BGer 2P.278/2004 |
BGer 2P.278/2004 vom 04.04.2005 |
Tribunale federale
|
{T 0/2}
|
2P.278/2004 /svc
|
Arrêt du 4 avril 2005
|
IIe Cour de droit public
|
Composition
|
MM. les Juges Merkli, Président, Betschart,
|
Hungerbühler, Wurzburger, Müller, Yersin et Karlen.
|
Greffier: M. Addy
|
Parties
|
Association genevoise des exploitants de magasins de stations-service (AGEMS),
|
Garage A.________ SA,
|
Garage B.________ SA,
|
recourants,
|
toutes les trois représentées par
|
Me François Bellanger, avocat,
|
contre
|
Conseil d'Etat du canton de Genève,
|
Chancellerie d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 2,
|
case postale 3964, 1211 Genève 3.
|
Objet
|
art. 27 et 49 Cst. (art. 4, al. 1, lettre a et 11, al. 1
|
de la loi du 22 janvier 2004 modifiant la loi sur la
|
vente à l'emporter des boissons alcooliques),
|
recours de droit public contre la décision du
|
Conseil d'Etat du canton de Genève du 22 janvier 2004.
|
Faits:
|
A.
|
Le 22 janvier 2004, le Grand Conseil du canton de Genève a adopté la loi modifiant la loi sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques (interdiction de vente à l'emporter de boissons alcoolisées par distributeurs automatiques, dans les stations-service et les magasins accessoires, les commerces de location de films, les kiosques et autres établissements). Les art. 3, 4 et 11 de cette loi ont la teneur suivante:
|
"Art. 3 Dispositions réservées
|
-:-
|
Sont expressément réservées:
|
a) les dispositions de l'article 41 de la loi fédérale sur l'alcool, qui interdisent notamment la vente ambulante de boissons distillées, le colportage de boissons distillées, la prise et l'exécution de commandes collectives de boissons distillées, ainsi que la vente de boissons distillées au moyen de distributeurs automatiques;
|
b) les dispositions de l'article 37a de l'ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires, qui obligent les points de vente à être munis d'un écriteau bien visible indiquant les limites d'âge à respecter (soit 18 ans pour les boissons distillées et 16 ans pour les boissons fermentées);
|
c) les dispositions de l'article 11 de la loi fédérale sur le commerce itinérant et de l'article 3 de l'ordonnance sur le commerce itinérant, qui interdisent la vente itinérante de boissons alcooliques, sous réserve de la prise de commandes de boissons fermentées, ainsi que la prise de commandes et la vente de boissons fermentées dans les marchés;
|
Art. 4 Interdiction
|
1La vente de boissons distillées et fermentées est formellement interdite:
|
a) dans les stations-service et les magasins accessoires à celles-ci;
|
b) dans les commerces de vente et de location de cassettes vidéo.
|
2La vente de boissons distillées à des mineurs est strictement interdite (art. 41 al. 1, lettre i, de la loi fédérale sur l'alcool).
|
3La vente de boissons fermentées à des mineurs de moins de 16 ans est strictement interdite (art. 37a de l'ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires).
|
Art. 11 Horaire d'exploitation maximale
|
1La vente de boissons alcooliques à l'emporter est interdite de 21 h à 7 h, indépendamment des dispositions de la loi sur les heures de fermeture des magasins, du 15 novembre 1968.
|
2Font exception les établissements autorisés au sens de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement, du 17 décembre 1987."
|
La loi modifiant la loi sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques a été adoptée en votation populaire le 26 septembre 2004. Elle a été promulguée le 27 octobre 2004 par le Conseil d'Etat, pour entrer en vigueur le 1er février 2005.
|
B.
|
Agissant le 5 novembre 2004 par la voie du recours de droit public, l'Association genevoise des exploitants de magasins de stations-service (ci-après: l'Association) et les sociétés Garage A.________ SA et B.________ SA concluent à l'annulation des articles 4 al. 1, lettre a et 11 al. 1 de la loi du 22 janvier 2004 modifiant la loi sur la vente à l'emporter des boissons alcooliques (ci-après citée: la loi du 22 janvier 2004). Le canton de Genève conclut au rejet du recours. Dans un second échange d'écritures, les parties ont maintenu leur point de vue.
|
La requête d'effet suspensif présentée par les recourants a été rejetée par ordonnance du 26 novembre 2004.
|
Le Tribunal fédéral considère en droit:
|
1.
|
1.1 Les sociétés Garage A.________ SA et B.________ SA exploitent toutes deux un magasin annexe à une station-service. Directement touchées par les dispositions légales attaquées, elles ont qualité pour recourir au sens de l'art. 88 OJ. Il en va de même de l'Association, qui a notamment pour but de défendre sur le territoire genevois les intérêts professionnels de ses membres et, en particulier, leurs intérêts politiques et économiques (cf. ATF 130 I 26 consid. 1.2.1 p. 30 et 82 consid. 1.3 p. 85 ainsi que les références citées).
|
Déposé en temps utile dans les formes requises par l'art. 90 OJ, le recours est recevable.
|
1.2 Pour l'essentiel, les recourants s'en prennent à l'art. 4 al. 1 lettre a de la loi du 22 janvier 2004, soit à l'interdiction de la vente de boissons distillées et fermentées dans les stations-service et les magasins accessoires à celles-ci. Pour le cas où cette interdiction serait déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal fédéral, les recourants contestent également, à titre subsidiaire, l'art. 11 al. 1 de la loi, qui limite les heures de vente pour l'alcool dans les magasins à 21 h au lieu de 22 h. Dès lors, si le Tribunal fédéral devait rejeter le recours en ce qui concerne l'interdiction de principe prévue à l'art. 4 de la loi, il n'y aurait pas lieu d'examiner l'argumentation complémentaire et subsidiaire des recourants portant sur la restriction des heures d'ouverture des magasins prévue à l'art. 11 de la loi.
|
2.
|
Invoquant le principe de la force dérogatoire du droit fédéral (art. 49 Cst.), les recourants soutiennent que l'interdiction de la vente de boissons alcooliques dans les stations-service et leurs magasins accessoires serait inconstitutionnelle. Certes, ils n'ignorent pas que le Tribunal fédéral a reconnu, dans un arrêt du 28 mars 2002 (ATF 128 I 295), que les dispositions genevoises interdisant l'affichage de la publicité en faveur du tabac et des alcools de plus de 15 volumes pour cent sur le domaine public cantonal et sur le domaine privé visible depuis le domaine public ne violaient pas le principe de la primauté du droit fédéral, au regard notamment des compétences législatives de la Confédération en matière d'alcool et de denrées alimentaires. Ils estiment toutefois que cette jurisprudence ne s'applique pas en l'espèce, car l'interdiction ne porte pas sur la publicité en faveur de boissons alcooliques, mais sur la vente de celles-ci.
|
2.1 L'art. 49 al. 1 Cst. fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 130 I 82 consid. 2.2 p. 86/87, 128 I 295 consid. 3b p. 299; 127 I 60 consid. 4a p. 68 et les arrêts cités; Ulrich Häfelin/Walter Haller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht - Die neue Bundesverfassung -, 6e éd., Zurich 2005, n. 1185 à 1187). L'existence ou l'absence d'une législation fédérale exhaustive constitue donc le critère principal pour déterminer s'il y a conflit avec une règle cantonale. Il faut toutefois souligner que, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine si la preuve est rapportée qu'elle poursuit un autre but que celui recherché par la mesure fédérale (Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. I, Berne 2000, n. 1031, p. 364). Cela a par exemple conduit le Tribunal fédéral à considérer que, dans la mesure où une loi cantonale renforçait l'efficacité de la réglementation fédérale, le principe de la force dérogatoire n'était pas violé (ATF 91 I 17 consid. 5 p. 21 ss). Il résulte par ailleurs de la jurisprudence plus récente que, même si, en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale, le canton ne peut plus légiférer dans une matière, il n'est pas toujours privé de toute possibilité d'action (ZBl 96/1995 p. 457, 1P.574/1993, consid. 6). Ce n'est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd toute compétence pour adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci (cf. ATF 130 I 82 consid. 2.2 p. 86/87, 128 I 295 consid. 3b p. 299; Häfelin/Haller, op. cit., n. 1185; Peter Saladin, in: Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874, Bâle/Berne/Zurich, 1987-1996, vol. IV, n. 25 ad art. 2 disp. trans. Cst.).
|
2.2 Pour appliquer ces principes, il convient d'abord de relever que le but de l'art. 4 al. 1 lettre a de la loi attaquée est d'accroître la sécurité routière, soit de lutter contre la consommation d'alcool par les usagers de la route et, en particulier, par les jeunes. Contrairement à ce qu'affirment les recourants, le seul but visé par le législateur cantonal n'était pas de combattre les excès de consommation d'alcool chez les jeunes. L'exposé des motifs à l'appui du projet de loi précise (au deuxième alinéa de ce texte):
|
"Le présent projet de loi tendant à réviser la loi modifiant la vente à l'emporter des boissons alcooliques s'inscrit globalement dans l'effort de prévention de la consommation de boissons alcooliques et plus particulièrement à l'égard des conducteurs de tout âge et des jeunes.
|
Il sera brièvement rappelé que l'abus d'alcool par des jeunes et des adultes et la simple consommation d'alcool par des conductrices ou des conducteurs de véhicules automobiles sont une préoccupation constante des pouvoirs publics, tout particulièrement en raison des conséquences sociales et du coût financier pour les individus, les familles et l'Etat, singulièrement sous forme de couverture des prestations médicales ou de couverture des pertes de revenu".
|
Certes, au cours du processus d'adoption de la loi, il a largement été question de l'alcoolisme en général et de celui des jeunes en particulier, du reste aussi en relation avec d'autres dispositions du projet. Il n'en reste pas moins que l'art. 4 al. 1 lettre a de la loi se conçoit avant tout comme une norme de prévention de la consommation d'alcool au volant.
|
2.3 Comme le Tribunal fédéral l'avait déjà constaté lors de l'examen de la loi genevoise limitant la publicité pour l'alcool, il existe des règles fédérales éparses en matière de vente de boissons alcooliques.
|
2.3.1 Selon l'art. 105 Cst., la Confédération a compétence pour légiférer en matière de fabrication, d'importation, de rectification et de vente de l'alcool obtenu par distillation, en tenant compte en particulier des effets nocifs de la consommation d'alcool. Sur cette base a été édictée la loi fédérale sur l'alcool du 21 juin 1932 (RS 680; Lalc), dont les art. 39 à 43 sont consacrés au commerce des boissons distillées destinées à la consommation. L'art. 41 Lalc interdit certaines formes de commerce, en particulier la remise de boissons distillées à des mineurs (al. 1 lettre i). Il faut encore noter que, selon l'art. 41a al. 1 Lalc, l'exercice du commerce de détail dans les limites du canton est subordonné à une patente délivrée par l'autorité cantonale compétente. Le message relatif à cette disposition, introduite par une novelle du 19 décembre 1980, précise (FF 1979 I 57, 98) que "les cantons ont le droit de soumettre, par voie législative, aux restrictions exigées par le bien-être public, l'exercice de la profession d'aubergiste et le commerce de détail des boissons spiritueuses". Les prescriptions fédérales étant impératives, les lois cantonales peuvent compléter le droit fédéral, mais pas y déroger (message ibidem).
|
2.3.2 L'art. 118 Cst. règle les compétences de la Confédération en matière de protection de la santé (cf. aussi les art. 97 al. 1 et 104 al. 3 lettre c Cst.). La doctrine parle à ce propos d'une "fragmentarische Rechtsetzungskompetenz des Bundes" en matière de santé publique: la Confédération n'aurait la compétence de dicter des dispositions pour protéger la santé que dans les domaines exhaustivement cités à l'alinéa 2 de cette disposition constitutionnelle (cf. Häfelin/Haller, op. cit., n. 1086). A l'intérieur de ces domaines, elle dispose d'une "compétence globale dotée d'un effet dérogatoire subséquent" (cf. message relatif à une nouvelle constitution fédérale du 20 novembre 1996, in: FF 1997 I 1, 338). Elle peut notamment légiférer sur l'utilisation des denrées alimentaires pouvant présenter un danger pour la santé (art. 118 al. 1 lettre a Cst.). Le législateur fédéral a fait usage des compétences dont il dispose en la matière pour édicter, entre autres réglementations, la loi fédérale du 9 octobre 1992 sur les denrées alimentaires et les objets usuels (RS 817.0; LDAI), dont l'art. 2 al. 1 lettre a précise que la loi s'applique notamment à la distribution des denrées alimentaires. Selon l'art. 3 al. 3 LDAI, les boissons alcooliques sont assimilées aux denrées alimentaires. Fondée sur cette loi, l'ordonnance du 1er mars 1995 sur les denrées alimentaires (RS 817.02; ODAI) contient de nombreuses dispositions sur la fabrication, la composition et la présentation des denrées alimentaires. L'art. 37a ODAI prescrit certaines exigences pour la distribution de boissons contenant de l'alcool, qui ne doivent pas être remises aux enfants et aux jeunes de moins de 16 ans, les dispositions de la loi fédérale sur l'alcool étant réservées (al. 2).
|
2.3.3 Dès lors, on peut faire les mêmes constatations pour la vente de l'alcool que pour la publicité en faveur de l'alcool et du tabac (cf. ATF 128 I 295 consid. 3e). Le droit fédéral prévoit une série de mesures pour lutter contre l'alcoolisme, dont des limitations en matière de vente destinées à prévenir la consommation excessive de boissons alcooliques et à protéger la santé publique, notamment celle des jeunes. Les art. 105 et 118 Cst. ne confèrent toutefois pas à la Confédération une compétence complète et exhaustive en matière de vente d'alcool. Elle ne dispose en effet, dans ce domaine, que d'une compétence ponctuelle, étroitement liée aux objectifs de santé publique que le législateur fédéral s'est proposé de poursuivre en réglementant le commerce de l'alcool. Dans ces conditions, on ne saurait considérer que les compétences fédérales éparses résultant des normes susmentionnées excluent complètement celles des cantons en matière de police du commerce et de sécurité publique, y compris dans la prévention routière. Le fait que la Confédération ait adopté certaines dispositions en matière de vente de l'alcool ne signifie pas que les cantons ne puissent pas légiférer du tout dans ce même domaine, également dans les hypothèses qu'elle n'a pas réglementées. Dans le cadre de cet enchevêtrement de compétences entre la Confédération et les cantons, ces derniers jouissent donc encore de la faculté d'édicter des dispositions en matière de vente de l'alcool, pour autant - bien entendu - que celles-ci ne contredisent pas le droit fédéral et n'entravent pas les buts poursuivis par le législateur fédéral.
|
A cet égard, l'interdiction de la vente de boissons distillées et fermentées dans les stations-service et dans les magasins annexes à celles-ci non seulement ne contredit pas le droit fédéral, mais se situe dans la même ligne que celui-ci visant à parer aux dangers de la consommation d'alcool, en le complétant dans le domaine de la sécurité routière. Il est en effet évident que la vente de l'alcool dans les stations-service, largement fréquentées par les usagers de la route en déplacement, comporte un danger, d'autant que les heures d'ouverture de ces commerces, facilement accessibles, sont très larges. Cette hypothèse n'est pas réglée par le droit fédéral, sauf pour les installations annexes aux routes nationales (établissements destinés au ravitaillement et à la restauration, ainsi que les stations-service), où la vente de l'alcool est interdite (art. 4 al. 3 de l'ordonnance du 18 décembre 1995 sur les routes nationales; RS 725.111). La compétence de la Confédération découle ici de l'art. 83 Cst. et de l'art. 7 de la loi fédérale du 8 mars 1960 sur les routes nationales (RS 725.11; LRN). De telles dispositions fédérales n'existent pas pour les autres stations-service raccordées au réseau cantonal, dont la construction et l'exploitation dépendent d'abord du droit cantonal. L'interdiction de vente d'alcool prévue par l'art. 4 al. 1 lettre a de la loi attaquée ne viole donc pas le principe de la primauté du droit fédéral, mais le complète au contraire d'une manière qui s'inscrit dans la droite ligne des objectifs visés par le législateur fédéral pour ce qui concerne les dispositions qu'il a lui-même édictées (cf. ATF 109 Ib 285, selon lequel l'interdiction de vendre de l'alcool dans les restoroutes n'excède pas le cadre de la délégation prévue à l'art. 7 al. 2 LRN et ne viole pas non plus le principe de la proportionnalité).
|
3.
|
Les recourants contestent ensuite la compatibilité de l'art. 4 al. 1 lettre a de la loi attaquée avec la liberté économique. S'ils admettent que la restriction en cause repose sur une base légale (art. 36 al. 1 Cst.), ils font surtout valoir que l'interdiction de vente d'alcool incriminée viole les principes de la proportionnalité et de l'égalité entre concurrents.
|
3.1 Il existe certainement un intérêt public important à éviter que les conducteurs n'abusent de l'alcool lorsqu'ils sont amenés à conduire. Or, la vente de l'alcool dans les stations-service concerne en grande partie des conducteurs en déplacement, pouvant acheter ce produit dans des conditions d'accès facilitées, avec le risque d'une consommation particulièrement inopportune. Ce risque existe tout particulièrement chez les jeunes, en fin de journée, à un moment où les magasins des stations-service sont encore ouverts.
|
Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité); en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts - ATF 130 II 425 consid. 5.2 p. 438 s.; 126 I 219 consid. 2c p. 221 ss et les arrêts cités).
|
Il résulte déjà de ce qui précède que l'interdiction en cause est susceptible de remplir le but visé. On ne voit pas non plus que d'autres mesures moins incisives permettraient d'atteindre le résultat voulu. A cet égard, les recourants font valoir que, pour protéger les jeunes, il suffirait de contrôler plus efficacement les interdictions de vente d'alcool aux mineurs (cf. art. 41 al. 1 lettre c Lalc et 37a ODAI). Toutefois, la loi attaquée ne vise pas tant à renforcer les interdictions de vente du droit fédéral (qu'elle rappelle du reste à son art. 4 al. 2) qu'à prévenir l'alcool au volant de tous les conducteurs, y compris les jeunes, à qui le droit fédéral n'interdit pas la vente s'ils ont plus de 18 ans (et même 16 ans pour les boissons fermentées). Enfin, l'interdiction attaquée n'est pas excessive. La mission première des stations-service est de vendre de l'essence et d'autres produits nécessaires aux véhicules. Certes, les magasins annexes de ces stations-service ont, ces derniers temps, connu un essor certain et leur appoint est désormais, dans bien des cas, un complément économique important pour l'exploitant. Toutefois, même si la vente d'alcool n'est pas négligeable et si la marge sur ce produit est élevée, on ne voit pas que l'existence même des stations-service serait compromise par la mesure contestée. Du reste, dans les cantons où la vente d'alcool dans les stations-service est en principe prohibée, il n'apparaît pas que cela ait conduit à leur disparition. Il y a donc lieu de confirmer la jurisprudence rendue à propos d'interdictions comparables dans les cantons de Vaud (arrêt 2P.314/1998 du 18 mai 1999) et du Jura (arrêt 2P.84/2000 du 25 juillet 2000).
|
3.2 Les recourants font enfin valoir une inégalité de traitement par rapport à leurs concurrents que sont les kiosques et les petits magasins de dépannage dans les quartiers, qui - sous réserve de disposer des patentes requises - bénéficient d'horaires d'ouverture étendus et peuvent vendre de l'alcool jusqu'à 21 heures le soir (art. 11 al. 1 de la loi attaquée). L'art. 27 Cst. garantit l'égalité de traitement entre concurrents directs, c'est-à-dire entre personnes appartenant à une même branche économique, qui s'adressent au même public avec des offres identiques et pour satisfaire les mêmes besoins (ATF 125 I 431 consid. 4b/aa p. 435 s., 125 II 129 consid. 10b p. 149 s., 121 I 129 consid. 3b p. 131 s. et les arrêts cités). L'égalité de traitement entre concurrents n'est cependant pas absolue et autorise des différences, à condition notamment que celles-ci reposent sur une base légale et répondent à des critères objectifs.
|
Dans son arrêt 2P.84/2000 cité plus haut (consid. 3.1), le Tribunal fédéral a considéré qu'il n'existait pas de concurrence directe entre les stations-service et les magasins d'alimentation, une station-service étant destinée en priorité à la vente du carburant aux conducteurs de véhicules à moteur et non pas à l'approvisionnement général de la population en denrées alimentaires. Les deux types de commerces ne relevaient donc pas du même secteur économique. On peut certes se demander si cette affirmation ne devrait pas être nuancée, dans la mesure où le développement des magasins annexes aux stations-service est tel qu'il n'est pas certain que ces activités puissent encore être considérées comme marginales, même si elles sont le plus souvent liées à la vente de carburant et de produits pour l'automobile. La question n'a cependant pas besoin d'être résolue car, de toute façon, il existe des facteurs objectifs justifiant la différence de traitement. Généralement situées sur des axes routiers à grand trafic (souvent en dehors des quartiers d'habitations), les stations-service sont d'ordinaire fréquentées par des usagers de la route en déplacement; elles sont du reste conçues pour être facilement accessibles avec des véhicules, grâce à des règles de circulation particulières permettant de sortir aisément de la voie publique et de s'y réinsérer en dépit des difficultés que cela peut générer pour le trafic. Compte tenu du risque que peut comporter la consommation d'alcool pour les conducteurs, la vente de boissons alcooliques à de tels points de vente est particulièrement inadéquate. Les épiceries de quartier se trouvent dans une situation différente et visent en bonne partie une autre clientèle. Elle ne présentent en général pas les mêmes facilités d'accès pour les véhicules et sont plutôt fréquentées par des gens du quartier, s'y rendant souvent à pied. Le risque potentiel d'une consommation excessive d'alcool par des conducteurs n'est donc pas le même.
|
Le grief tiré de la violation du principe d'égalité doit être écarté.
|
4.
|
Dès lors, le recours doit être rejeté, un émolument judiciaire étant mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
|
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
|
1.
|
Le recours est rejeté.
|
2.
|
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
|
3.
|
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants et au Conseil d'Etat du canton de Genève.
|
Lausanne, le 4 avril 2005
|
Au nom de la IIe Cour de droit public
|
du Tribunal fédéral suisse
|
Le président: Le greffier:
|