BGer 1E.14/2005 |
BGer 1E.14/2005 vom 08.12.2005 |
Tribunale federale
|
{T 0/2}
|
1E.14/2005 /col
|
Arrêt du 8 décembre 2005
|
Ire Cour de droit public
|
Composition
|
MM. les Juges Féraud, Président,
|
Aeschlimann et Reeb.
|
Greffier: M. Jomini.
|
Parties
|
Société anonyme A.________,
|
recourante, représentée par Me Jacques Philippoz, avocat,
|
contre
|
Société anonyme Electricité neuchâteloise SA-ENSA,
|
intimée, représentée par Me Pierre Bauer, avocat,
|
Président de la Commission fédérale d'estimation
|
du 5e arrondissement, rue du Trésor 9, case postale, 2001 Neuchâtel 1.
|
Objet
|
Expropriation pour une ligne électrique, envoi en possession anticipé,
|
recours de droit administratif contre la décision du
|
Président de la Commission fédérale d'estimation
|
du 5e arrondissement du 21 septembre 2005.
|
Faits:
|
A.
|
L'Inspection fédérale des installations à courant fort (IFICF) a approuvé le 8 mars 1999 les plans du projet de ligne électrique aérienne 220/60 kV "Galmiz-Châtelot", tronçon "Thielle-Cornaux", qui lui avaient été soumis par la société anonyme Electricité Neuchâteloise SA (ENSA). Il est prévu que cette ligne survole la parcelle n° 1051 du registre foncier sur le territoire de la commune de Thielle-Wavre, propriété de la société anonyme A.________. Cette société exploite sur son bien-fonds un garage-atelier.
|
A.________ a recouru contre cette décision d'approbation des plans auprès du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC). Le Département a rejeté le recours le 16 janvier 2001, tout en adaptant le projet selon une "variante 4" proposée par ENSA et approuvée par l'IFICF (cette variante ne consiste pas en une modification du tracé mais en une "atténuation du rayonnement magnétique de l'un des deux conducteurs de garde").
|
A.________ a recouru contre la décision du DETEC auprès du Conseil fédéral. Ce recours a été rejeté le 18 décembre 2002.
|
B.
|
Le 17 juin 2003, ENSA a adressé au Président de la Commission fédérale d'estimation du 5e arrondissement une demande tendant à l'ouverture d'une procédure d'expropriation en la forme sommaire, afin d'obtenir les droits nécessaires au passage de la ligne électrique 220/60 kV, pour une durée de 50 ans, au-dessus de la parcelle n° 1051 (survol sur une longueur d'environ 22 m). Cette demande a été transmise à l'Office fédéral de l'énergie (OFEN), qui a autorisé ENSA à adresser à A.________ un avis personnel au sens des art. 33 ss de la loi fédérale sur l'expropriation (LEx; RS 711). Le 2 février 2004, A.________ s'est opposée à l'expropriation. L'OFEN a levé cette opposition par une décision rendue le 29 octobre 2004.
|
A.________ a recouru contre cette décision auprès de la Commission fédérale de recours en matière d'infrastructures et d'environnement (CRINEN). Cette cause est actuellement pendante.
|
C.
|
Le 14 décembre 2004, ENSA a demandé au Président de la Commission fédérale d'estimation du 5e arrondissement d'être autorisée à exercer, avant le paiement de l'indemnité, le droit de passage sur la parcelle n° 1051, afin de pouvoir construire le tronçon "Thielle-Cornaux" de la nouvelle ligne 220/60 kV (demande d'envoi en possession anticipé, au sens de l'art. 76 LEx). L'expropriante faisait valoir que, sur ce tronçon, seule A.________ n'avait pas donné son accord au commencement des travaux de construction.
|
Le Président de la Commission fédérale d'estimation a ordonné l'envoi en possession anticipé par une décision du 21 septembre 2005.
|
D.
|
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision d'envoi en possession anticipé. Elle prétend en substance que la décision relative à l'approbation des plans, prise en dernière instance par le Conseil fédéral, n'est pas définitive, qu'il n'y a pas d'urgence à effectuer les travaux de construction, qu'ENSA n'a pas établi subir un préjudice sérieux en cas de refus de l'envoi en possession anticipé, et qu'elle-même serait exposée à un "risque énorme" en cas de mise en service de la ligne 220 kV, les champs électromagnétiques pouvant dérégler les ordinateurs, appareils de mesure et appareils de contrôle du garage-atelier, entraînant ainsi un mauvais fonctionnement des systèmes électroniques des véhicules poids-lourds confiés par des clients pour contrôle et réparation, puis, en fin de compte, des accidents sur la route.
|
ENSA conclut au rejet du recours.
|
Le Président de la Commission fédérale d'estimation a renoncé à déposer des observations.
|
E.
|
Par ordonnance de mesures superprovisionnelles du 21 octobre 2005, à la suite d'une demande d'effet suspensif présentée par la recourante, le Président de la Ire Cour de droit public a interdit provisoirement toute mesure d'exécution de la décision attaquée.
|
Le Tribunal fédéral considère en droit:
|
1.
|
La décision prise par le président d'une commission fédérale d'estimation sur une demande d'envoi en possession anticipé peut faire l'objet d'un recours de droit administratif au Tribunal fédéral (cf. notamment ATF 121 II 121; art. 76 al. 6 LEx). La société propriétaire du bien-fonds visé, qui s'oppose à l'expropriation, a qualité pour recourir (cf. ATF 111 Ib 15 consid. 8 p. 24/25). Elle a agi dans le délai de recours de vingt jours prévu par l'art. 76 al. 6 LEx. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
|
2.
|
La recourante se plaint d'une mauvaise application de l'art. 76 al. 4 LEx ainsi que de l'art. 45 al. 3 de la loi fédérale sur les installations électriques (LIE; RS 734.0).
|
2.1 La loi sur les installations électriques (LIE) a été partiellement révisée lors de l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2000, de la loi fédérale du 18 juin 1999 sur la coordination et la simplification des procédures de décision (RO 1999 3071). La procédure d'approbation des plans du tronçon "Thielle-Cornaux" de la nouvelle ligne 220/60 kV a débuté avant cette révision et l'Inspection fédérale des installations à courant fort (IFICF) a statué avant le 1er janvier 2000. En revanche, le Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) puis le Conseil fédéral se sont prononcés, comme autorités de recours, après cette date.
|
L'art. 63 al. 1 LIE (dans les dispositions finales de la loi) dispose que les demandes d'approbation des plans en cours d'examen le 1er janvier 2000 sont régies par les nouvelles règles de procédure mais, "en cas d'expropriation, la procédure d'opposition est au besoin mise en oeuvre a posteriori". C'est en application de cette disposition que l'expropriante a, le 17 juin 2003, demandé l'ouverture d'une procédure complémentaire dans laquelle la recourante a, le 2 février 2004, formé une opposition à l'expropriation. Cela étant, les plans du projet ont déjà fait l'objet d'une approbation qui est entrée en force après que le Conseil fédéral, le 18 décembre 2002, a rejeté les recours qui lui avaient été soumis; le gouvernement était encore compétent pour rendre cette décision, l'art. 63 al. 2 LIE prévoyant en pareil cas l'application des anciennes règles de procédure.
|
La recourante met en doute le caractère définitif de cette décision du Conseil fédéral en alléguant qu'elle n'a pas été rendue par un tribunal indépendant au sens de l'art. 6 CEDH. Il est toutefois constant que le prononcé du Conseil fédéral ne pouvait pas faire l'objet d'un recours ordinaire auprès d'un tribunal, et qu'il a donc acquis un caractère exécutoire. En particulier, l'art. 98 OJ excluait alors la recevabilité du recours de droit administratif au Tribunal fédéral et, compte tenu de la possibilité offerte à l'exproprié de contester ensuite le rejet d'une opposition à l'expropriation (formée ultérieurement) devant des autorités judiciaires - la commission de recours CRINEN puis, le cas échéant, le Tribunal fédéral -, la jurisprudence admet que la procédure, considérée ainsi globalement, respecte les exigences de l'art. 6 par. 1 CEDH concernant le droit d'accès à un tribunal indépendant et impartial (cf. arrêt non publié 1E.2/2004 du 21 avril 2004, consid. 3; arrêt 1A.249/1997 du 7 octobre 1997 in ZBl 99/1998 p. 391, consid. 1).
|
2.2 La jurisprudence relative à l'art. 76 LEx, disposition fixant les conditions de l'envoi en possession anticipé, rappelle deux conditions formelles auxquelles cette mesure est soumise: l'absence d'obstacle au commencement des travaux au regard du droit de l'aménagement du territoire et des constructions, et l'octroi du droit d'expropriation à celui qui réalise les travaux. Il n'est donc pas nécessaire d'attendre une décision définitive, et partant l'issue des procédures de recours, au sujet des oppositions à l'expropriation (cf. ATF 121 II 121 consid. 1 p. 123; 115 Ib 13 consid. 5a p. 23, 94, 424 consid. 4d p. 434). Il apparaît qu'en l'état, l'expropriante peut d'une part se fonder sur une décision exécutoire du Conseil fédéral autorisant la construction de la nouvelle ligne électrique, et d'autre part se prévaloir d'une décision de l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) - qui est rattaché au DETEC et qui, actuellement, a la compétence d'approuver les plans d'installations électriques à courant fort (art. 16 al. 2 let. b LIE) -, lequel a levé l'opposition à l'expropriation le 29 octobre 2004. Rien n'empêche donc, d'un point de vue formel, l'envoi en possession anticipé dans le cas particulier.
|
2.3 L'art. 76 al. 4 LEx prescrit une pesée des intérêts: en substance, l'envoi en possession anticipé doit être accordé à moins que cela ne rende impossible l'examen de la demande d'indemnité; aussi longtemps qu'il n'a pas été statué par une décision passée en force sur les oppositions à l'expropriation, l'autorisation ne doit être accordée que dans la mesure où il ne se produit pas de dommages qui ne pourraient être réparés en cas d'acceptation ultérieure des oppositions. Quant à l'art. 45 al. 3 LIE, lex specialis qui permet cette mesure lorsque la décision d'approbation des plans d'une ligne électrique est exécutoire, il pose la présomption d'un préjudice sérieux pour l'expropriant s'il ne bénéficie pas de l'entrée en possession anticipée.
|
Dans le cas particulier, on ne trouve dans l'argumentation de la recourante aucun motif de renverser la présomption de l'art. 45 al. 3 LIE. La recourante n'établit pas non plus qu'elle serait exposée elle-même à un dommage irréparable au sens de l'art. 76 al. 4 LEx. Les conséquences de l'exposition aux champs électromagnétiques qu'elle évoque ne sont nullement établies; les dérèglements en chaîne d'appareils électroniques ou mécaniques semblent même peu probables. Au reste, si les hypothèses de la recourante devaient se réaliser, on ne voit pas en quoi une indemnisation serait compromise. C'est donc manifestement à bon droit que le Président de la Commission fédérale d'estimation a accordé l'envoi en possession anticipé. Il s'ensuit que le recours de droit administratif, mal fondé, doit être rejeté.
|
3.
|
L'art. 116 al. 1 LEx prévoit que les frais et dépens de la procédure de recours de droit administratif sont en principe mis à la charge de l'expropriant mais que, lorsque les conclusions de l'exproprié sont rejetées intégralement ou en majeure partie, ils peuvent être répartis autrement. En l'espèce, il convient de mettre l'émolument judiciaire pour moitié à la charge de l'expropriante, et pour moitié à la charge de l'expropriée. Quant aux dépens, ils seront compensés.
|
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
|
1.
|
Le recours de droit administratif est rejeté.
|
2.
|
L'émolument judiciaire global de 3'000 fr. est mis pour moitié à la charge de A.________, et pour moitié à la charge de Electricité neuchâteloise SA.
|
3.
|
Les dépens sont compensés.
|
4.
|
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Commission fédérale d'estimation du 5e arrondissement.
|
Lausanne, le 8 décembre 2005
|
Au nom de la Ire Cour de droit public
|
du Tribunal fédéral suisse
|
Le président: Le greffier:
|