BGer 1A.175/2005 |
BGer 1A.175/2005 vom 21.09.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1A.175/2005 /svc
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Arrêt du 21 septembre 2005
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Féraud, Président,
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Reeb et Fonjallaz.
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Greffier: M. Zimmermann.
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Parties
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A.________,
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recourante,
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représentée par Me K. Rothenbühler, avocat,
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contre
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Office des juges d'instruction fédéraux,
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rue du Mont-Blanc 4, case postale 1795,
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1211 Genève 1.
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Objet
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Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la France - B 109762 BF / Reu,
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recours de droit administratif contre l'ordonnance du Juge d'instruction fédéral du 30 mai 2005.
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Faits:
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A.
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Le 1er octobre 2002, Béatrice Del Volgo, Vice-président du Tribunal de Grande Instance de Marseille, a adressé au Ministère public de la Confédération une demande d'entraide fondée sur la Convention européenne d'entraide judiciaire (CEEJ; RS 0.351.1), entrée en vigueur le 20 mars 1967 pour la Suisse et le 21 août 1967 pour la France. La demande était présentée pour les besoins de la procédure ouverte contre inconnus du chef de blanchiment d'argent. Selon l'exposé des faits, la société suisse A.________ avait investi des fonds très importants dans la société B.________. Les autorités françaises soupçonnaient que celle-ci ait pu servir au blanchiment des fonds détournés au préjudice de C.________, notamment par le truchement de la société D.________, dont le siège se trouvait à Fribourg. La demande tendait à la remise de la documentation (notamment bancaire) concernant A.________ et D.________. Le Juge Del Volgo a complété la demande le 14 novembre 2002, en demandant la perquisition des locaux de A.________ et l'audition de ses dirigeants.
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L'Office fédéral de la justice (ci-après: l'Office fédéral) a délégué l'exécution de la demande au Ministère public de la Confédération, lequel a rendu une décision d'entrée en matière le 28 novembre 2002.
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Sur ordre du Ministère public, la police fédérale a, le 2 avril 2003, perquisitionné les locaux de A.________, saisi des documents et interrogé l'avocat E.________, dont l'étude est domiciliée à la même adresse.
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Le 22 juillet 2003, l'Office des juges d'instruction fédéraux a ouvert une procédure préparatoire contre F.________, dirigeant de A.________, des chefs de complicité de gestion déloyale, de blanchiment d'argent et de participation à une organisation criminelle. A raison de cela, l'Office fédéral a, le 13 août 2003, délégué l'exécution de la demande d'entraide au Juge d'instruction fédéral.
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Le 30 mai 2005, celui-ci a rendu une décision de clôture partielle de la procédure, par laquelle il a ordonné la transmission à l'Etat requérant de la documentation saisie le 2 avril 2003 dans les locaux de A.________. Il a notifié cette décision à E.________.
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B.
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Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision du 30 mai 2005 et de rejeter la demande d'entraide. Elle invoque l'art. 28 de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1) et affirme que la demande poursuivrait des buts exclusivement politiques.
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Le Juge d'instruction conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. L'Office fédéral propose principalement de déclarer irrecevable le recours, subsidiairement de le rejeter.
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Invitée à répliquer, la recourante a maintenu ses conclusions.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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La Confédération suisse et la République française sont toutes deux parties à la CEEJ, laquelle a été complétée, dans les relations bilatérales, par l'accord du 28 octobre 1996, entré en vigueur le 1er mai 2000 (RS 0.351.934.92). S'agissant d'une demande d'entraide présentée pour la répression du blanchiment d'argent, entre également en considération la Convention relative au blanchiment, au dépistage à la saisie et à la confiscation des produits du crime (CBl; RS 0.311.53), entrée en vigueur le 11 septembre 1993 pour la Suisse et le 1er février 1997 pour la France. Les dispositions de ces traités l'emportent sur le droit autonome qui régit la matière, soit en l'occurrence l'EIMP et son ordonnance d'exécution (OEIMP; RS 351.11). Celles-ci restent toutefois applicables aux questions non réglées, explicitement ou implicitement, par le droit conventionnel, et lorsqu'elles sont plus favorables à l'entraide que celui-ci (ATF 123 II 134 consid. 1a p. 136; 122 II 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib 120 consid. 1a p. 122/123, et les arrêts cités).
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2.
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Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 I 57 consid. 1 p. 59, et les arrêts cités).
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2.1 La voie du recours de droit administratif est ouverte contre la décision confirmant la transmission de la documentation commerciale (cf. art. 25 al. 1 EIMP). Les conclusions qui vont au-delà de l'annulation de la décision sont recevables (art. 25 al. 6 EIMP; art. 114 OJ; ATF 122 II 373 consid. 1c p. 375; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275; 117 Ib 51 consid. 1b p. 56, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement si les conditions pour accorder l'entraide sont remplies et dans quelle mesure la coopération internationale doit être prêtée (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 118 Ib 269 consid. 2e p. 275). Il statue avec une cognition libre sur les griefs soulevés sans être toutefois tenu, comme le serait une autorité de surveillance, de vérifier d'office la conformité de la décision attaquée à l'ensemble des dispositions applicables en la matière (ATF 123 II 134 consid. 1d p. 136/137; 119 Ib 56 consid. 1d p. 59). L'autorité suisse saisie d'une requête d'entraide en matière pénale n'a pas à se prononcer sur la réalité des faits évoqués dans la demande; elle ne peut que déterminer si, tels qu'ils sont présentés, ils constituent une infraction. Cette autorité ne peut s'écarter des faits décrits par l'Etat requérant qu'en cas d'erreurs, lacunes ou contradictions évidentes et immédiatement établies (ATF 126 II 495 consid. 5e/aa p. 501; 118 Ib 111 consid. 5b p. 121/122; 117 Ib 64 consid. 5c p. 88, et les arrêts cités).
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2.2 A qualité pour agir quiconque est touché personnellement et directement par une mesure d'entraide et a un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (art. 80h let. b EIMP). Est notamment touché le propriétaire ou le locataire des locaux perquisitionnés (art. 9a let. b OEIMP). Selon la jurisprudence, la personne physique ou morale n'a pas qualité pour agir lorsque les documents qui la concernent sont saisis auprès de tiers, notamment de son mandataire (ATF 130 II 162 consid. 1.1 p. 163 et les arrêts cités).
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A ce propos, la recourante a indiqué que son mandataire, Me K. Rothenbühler, n'est pas visé par la décision attaquée. Il n'agit pas en son propre nom, mais uniquement pour le compte de la recourante qu'il représente, notamment pour ce qui concerne la notification. En l'occurrence, la situation est compliquée par le fait que la recourante et Me K. Rothenbühler sont sous-locataires, chacun pour une partie, des locaux. Même si l'on peut hésiter sur ce point, il convient d'admettre que la recourante a été directement touchée par la perquisition de ses papiers d'affaire. Eu égard à la situation de fait particulière du cas, il n'y a pas lieu de penser que la mesure de contrainte contestée aurait porté sur un tiers (soit Me K. Rothenbühler), ce qui exclurait la qualité pour agir de la recourante.
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3.
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Celle-ci soutient que la motivation de la demande serait insuffisante.
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3.1 La demande d'entraide doit indiquer l'organe dont elle émane et le cas échéant, l'autorité pénale compétente (art. 14 al. 1 let. a CEEJ et 28 al. 2 let. a EIMP); son objet et ses motifs (art. 14 al. 1 let. b CEEJ et 28 al. 2 let. b EIMP); la qualification juridique des faits (art. 14 al. 2 CEEJ et 28 al. 2 let. c EIMP); la désignation aussi précise et complète que possible de la personne poursuivie (art. 14 al. 1 let. c CEEJ et 28 al. 2 let. d EIMP), ainsi qu'un bref exposé des faits essentiels (art. 28 al. 3 let. a EIMP). Les indications fournies à ce titre doivent simplement suffire pour vérifier que la demande n'est pas d'emblée inadmissible (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 101; 115 Ib 68 consid. 3b/aa p. 77). La demande se rapportant à des faits de blanchiment ne doit pas nécessairement contenir la preuve de la commission de ce délit ou de l'infraction principale; elle peut se borner à faire état de transactions douteuses (ATF 129 II 97).
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3.2 L'exposé des faits joint à la demande du 1er octobre 2002 se rapporte aux activités de H.________. Celui-ci est soupçonné d'avoir détourné des fonds provenant de la société russe C.________ qu'il dirigeait. Les autorités françaises ont conçu le soupçon qu'une partie de ces fonds auraient été acheminés sur les comptes de A.________ par l'entremise de D.________, société russe active dans le domaine du pétrole, entre juillet 1997 et juin 1998. A.________ avait ensuite viré un montant total équivalant à 136'904'417 FRF entre le 29 novembre 1996 et le 31 décembre 2000, sur des comptes détenus par B.________, qu'elle dominait. Ces fonds auraient servi à financer en partie l'acquisition par B.________ de biens immobiliers (soit un château), mis à la disposition de H.________ et de L.________, dirigeant de la société russe M.________. En plus de ces éléments, le Juge d'instruction a pris en compte le fait qu'une société des Iles Caïmans dénommée O.________, dominée par H.________, avait versé des montants importants à A.________, provenant en partie de D.________. Il a également souligné les liens personnels unissant H.________ à F.________, dirigeant de A.________ et de O.________.
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La particularité du cas tient au fait que l'on ignore si l'infraction principale (soit les détournements de fonds effectués au préjudice de C.________) a été réalisée et, dans l'affirmative, où, quand et comment. La demande et la décision attaquée sont muettes sur ce point. Or, s'il existe suffisamment d'indices que des fonds ont été acheminés de Russie en France, par l'entremise de sociétés suisses, et que ces versements ont servi à l'acquisition de biens immobiliers en France, dont le caractère particulier pourrait laisser supposer une opération de blanchiment d'argent, rien ne permet d'entrevoir, ne serait-ce de manière minimale, en quoi les fonds suspects proviendraient, directement ou indirectement de C.________, d'une part, ni en quoi ils seraient le produit d'un crime, d'autre part.
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3.3 La demande complémentaire du 14 novembre 2002 (qui avait pour but d'élargir la mission confiée à l'autorité suisse d'exécution à la perquisition des locaux de la recourante) est accompagnée d'une note d'information établie le 29 août 2002 par le service français chargé du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins (ci-après: Tracfin). Or, ce document se rapporte, pour ce qui concerne l'infraction principale à la source du blanchiment, à un complexe de faits différent de l'affaire C.________. Il évoque les rapports entre D.________ et M.________. En août 2000, un groupe de banques internationales a accordé à celle-ci un prêt d'un montant de 180 millions d'USD pour le financement de recherches pétrolières. Une partie de ce montant aurait été détournée au profit de D.________, sous couvert de versement du prix du pétrole brut livré par M.________ à la société P.________. H.________ aurait ristourné à L.________ une partie du profit réalisé, sous la forme de l'acquisition, par B.________, d'un château, ainsi que de l'acquisition, par la société française R.________, d'immeubles sis à St-Tropez. Or, R.________ serait domiciliée à la même adresse que B.________ et R.________ serait contrôlée par un trust chypriote dominé par L.________. Le Tracfin soupçonne également D.________ d'avoir servi au détournement d'une partie d'un prêt de 4,6 milliards d'USD accordé par le Fonds monétaire international à la Fédération de Russie, ainsi que d'un prêt de 58 millions d'USD accordé par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement au gouvernement russe. Ces indications, très fragmentaires, sont insuffisantes pour admettre que la recourante aurait pu, en raison de ses rapports étroits avec D.________ et B.________, servir d'intermédiaire dans l'acheminement des fonds provenant de M.________ et qui auraient été réinvestis dans l'acquisition d'un château. En effet, la recourante n'est citée qu'en passant dans ce document, et seulement en relation avec un autre complexe de fait. Au demeurant, le Juge d'instruction n'a pas fondé sa décision sur la note accompagnant la demande complémentaire.
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3.4 Le grief tiré de l'art. 28 EIMP est ainsi bien fondé, et la décision attaquée annulée, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés par la recourante. Cela ne signifie pas pour autant que la demande d'entraide doive être rejetée. Il est en effet possible que l'Etat requérant puisse compléter l'état de fait joint à la demande, de manière à satisfaire aux exigences du traité et de la loi à cet égard. Le Juge d'instruction invitera l'autorité requérante à remédier au vice formel qui entache la demande (art. 28 al. 6 EIMP), puis statuera à nouveau.
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4.
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Le recours doit ainsi être admis et la décision attaquée annulée. La cause est renvoyée au Juge d'instruction fédéral pour nouvelle décision (art. 114 al. 2 OJ). Il est statué sans frais (156 OJ). L'Office des juges d'instruction fédéraux versera à la recourante une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens (art. 159 OJ).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est admis et la décision attaquée annulée.
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2.
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La cause est renvoyée au Juge d'instruction fédéral pour nouvelle décision.
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3.
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Il est statué sans frais. L'Office des juges d'instruction fédéraux versera à la recourante une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, à l'Office des juges d'instruction fédéraux et à l'Office fédéral de la justice, Division des affaires internationales, Section de l'entraide judiciaire (B 109762 BF / REU).
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Lausanne, le 21 septembre 2005
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: Le greffier:
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