendants (causes 6S.519/2001 et 6P.117/2001).
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2.- En sus de son recours dirigé contre l'ordonnance du 17 avril 2001, B.________ a demandé la récusation du Juge d'instruction Pierre-Henry Knebel, en soutenant que les décisions prises par ce magistrat, en particulier son refus prolongé de poursuivre l'enquête ouverte contre A.________, dénotaient une attitude partiale en faveur de son adverse partie. Le Tribunal d'accusation a rejeté cette demande par un arrêt du 17 mai 2001.
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Le Tribunal fédéral est également saisi d'un recours de droit public dirigé contre ce dernier prononcé, tendant à son annulation. B.________ invoque la garantie d'un juge indépendant et impartial consacrée par l'art. 6 par. 1 CEDH; il persiste à voir un indice de partialité dans le fait que le Juge d'instruction a d'abord refusé un séquestre qu'il demandait, qu'il a ensuite suspendu l'enquête de façon prolongée, dans l'attente d'une expertise, et qu'il l'a néanmoins reprise sans avoir obtenu le rapport prétendument indispensable, cela seulement pour prononcer un non-lieu en faveur de la prévenue.
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Invités à répondre, la juridiction intimée et le juge Pierre-Henry Knebel ont renoncé à déposer des observations; l'intimée A.________ a conclu au rejet du recours.
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3.- La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la protection conférée par l'art. 30 al. 1 Cst. , permet au plaideur de s'opposer à une application arbitraire des règles cantonales sur l'organisation et la composition des tribunaux, qui comprennent les prescriptions relatives à la récusation des juges. Elle permet aussi, indépendamment du droit cantonal, d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité; elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 116 Ia 135 consid. 2; voir aussi ATF 126 I 168 consid. 2a p. 169, 125 I 119 consid. 3a p. 122).
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Les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. ne s'appliquent pas à la récusation d'un juge d'instruction ou d'un représentant du ministère public, car ces magistrats, pour l'essentiel confinés à des tâches d'instruction ou à un rôle d'accusateur public, n'exercent pas de fonction de juge au sens étroit (ATF 124 I 76, 119 Ia 13 consid. 3a p. 16, 118 Ia 95 consid. 3b p. 98). L'art. 29 al. 1 Cst. assure toutefois, en dehors du champ d'application des règles précitées, une garantie de même portée (jurisprudence relative à l'art. 4 aCst. : ATF 125 I 119 consid. 3b p. 123 et les arrêts cités), à ceci près que cette disposition, à la différence desdites règles, n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation des autorités auxquelles elle s'applique (ibidem, consid. 3f p. 124).
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4.- Selon la jurisprudence, le droit à un juge impartial n'est pas violé lorsqu'un recours est admis et que la cause est renvoyée au juge qui a pris la décision invalide; d'ordinaire, on peut attendre de ce juge qu'il continue de traiter l'affaire de manière impartiale et objective, en se conformant aux motifs de l'arrêt rendu sur recours, et il n'est pas suspect de prévention du seul fait qu'il a erré dans l'application du droit (ATF 113 Ia 407 consid. 2b p. 410; voir aussi ATF 117 Ia 157 consid. 2b in fine p. 162, 114 Ia 50 consid. 3d p. 58). Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constituant des violations graves de ses devoirs, peuvent justifier le soupçon de parti pris. La fonction judiciaire oblige le magistrat à se déterminer sur des éléments souvent contestés et délicats; c'est pourquoi, même si elles se révèlent viciées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas d'exiger sa récusation (ATF 116 Ia 135 consid. 3a p. 138; voir aussi ATF 125 I 119 consid. 3e p. 124).
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En l'occurrence, les actes du juge Knebel, sur lesquels le recourant entend fonder sa demande de récusation, sont demeurés incontestés ou ont été, sans aucune exception, confirmés par l'autorité de recours. Certes, l'ordonnance de non-lieu, motivée par l'expiration du délai de prescription absolue, est encore litigieuse. Le recourant soutient que les faits imputés à la prévenue doivent être qualifiés d'escroquerie plutôt que d'abus de confiance, de sorte que la prescription ne serait pas encore échue; cependant, même s'il obtenait gain de cause avec cette argumentation, l'erreur du Juge d'instruction ne saurait être tenue pour choquante au point de justifier un doute sur son impartialité.
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Pour le surplus, lors de ses ordonnances du 13 juin 1995 et du 7 octobre 1996, ce magistrat ne pouvait évidemment pas prévoir le retard considérable qui allait affecter l'aboutissement de l'expertise, au point que celle-ci finirait par devenir inutile, du point de vue de l'enquête pénale, en raison de la prescription. On ne peut d'ailleurs guère reprocher au Juge d'instruction de n'être pas intervenu à ce sujet, car l'expertise ne relevait pas de sa propre autorité, mais de celle du tribunal civil qui l'avait ordonnée.
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Le recourant ne fonde donc sa demande de récusation que sur des motifs inconsistants et dépourvus de pertinence; dans ces conditions, le rejet de cette demande apparaît pleinement conforme à l'art. 29 al. 1 Cst. et le recours de droit public doit lui aussi être écarté. Son auteur doit acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer à l'adverse partie.
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Par ces motifs,
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le Tribunal fédéral :
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1. Rejette le recours.
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2. Met à la charge du recourant:
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a) un émolument judiciaire de 3'000 fr.;
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b) une indemnité de 1'000 fr. à payer à l'intimée
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A.________ à titre de dépens.
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3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, au Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois Pierre-Henry Knebel et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
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______________
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Lausanne, 30 août 2001 THE
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Au nom de la Ie Cour de droit public
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du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
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Le Président,
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Le Greffier,
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