BGer 1P.273/2002
 
BGer 1P.273/2002 vom 06.06.2002
Tribunale federale
{T 0/2}
1P.273/2002/col
Arrêt du 6 juin 2002
Ire Cour de droit public
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral,
Féraud, Catenazzi,
greffier Thélin.
K.________, actuellement détenu à la prison de la Tuilière,
1027 Lonay,
recourant, représenté par Me Pierre-Xavier Luciani, avocat,
rue du Petit-Chêne 18 (Richemont), case postale 3151,
1002 Lausanne,
contre
Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, chemin de Couvaloup 6, 1014 Lausanne,
Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne.
détention préventive
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 26 avril 2002
Faits:
A.
Le 21 décembre 2001, une altercation s'est produite entre des clients d'un bar de Lausanne, à l'extérieur de l'établissement. Deux personnes ont, respectivement, subi une coupure au visage et reçu un coup de poing. Les déclarations du blessé ont conduit à l'arrestation de K.________; celui-ci, prévenu de lésions corporelles simples avec objet dangereux - un cutter trouvé à proximité -, se trouve en détention préventive depuis le 22 décembre. Il admet sa présence dans le bar mais dit ne garder aucun souvenir de l'altercation, en raison d'un état d'ébriété prétendument avancé à l'heure des faits. D'après les dépositions des victimes, qui semblent corroborées par certains témoignages, K.________ était accompagné d'un deuxième agresseur, mais ce dernier n'a pas été identifié.
Dès fin janvier 2002, K.________ a demandé une nouvelle audition de divers témoins, dans le but de confirmer la présence d'un autre agresseur et d'établir son propre état d'ébriété au moment des faits.
B.
K.________ a présenté une demande de mise en liberté que le Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne a rejetée le 10 avril 2002. Statuant sur recours, par arrêt du 26 suivant, le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud a confirmé ce prononcé. Il n'a pas invité les parties civiles à prendre position et ne leur a pas communiqué son prononcé. La mise en liberté est refusée en raison du risque de fuite, le prévenu étant étranger et dépourvu de tous liens avec la Suisse. Le maintien de la détention est tenu pour conforme au principe de la proportionnalité; l'arrêt souligne toutefois que l'enquête devra se poursuivre sans désemparer.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public, K.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal d'accusation et d'ordonner sa mise en liberté immédiate. Il conteste que sa détention soit justifiée par des indices de culpabilité suffisants et soutient, au surplus, que cette incarcération se prolonge indûment au regard de la peine privative de liberté qui pourrait lui être infligée s'il était reconnu coupable.
Invités à répondre, le Tribunal d'accusation et le Juge d'instruction ont renoncé à déposer des observations.
Une demande d'assistance judiciaire est jointe au recours.
D.
A réception de l'arrêt présentement attaqué, le Juge d'instruction a entrepris de donner suites aux réquisitions encore pendantes du recourant. Selon le procès-verbal des opérations et décisions, la police judiciaire a convoqué les témoins concernés "pour la semaine du 1er au 5 juin 2002".
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit public ne peut en principe tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée. La personne qui recourt contre une décision ordonnant ou prolongeant sa détention préventive, ou contre une décision rejetant une demande de mise en liberté provisoire, peut cependant requérir du Tribunal fédéral d'ordonner lui-même sa mise en liberté ou d'inviter l'autorité cantonale à le faire après avoir, au besoin, fixé certaines conditions (ATF 124 I 327 consid. 4b/aa p. 332/333, 115 Ia 293 consid. 1a, 107 Ia 257 consid. 1). Les conclusions présentées par le recourant sont ainsi recevables.
2.
La détention préventive est une restriction de la liberté personnelle qui est actuellement garantie, notamment, par l'art. 31 al. 1 Cst. A ce titre, elle n'est admissible que dans la mesure où elle repose sur une base légale, répond à un intérêt public et respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 124 I 203 consid. 2b p. 204/205; 123 I 268 consid. 2c p. 270, 120 Ia 147 consid. 2b p. 150, 119 Ia 221 p. 233 in medio). La deuxième condition suppose notamment qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne concernée d'avoir commis une infraction (art. 5 par. 1 let. c CEDH). En outre, l'incarcération doit être justifiée par les besoins de l'instruction ou du jugement de la cause pénale, ou par la sauvegarde de l'ordre public. Il faut qu'en raison des circonstances, l'élargissement du prévenu fasse naître un risque concret de fuite, de collusion ou de récidive. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62, 117 Ia 69 consid. 4a p. 70, 108 Ia 64 consid. 3 p. 67).
Le principe de la proportionnalité confère au prévenu le droit d'être libéré lorsque la durée de son incarcération se rapproche de la peine privative de liberté susceptible d'être prononcée. Celle-ci doit être évaluée avec la plus grande prudence, car il faut éviter que le juge de l'action pénale ne soit incité à prononcer une peine excessive pour la faire coïncider avec la détention préventive à imputer; l'éventualité du sursis n'est cependant, en principe, pas prise en considération (ATF 124 I 208 consid. 6 p. 215; voir aussi ATF 125 I 60 consid. 3d p. 64). Par ailleurs, la détention préventive est aussi disproportionnée en cas de retard injustifié dans le cours de la procédure pénale (ATF 126 I 172 consid. 5a p. 176; CourEDH, arrêt du 26 janvier 1993 W. c. Suisse, série A n° 254A, ch. 40 et ss).
3.
Le recourant était présent dans le bar concerné et il est clairement mis en cause par la victime. Pour le surplus, en l'état de la cause, le dossier ne contient aucun indice d'une alcoolisation importante du recourant au moment de l'altercation; en particulier, aucun témoin n'a fait allusion à un tel fait. On constate toutefois que l'enquête n'a apporté aucun élément propre à confirmer la déclaration de la victime, et que celle-ci refuse toute confrontation. Il est ainsi apparu que le cutter trouvé sur les lieux ne présente aucune empreinte digitale, ni aucune trace de sang dont l'analyse puisse favoriser la manifestation de la vérité. Dans ces conditions, le recourant n'est certes pas fondé à contester l'existence d'indices suffisants de culpabilité, mais le Juge d'instruction devra revoir la justification de la détention de façon très attentive, sans délai, sur la base du résultat des investigations actuellement effectuées par la police judiciaire.
4.
Jusqu'ici, le recourant n'a subi aucune peine privative de liberté. Prévenu de lésions corporelles simples avec objet dangereux, il encourt une peine d'emprisonnement; toutefois, une durée supérieure à douze ou quatorze mois ne paraît pas entrer sérieusement en considération. La détention préventive déjà subie n'atteint pas encore six mois, de sorte qu'en l'état, conformément à l'opinion du Tribunal d'accusation, elle est encore admissible au regard du principe de la proportionnalité. Toutefois, sur ce point également, une surveillance attentive de la détention est indispensable, et il s'imposera d'y mettre fin si le jugement du recourant ne peut pas intervenir à très bref délai.
On constate aussi que depuis de nombreuses semaines, aucun acte d'enquête significatif n'est plus intervenu; au contraire, les auditions demandées par le recourant, dont la justification n'était pourtant pas mise en doute, n'ont commencé qu'avec l'injonction contenue dans l'arrêt attaqué. Il n'est pas nécessaire de déterminer si ce retard constitue une violation du principe de la célérité car il n'est, de toute manière, pas suffisamment grave pour entraîner la mise en liberté immédiate du recourant; le cas échéant, il pourra être pris en considération par le juge de la cause pénale, dans le cadre de l'appréciation de l'ensemble des circonstances, en vue d'une éventuelle réduction de la peine (arrêt 1P.748/2001 du 20 décembre 2001, consid. 2c; ATF 124 I 139 consid. 2c).
5.
Le recours de droit public se révèle mal fondé, alors même que la libération de son auteur devra peut-être intervenir très prochainement, de sorte qu'il doit être rejeté.
Selon l'art. 152 OJ, le Tribunal fédéral peut accorder l'assistance judiciaire à une partie à condition que celle-ci soit dans le besoin et que ses conclusions ne paraissent pas d'emblée vouées à l'échec. Il est constant que le recourant est dépourvu de ressources; en outre, la procédure entreprise devant le Tribunal fédéral présentait certaines chances de succès. La demande d'assistance judiciaire peut dès lors être admise.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise et Me Pierre-Xavier Luciani est désigné en qualité d'avocat d'office du recourant.
3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
4.
La caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 800 fr. à Me Luciani à titre d'honoraires.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, au Procureur général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 6 juin 2002
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: