BGer 1P.536/2002
 
BGer 1P.536/2002 vom 18.10.2002
Tribunale federale
{T 0/2}
1P.536/2002 /ngu
Arrêt du 18 octobre 2002
Ire Cour de droit public
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral,
Aeschlimann, Reeb,
greffier Jomini.
Municipalité de Lausanne, 1002 Lausanne,
recourante, p.a. Service juridique de la Ville, place de la Louve 1, case postale 3280, 1002 Lausanne,
contre
Association pour un autre Rôtillon (APAR), case postale 201, 1002 Lausanne, intimée, représentée par Me Jean-Claude Perroud, avocat, rue du Grand-Chêne 4, case postale 3648, 1002 Lausanne,
Tribunal administratif du canton de Vaud, avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.
utilisation du domaine public communal
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud des 29 août et 12 septembre 2002.
Faits:
A.
Le 2 août 2002, l'Association pour un autre Rôtillon (APAR) a adressé à la Municipalité de la commune de Lausanne (par la police du commerce) une demande d'autorisation pour occuper le parking du Rôtillon durant les soirées des vendredi 30 août (de 19 heures à 2 heures) et samedi 31 août 2002 (de 17 heures à 2 heures). Cette association entendait y organiser les "IIèmes Rôtillonades du IIIème Millénaire", manifestation comprenant différentes animations (concerts folk et pop, jonglage de feu, chansons, cor des Alpes).
Le parking du Rôtillon fait partie du domaine public communal. Il s'agit d'un parc de stationnement comprenant environ 40 cases, situé dans le quartier du Rôtillon, au centre de la ville de Lausanne.
B.
Le 19 août 2002, la Municipalité de Lausanne a refusé l'autorisation requise, en invoquant les nuisances que subiraient les habitants du voisinage. L'APAR a déposé le 27 août 2002, devant le Tribunal administratif cantonal, un recours contre cette décision, en demandant l'effet suspensif. Ce recours a été enregistré le 28 août 2002 par le Tribunal administratif. Le même jour, le juge instructeur a cité les parties à une audience du Tribunal administratif le lendemain, en les informant qu'il serait statué sur le fond à l'issue de cette audience et que, vu l'urgence, la procédure d'instruction serait exclusivement orale.
Les parties ont comparu le 29 août 2002 devant le Tribunal administratif composé du président Jean-Claude de Haller, des assesseurs Jean-Claude Maire et Antoine Thélin, ainsi que de la greffière.
Après l'audience, le Tribunal administratif a rendu immédiatement son arrêt. Il a admis le recours (ch. I du dispositif) et réformé la décision prise le 19 août 2002 par la Municipalité en ce sens que l'autorisation demandée le 2 août 2002 par l'APAR était délivrée conformément au programme annoncé par cette association à l'administration communale le 13 août 2002 (ch. II du dispositif). Le Tribunal a donc invité la Municipalité à donner les instructions permettant la mise à disposition de l'APAR du parking de la rue Centrale dès le 30 août 2002 à 14.00 heures (ch. III du dispositif). L'arrêt a été rendu sans frais (ch. IV du dispositif) mais la commune de Lausanne a été condamnée à verser des dépens à l'APAR (ch. V du dispositif).
Les considérants à l'appui de cet arrêt du 29 août 2002 ont été notifiés d'office le 12 septembre 2002 (sous l'intitulé: "arrêt du 12 septembre 2002" - ci-après: l'arrêt des 29 août et 12 septembre 2002).
C.
Agissant par la voie du recours de droit public (l'acte de recours ayant été déposé le 10 octobre 2002), la commune de Lausanne demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt rendu par le Tribunal administratif. Elle se plaint d'une violation de son autonomie, en faisant valoir en substance que le droit constitutionnel n'imposait pas d'octroyer à l'APAR l'autorisation requise. Elle se plaint encore de la violation de règles formelles, notamment de la garantie d'un tribunal indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst., art. 6 par. 1 CEDH), en critiquant la participation de l'assesseur Antoine Thélin à la décision attaquée. La recourante invoque en outre à ce propos la règle du droit cantonal sur la récusation des juges et assesseurs du Tribunal administratif (art. 43 de la loi sur la juridiction et la procédure administratives [LJPA]).
Il n'a pas été demandé de réponses.
D.
L'arrêt attaqué du Tribunal administratif mentionne d'autres procédures juridictionnelles et politiques concernant le Rôtillon, en relevant que "l'aménagement de ce quartier a constamment opposé l'autorité municipale à différents opposants, partisans du maintien de la place actuelle avec rénovation des bâtiments existants"; à ce propos, il est en particulier fait référence aux circonstances de l'élaboration du plan partiel d'affectation (PPA) définissant les règles de construction dans ce périmètre, plan adopté par les autorités communales et approuvé par le Conseil d'Etat en 1994. L'arrêt indique également que, le 23 mai 2001, la Municipalité a accordé à la Fondation lausannoise pour la construction de logements et à la société anonyme Parking du Rôtillon S.A. un permis de construire, à cet endroit, un immeuble mixte et un parking de 180 places; une trentaine de personnes - dont des membres de l'APAR - avaient auparavant formé opposition. Les opposants ont recouru contre la décision municipale auprès du Tribunal administratif; leurs recours ont été rejetés par un arrêt rendu le 12 mars 2002.
Le Tribunal fédéral a enregistré deux recours de droit administratif contre cet arrêt du 12 mars 2002. Le premier a été formé par A.________ et il a été déclaré irrecevable par un arrêt rendu le 1er mai 2002 par la Ire Cour de droit public (cause 1A.68/2002). Le greffier du Tribunal fédéral, dans cette affaire, était Antoine Thélin.
Le second recours de droit administratif a été formé par B.________ et vingt-neuf consorts, représentés par Me Jean-Claude Perroud (cause 1A.90/2002). Ce recours est actuellement pendant. Les recourants ont demandé des mesures provisionnelles. Par une ordonnance du 20 juin 2002, signée du Président de la Ire Cour de droit public et du greffier Antoine Thélin, l'effet suspensif a été accordé au recours de droit administratif.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Le recours de droit public, au sens de l'art. 84 al. 1 let. a OJ, est conçu pour la protection des droits constitutionnels des citoyens. Les collectivités, en tant que détentrices de la puissance publique, ne sont pas titulaires de ces droits constitutionnels. Les communes peuvent toutefois, par la voie du recours de droit public, se plaindre d'une violation de leur autonomie garantie par le droit cantonal (cf. art. 189 al. 1 let. b Cst., en relation avec l'art. 50 al. 1 Cst.). Déterminer si, dans un domaine juridique particulier, la commune jouit effectivement d'une autonomie, n'est pas une question de recevabilité, mais constitue l'objet d'une appréciation au fond (ATF 128 I 3 consid. 1c p. 7 et les arrêts cités).
1.2 Dans la mesure où son autonomie est en cause, la commune peut exiger que l'autorité cantonale respecte les limites de sa compétence et qu'elle applique correctement les dispositions du droit fédéral, cantonal ou communal qui règlent la matière. Pour le surplus, la commune bénéficie des garanties générales de procédure (art. 29 Cst.) et, le cas échéant, des garanties de procédure judiciaire (art. 30 Cst.). Elle peut donc en particulier se plaindre, devant le Tribunal fédéral, que sa cause n'ait pas été jugée, en instance cantonale, par un tribunal indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst. - cf. ATF 116 Ia 52 consid. 2 p. 54, à propos des garanties déduites de l'art. 4 aCst.).
1.3 Les exigences légales de recevabilité du recours de droit public sont satisfaites. En particulier, l'acte de recours a été déposé dans le délai fixé à l'art. 89 al. 2 OJ, après la notification des considérants à l'appui de l'arrêt attaqué. En outre, si le recourant doit en principe pouvoir invoquer un intérêt actuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée, cette condition ne fait pas obstacle en l'espèce à la recevabilité du recours de droit public. Certes, la manifestation litigieuse a eu lieu avant le dépôt de ce recours et l'annulation de l'autorisation n'aurait plus aucun effet sur son déroulement. Néanmoins, le Tribunal administratif a examiné de façon générale les conditions auxquelles l'association intimée pouvait prétendre à utiliser le domaine public, et d'autres demandes d'autorisation pourraient être présentées à l'avenir, dans un contexte, toujours actuel, où les projets de réaménagement du quartier du Rôtillon rencontrent une certaine opposition de la part de l'association intimée ou de personnes partageant ses préoccupations. Du reste, dans des circonstances analogues, le Tribunal fédéral a admis la persistance d'un intérêt au recours (cf. ATF 128 I 136 consid. 1.3 p. 139; 127 I 164 consid. 1a p. 166). Aussi se justifie-t-il, dans le cas présent, d'entrer en matière.
2.
L'arrêt attaqué retient que, selon le droit cantonal vaudois, les communes jouissent d'une autonomie protégée par la Constitution (cf. art. 80 Cst./VD) en matière de gestion ou d'administration de leur domaine public. La recourante peut, manifestement, se prévaloir de cette garantie et la portée de l'autonomie communale, dans ce domaine, n'a pas à être discutée plus avant ici.
3.
La recourante se plaint d'une violation des art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH (en relation avec l'art. 43 al. 1 LJPA) en critiquant la participation de l'assesseur Antoine Thélin à la décision attaquée. Ce magistrat aurait dû se récuser non pas en raison d'une prévention effective de sa part, mais parce que les circonstances constatées objectivement donnaient l'apparence de la prévention, à savoir le cumul de plusieurs fonctions - greffier au Tribunal fédéral, assesseur au Tribunal administratif - dans une série d'affaires concernant les mêmes lieux, voire les mêmes personnes.
3.1 Aux termes de l'art. 30 al. 1 Cst., toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. S'agissant de l'impartialité, l'art. 6 par. 1 CEDH n'a pas une portée différente de la norme constitutionnelle interne (cf. ATF 128 V 82 consid. 2a p. 84; 126 I 68 consid. 3a p. 73). L'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et selon une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard; il faut alors prendre en considération les circonstances constatées objectivement (cf. notamment ATF 128 V 82 consid. 2a p. 84/85; 126 I 68 consid. 3 p. 73, et les arrêts cités; arrêt CourEDH dans la cause Castillo Algar c. Espagne du 28 octobre 1998, par. 43).
3.2 La jurisprudence prévoit que le motif de récusation doit être invoqué dès que possible, à défaut de quoi le plaideur est réputé avoir tacitement renoncé à s'en prévaloir (ATF 128 V 82 consid. 2b p. 85 et les références). Dans le cas particulier, on ne pouvait toutefois pas exiger de la recourante qu'elle déposât préalablement une demande de récusation de l'assesseur Thélin afin que celle-ci fût traitée par le Tribunal administratif avant le jugement (cf. art. 43 al. 1 et 2 LJPA). La commune a en effet été informée (par télécopie) du dépôt du recours de l'intimée la veille de l'audience et de l'arrêt; la composition de la cour ne lui a pas été annoncée, seule l'identité du président et juge instructeur étant communiquée. La participation d'Antoine Thélin n'était pas d'emblée prévisible, dès lors que, contrairement à d'autres juridictions, le Tribunal administratif ne statue pas dans une composition "ordinaire" ou usuelle (cf. ATF 128 V 82 consid. 2b p. 86; cf. également infra, consid. 3.3) et qu'il compte une quarantaine d'assesseurs (cf. Annuaire officiel du canton de Vaud, éd. 2001/2002, p. 216). Cette participation n'était pas non plus nécessairement reconnaissable, pour les représentants de la commune à l'audience du 29 août 2002, organisée dans une certaine urgence; ces représentants, des fonctionnaires, n'avaient pas été chargés de défendre les intérêts de la commune dans les procédures concernant le permis de construire du 23 mai 2001 (ce mandat avait été confié à un avocat au barreau) et on ne voit pas pourquoi ils auraient dû s'enquérir de l'identité, voire des autres fonctions des assesseurs du tribunal. Dans ces conditions, le grief du défaut d'impartialité objective pouvait être invoqué pour la première fois dans le recours de droit public.
3.3 Conformément à l'art. 7 al. 1 LJPA, le Tribunal administratif est formé de sept juges, de quatre juges suppléants occupant leur charge à mi-temps et, au plus, de cinquante assesseurs. Lorsqu'il doit statuer sur les recours administratif qui sont de sa compétence, le Tribunal administratif siège en sections (art. 14 et 16 al. 1 LJPA); chaque section est composée d'un juge, ou d'un juge suppléant, et de deux assesseurs (art. 16 al. 2 LJPA). Les assesseurs sont des magistrats non permanents, choisis en fonction de leurs connaissances professionnelles et techniques spéciales; certains d'entre eux sont avocats ou juristes. Ils participent au jugement, au même titre que le président de section, magistrat permanent (cf. Exposé des motifs du Conseil d'Etat au sujet du projet de LJPA, in Bulletin du Grand Conseil, automne 1989, p. 530; Etienne Poltier, La juridiction administrative vaudoise deux ans après l'entrée en fonction du Tribunal administratif, RDAF 1994 p. 250).
Au Tribunal fédéral, les greffiers collaborent à l'instruction et au jugement des affaires. Ils ont voix consultative. Ils peuvent établir des rapports; ils rédigent les arrêts du Tribunal (art. 10 al. 1 et 2 du règlement du Tribunal fédéral, RS 173.111.1).
3.4 Successivement, Antoine Thélin a exercé les fonctions juridictionnelles de greffier du Tribunal fédéral, puis d'assesseur du Tribunal administratif, dans des causes présentant un lien suffisamment étroit entre elles pour que l'on ne puisse plus, selon une démarche objective, exclure tout doute légitime au sujet de l'impartialité de la Cour cantonale dans la présente affaire (la procédure ayant été ouverte après les interventions de l'intéressé, comme greffier du Tribunal fédéral, dans les causes 1A.68/2002 et 1A.90/2002). Il est vrai que les deux recours de droit administratif soumis au Tribunal fédéral visent des autorisations de construire, tandis que le présent recours de droit public est dirigé contre une décision prise dans une contestation relative à l'utilisation du domaine public. Ces procédures concernent cependant toutes les projets de réaménagement du quartier du Rôtillon, régulièrement contestés par des membres de l'association intimée, comme cela ressort de l'arrêt attaqué. L'arrêt attaqué a en outre été rendu peu de temps après les décisions du Tribunal fédéral - sur le fond ou sur l'effet suspensif - dans les contestations relatives aux autorisations de construire délivrées pour un immeuble mixte et un nouveau parking; la procédure de recours devant le Tribunal administratif s'est du reste déroulée alors qu'une ordonnance de mesures provisionnelles du Tribunal fédéral, signée par le greffier Thélin, déployait ses effets (dans la cause 1A.90/2002). Dans ces conditions, la recourante se plaint à juste titre d'une violation de l'art. 30 al. 1 Cst. Aussi le recours de droit public doit-il être admis, et l'arrêt du Tribunal administratif annulé.
3.5 Il s'ensuit que les autres griefs de la recourante deviennent sans objet.
4.
Le présent arrêt doit être rendu sans frais, l'association intimée n'ayant pas été invitée à répondre (cf. art. 156 al. 1 OJ). La commune de Lausanne n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit public est admis et l'arrêt rendu les 29 août et 12 septembre 2002 par le Tribunal administratif du canton de Vaud est annulé.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire ni alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la recourante, au mandataire de l'intimée et au Tribunal administratif du canton de Vaud.
Lausanne, le 18 octobre 2002
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: