BGer 5P.252/2004
 
BGer 5P.252/2004 vom 13.10.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
5P.252/2004 /frs
Arrêt du 13 octobre 2004
IIe Cour civile
Composition
Mmes et M. les Juges Nordmann, Juge présidant,
Meyer et Hohl.
Greffière: Mme Bendani.
Parties
X.________,
recourante, représentée par Me Paul Zbinden, avocat,
contre
Y.________,
intimé, représenté par Me Michel Esseiva, avocat,
Tribunal civil de la Veveyse, 1618 Châtel-St-Denis.
Objet
Art. 9 Cst. (servitude; mesures provisionnelles),
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal civil de la Veveyse du 12 mai 2004.
Faits:
A.
A.a X.________ est propriétaire de l'immeuble formant l'art. 729 du registre foncier de la commune de A.________. Y.________ est propriétaire de l'immeuble voisin constituant l'art. 358 du registre foncier de la même commune. Une servitude de passage en faveur de l'art. 729 sur l'art. 358 figure au registre cantonal des servitudes, mais n'est pas inscrite au registre foncier. Son existence n'est pas contestée. Elle donne droit au passage sur les places d'aisance, c'est-à-dire sur la place asphaltée située devant et à côté de la maison sise sur l'immeuble de Y.________.
Depuis août 2003, le passage n'est plus possible à cet endroit. Y.________ l'a déplacé et "canalisé", par la pose de bacs à fleurs et de parois de bois, sur un chemin non goudronné à cause des fréquents passages des visiteurs des locataires de X.________. Ce nouveau tracé est moins aisé qu'auparavant.
A.b Le 5 septembre 2003, X.________ a déposé des requêtes de mesures provisionnelles et de mesures urgentes contre Y.________, concluant à ce que celui-ci soit astreint à enlever les parois de bois et les bacs à fleurs de façon à permettre le passage sur la place asphaltée située devant sa maison.
Le président du Tribunal de la Broye a rejeté la requête de mesures urgentes le 8 septembre 2003 et, après avoir entendu les parties, la requête de mesures provisionnelles le 31 octobre 2003, fixant à la demanderesse un délai de deux mois pour ouvrir action au fond.
Le 11 février 2004, le Tribunal civil de la Broye a rejeté le recours interjeté par X.________.
A.c Dans l'intervalle, en janvier 2004, les parois en bois ont été arrachées par des amis des locataires de X.________. Y.________ les a fait réinstaller par un paysagiste en mars 2004.
B.
Par mémoire du 1er avril 2004, X.________ a ouvert simultanément contre Y.________ une action au fond tendant notamment à la constatation de l'existence et de l'assiette de la servitude de passage et des requêtes de mesures provisionnelles et de mesures d'urgence tendant à l'enlèvement des parois de bois et à assurer le passage antérieur, invoquant, à titre principal, l'art. 367 CPC/FR et, à titre subsidiaire, l'art. 927 CC.
Ensuite de la récusation des juges ayant statué précédemment dans cette affaire, le Tribunal cantonal fribourgeois a renvoyé la cause au Tribunal civil de la Veveyse.
Par ordonnance du 14 avril 2004, le Président du Tribunal civil de la Veveyse a rejeté les deux requêtes, réservant les dépens. Statuant le 12 mai 2004 sur recours de X.________, le Tribunal civil de la Veveyse l'a rejeté, réservant les dépens.
C.
Contre cet arrêt, X.________ interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants, frais et dépens à la charge du défendeur.
L'intimé n'a pas été invité à se déterminer.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 III 76 consid. 3.2.2 p. 81; 129 II 453 consid. 2 p. 456 et les arrêts cités).
1.1 La décision sur mesures provisionnelles fondée sur les art. 367 ss CPC/FR, prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ; 376 CPC/FR), peut être entreprise par la voie du recours de droit public. En effet, la condition du dommage irréparable de l'art. 87 al. 2 OJ, par quoi on entend exclusivement le dommage juridique qui ne peut être réparé ultérieurement, notamment par le jugement final, est de toute manière réalisée (arrêt 4P.155/1994 du 4 novembre 1994, in: RSPI 1996 II 241 consid. 2; arrêt 4P.144/1989 du 15 janvier 1990, in: SJ 1990 p. 179 consid. 2; cf. aussi: ATF 118 II 369 consid. 1 p. 371 et les références).
Interjeté en temps utile pour arbitraire dans l'application du droit cantonal (art. 367 ss CPC/FR), constatation arbitraire des faits et violation de l'art. 26 Cst., le recours est également recevable au regard des art. 84 al. 1 let. a et 89 al. 1 OJ.
1.2 Seule la décision de dernière instance cantonale peut être entreprise par la voie du recours de droit public (art. 86 al. 1 OJ). Ainsi, dans la mesure où la recourante s'en prend à l'ordonnance de mesures provisionnelles du premier juge, le recours est irrecevable.
2.
2.1 Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et incontesté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain (ATF 126 III 438 consid. 3 p. 440 et les arrêts cités). En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 60 consid. 5a p. 70; 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 129 consid. 5b p. 134 et les références).
2.2 Selon l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours de droit public doit, sous peine d'irrecevabilité (ATF 123 II 552 consid. 4d et les arrêts cités), contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a pas à vérifier lui-même si la décision attaquée est en tous points conforme au droit ou à l'équité (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31). Il n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués (cf. ATF 110 Ia 1 consid. 2a in fine p. 4) et suffisamment motivés dans l'acte de recours. Il incombe donc au recourant de présenter des griefs de manière claire et détaillée (ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).
2.3 Dans un recours de droit public pour arbitraire (art. 9 Cst.), le Tribunal fédéral s'en tient aux faits constatés par l'autorité cantonale, à moins que le recourant ne démontre que ces constatations sont arbitrairement fausses ou incomplètes (ATF 118 Ia 20 consid. 5a p. 26). Pour ce faire, il ne peut se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, comme il le ferait dans une procédure d'appel, mais doit au contraire démontrer, par une argumentation précise, que la décision attaquée est insoutenable (ATF 128 I 295 consid. 7a p. 312). Il doit démontrer avec précision, pour chaque constatation de fait incriminée, comment les preuves administrées auraient dû être appréciées et en quoi leur appréciation par l'autorité cantonale viole l'art. 9 Cst., ce qui suppose la désignation exacte des passages de la décision attaquée qui sont visés et des pièces qui contredisent le fait contesté (Forster, Woran staatsrechtliche Beschwerden scheitern: zur Eintretenspraxis des Bundesgerichtes, RSJ 89/1993 p. 78; Galli, Die rechtsgenügende Begründung einer staatsrechtlichen Beschwerde, RSJ 81/1985 p. 127). Le recourant ne peut se contenter de soulever de vagues griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux (ATF 129 I 185 consid. 1.6 p. 189, 113 consid. 2.1 p. 120; 125 I 71 consid. 1c p. 76). Le Tribunal fédéral n'entre pas non plus en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495).
Dans un recours de droit public pour arbitraire, les moyens de fait ou de droit nouveaux sont prohibés (ATF 124 I 208 consid. 4b p. 212; 118 III 37 consid. 2a p. 39 et les arrêts cités).
3.
Les compléments ou précisions que la recourante apporte au déroulement des faits sont irrecevables, en l'absence de moyens motivés conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. Il en va de même des faits nouveaux qu'elle invoque.
4.
La recourante reproche au Tribunal civil d'avoir refusé arbitrairement les mesures provisionnelles requises et d'avoir constaté les faits de manière arbitraire.
4.1 Selon l'arrêt attaqué, une nouvelle procédure de mesures provisionnelles présuppose une aggravation de la situation par rapport à celle existant au moment de la première ordonnance de mesures provisionnelles. Or, la situation actuelle résultant de la pose des parois en mars 2004 est quasiment identique à celle d'août 2003, qui a fait l'objet de la première ordonnance présidentielle. En effet, les parois ont été arrachées en janvier 2004 et leur réinstallation en mars 2004, par un paysagiste mandaté par l'intimé, n'est qu'un acte de réparation consécutif à un acte illicite et ne constitue pas un fait nouveau. La situation n'ayant pas subi de modification, une nouvelle réglementation ne s'impose pas.
Par ailleurs, le passage actuel est certes moins aisé qu'auparavant, puisqu'il ne peut plus s'exercer sur toute la largeur de la place, soit environ 6-7 mètres, une telle largeur ne pouvant toutefois être imposée à l'intimé au regard de l'art. 245 LACC qui ne prévoit qu'un passage de 2,4 mètres. L'inspection des lieux a permis de constater que le passage actuel est suffisant pour une voiture, qu'il n'exige pas d'aptitude particulière de conduite et n'est pas de nature à entraîner des dommages pour l'usager. La question de savoir si les mesures prises par l'intimé constituent une atteinte à l'assiette du droit de passage devra être examinée dans la procédure au fond. Faute de documents probants, les modalités d'exercice du droit de passage ne peuvent être définies sur la base de la seule pratique existant avant 2003.
4.2 La recourante soutient qu'il est arbitraire de ne pas tenir compte du fait que la réinstallation des parois de bois en mars 2004 est un fait nouveau justifiant une nouvelle requête de mesures provisionnelles et de refuser des mesures en jugeant que la situation de fin mars 2004 est identique à celle d'août 2003. D'ailleurs, comme les parois avaient disparu lors de la notification de la décision sur recours le 20 mars 2004, la recourante ne pouvait pas déposer de recours de droit public à ce moment-là.
Ni l'arrêt attaqué, ni la recourante n'indiquent de disposition légale à l'appui de leur motivation. On peut toutefois déduire de l'exigence d'une aggravation de la situation posée par le Tribunal civil que celui-ci admet une autorité de la chose jugée limitée de l'ordonnance de mesures provisionnelles (Vogel/Spühler, Grundriss des Zivilprozessrechts, 7e éd., Berne 2001, §12 n° 218 et 162), voire applique, par analogie, l'art. 380 al. 1 CPC/FR relatif à la modification des mesures provisionnelles et selon lequel le juge peut modifier, restreindre ou rapporter les mesures provisionnelles ordonnées par une nouvelle ordonnance "lorsque les conditions ont changé". Ainsi, en se plaignant d'une constatation arbitraire des faits, la recourante reproche en réalité à l'autorité cantonale d'avoir considéré que le rétablissement des parois en mars 2004 ne constitue pas un changement des conditions.
La question de la recevabilité de ce grief, de même que celle de savoir si la recourante peut se prévaloir d'un fait nouveau alors qu'elle pourrait être tenue pour responsable de sa survenance, peuvent demeurer ouvertes, l'arbitraire du résultat de la décision attaquée n'étant pas démontré (cf. infra, consid. 4.3).
4.3 En effet, lorsqu'elle soutient qu'en vertu de l'art. 367 al. 1 let. a et 368 al. 1 let. a à c CPC/FR, le bénéficiaire a le droit d'obtenir des mesures provisionnelles pour rétablir un passage nécessaire et indispensable, et qu'il est insoutenable de refuser de rétablir la situation telle qu'elle était avant la modification opérée par le propriétaire de l'immeuble grevé, la recourante se limite à des affirmations toutes générales. Elle ne s'en prend pas à la motivation du Tribunal civil qui a estimé qu'il n'y a pas urgence à ordonner un rétablissement de l'état antérieur, que le tracé actuel est suffisant, qu'il est certes moins aisé qu'auparavant puisqu'il pouvait s'exercer sur toute la largeur de la place, soit environ 6-7 m, mais qu'il ne paraît pas possible d'imposer à l'intimé de tolérer un passage de plus de 2.4 m. Lorsqu'elle affirme, dans un exposé sur la "situation de fait", que l'aménagement du passage dans le pré est plus étroit, avec un virage sans visibilité et des bacs à fleurs entraînant un risque d'accident à l'entrée de la route cantonale, et partant que le passage actuel n'est pas un remplacement satisfaisant, la recourante s'écarte des faits constatés, sans démontrer conformément aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ que ces constatations seraient arbitrairement fausses ou incomplètes. Partant, ces griefs sont irrecevables.
5.
La recourante invoque enfin une violation de l'art. 26 Cst. Elle soutient qu'il n'y a ni intérêt public, ni base légale pour justifier la limitation de sa servitude et que les mesures provisionnelles sont un instrument destiné à garantir la propriété, soit l'exercice d'un droit de passage non contesté. Ce grief n'a pas de portée indépendante et se confond entièrement avec celui de violation de l'art. 9 Cst. A supposer qu'il respecte les exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, il ne mérite ainsi aucun examen de fond.
6.
L'arrêt attaqué a réservé l'attribution des dépens. Le chef de conclusions tendant à ce que les dépens de la procédure cantonale soient mis à la charge de l'intimé n'est pas motivé et est par conséquent irrecevable.
7.
En conclusion, le recours doit être déclaré irrecevable. Le recourant, qui succombe, supportera les frais de justice (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimé, qui n'a pas été invité à répondre au recours (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au Tribunal civil de la Veveyse.
Lausanne, le 13 octobre 2004
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: La greffière: