BGer 4C.83/2006
 
BGer 4C.83/2006 vom 26.06.2006
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.83/2006 /ech
Arrêt du 26 juin 2006
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mmes les juges Corboz, président, Klett, Rottenberg, Favre et Kiss.
Greffier: M. Thélin.
Parties
X.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Jean-Daniel Théraulaz,
contre
Y.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Philippe Nordmann.
Objet
responsabilité civile
recours en réforme contre l'arrêt rendu le 6 septembre 2005 par la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Faits:
A.
Le 16 août 1994, Y.________ circulait à motocyclette à proximité de Vuarrens. Le conducteur d'une automobile qui approchait en sens inverse a brusquement obliqué à gauche et lui a coupé la route. Une collision s'est produite; la motocycliste a subi un traumatisme cranio-cérébral et des fractures de la cheville et de la clavicule gauches. En dépit de trois interventions chirurgicales, la fracture de la cheville n'a pas pu être entièrement guérie et un handicap subsiste au pied gauche.
Née le 28 février 1971, Y.________ exerçait la profession d'horticultrice au service de la commune de Lausanne. Elle s'est mariée en 1995. Depuis août 1996, elle collabore avec son mari dans l'exploitation d'un domaine agricole à A.________ et elle élève leurs quatre enfants qui sont nés de janvier 1997 à septembre 2003.
L'assurance-accidents a pris en charge les frais de soins et la perte de gain jusqu'au 31 décembre 1998. Dès le 1er janvier 1999, elle a alloué une rente d'invalidité calculée sur la base d'une perte de capacité de gain de 30%; elle a en outre alloué une indemnité de 24'300 fr. pour une atteinte à l'intégrité évaluée à 25%.
B.
Le 17 août 2001, Y.________ a ouvert action contre X.________ SA, la compagnie qui assurait la responsabilité civile du détenteur de l'automobile, devant le Tribunal cantonal du canton de Vaud. Sa demande tendait au paiement de 705'000 fr. avec intérêts au taux de 5% par an dès le 16 mai 2001.
La défenderesse a conclu au rejet de la demande.
La Cour civile du Tribunal cantonal a statué par jugement du 24 août 2005; en substance, elle a donné gain de cause à la demanderesse.
Sur la base d'une expertise économique, elle a retenu que sans le handicap, la demanderesse aurait fourni dans l'exploitation familiale, chaque mois, deux cents heures d'un travail agricole valant 30 fr. l'heure, ce qui aurait engendré un revenu mensuel de 6'000 fr. Elle a retenu une perte de gain correspondant à l'invalidité médicale ou théorique, évaluée elle-même à 30% dans les activités agricoles; cette perte s'élevait donc à 2'000 fr. par mois ou 24'000 fr. par année. La Cour civile a rejeté l'argumentation de la défenderesse selon laquelle la demanderesse aurait pu et dû préserver sa capacité de gain en adoptant, après l'accident, la profession de magasinier-fleuriste.
Du 1er janvier 1999 à la date du jugement, la perte cumulée s'élevait à 159'500 fr. A concurrence de 99'400 fr., elle avait été compensée par la rente de l'assurance-accidents. La défenderesse devait réparation du solde, soit 60'100 fr., avec intérêts au taux de 5% par an dès le milieu de la période considérée, soit dès le 27 avril 2002.
Dans l'avenir, après le jugement, la demanderesse subirait la même perte de 24'000 fr. par an jusqu'à l'âge normal de la retraite, soit soixante-quatre ans. Il fallait donc capitaliser une rente temporaire d'activité du même montant pour une femme de trente-quatre ans, payable pendant trente ans; sur la base de la table de capitalisation Stauffer/Schaetzle, 5e éd., n° 12y, l'application du facteur 18,00 aboutissait au montant de 432'000 fr. La rente d'assurance-accidents, également capitalisée, devait être déduite par 270'469 fr. La défenderesse était débitrice du solde par 161'531 fr., avec intérêts dès la date de la capitalisation, c'est-à-dire dès le lendemain du jugement.
La Cour civile a évalué le dommage ménager consécutif au handicap. Elle s'est référée au temps normalement consacré à la tenue du ménage dans une famille paysanne, d'après les données statistiques rapportées par l'expert. Dans la vie de la demanderesse, elle a considéré séparément plusieurs périodes successives pour tenir compte des variations intervenues ou à intervenir dans le nombre et l'âge des enfants. Elle a retenu une valeur de 30 fr. l'heure pour l'activité de la mère de famille et elle a calculé le dommage d'après un taux d'invalidité médicale de 15% dans les activités ménagères. Pour chacune des périodes futures, postérieures au jugement, elle a capitalisé une rente d'activité à la fois temporaire et différée. Les sommes alloués s'élèvent à 28'000 fr., 92'111 fr. et 272'741 fr., respectivement avec intérêts dès le 15 octobre 1997, le 27 avril 2002 et le 25 août 2005.
Accédant aux conclusions de la demanderesse, la Cour civile a alloué 30'000 fr. à titre d'indemnité de réparation morale, avec intérêts dès la date de l'accident. Elle a déduit l'indemnité de l'assurance-accidents pour atteinte à l'intégrité, ainsi que les intérêts de cette indemnité dès le 6 mai 1999. Elle a enfin alloué 5'000 fr. au titre des frais d'avocat avant procès, avec intérêts dès le 31 août 2001, lendemain de la notification de la demande.
C.
Agissant par la voie du recours en réforme, la défenderesse requiert le Tribunal fédéral de modifier le jugement de la Cour civile en ce sens qu'elle soit condamnée à verser seulement l'indemnité de réparation morale. A titre subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause à la juridiction cantonale.
La demanderesse conclut au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours est formé par une partie qui a succombé dans ses conclusions tendant à sa libération. Il est dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est en principe recevable.
Le recours en réforme peut être exercé pour violation du droit fédéral, à l'exclusion des droits constitutionnels et du droit cantonal (art. 43 al. 1 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste ou qu'il soit nécessaire de compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 63 al. 2, 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4 p. 140). Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (mêmes arrêts).
Le Tribunal fédéral ne peut pas juger au delà des conclusions des parties mais il n'est pas lié par motifs que celles-ci invoquent (art. 63 al. 1 OJ) et il apprécie librement la portée juridique des faits (art. 43 al. 4, 63 al. 3 OJ). Néanmoins, en règle générale, il se prononce seulement sur les questions juridiques que la partie recourante soulève conformément aux exigences de l'art. 55 al. 1 let. c OJ concernant la motivation du recours (ATF 127 III 397 consid. 2a p. 400; 116 II 92 consid. 2 p. 94).
2.
Il est constant que la défenderesse peut être recherchée selon l'art. 65 al. 1 de la loi fédérale sur la circulation routière (LCR) pour les dommages-intérêts et l'indemnité de réparation morale auxquels la demanderesse a encore droit, le cas échéant, par suite de l'accident du 16 août 1994. L'indemnité de réparation morale n'est d'ailleurs plus litigieuse. Conformément à l'art. 62 al. 1 LCR, les dommages-intérêts doivent être évalués selon les règles applicables aux conséquences d'actes illicites.
3.
Aux termes de l'art. 46 CO, la victime de lésions corporelles a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique.
Selon la jurisprudence, autant que possible, le dommage consécutif à l'invalidité doit être établi de manière concrète. Il faut déterminer les effets de l'invalidité sur la capacité de gain et l'avenir économique du lésé, ce qui nécessite d'estimer le gain que celui-ci aurait obtenu dans son activité professionnelle s'il n'avait pas subi l'accident. La situation salariale concrète, avant l'événement dommageable, constitue la référence; néanmoins, le juge ne doit pas se borner à constater le revenu réalisé jusqu'alors car il faut surtout déterminer ce que le lésé aurait annuellement gagné dans le futur (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363; 129 III 135 consid. 2.2 p. 141). La constatation du dommage ressortit en principe au juge du fait; saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral n'intervient que si la juridiction cantonale a méconnu la notion juridique du dommage ou si elle a violé les principes juridiques à appliquer dans le calcul (ATF 128 III 22 consid. 2e p. 26; 126 III 388 8a 389; voir aussi ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366).
A l'époque de l'accident, selon les constatations de la Cour civile, la demanderesse était déjà liée à son futur mari et, à court terme, elle aurait de toute manière quitté le service de la commune de Lausanne pour collaborer avec lui à l'exploitation d'un domaine agricole. Il est donc conforme au droit fédéral d'évaluer les conséquences de l'invalidité dans cette nouvelle situation familiale et professionnelle, bien que celle-ci ait débuté après l'accident, plutôt que par rapport à l'emploi occupé immédiatement avant cet événement. La défenderesse n'élève d'ailleurs aucune critique sur ce point.
En cas d'invalidité d'un agriculteur, les dommages-intérêts doivent compenser le préjudice économique résultant de l'entrave subie par le lésé dans l'accomplissement de son activité; on applique alors, par analogie, les principes qui régissent habituellement l'évaluation du dommage ménager (arrêt 4C.324/2005 du 5 janvier 2006, consid. 3; cf. Alexandre Guyaz, Dommage subséquent et perte de gain normative, REAS 2006 p. 126). Il importe donc peu que le préjudice consiste dans la nécessité de recourir aux services de tiers, dans une sollicitation accrue des proches du lésé, dans un accroissement du temps de travail fourni par celui-ci ou dans une diminution qualitative des prestations fournies. La preuve d'un préjudice concret n'est pas nécessaire car le dommage doit être évalué d'après ce que coûterait le recours aux services de tiers rétribués (ATF 132 III 321 consid. 3.1 p. 332; 131 III 360 consid. 8.1 p. 369; 127 III 403 consid. 4b p. 405/406). C'est donc vainement que la défenderesse conteste la pertinence de l'expertise et reproche à la Cour civile de n'avoir pas déterminé la valeur de l'activité de la demanderesse d'après le rendement effectif du domaine de A.________. Il est possible que la valeur des heures de travail consacrées à un domaine agricole, cumulées, excède de façon importante le rendement de ce domaine. Cela signifie que l'exploitation devrait être abandonnée s'il fallait réellement compenser les conséquences d'une invalidité par l'engagement de collaborateurs salariés, ce qui est évité grâce à la solidarité des membres de la famille. Le responsable de l'invalidité, tenu à réparation, ne doit retirer aucun avantage de ce contexte social et économique.
La défenderesse conteste le taux de 30 fr. l'heure retenu tant pour le travail agricole que pour la tenue du ménage et les soins aux enfants. Contrairement à son argumentation, il ne ressort pas de l'arrêt précité du 5 janvier 2006 que l'heure d'un agriculteur indépendant doive être évaluée à 19 fr. au plus; le Tribunal fédéral a seulement confirmé la méthode consistant à se référer au salaire d'un ouvrier agricole qualifié. La Cour civile a fondé son évaluation sur l'expertise d'après laquelle le taux de 30 fr. l'heure de travail agricole est « largement admis » dans la pratique; ce point relève donc de l'appréciation des preuves et celle-ci échappe au contrôle du Tribunal fédéral. Quant à l'heure de travail ménager, la Cour civile s'est référée à la jurisprudence (ATF 131 III 360 consid. 8.3 p. 373) et, dans les limites du droit, elle a sainement usé de son pouvoir d'appréciation. Pour le surplus, la défenderesse isole certains éléments de l'expertise pour en tirer des conclusions opposées à celles de l'expert et elle se réfère à un taux d'invalidité autre que celui constaté par la Cour civile. Ces critiques sont elles aussi dirigées contre l'appréciation des preuves et elles sont donc irrecevables en instance de réforme. L'évaluation du dommage consécutif à l'invalidité doit ainsi être confirmée.
4.
Aux termes de l'art. 44 al. 1 CO, les dommages-intérêts peuvent être réduits ou refusés lorsque des faits dont le lésé est responsable ont contribué à créer ou à augmenter le dommage, ou ont aggravé la situation du débiteur. Devant le Tribunal fédéral comme en instance cantonale, la défenderesse soutient que la demanderesse aurait pu et dû s'assurer une capacité de gain plus importante après l'accident.
La réduction ou le refus des dommages-intérêts doit intervenir, entre autres cas, lorsque la partie lésée n'a pas pris toutes les mesures commandées par les circonstances pour diminuer le dommage (Franz Werro, Commentaire romand, ch. 26 ad art. 44 CO). Cette règle concrétise le principe du ménagement dans l'exercice d'un droit, en l'occurrence le droit du lésé d'exiger réparation, qui est consacré par l'art. 2 CC. Conformément à un principe général du droit de la responsabilité civile, le lésé doit supporter lui-même le dommage dans la mesure où son étendue lui est personnellement imputable (ATF 130 III 182 consid. 5.5.1 p. 189; Karl Oftinger/Emil Stark, Schweizerisches Haftpflichtrecht, Zurich 1995, 5e éd., vol. I, p. 385 note n° 28; Alfred Keller, Haftpflicht im Privatrecht, Berne 2002, 6e éd., vol. I, p. 99 et 146 ss). Il en résulte que la réparation due par l'autre partie ne s'étend qu'au dommage moins important qui subsisterait si le lésé avait satisfait à son devoir de diminuer le dommage effectif. Contrairement à l'argumentation de la défenderesse, compte tenu que ce devoir ne correspond pas à une véritable obligation du lésé mais à une simple incombance, sa violation n'entraîne pas d'emblée la déchéance complète du droit d'exiger réparation (arrêt 4C.158/2002 du 20 août 2002, consid. 4c).
Le devoir de diminuer le dommage, dans l'intérêt de la partie tenue à réparation, trouve ses limites dans ce qui est équitablement exigible du lésé (arrêt 4C.412/1998 du 23 juin 1999, Pra 1999 p. 890, consid. 2c p. 891). Dans le domaine des assurances sociales, le devoir de limiter autant que possible les conséquences de l'invalidité est également reconnu (ATF 113 V 22 consid. 4a p. 28) mais l'assuré n'est tenu qu'aux mesures exigibles de lui d'après les circonstances objectives et subjectives du cas (arrêt du 22 août 2001 traduit in Pratique VSI 2001 p. 274, consid. 5a/aa p. 279). En règle générale, l'étendue du devoir de limiter le dommage peut être déterminée par référence au comportement que le lésé adopterait dans l'hypothèse où il devrait assumer seul la totalité de ce même dommage (Roland Brehm, Commentaire bernois, 2006, 3e éd., ch. 48 ad art. 44 CO; Oftinger/Stark, op. cit., p. 386 note n° 37).
Pour satisfaire à son devoir, le lésé ne doit pas seulement prendre d'éventuelles dispositions propres à limiter l'accroissement futur du dommage; il doit aussi, le cas échéant, mettre en oeuvre les mesures qui sont de nature à réduire le dommage déjà survenu. A la suite de lésions corporelles, il s'agit par exemple de se soumettre à une opération chirurgicale ou à un traitement médical aptes à favoriser la guérison. Devenu invalide, le lésé doit aussi envisager un changement d'emploi ou de profession si cette mesure paraît indiquée à l'issue d'une analyse approfondie de sa situation (Pascal Pichonnaz, Le devoir du lésé de diminuer son dommage, in La fixation de l'indemnité, colloque de l'Université de Fribourg, Berne 2004, p. 112/113; Anton Schnyder, Commentaire bâlois, 2003, 3e éd., ch. 13 ad art. 44 CO). Le changement d'emploi ou de profession n'est cependant exigible que si les possibilités de reclassement sont établies (ATF 89 II 222 consid. 6 p. 230) et que l'on peut en espérer une augmentation notable de la capacité de gain (Stephan Weber, Die Schadenminderungspflicht : eine metamorphe Rechtsfigur, in Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung 1999, Saint-Gall 1999, p. 151/152). Dans le cas d'un adulte qui a exercé la même profession durant des années (Werro, ibid.), ou lorsque l'activité antérieure peut se poursuivre sans perte de revenu très importante (Oftinger/Stark, op. cit., p. 291 ch. 131), une retenue particulière se justifie. En raison de la portée toute générale du devoir de diminuer le dommage, et contrairement à ce que le Tribunal fédéral a autrefois jugé (ATF 60 II 226 p. 229), le lésé ne peut pas refuser son reclassement au motif qu'il n'a commis aucune faute (arrêt du 22 mai 1984 résumé in JdT 1985 I 426, n° 40). Les efforts exigibles doivent être évalués en tenant compte des circonstances telles que la personnalité du lésé, son âge et son niveau de formation, son intelligence et ses capacités d'adaptation, ses aptitudes professionnelles et son habileté manuelle (Weber, ibid.; Oftinger/Stark, ibid.). Comparés aux adultes, les enfants et les jeunes ont de meilleures facultés d'adaptation et ils peuvent plus facilement compenser un handicap (ATF 95 II 255 consid. 7c p. 265). Néanmoins, même dans l'évaluation du dommage subi par un enfant, on ne peut pas simplement vouer celui-ci à un métier hypothétique et indéterminé dans lequel le handicap n'aurait qu'une incidence inexistante ou insignifiante; au contraire, il s'impose de tenir compte des restrictions auxquelles le lésé sera confronté dans le choix de sa profession (ATF 100 II 298 consid. 4 p. 304).
5.
Dans l'application de l'art. 44 al. 1 CO, il appartient au juge de discerner objectivement les divers facteurs à l'origine du dommage, d'après les circonstances, et de pondérer de façon appropriée les responsabilités propres de chaque partie (ATF 117 II 156 consid. 3a in fine p. 159). La jurisprudence lui reconnaît un large pouvoir d'appréciation et le Tribunal fédéral ne contrôle sa décision qu'avec retenue. Il intervient lorsque l'autorité cantonale de dernière instance s'est écartée sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'est appuyée sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'elle a ignoré des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération. En outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 131 III 12 consid. 4.2 p. 15; 130 III 182 consid. 5.5.2 p. 191; 128 III 390 consid. 4.5 p. 399). En vertu de l'art. 8 CC, dans l'action tendant au paiement de dommages-intérêts, les circonstances propres à justifier la réduction de l'indemnité appartiennent aux faits destructeurs ou extinctifs dont la preuve incombe à la partie recherchée (cf. ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323; 128 III 271 consid. 2a/aa p. 273).
6.
La Cour civile a constaté qu'après l'accident du 16 août 1994, la demanderesse souhaitait continuer de travailler au service de la commune de Lausanne et que dès le 1er août 1995, celle-ci l'a employée en qualité de magasinier-fleuriste. Elle l'a cependant licenciée par la suite, ce contre quoi la demanderesse a énergiquement protesté. Aucun autre poste ne lui a été proposé. Dans la mesure où la défenderesse soutient que la demanderesse a décidé par simple choix personnel de renoncer à tout reclassement, son argumentation est irrecevable car elle s'écarte de ces constatations qui lient le Tribunal fédéral.
La Cour civile a aussi constaté qu'en entreprenant de collaborer à l'exploitation d'un domaine agricole, la demanderesse n'a pas choisi l'activité la mieux adaptée à son handicap. Elle ne lui impute pas ce choix à faute car il correspond à sa personnalité - elle a été décrite comme une « personne de la terre » - et à ce qu'elle a toujours souhaité. La demanderesse n'a jamais envisagé de profession autre que liée à la terre et elle n'a aucune attirance pour les études théoriques. La Cour civile en déduit qu'un changement de profession ne lui serait pas profitable. La demanderesse a épousé un agriculteur, ce qui ne saurait non plus lui être reproché. Selon l'expérience générale, cette situation implique un engagement important dans l'exploitation du domaine agricole, en sus de la tenue du ménage et des soins aux enfants. Les époux n'ont d'ailleurs pas d'employés, hormis une apprentie en économie familiale, et leurs ressources ne leur permettraient pas de recourir à d'autres collaborateurs salariés. La demanderesse accomplit tout ce qui est en son pouvoir pour faire face le mieux possible aux tâches du ménage et aider son mari dans l'exploitation. Elle a adopté un rythme d'activité qui lui est propre, adapté à son handicap. Elle est ainsi parvenue à un équilibre qui est fondé sur une solution économique comportant un minimum d'aide extérieure.
Il est douteux que, dans l'intérêt de la partie tenue à réparation et pour réduire cette prestation au montant le plus faible possible, on puisse attendre du lésé l'abandon du genre de vie et d'activité auquel il se destinait depuis longtemps. A tout le moins, cela ne peut pas être demandé d'une personne qui, telle la demanderesse, utilise de manière optimale sa capacité de travail résiduelle en combinant judicieusement l'activité lucrative, les tâches ménagères et les soins aux enfants. Compte tenu qu'elle n'a manifesté ni aptitude ni attirance pour une formation scolaire, il est très douteux que son reclassement dans une profession commerciale, selon ce que préconise la défenderesse, soit effectivement réalisable. A supposer que la formation nécessaire puisse être acquise, il est encore douteux que la demanderesse parvienne à se procurer un gain notablement supérieur à la valeur de son activité actuelle. La profession nouvelle s'exercerait hors du cadre familial, avec cette conséquence qu'il faudrait organiser et assurer la garde des quatre enfants. Les frais correspondants devraient être pris en considération; c'est pourquoi la situation familiale de la demanderesse est aussi un facteur défavorable à ce reclassement. Au regard de ses goûts essentiellement terriens et de son engagement total dans ses activités de mère de famille paysanne, on peut admettre avec certitude que même si la demanderesse ne pouvait espérer aucune indemnisation consécutive à l'accident, elle ne modifierait pas son mode de vie et elle ne se reclasserait pas dans une autre profession. La Cour civile retient donc à bon droit, sans excès ni abus de son pouvoir d'appréciation, qu'un changement de profession n'est pas exigible de la demanderesse.
La défenderesse invoque vainement un précédent dans lequel le droit à une indemnité journalière de l'assurance-maladie dépendait d'une comparaison entre le revenu que l'assuré aurait obtenu dans sa profession initiale, s'il avait pu continuer de l'exercer, et celui qu'il pourrait vraisemblablement obtenir s'il acceptait un reclassement (ATF 114 V 281). Or, la Cour civile n'a fait aucune constatation ayant pour objet le revenu que la demanderesse pourrait obtenir dans une profession commerciale. La défenderesse ne prétend d'ailleurs pas avoir fait des offres de preuve à ce sujet, que la Cour civile aurait rejetées en violation du droit fédéral.
7.
Le recours en réforme se révèle privé de fondement, dans la mesure où les griefs présentés sont recevables. A titre de partie qui succombe, la défenderesse doit acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer à la partie qui obtient gain de cause.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 8'500 fr.
3.
La défenderesse acquittera une indemnité de 9'500 fr. à verser à la demanderesse à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 26 juin 2006
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: