BGer 2A.573/2005
 
BGer 2A.573/2005 vom 06.02.2006
Tribunale federale
2A.573/2005/DAC/elo
{T 0/2}
Arrêt du 6 février 2006
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Merkli, Président,
Wurzburger et Meylan, Juge suppléant.
Greffière: Mme Dupraz.
Parties
A.X.________, B.X.________ et leur fils Y.________, recourants,
représentés par Me Christophe Tafelmacher, avocat,
contre
Département fédéral de justice et police, 3003 Berne.
Objet
Exception aux mesures de limitation,
recours de droit administratif contre la décision du Département fédéral de justice et police du 22 août 2005.
Faits:
A.
Ressortissant équatorien né le 27 avril 1961, A.X.________ est arrivé en Suisse en juillet 1994 et y a déposé une demande d'asile. Sa femme, B.X.________, née le 9 avril 1968, l'a rejoint en octobre 1994. Les époux X.________ ont eu un fils, Y.________, le 17 janvier 1995. Leur demande d'asile a été définitivement rejetée le 23 avril 1997. Le 14 septembre 1997, la famille X.________ a quitté la Suisse pour l'Italie, où elle a effectué un bref séjour, avant de revenir en Suisse en automne 1997 et de s'établir sans autorisation dans la région lausannoise. A.X.________ a travaillé dans différents domaines: nettoyage, agriculture, restauration et déménagement; sa femme a oeuvré comme gouvernante et aide domestique.
Les époux X.________ ont fait l'objet d'interpellations policières en septembre 1998 ainsi qu'en juillet, octobre et novembre 2002. L'Office fédéral des étrangers, actuellement l'Office fédéral des migrations, (ci-après: l'Office fédéral) a prononcé à leur endroit des interdictions d'entrée en Suisse et au Liechtenstein valables du 13 août 2002 au 12 août 2004, avec prolongation jusqu'au 2 décembre 2005, pour l'époux et du 3 décembre 2002 au 2 décembre 2005 pour l'épouse. Des délais leur ont été impartis pour quitter le territoire suisse.
La sortie de Suisse de A.X.________ a été contrôlée le 26 septembre 2002, mais l'intéressé est revenu clandestinement dans ce pays le 10 octobre 2002.
B.
Le 28 décembre 2002, les époux X.________ ont déposé une demande de "permis humanitaire", complétée le 15 avril 2003 par la production de tout un dossier. Le 20 mai 2003, le Service de la population du canton de Vaud (ci-après: le Service cantonal) les a informés qu'il était disposé à leur délivrer des autorisations de séjour pour autant qu'ils soient exemptés des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823.21). Le même jour, il a transmis leur dossier à l'Office fédéral qui, par décision du 12 décembre 2003, a refusé cette exemption.
C.
Les époux X.________ ont alors porté leur cause devant le Département fédéral de justice et police (ci-après: le Département fédéral). Ils ont produit notamment une pétition, revêtue de plus de deux mille deux cents signatures, demandant aux autorités fédérales et cantonales l'octroi en leur faveur d'une autorisation de séjour.
Par décision du 22 août 2005, le Département fédéral a rejeté le recours. II a considéré en substance que l'intégration de la famille X.________ en Suisse pouvait être qualifiée de bonne, sans être hors du commun. Cependant, les intéressés n'avaient pas créé avec ce pays des attaches à ce point profondes et durables qu'ils ne pourraient plus envisager un retour dans leur patrie et ils n'avaient pas acquis des connaissances ou des qualifications professionnelles si spécifiques qu'ils ne pourraient plus les mettre en pratique dans leur pays d'origine. Des attaches subsistaient avec I'Equateur, où ils avaient vécu plus de trente ans (en réalité plus de vingt-cinq pour B.X.________) et où ils conservaient de la famille proche (parents, frères ou soeurs), alors que seule résidait en Suisse la soeur de l'épouse, au bénéfice d'un permis temporaire pour études. Quant à l'enfant Y.________, ses résultats scolaires étaient très bons et il entretenait de bons contacts avec ses camarades; cependant, il maîtrisait l'espagnol, qui était sa langue maternelle, et le Département fédéral estimait que, vu son âge, il ne devrait pas, en cas de retour dans sa patrie, rencontrer des difficultés de réintégration impossibles à surmonter.
D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.X.________, B.X.________ et leur fils Y.________, demandent au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, principalement de réformer la décision du Département fédéral du 22 août 2005 en ce sens qu'ils soient mis au bénéfice d'une exception aux mesures de limitation et, subsidiairement, d'annuler cette décision et de "renvoyer le dossier à la juridiction cantonale pour complément d'instruction et nouvelle décision". Ils se plaignent essentiellement de constatation inexacte et incomplète des faits pertinents ainsi que de violation du droit fédéral, y compris d'excès et d'abus du pouvoir d'appréciation. Ils reprochent en particulier à l'autorité intimée d'avoir enfreint l'art. 12 de la convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant (ci-après: la Convention; RS 0.107)
Le Département fédéral conclut au rejet du recours. Le 23 novembre 2005, le Service cantonal a produit son dossier.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 II 58 consid. 1 p. 60).
La voie du recours de droit administratif étant en principe ouverte contre les décisions relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation prévues par l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (cf. ATF 122 II 403 consid. 1 p. 404/405) et les autres conditions formelles des art. 97 ss OJ étant remplies, le présent recours est recevable.
2.
Saisi d'un recours de droit administratif dirigé contre une décision qui n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral revoit, le cas échéant d'office, les constatations de fait (art. 104 lettre b et 105 al. 1 OJ). Sur le plan juridique, il vérifie d'office l'application du droit fédéral qui englobe en particulier les droits constitutionnels des citoyens (cf. ATF 130 I 312 consid. 1.2 p. 318) - en examinant notamment s'il y a eu excès ou abus du pouvoir d'appréciation (art. 104 lettre a OJ) -, sans être lié par les motifs invoqués par les parties (art. 114 al. 1 in fine OJ). En revanche, il ne peut pas revoir l'opportunité de la décision attaquée, le droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen dans ce domaine (art. 104 lettre c ch. 3 OJ).
En matière de police des étrangers, lorsque la décision entreprise n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral fonde en principe ses jugements, formellement et matériellement, sur l'état de fait et de droit existant au moment de sa propre décision (ATF 124 II 361 consid. 2a p. 365; 122 II 1 consid. 1b p. 4).
3.
3.1 Les mesures de limitation visent, en premier lieu, à assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la population suisse et celui de la population étrangère résidante, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du travail et à assurer un équilibre optimal en matière d'emploi (art. 1er lettres a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE soustrait aux mesures de limitation "les étrangers qui obtiennent une autorisation de séjour dans un cas personnel d'extrême gravité ou en raison de considérations de politique générale". Cette disposition a pour but de faciliter la présence en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient comptés dans les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, mais pour lesquels cet assujettissement paraîtrait trop rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur cas ou pas souhaitable du point de vue politique.
II découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette disposition dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions auxquelles la reconnaissance d'un cas de rigueur est soumise doivent être appréciées restrictivement. II est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour lui de graves conséquences. Lors de l'appréciation d'un cas personnel d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances du cas particulier. La reconnaissance d'un cas personnel d'extrême gravité n'implique pas forcément que la présence de l'étranger en Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation de détresse. Par ailleurs, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il s'y soit bien intégré, socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas personnel d'extrême gravité; il faut encore que la relation du requérant avec la Suisse soit si étroite qu'on ne puisse pas exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine. A cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que le requérant a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exemption des mesures de limitation du nombre des étrangers (ATF 130 II 39 consid. 3 p. 41/42 et la jurisprudence citée).
Lorsqu'une famille demande de pouvoir être exemptée des mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE, la situation de chacun de ses membres ne doit pas être considérée isolément mais en relation avec le contexte familial global. En effet, le sort de la famille formera en général un tout; il serait difficile d'admettre le cas d'extrême gravité, par exemple, uniquement pour les parents ou pour les enfants. Ainsi, le problème des enfants est un aspect, certes important, de la situation de la famille, mais ce n'est pas le seul critère. Il y a donc lieu de porter une appréciation d'ensemble, tenant compte de tous les membres de la famille (durée du séjour, intégration professionnelle pour les parents et scolaire pour les enfants, notamment; cf. ATF 123 II 125 consid. 4a p. 129).
Quand un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse ou lorsqu'il y a juste commencé sa scolarité, il reste encore dans une large mesure rattaché à son pays d'origine par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socio-culturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour au pays d'origine constitue un déracinement complet. Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Il convient dans cette perspective de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et, au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle commencées en Suisse. Un retour au pays d'origine peut en particulier représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats. L'adolescence est en effet une période essentielle du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant une intégration accrue dans un milieu déterminé (cf. ATF 123 II 125 consid. 4 p. 128 ss; Alain Wurzburger, La jurisprudence récente du Tribunal fédéral en matière de police des étrangers, in RDAF 1997 I 267 ss, p. 297/298).
Le Tribunal fédéral a précisé que les séjours illégaux en Suisse n'étaient en principe pas pris en compte dans l'examen d'un cas de rigueur. La longue durée d'un séjour en Suisse n'est pas, à elle seule, un élément constitutif d'un cas personnel d'extrême gravité dans la mesure où ce séjour est illégal. Sinon, l'obstination à violer la législation en vigueur serait en quelque sorte récompensée. Dès lors, il appartient à l'autorité compétente d'examiner si l'intéressé se trouve pour d'autres raisons dans un état de détresse justifiant de l'excepter des mesures de limitation du nombre des étrangers. Pour cela, il y a lieu de se fonder sur les relations familiales de l'intéressé en Suisse et dans sa patrie, sur son état de santé, sur sa situation professionnelle, sur son intégration sociale, etc. (ATF 130 II 39 consid. 3 p. 42).
3.2 Dans le cas particulier, la famille recourante a résidé légalement en Suisse de juillet 1994 à avril 1997 puis, au bénéfice d'une tolérance, dès décembre 2002. La durée du séjour régulier des intéressés dans ce pays n'est donc pas particulièrement longue. Hormis le fait de séjourner et de travailler sans autorisation entre avril 1997 et décembre 2002, le comportement des recourants n'a pas donné lieu à des plaintes; en particulier, les intéressés n'ont aucunement enfreint la loi pénale ni émargé à l'aide sociale. Ils ont accompli de louables efforts d'intégration, ont manifestement réussi à gagner la sympathie de leur entourage et sont même parvenus à sensibiliser à leur cause un très grand nombre de personnes. Mais on ne saurait considérer pour autant que les recourants se sont de la sorte créé des liens si étroits avec la Suisse qu'ils ne pourraient envisager de retourner dans leur pays d'origine, dans lequel A.X.________ et sa femme ont vécu les trente-trois, respectivement vingt-six, premières années de leur existence et où ils ont encore l'essentiel de leur proche famille. Les époux X.________ ne peuvent pas non plus faire état d'une ascension professionnelle hors du commun - ils étaient au contraire manifestement surqualifiés pour les emplois qu'ils ont effectivement occupés en Suisse - ni d'acquis dont ils ne pourraient plus tirer parti en cas de retour dans leur pays d'origine. Quant à l'enfant Y.________, il n'a pas encore atteint l'âge décisif de l'adolescence; il est certes vrai que, né en Suisse, il ne connaît pratiquement pas son pays d'origine; le Département fédéral retient qu'il maîtrise cependant la langue espagnole et les recourants le contestent en vain: il résulte en effet d'une pièce produite par leurs soins que l'enfant Y.________ suit le catéchisme et la formation chrétienne auprès de la Mission catholique de langue espagnole à Lausanne; on peut dès lors admettre qu'un départ à destination de son pays d'origine ne constituerait pas pour lui un déracinement tel qu'il ne saurait lui être raisonnablement imposé. Enfin, les recourants se plaignent à tort de ce que l'enfant Y.________ n'ait pas été entendu en cours de procédure; il convient de rappeler tout d'abord que l'art. 12 al. 2 de la Convention prévoit lui-même que l'enfant peut être entendu soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant (ou d'un organisme approprié); ce second mode paraît particulièrement adéquat lorsqu'il s'agit, comme ici, d'une procédure qui est essentiellement écrite et où tout porte à penser que - contrairement à ce qui peut se produire, par exemple, dans une procédure de divorce ou de séparation - les intérêts des deux parents et ceux de l'enfant coïncident parfaitement; lorsque, de surcroît, la procédure démontre que les parents ont suffisamment fait valoir les intérêts propres à leur enfant, ce qui est manifestement le cas en l'espèce, on ne voit pas ce qu'une audition directe de ce dernier pourrait apporter de plus.
C'est donc à juste titre que le Département fédéral a confirmé le refus d'exception aux mesures de limitation litigieux. Ce faisant, il n'a pas constaté les faits pertinents de façon inexacte ou incomplète ni violé le droit fédéral; en particulier, il a respecté l'art. 12 de la Convention.
4.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté.
Succombant, les recourants doivent supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ) et n'ont pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 1'200 fr. est mis à la charge des recourants.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, au Département fédéral de justice et police, ainsi qu'au Service de la population du canton de Vaud.
Lausanne, le 6 février 2006
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: