BGer 6S.382/2005 |
BGer 6S.382/2005 vom 12.11.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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6S.382/2005 /rod
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Arrêt du 12 novembre 2005
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Cour de cassation pénale
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Composition
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MM. les Juges Schneider, Président,
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Kolly et Karlen.
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Greffière: Mme Bendani.
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Parties
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Procureur général du canton de Berne, 3001 Berne,
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recourant,
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contre
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X.________,
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intimé, représenté par Me Willy Lanz, avocat,
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Objet
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Mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP), meurtre par dol éventuel (art. 111 CP),
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pourvoi en nullité contre le jugement de la Cour suprême du canton de Berne, 2ème Chambre pénale, du 6 juillet 2005.
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Faits:
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A.
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Le 8 novembre 2003, A.________, B.________, C.________ et D.________ ont décidé de finir la soirée dans une discothèque. Vers 3 heures du matin, X.________, agent de sécurité, est intervenu pour leur dire de ne pas danser avec des bouteilles et verres à la main, puis a invité C.________, qui a intentionnellement cassé un verre, de l'accompagner vers la sortie pour lui parler. Les trois autres membres du groupe les ont suivis. La situation a rapidement dégénéré et des coups ont été échangés. X.________ a utilisé son spray au poivre contre ses quatre adversaires qui sont alors sortis ou ont été sortis de l'établissement.
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Une fois à l'extérieur du bâtiment, certains des protagonistes ont commencé à lancer des pierres contre la porte du dancing dont la vitre s'est brisée. X.________ a sorti son pistolet et l'a passé à travers le hublot brisé de la porte, annonçant à ses adversaires qu'il était armé. Après avoir été blessé à la tête par une pierre, il a chargé son pistolet, a une nouvelle fois averti qu'il était armé et, apeuré et se sentant menacé, a tiré un premier coup de feu vers le sol en direction du talus, alors qu'il ne voyait personne dans son champ de tir. Les assaillants ont continué à jeter des pierres et A.________ s'est déplacé, venant de face en direction de X.________, avec une ou deux pierres dans les mains. La vue entravée par le sang dégoulinant sur son visage et sous le coup de l'émotion, ce dernier a alors visé les jambes de l'attaquant, situé à environ 3 ou 4 mètres de l'arme, et a tiré un second coup de feu, ne voulant que blesser son adversaire. Au même moment et sans que X.________ ne perçût aucun changement, A.________ a fait une rotation sur lui-même et s'est retrouvé penché vers le sol, tournant le dos au tireur. La balle l'a atteint mortellement.
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B.
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Par jugement du 9 décembre 2004, le Tribunal d'arrondissement judiciaire I Courtelary-Moutier-La Neuveville a condamné X.________, pour mises en danger de la vie d'autrui, homicide par négligence, rixe et infractions à la LArm, à quatre ans et demi de réclusion, sous déduction de la détention préventive.
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C.
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Par jugement du 6 juillet 2005 et statuant sur recours du Ministère public, de la partie plaignante et de l'accusé, la 2ème Chambre pénale de la Cour suprême du canton de Berne a notamment constaté que le jugement attaqué était entré en force de chose jugée dans la mesure où X.________ avait été reconnu coupable de rixe et d'infractions à la LArm; elle l'a libéré de la prévention de mises en danger de la vie d'autrui pour les deux coups de feu tirés dans la nuit du 8 novembre 2003 et, en relation avec le second coup de feu, l'a condamné, pour homicide par négligence et lésions corporelles graves, à trois ans de réclusion, sous déduction de la détention préventive.
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D.
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Le Parquet général du canton de Berne dépose un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une violation des art. 111 et 129 CP, il conclut à l'annulation du jugement cantonal.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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Saisie d'un pourvoi en nullité, la Cour de cassation contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base de l'état de fait retenu dans la décision attaquée, dont le recourant n'est pas recevable à s'écarter (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66 s).
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2.
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Le recourant soutient que l'aspect subjectif de l'infraction de mise en danger au sens de l'art. 129 CP est réalisé dans le cadre du premier coup de feu.
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2.1 L'art. 129 CP réprime le comportement de celui qui, sans scrupules, aura mis autrui en danger de mort imminent. Du point de vue subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement et que l'acte ait été commis sans scrupules. L'auteur doit avoir conscience et vouloir mettre autrui en danger de mort imminent (ATF 121 IV 67 consid. 2d p. 75 in fine). L'ancienne version de cette disposition mentionnait que l'auteur devait avoir agi "sciemment", ce qui excluait la commission de cette infraction par dol éventuel (cf. ATF 94 IV 60 consid. 3b p. 64). Cette précision, jugée inutile, a été supprimée dans le nouvel art. 129 CP, entré en vigueur au 1er janvier 1990. Dans un arrêt non publié du 1er mars 2004 (6S.426/2003), le Tribunal fédéral a toutefois expliqué que cette suppression ne changeait rien et que, comme auparavant, le dol éventuel ne suffisait pas. L'auteur doit également créer le danger sans scrupules (sur cette notion, cf. ATF 114 IV 103 consid. 2a p. 108 et la jurisprudence citée).
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Déterminer ce qu'une personne veut, sait ou ce dont elle s'accommode relève du contenu de la pensée, donc de l'établissement des faits, lesquels ne peuvent être revus dans le cadre d'un pourvoi en nullité. Toutefois, pour admettre le dol éventuel, le juge se fonde généralement sur des éléments extérieurs révélateurs. Il est admis à ce propos que les questions de fait et de droit interfèrent étroitement sur certains points. Par conséquent, le juge doit exposer les éléments extérieurs le plus exhaustivement possible afin que l'on puisse discerner ce qui l'a conduit à retenir que l'auteur avait accepté la conséquence dommageable et à conclure au dol éventuel. Le Tribunal fédéral peut ainsi, dans une certaine mesure, revoir dans le cadre d'un pourvoi en nullité si ces éléments extérieurs ont été correctement appréciés au regard de la notion juridique du dol éventuel. Parmi les éléments extérieurs permettant de conclure que l'auteur s'est accommodé du résultat dommageable pour le cas où il se produirait figurent notamment la probabilité (connue par l'auteur) de la réalisation du risque et l'importance de la violation du devoir de prudence. Plus celles-ci sont grandes, plus sera fondée la conclusion que l'auteur, malgré d'éventuelles dénégations, avait accepté l'éventualité de la réalisation du résultat dommageable (ATF 125 IV 242 consid. 3c p. 252; 119 IV 242 consid. 2c p. 248).
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2.2 La Chambre pénale a relevé la constance des déclarations de l'intimé selon lesquelles il avait tiré le premier coup de feu dans le sol, que son but était d'avertir les assaillants qu'il avait une arme, qu'il s'agissait d'un tir de semonce, qu'il avait vu les individus à sa gauche et à sa droite, mais qu'il avait tiré là où il n'y avait personne, sûr que le champ était libre, et qu'il avait bien visé par terre, sans crainte de toucher quelqu'un et sans réaliser le danger qu'il faisait courir aux personnes à l'extérieur de la discothèque. Sur la base de ces éléments, elle a jugé que l'intimé n'avait pas, en tirant, conscience du danger de mort imminent auquel il exposait les personnes perçues sur sa droite ou sur sa gauche, ni les éventuels protagonistes en mouvement à l'extérieur du bâtiment, et surtout qu'il ne voulait pas les mettre en danger de mort imminent. Elle a conclu que l'élément subjectif de l'infraction visée par l'art. 129 CP n'était donc pas réalisé.
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2.2.1 Le recourant explique qu'il est notoire que l'utilisation d'un pistolet peut provoquer la mort, que l'intimé n'était pas un spécialiste des armes à feu, qu'il n'a pas visé un endroit précis, qu'il ne pouvait affirmer avec certitude avoir tiré en sachant qu'il n'y avait personne pouvant se trouver ou, à tout le moins, se déplacer dans la ligne de tir, qu'il était sous le coup de l'émotion et enfin que sa vue était entravée. Au regard de ces éléments, il conclut que l'intimé devait savoir qu'il mettait en danger la vie d'autrui. Ce faisant, le recourant critique l'appréciation des preuves de la Chambre pénale et les conclusions qu'elle en a tirées. Or, conformément à la jurisprudence précitée (cf. supra consid. 2.1), déterminer ce que l'auteur sait ou veut relève des constatations de fait qui lient le Tribunal fédéral. Le grief invoqué est donc irrecevable.
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2.2.2 Pour le reste et contrairement aux allégations du recourant, la Chambre pénale n'avait pas à examiner si, sur la base des faits retenus, l'intimé avait agi par dol éventuel, cette forme d'intention ne suffisant pas pour réaliser une mise en danger de la vie d'autrui au sens de l'art. 129 CP (cf. supra consid. 2.1).
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3.
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Le recourant soutient que l'aspect subjectif du meurtre au sens de l'art. 111 CP est réalisé dans le cadre du second coup de feu.
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3.1 Se rend coupable de meurtre celui qui aura intentionnellement tué une personne (art. 111 CP). L'intention comprend le dol éventuel. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur envisage le résultat dommageable, mais agit néanmoins, même s'il ne le souhaite pas, parce qu'il s'en accommode pour le cas où il se produirait (ATF 109 IV 147 consid. 4 p. 150). La différence entre le dol éventuel et la négligence consciente réside dans ce que veut l'auteur; en cas de négligence consciente, l'auteur escompte que le résultat - qu'il refuse - ne se produira pas, alors qu'en cas de dol éventuel, il accepte le résultat au cas où il se produirait, sans pour autant avoir agi de manière à en favoriser l'avènement (ATF 119 IV 1 consid. 5a p. 3).
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3.2 Appréciant les diverses déclarations de l'intimé, la Chambre pénale a retenu que ce dernier avait uniquement eu l'intention de blesser, qu'il pensait que le fait de tirer vers le bas éviterait le résultat survenu, qu'il n'a pas accepté l'éventualité que la victime serait tuée, qu'il a voulu prendre les précautions pour éviter la survenance du résultat et que c'est le hasard qui a fait que la victime soit touchée mortellement. Ces constatations relèvent du fait et ne sauraient par conséquent être discutées dans le cadre d'un pourvoi en nullité (cf. supra consid. 1 et 2.1). Sur cette base, la Chambre pénale n'a pas violé le droit fédéral en écartant le dol éventuel et en retenant la négligence. Le grief du recourant est donc infondé.
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4.
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Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Vu l'issue du pourvoi de l'accusateur public, il ne sera pas perçu de frais (art. 278 al. 2 PPF). Il n'y a pas lieu d'allouer une indemnité à l'intimé qui n'a pas été amené à intervenir dans la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 278 al. 3 PPF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le pourvoi est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2.
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Il n'est pas perçu de frais.
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3.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au Procureur général du canton de Berne, au mandataire de l'intimé et à la Cour suprême du canton de Berne, 2ème Chambre pénale.
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Lausanne, le 12 novembre 2005
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Au nom de la Cour de cassation pénale
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: La greffière:
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